6 avril 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/08352
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 8
ARRET DU 06 AVRIL 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/08352 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCZGB
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Septembre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/09618
APPELANTE
S.A.R.L. HAMMAM DU CANAL
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Abir BEN CHEIKH, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 137
INTIMÉE
Madame [X] [D]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Aurélien WULVERYCK, avocat au barreau de PARIS, toque : J091
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente
Madame Nicolette GUILLAUME, présidente
Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée, rédactrice
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [D] a été engagée par la Sarl Hamman du Canal par contrat à durée indéterminée, à compter du 13 février 2017 en qualité de masseuse esthéticienne.
La convention collective applicable est celle de la parfumerie de détail et l’esthétique.
Dans le cadre d’une instruction judiciaire ouverte pour proxénétisme, l’établissement a été fermé provisoirement à compter du 26 juin 2019. La gérante d’alors a été mise en examen avec interdiction de gérer.
Suivant procès-verbal d’assemblée générale du 15 juillet 2019, la société Hamman du Canal a nommé Mme [N] [W] en qualité de gérante.
Suivant arrêté préfectoral du 2 août 2019, l’établissement a fait l’objet d’une fermeture administrative.
Le 13 septembre 2019, Mme [D] a saisi en référé le conseil de prud’hommes de Paris qui, par décision du 16 octobre 2019, a ordonné à la société de lui verser les sommes suivantes :
* 6 085 euros au titre des salaires de juin à septembre 2019 ;
* 608,50 euros au titre des congés payés afférents ;
* 500 euros à titre de provision sur dommages-intérêts ;
* 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
et de lui remettre les bulletins de paie de juin à septembre 2019.
Le 17 octobre 2019, Mme [D] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique fixé au 28 octobre 2019.
Elle a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 24 octobre 2019 afin de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Le 28 octobre 2019, elle a accepté le contrat de sécurisation professionnelle et adressé à cette fin une lettre recommandée avec accusé de réception à son employeur.
Toutefois, ce dernier n’a pas retiré cette lettre recommandé et a licencié la salariée pour motif économique le 27 novembre 2019.
Par jugement rendu le 11 septembre 2020, notifié aux parties le 13 novembre 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a :
– condamné la société Hammam du Canal à verser à Madame [D] :
*10 000 euros au titre de dommage intérêt pour retard du versement des salaires *6541,37 euros au titre du rappel de salaire pour la période du 26 juin 2019 au 4 novembre 2019 en deniers ou quittance
*654,13 euros au titre des congés payés afférents
*1 000 euros au titre de l’article 700 du CPC
– ordonné à la société Hammam du Canal de remettre à Madame [D] les documents sociaux conformes au présent jugement soit attestation pôle emploi certificat de travail et les bulletins de paie,
– débouté Mme [D] du surplus de ses demandes,
– débouté la société Hammam du Canal de sa demande au titre de l’article 700 CPC,
– rappelé l’exécution provisoire de droit en application des articles R1454-14 er R 1454-28 du code du travail, dans la limite de 9 mois de salaire calculée sur la moyenne des trois derniers mois , établie à 1 521,25 euros,
– condamné la société Hammam du Canal aux entiers dépens.
Par déclaration du 5 décembre 2020, la Sarl Hammam du Canal a interjeté appel du jugement.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique en date du 1er février 2021, la société Hammam du Canal demande à la cour de :
-la déclarer recevable en son appel et sa demande
-infirmer le jugement rendu le 11 septembre 2020, en ce qu’il l’a condamnée à verser la somme de 10 000 euros au titre de dommage et intérêts pour non versement des salaires
statuant à nouveau,
-constater que Mme [D] ne justifie pas d’un préjudicie distinct indépendant du retard de paiement
en conséquent,
-débouter Mme [D] de sa demande de dommage et intérêts pour non versement des salaires
en tout état de cause,
– condamner Mme [D] à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique en date du 16 avril 2021, Madame [D] demande à la cour de :
– juger que la société a commis des fautes dans l’exécution du contrat et que la rupture du contrat doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
en conséquence,
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
– condamné la société aux sommes suivantes :
* 10 000 euros au titre de dommage intérêt pour retard du versement des salaires
*rappel de salaire : 6541,37 euros bruts
* congés payés y afférents : 654,13 euros bruts
*1 000 euros au titre de l’article 700 CPC
-ordonné à la société Hammam du Canal de remettre à Mme [D] les documents sociaux conformes au présent jugement soit attestation Pôle Emploi, certificat de travail et les bulletins de paie
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée des demandes suivantes:
-prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur
– à titre subsidiaire juger le licenciement pour motif économique sans cause réelle ni sérieuse
– indemnité compensatrice de préavis : 3 042,50 euros bruts
– congés payés y afférents : 304,25 euros bruts
– indemnité légale de licenciement :1 140,94 euros
– indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse : 30 000 euros
-dommages et intérêts pour absence de prise en compte de l’acceptation du CSP : 3285,90 euros
y ajoutant,
– condamner la société à 3 000 euros au titre de l’article 700 du CPC,
– laisser les dépens à la charge de la société.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 7 février 2023 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 6 mars 2023.
Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’ aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS
I – Sur l’exécution du contrat de travail
A/ Sur les chefs de jugement déférés à la cour
Conformément aux dispositions de l’article 562 du code de procédure civile, l’appel défère à la connaisance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
En l’espèce, aucune des parties n’ayant interjeté appel des chefs de jugement portant sur les sommes allouées à titre du rappel de salaire, de congés payés afférents et au titre des frais irrépétibles de première instance, la cour n’en est pas saisie et le jugement est donc définitif sur ces différents points.
B / sur les dommages-intérêts pour retard de paiement des salaires
L’article 1231-6 du code civil dispose que les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure ; que ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte et que le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire.
Il résulte de ce texte que l’octroi de dommages-intérêts distincts de l’intérêt moratoire dû à raison du seul retard dans l’exécution de l’obligation est subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives : la mauvaise foi du débiteur et un préjudice indépendant du retard.
En l’espèce, la mauvaise foi de la société n’est pas établie dés lors que ses avoirs financiers n’étaient plus mobilisables en raison de l’instruction judiciaire, qu’il ressort des pièces veréses au débat que la nouvelle gérante a recherché des sources de financement et que le règlement des salaires est intervenu en trois versements peu après l’ordonnance de référé.
De plus, Mme [D] ne caractérise pas le préjudice distinct dont elle demande réparation par l’allocation de dommages-intérêts en sus des intérêts moratoires.
Par conséquent, elle doit être déboutée de sa demande en dommages-intérêts, la décision des premiers juges étant infirmée de ce chef.
II -Sur la rupture du contrat de travail
A/ Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
Par application combinées des articles 1217, 1224, 1227 et 1228 du Code civil, tout salarié reprochant à son employeur des manquements graves à l’exécution de son obligation de nature à empêcher la poursuite du contrat peut obtenir le prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur.
Si les manquements invoqués par le salarié à l’appui de sa demande sont établis et d’une gravité suffisante, la résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée aux torts de l’employeur et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans l’hypothèse où le salarié a été licencié, le juge doit préalablement rechercher si la demande de résiliation était justifiée et s’il l’estime non fondée il doit alors statuer sur le licenciement.
A l’appui de sa demande en résiliation judiciaire du contrat de travail, la salariée fait valoir que l’employeur ne lui a plus fourni de travail à compter du 26 juin 2019 et ne lui a plus versé de salaire jusqu’à l’ordonnance de référé, ce qui constitue, selon elle, une faute grave.
Mme [D] observe en outre que la société ne conteste pas ces faits et que, concernant la force majeure par ailleurs invoquée, son premier critère à savoir le caractère extérieur de l’événement fait défaut puisque la fermeture du hammam résulte du comportement délictueux de la gérante.
Ce à quoi la société réplique qu’elle a justifié avoir exécuté ses obligations contractuelles. Elle fait valoir que la salariée n’ignorait pas le contexte dans lequel l’établissement avait dû fermer et que la nouvelle gérante s’est efforcée de trouver des solutions pour verser les salaires ; qu’elle a souscrit un prêt personnel et qu’elle a payé les salaires dès que les fonds ont été disponibles.
Or, il ressort des éléments de la cause que l’employeur a cessé de fournir du travail à la salariée en raison de la fermeture de l’établissement étroitement liée à l’instruction judiciaire en cours et qu’il a cessé de payer à Mme [D] ses salaires dont le versement ne reprendra qu’au mois de décembre 2019.
L’absence de fourniture de travail et de versement des salaires pendant plusieurs mois constituent des manquements graves aux obligations contractuelles de l’employeur et sont de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.
Les allégations selon lesquelles la fermeture du seul établissement de la société et la saisie conservatoire de ses avoirs financiers sont imputables à l’ancienne gérante et non à la société ne sont pas étayées de même que celles relatives aux diligences effectuées par la nouvelle gérante entre juillet et novembre 2019 pour obtenir des fonds. En tout état de cause, elles ne peuvent constituer des faits justificatifs de nature à retirer aux manquements leur gravité.
Par conséquent, la cour prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du 27 novembre 2019, date du licenciement pour motif économique.
B/ Sur les conséquences de la résiliation judiciaire du contrat de travail
1-Sur l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents
Compte tenu de l’ancienneté de Mme [D] (plus de deux ans), il convient de faire droit à sa demande relative à l’indemnité compensatrice de préavis pour un montant de 3 042,50 euros (correspondant à deux mois de salaire) outre 304,25 euros au titre des congés payés afférents.
2- Sur l’indemnité légale de licenciement
Il sera fait droit à la demande sollicitée à ce titre par la salariée à hauteur de la somme de
1 140,94 euros, laquelle a été calculée conformément à ses droits par application des articles L.1234-9, R. 1234-1 et R.1234-2 du code du travail.
3- Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Il est admis que les dispositions de la Charte sociale européenne n’étant pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l’invocation de son article 24 ne peut pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail et qu’il convient en conséquence d’allouer aux salariés une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.
Compte tenu du montant du salaire moyen de la salariée (1521,25 euros), de son âge à la date de la rupture (28 ans) de son ancienneté (2 ans), de l’effectif de l’entreprise (16 salariés) et des difficultés à retrouver un emploi dont elle justifie par la production d’une attestation Pôle Emploi, il y a lieu de lui allouer une somme de 5324 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l’article L. 1235-3 du code du travail et conformément au barème applicable.
C/Sur la demande de dommages et intérêts pour absence de prise en compte de la signature du contrat de sécurisation professionnelle
La salariée établit avoir adressé à son employeur une acceptation de son contrat de sécurisation professionnelle, laquelle n’a pas été prise en compte dans la mesure où la société appelante n’a pas retiré le courrier recommandé.
Elle est donc bien fondée à solliciter une somme de 3285,90 euros correspondant au préjudice financier qui en est résulté pour elle dans le cadre de son indemnisation par Pôle Emploi.
Il sera donc fait droit à cette demande.
III- Sur le remboursement des allocations de chômage
Les conditions d’application de l’article L 1235 – 4 du code du travail étant réunies, il convient d’ordonner le remboursement des allocations de chômage versées au salarié dans la limite de 6 mois d’indemnités.
IV-Sur les autres demandes
Les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation en conciliation et les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
L’employeur sera tenu de présenter à la salariée un décompte de cette somme ainsi qu’un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes aux termes de cette décision.
En raison des circonstances de l’espèce, il apparaît équitable d’allouer à la salariée une indemnité en réparation de tout ou partie de ses frais irrépétibles engagés dont le montant sera fixé au dispositif.
La société, qui succombe sera déboutée de sa demande à ce titre et condamnée aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l’appel,
INFIRME le jugement sur la demande en dommages-intérêts pour retard de paiement des salaires, de résiliation judiciaire du contrat de travail et ses conséquences et de dommages et intérêts pour absence de prise en compte de l’adhésion de la sélariée au contrat de sécurisation professionnelle ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
DÉBOUTE Mme [D] de sa demande en dommages-intérêts pour retard de paiement des salaires ;
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du 27 novembre 2019 ;
CONDAMNE la société Hammam du Canal à payer à Mme [D] les sommes suivantes :
-3042,50 euros euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
– 304,25 euros au titre des congés payés afférents ;
– 1140,94 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;
– 5324 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 3285,90 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de prise en compte de l’adhésion de la salariée au contrat de sécurisation profesionnelle ;
– 2000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel ;
DIT que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation en conciliation et les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
ORDONNE le remboursement à l’organisme les ayant servies, des indemnités de chômage payées à la salariée au jour du présent arrêt dans la limite de 6 mois d’indemnités ;
ORDONNE à la société Hammam du Canal de remettre à Mme [D] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation pour Pôle emploi conformes à la présente décision ;
DÉBOUTE les parties du surplus de ses demandes ;
CONDAMNE la société Hammam du Canal aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE