4 juillet 2023
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
23/00001
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 04 JUILLET 2023
N° 2023/ 221
Rôle N° RG 23/00001 – N° Portalis DBVB-V-B7H-BKRUD
[U] [A]
C/
PROCUREUR GENERAL
CHAMBRE DE DISCIPLINE DU CONSEIL REGIONAL DES NOTAIRES
Copie exécutoire délivrée le :
à :
– Madame la Procureure Générale
– Chambre de Discipline du Conseil régionale des Notaires
CCC délivrée le
par LRAR à
– Madame la Procureure Générale
– Chambre de Discipline du Conseil régionale des Notaires
– Me [U] [A]
CCC délivrée le
par LS le
Me JONQUET
Me SAINT-PIERRE
Me BERTON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du .
APPELANT
Maître [U] [A]
né le [Date naissance 3] 1966 à [Localité 5], demeurant [Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Sophie JONQUET, avocat au barreau de NICE, Me François SAINT-PIERRE, avocat au barreau de LYON et Me Frank BERTON, avocat au barreau de LILLE
INTIMES
CHAMBRE DE DISCIPLINE DU CONSEIL REGIONAL DES NOTAIRES
demeurant [Adresse 4]
représenté par Me [I] [S] par délégation du Conseil régional des Notaires
Madame la PROCUREURE GENERALE, demeurant [Adresse 6]
Représentée par Monsieur Thierry VILLARDO, avocat général
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue en Chambre du Conseil le 30 Mai 2023en audience collegialele décret n°73-1202 du 28 décembre 1973 devant la Cour composée de :
Monsieur Olivier BRUE, Président
Madame Danielle DEMONT, Conseillère
Madame Louise DE BECHILLON, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI
Ministère Public : Monsieur VILLARDO, avocat général, présent uniquement lors des débats
DEROULEMENT DES DEBATS
Sur interpellation du président Monsieur [A] et ses conseils ont souhaité que les débats soient tenus en chambre du conseil.
Monsieur [O], Président, a constaté la présence de Monsieur [A] et l’a informe de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire,
Monsieur BRUE, Président, a rappelé la prévention et a présenté le rapport de l’affaire.
Monsieur [A] a été entendu en ses explications,
Maitre ACCORSI a été entendu en ses explications,
Le ministère public a été entendu en ses réquisitions
Me SAINT-PIERRE a été entendu en sa plaidoirie,
Me JONQUET a été entendu en sa plaidoirie,
Me BERTON a été entendu en sa plaidoirie,
Monsieur [A] a eu la parole en dernier.
Sur quoi les débats sont déclarés clos et l’affaire mise en délibéré, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe de la cour le 04 Juillet 2023
ARRÊT
Contradictoire
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2023.
Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. [U] [A] a exercé en qualité de notaire au sein de la SCP [A] Scriva Goiran Desnuelle, domiciliée à [Localité 5] jusqu’au 12 octobre 2021.
Au vu des rapports de l’inspection annuelle 2017-2018 et de l’inspection de second degré des 8 et 9 juillet 2020, portant sur les années 2017 à 2019, le Procureur de la République du tribunal judiciaire de Grasse a fait citer M. [U] [A] devant cette juridiction statuant en matière disciplinaire aux fins de voir :
Constater que M. [U] [A] a commis, à [Localité 5], les manquements aux règles professionnelles suivants :
1 ) courant mars 2017, en violation de l’article 14 du décret n° 45-01 17 du 19 décembre 1945, négocié, redigé, ou fait signer une reconnaissance sous seing privé, ou de s’être immiscé de quelque manière que ce soit dans la négociation, l’établissement ou la prorogation de cette reconnaissance
Faits prévus et punis par les articles 2 et 3 de 1’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 et l’article 58 du reglement national
2) courant mars 2017 à mars 2018, manqué, dans le dossier vente [Y]/SCI Baie, comportant une opération ne paraissant pas avoir de justification économique ou d’objet licite
– à ses obligations de vigilance sur l’origine et la destination des fonds, sur l’objet de l’opération ou l’identité de la personne qui en bénéficie.
– à son obligation de justifcation auprès des autorités de contrôle de la mise en oeuvre de ces mesures de vigilance et de leur adéquation au risque de blanchiment présenté par la relation d’affaires et que les mesures prises pour l’identification du bénéficiaire effectif sont conformes aux exigences légales
– à son obligation de s’abstenir d’effectuer les opérations dont il soupconne qu’elles sont liées au blanchiment, ou dont il a de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’au moins un an d’emprisonnement, jusqu’a ce qu’il ait procédé à une déclaration de soupcon à Tracfin
– à son obligation de signaler a Tracfin les sommes inscrites dans les livres de son étude ou les opérations portant sur des sommes dont il savait, soupconnait ou avait de bonnes raisons de soupconner qu’elles provenaient d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure a un an.
– à son obligation de déclarer à tracfin les éléments d’information relatifs à certaines opérations presentant un risque élevé de blanchiment en raison du pays d’origine ou de destination des fonds, de la nature des opérations en cause ou des structures juridiques impliquées dans ces opérations – – à son obligation, avant de réaliser l’opération de montant supérieur a 15 Keuros ou de préter assistance a sa préparation, d’identifier et de vérifier l’identité de son client occasionnel.
Faits prévus et punis par les articles 2 et 3 de l’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945, les articles L561-10-2, L561-15, L561-15-1, L561-16, L561-36-3, R561-7,R561-10, R561-12 et l’article 30 du réglement national
3) courant novembre 2018, 21 février 2019, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, dans le dossier vente consorts [J]/SAS Deepsa, manqué :
– à ses obligations de vigilance sur l’origine et la destination des fonds, sur l’objet de l’opération ou l’identité de la persomie qui en bénéficie
– à son obligation de justification auprés des autorités de controle de la mise en oeuvre
de ces mesures de vigilance et de leur adéquation au risque de blanchiment présenté par la relation d’affaires et que les mesures prises pour l’identification du bénéficiaire effectif sont conformes aux exigences légales
– à son obligation de s’abstenir d’effectuer les opérations dont il soupçonne qu’elles sont liées au blanchiment, ou dont il a de bonnes raisons de soupconner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’au moins un an d’emprisonnement, jusqu’à ce qu’il ait procédé à une déclaration de soupçon à Tracfin
– à son obligation de signaler à Tracfin les sommes inscrites dans les livres de son étude ou les opérations portant sur des sommes dont il savait, soupçonnait ou avait de bonnes raisons de soupçonner qu’elles provenaient d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an
– à son obligation de mettre en oeuvre des mesures permettant de s’assurer de la cohérence des opérations effectuées au titre d’une relation d’affaires avec la connaissance de cette relation d’affaires actualisée, de s’assurer que les opérations effectuées sont cohérentes avec les activités professionnelles du client, le profil de risque présenté par la relation d’affaires et, si nécessaire, selon l’appréciation du risque, l’origine et la destination des fonds concemés par les opérations et de justifier auprés des autorités de contrôle de la mise en oeuvre de ces mesures et de leur adéquation au risque de blanchiment présenté par la relation d’affaires
– à son obligation de déclarer a Tracfin les éléments d’information relatifs à certaines opérations présentant un risque élevé de blanchiment en raison du pays d’origine ou de destination des fonds, de la nature des opérations en cause ou des structures juridiques impliquées dans ces opérations.
Faits prévus et punis par les articles 2 et 3 de l’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945, les articles L561-10-2, L561-15, L561-15-1, L561-16, L561-36-3, R 561-7, R561-12, R561-12-1 et l’article 30 du réglement national
4 ) courant janvier 2019 dans le dossier [W], soit par lui-même, soit par personne interposée, soit directement, soit indirectement, de s’être livré à des opérations de banque
Faits prévus par l’article 13 (1°) du décret n° 45-0117 du 19 décembre 1945 et l’article 2 de l’ordonnance n°45-1418 du 28 juin 1945, et punis par les articles 3.2.1, 30 et 58 du réglement national du 24 décembre 2009, et l’article 3 de l’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945
5 ) courant juin 2016, dans le dossier SCI Villa Jeanne/[L], manqué :
– à ses obligations de vigilance sur l’origine et la destination des fonds, sur l’objet de l’opération ou l’identité de la personne qui en bénéficie
– à son obligation de justification auprès des autorités de contrôle de la mise en oeuvre de ces mesures de vigilance et de leur adéquation au risque de blanchiment présenté par la relation d’affaires et que les mesures prises pour l’identification du bénéficiaire effectif sont conforrnes aux exigences legales,
– à son obligation de s’abstenir d’effectuer les opérations dont il soupconne qu’elles sont liées au blanchiment, ou dont il a de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’au moins un an d’emprisonnement, jusqu’à ce qu’il ait procédé à une déclaration de soupçon à Tracfin
– à son obligation de signaler à Tracfin les sommes inscrites dans les livres de son étude ou les opérations portant sur des sommes dont il savait, soupçonnait ou avait de bonnes raisons de soupçonner qu’elles provenaient d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an
– à son obligation de mettre en oeuvre des mesures permettant de s’assurer de la cohérence des opérations effectuées au titre d’une relation d’affaires avec la connaissance de cette relation d’affaires actualisée, de s’assurer que les opérations effectuées sont cohérentes avec les activités professionnelles du client, le profil de risque présenté par la relation d’affaires et si nécessaire, selon l’appréciation du risque, l’origine et la destination des fonds concernés par les opérations et de justifier auprès des autorités de contrôle de la mise en oeuvre de ces mesures et de leur adéquation au risque de blanchiment présenté par la relation d’affaires.
– à son obligation de déclarer à Tracfin les éléments d’information relatifs à certaines opérations présentant un risque élevé de blanchiment en raison du pays d’origine ou de destination des fonds, de la nature des opérations en cause ou des structures juridiques impliquées dans ces opérations
– à son obligation de vigilance complémentaire à l’égard de son client, en sus des mesures prévues aux articles L561-5 et L561-6, lorsque l’opération est une opération pour compte propre ou pour compte de tiers effectuée avec des personnes physiques ou morales y compris leurs filiales ou établissements, domiciliées, enregistrées ou établies dans un Etat ou un territoire figurant sur les listes publiées par le groupe d’actions financières parmi ceux dont la législation ou les pratiques font obstacle à la lutte contre le blanchiment, et selon les modalités énoncées à l’article R 561-20 III
Faits prévus et punis par les articles 2 et 3 de l’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945, les articles L561-10-2, L561-15, L561-15-1, L561-16, L561-36-3, R561-7, R561-12, R561-12-1, L561-10 et l’artic1e R561-20 III du code monétaire et financier, dans leur rédaction applicable à 1’epoque des faits et1’article 30 du réglement national.
6) courant 2010, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, commis un harcèlement sexuel sur la personne de Mme [R] [E], faits contraires à l’honneur ou à la délicatesse
Faits prévus par les articles 2 et 3 de l’ordonnance n°45-1418 du 28 juin 1945
Vu le jugement rendu le 13 décembre 2022, par cette juridiction, ayant rendu la décision suivante :
Relaxe M.[U] [A] du chef des manquements à la législation relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux dans le cadre de l’opération de vente [Y]/SCI Baie ;
Retient les fautes disciplinaires à l’encontre de M. [U] [A] pour le surplus ;
Dit que M. [U] [A] a engagé sa responsabilité disciplinaire ;
En conséquence,
Prononce à son encontre la sanction disciplinaire suivante : interdiction temporaire d’une durée de 8 ans ;
Condamne M. [U] [A] aux dépens de l’instance, y compris le coût de signification de l’assignation ;
Rappelle que le présent jugement est exécutoire par provision sur minute.
Vu la déclaration d’appel du 2 janvier 2023, par M. [U] [A].
Vu les conclusions transmises le 29 mai 2023, par l’appelant réclamant:
– in limine litis, l’annulation du jugement du Tribunal judiciaire de Grasse du 13 décembre 2022.
– sur le fond, une décision de relaxe.
– en toute hypothèse qu’il soit fait application des principes constitutionnels et conventionnels de proportionnalité et d’individualisation des peines.
Il sollicite, au vu des articles 112 et suivants du code de procédure civile, que les dispositions de l’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 et du décret n° 73-l302 du 28 décembre 1973 soient jugées non conformes aux principes du procès équitable garantis par les articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, applicables aux procédures disciplinaires. Il précise que la procédure est intervenue, sans instruction préalable sans désignation d’un rapporteur indépendant et impartial, sans audition de l’intéressé, ni faculté de demander l’audition de témoins ou la commission d’ un expert, alors qu’il n’a pas disposé de la copie des pièces. Il ajoute qu’une procédure disciplinaire plus protectrice des droits des mis en cause a été instituée par l’ordonnance du 13 avril 2022 et le décret du 17 juin 2022.
M.[U] [A] expose que l’acte du 17 mars 2017 ne constitue pas une reconnaissance de dette prohibée par l’article 14 4° du décret du 19 décembre 1945, dès lors que la SAS Élite Concept, société de droit français dirigée par un ressortissant turc, n’a pas prêté de l’argent à M. [M] [G] [Y], mais que celui-ci lui rembourse une prestation effectuée pour son compte dans le cadre d’une gestion locative. Il ajoute avoir procédé à une déclaration de soupçon auprès de Tracfin dans le cadre de cette opération.
Selon lui, une somme de 200’000 € a été versée le 28 janvier 2019 par M. [W] sur le compte de la SCP du [Adresse 2] pour l’achat du bien immobilier devant être traité par la SAS Clarelis notaires en cours de formation, dont il est le président, par l’intermédiaire de l’un de ses associés Me [C] [H], ancien notaire assistant de la SCP. Ce montant a été reversé à la nouvelle société le 21 février 2019 qui l’a par la suite restitué à l’intéressé, l’opération n’ayant finalement pas été régularisée. Il considère que cette opération ne constitue pas la fourniture d’un service bancaire de paiement au sens de l’article L314-1 II du code monétaire et financier, prohibée par l’article 13 1° du décret du 19 décembre 1945, ni la réception de fonds remboursables du public au sens de l’article L312-2 du code monétaire et financier, alors qu’en l’espèce le notaire ne pouvait disposer pour son propre compte de la somme déposée qui n’a pas fait l’objet d’un placement financier.
Il souligne que la somme de 825 000 € versée par M. [B] [Z] pour le compte de la société Deep Sea, dont il est l’unique actionnaire et représentant légal, dans le cadre de l’acquisition d’un bien immobilier, à partir d’un compte ouvert dans une banque de Zurich ne devait pas faire l’objet d’une déclaration particulière, dans le cadre des textes relatifs à la lutte contre le blanchiment, dès lors :
– que le montant n’est pas exceptionnellement élévé
– que la Suisse ne figure pas sur la liste des états comportant un risque important en la matière, – que l’auteur du virement, haut fonctionnaire en Turquie, ne pouvait être assimilé à une personnalité particulièrement exposée et qu’il était connu de l’étude depuis plusieurs années.
– qu’aucune dissimulation du véritable bénéficiaire ne peut être reprochée.
M.[U] [A] soutient que l’origine des fonds apportés par M.[L], ressortissant azerbaïdjanais, pour l’acquisition d’un bien immobilier d’une valeur de 15’850’000 €, étaient bien définie, ceux-ci ayant été adressé par la banque Rothschild de Suisse dans le cadre d’un prêt consenti par cette dernière, dont un exemplaire lui avait été communiqué. Il fait valoir que l’Azerbaïdjan ne figurait, ni sur la liste grise, ni sur la liste noire des pays susceptibles de favoriser le blanchiment, mais faisait partie du mécanisme de suivi renforcé et ajoute qu’une déclaration de soupçon a été réalisée par le notaire le 27 juin 2016, postérieurement à la vente, après avoir constaté le comportement taisant et distant de l’intéressé.
Il estime que la sanction prononcée à son encontre est disproportionnée, alors qu’il lui est reproché un manquement aux règles de prévention et non aux règles de dénonciation et qu’il n’a participé à aucune opération délictueuse.
Vu les conclusions transmises le 5 janvier 2023, par le ministère public sollicitant qu’il lui soit donné acte de son appel incident en ce que le tribunal a relaxé Maitre [A] du chef de manquements à la législation relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux dans le cadre de l’opération de vente [Y]/ SCI Baie et prononcé une interdiction temporaire d’une durée de huit ans.
Vu les conclusions transmises, le 25 mai 2023 par le ministère public.
Le parquet général rappelle que la désignation d’un rapporteur n’est prévue que dans le cadre des procédures disciplinaires engagées à l’encontre d’un avocat et que le rapport d’inspection a été notifié à Me [A] qui a pu formuler des observations jointes à la procédure.
Il expose que l’inspection initiale met en évidence un document intitulé « reconnaissance de dette » sous-seing privé, daté du 17 mars 2017 à Istambul pour la somme de 307 000 €, censé justifier un versement de 158’019,28 € le 1er mai 2017 et un second virement de 150’342,33 € le 8 novembre 2017, effectués au profit de l’agence immobilière Elite Concept, sans rapport avec la valeur des prestations supposées, alors que cette dernière avait déjà perçu des commissions de 100’000 € et 150’000 € les 30 mars 2017 et 31 mai 2017. Il précise qu’un exemplaire non signé de ce document a été retrouvé dans la mémoire de l’ordinateur de l’étude et qu’il portait la mention manuscrite « traduit par moi Me [U] [A] notaire, le 18/03/2017 » ; il ajoute que les versements susvisés ne semblent pas avoir de.justification économique. Il s’agit, selon lui, d’une opération interdite par l’article 14 du décret n° 45-0117 du 19 décembre 1945.
Le ministère public observe que Me [A] ne justifie pas des mesures prises pour l’identifcation
du bénéficiaire effectif de l’opération, ni d’une déclaration de soupcon à Tracfin, alors que M. [M] [Y] débiteur de la reconnaissance de dette est connu pour avoir fait l’objet de poursuites judiciaires pénales en Turquie. Il estime que les déclarations de soupçon produites ne sont pas suffisantes pour exonérer l’intéressé des obligations dès lors qu’elles ne font pas mention des transferts de fonds litigieux.
Le Parquet général mentionne que l’inspection approfondie a relevé dans le cadre de la vente immobilière d’un bien situé à [Localité 7] entre la société [J] et la SAS Deepsea, des anomalies liées à l’authentification des signatures , ainsi qu’à l’origine des fonds, provenant d’un compte ouvert dans une banque suisse au nom d’un ressortissant turc qui n’était pas un client habituel de l’étude.
Il signale qu’à l’occasion de la vente d’une villa, au prix de 15,8 millions d’euros, le 24 juin 2016 par la SCI Villa Jeanne à M. [L], ressortissant azerbaïdjanais, celui-ci a réalisé au bénéfice de la comptabilité de l’étude de M. [U] [A] un virement dont l’origine ne peut être déterminée et que ce dernier a reçu le 28 septembre 2016, une reconnaissance de dette pour un montant de 6 millions d’euros avec affectation hypothécaire aux termes duquel la banque Edmond de Rothschild de Genève ouvre à l’intéressé une ligne de crédit à concurrence de 22,8 millions d’euros afin de refinancer le crédit octroyé pour l’acquisition de la villa le 24 juin 2016 pour un montant de 15’850’000 €. Il considère que le notaire a manqué à ses obligations de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment.
Mme La Procureure générale a relevé que le rapport d’inspection approfondie a remarqué l’existence dans le cadre d’une vente immobilière entre M. [D] et M. [W] traitée par l’étude notariale Clarélis, dont M. [U] [A] est le président d’un virement de la somme de 200 000 € qui doit être considéré comme une opération prohibée de banque.
Elle évoque la condamnation par la chambre sociale de la cour d’appel d’Aix-en-Provence par arrêt du 28 juin 2018 pour des faits de harcèlement sexuel commis par l’interessé qui constituent des faits contraires à l’honneur et à la délicatesse, ainsi qu’une violation de la loi.
A l’audience M.[U] [A] a précisé ne pas solliciter la publicité des débats.
Il lui a été notifié son droit de garder le silence.
Il a été entendu sur les faits en présence de ses trois conseils.
Le Président de la chambre départementale des notaires du département des Alpes-Maritimes, membre de droit de l’ancienne chambre régionale de discipline, disposant d’un pouvoir établi par la présidente du conseil régional des notaires a été entendu en ses observations.
Le représentant du ministère public a été entendu en ses réquisitions et déclaré se référer à ses conclusions écrites.
Les trois conseils du mis en cause ont été entendus en leurs plaidoiries et déclaré se référer à leurs conclusions écrites remises à la barre.
M.[U] [A] a eu la parole en dernier.
SUR CE
sur la nullité du jugement
Il doit être rappelé que si la procédure disciplinaire régie par l’ordonnance n°45-1418 du 28 juin 1945 et le décret 73 du 28 décembre 1973 permettait d’engager des poursuites disciplinaires à l’encontre d’un notaire par assignation directe devant le tribunal judiciaire, il n’est pas contesté que l’acte introductif d’instance a mentionné la possibilité de se faire assister par un avocat et de prendre connaissance des pièces du dossier au greffe de la juridiction.
Les pièces visées dans l’acte de poursuite étaient notamment les rapports d’inspection pour l’exercice 2017-2018 et le rapport d’inspection approfondie du 8 juillet 2020, dont l’intéressé a été destinataire.
Par sa lettre du 23 décembre 2020 au président du conseil régional des notaires, M.[U] [A], indique notamment : « j’accuse bonne réception de votre lettre du 1er décembre dernier à laquelle était joint le rapport d’inspection occasionnelle effectuée dans notre SCP les 8 et 9 juillet 2020. Je vous remercie de m’avoir accordé un délai raisonnable pour pouvoir répondre, en l’état de la situation sanitaire sans précédent que notre pays traverse, de manière exhaustive et détaillée aux remarques émises dans le cadre de cette inspection. ». Ses explications ne comportent aucune mise en cause de l’impartialité des inspecteurs.
Les autres pièces jointes au dossier sont des actes ou extraits d’actes émanant de l’étude, des extraits de sa comptabilité, des correspondances avec le conseil régional des notaires, les statuts de la société Clarelis, l’arrêt rendu par la chambre sociale de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, la décision du garde des Sceaux portant refus de nomination comme notaire au sein de la société susvisée, ainsi que des messages électroniques émanant de l’étude, dont l’intéressé avait déjà connaissance.
L’affaire a été renvoyée à une date ultérieure pour permettre à M.[U] [A] de préparer sa défense et de participer à un débat contradictoire.
Il n’a pas sollicité à l’audience, comme il en avait la possibilité, dans le cadre de la procédure alors en vigueur qu’une enquête soit réalisée, l’audition de témoins, ou l’organisation d’une mesure d’expertise.
Il convient d’observer que la nouvelle procédure disciplinaire instituée par l’ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 et le décret n° 2022-900 du 17 juin 2022 prévoient la création d’un service d’enquête indépendant, dont la saisine n’est pas obligatoire.
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de considérer que les dispositions des anciens textes, n’étaient a priori pas conformes aux principes du procès équitable fixés par l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, ni que la procédure disciplinaire diligentée à l’encontre de M.[U] [A] a violé ces principes.
Il n’y a pas lieu, en conséquence d’annuler le jugement déféré de ce chef.
Sur le dossier [Y] Élite Concept:
L’article 14 du décret n°45-0117 du 19 décembre 1945 interdit aux notaires de négocier, de rédiger, de faire signer des billets ou reconnaissances sous seing privé et de s’immiscer de quelque manière que ce soit dans la négociation, l’établissement ou la prorogation de tels billets ou reconnaissances.
Il ressort des explications données par l’intéressé à l’audience que la société Élite Concept, exerçant comme agent immobilier et gestionnaire d’immeubles aurait fait réaliser des travaux dans les appartements devant être vendus par M. [Y] et qu’il était donc redevable des frais engagés à cette occasion pour son compte.
En ce sens, il apparaît que le document produit constitue donc bien une reconnaissance de dette et qu’aucune erreur matérielle ne peut être invoquée sur ce point, alors que l’acte a été rédigé et traduit par le notaire lui même, comme le démontre sa présence dans son ordinateur professionnel.
S’il résulte de la doctrine et de la jurisprudence que ce texte s’applique au contrat de prêt il n’en ressort pas qu’il ne concerne que le contrat de prêt.
Il était donc pas possible au notaire d’établir une reconnaissance de dette par acte sous seing privé.
M.[U] [A] a ainsi contrevenu à l’interdiction de faire signer une reconnaissance de dette sous-seing-privé.
Chargé par M. [Y] de réaliser la vente d’un bien immobilier pour un montant de 2’300’000 €, M.[U] [A] a adressé une déclaration au service Tracfin le 23 février 2017 au sujet de la situation pénale de son client qu’il indique avoir rencontré en détention en Turquie, puis après sa sortie de prison dans les locaux du consulat de France pour la régularisation d’une procuration sous-seing-privé, précisant qu’il n’avait pas pu obtenir les références bancaires de ce dernier.
Il a procédé à une seconde déclaration le 8 mars 2017, précisant qu’il n’avait toujours pas reçu les coordonnées bancaires de M. [Y].
Ces déclarations ne concernent cependant que la vente immobilière elle-même.
Les virements réalisés le 31 mai 2017 pour un montant de 158’019,28 € et le 8 novembre 2017 pour un montant de 150’342,33 €, au profit de la société Élite Concept portent dans les écritures comptables par la mention ‘ remboursement reconnaissance de dette’
La signature du document original par l’intéressé apparaît difficile à établir, celui-ci mentionnant qu’il avait été signé à Istanbul le 17 mars 2017, et traduit le 18 mars 2017 par M.[U] [A] alors qu’un exemplaire a été retrouvé dans l’ordinateur du notaire l’ayant rédigé.
L’attestation du cabinet d’expertise comptable produite en première instance évoquant le remboursement des frais engagés dans le cadre de la gestion du patrimoine et des biens des clients de la société Élite Concept n’apparaît pas suffisamment précise pour justifier la cause des versements susvisés, en l’absence de toute production de devis ou facture de travaux.
Il apparaît sur le relevé du compte client ouvert au sein de l’étude que les commissions dues à l’agence Élite Concept lui ont été versées par ailleurs.
La cause des deux virements susvisés demeurant indéterminée et sans justification économique, il incombait à M.[U] [A] de procéder à une nouvelle déclaration de soupçon sur ce point.
Il a ainsi manqué à ses obligations de vigilance sur l’origine la destination des fonds, sur l’objet de l’opération ou l’identité de la personne qui en bénéficie et à la justification de la mise en ‘uvre de ces mesures de vigilance. Il a également manqué à son obligation de s’abstenir d’effectuer les opérations de virement de sommes dont il soupçonnait qu’elles étaient liées au blanchiment ou dont il avait de bonnes raisons de soupçonner qu’elles provenaient d’une infraction passible de moins d’un an d’emprisonnement, alors qu’il savait que M. [Y] avait été détenu en Turquie pendant plusieurs années pour des infractions économiques.
Il lui incombait également de déclarer à Tracfin les éléments d’information relatifs à certaines opérations présentant un risque élevé de blanchiment en raison du pays d’origine des fonds.
Le jugement déféré est donc infirmé, en ce qu’il a relaxé l’intéressé du chef des manquements à la législation relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux dans le cadre de l’opération vente [Y] /SCI Baie.
Sur le dossier [J] / SAS Deep Sea
Le rapport de l’inspection réalisée les 8 et 9 juillet 2020 mentionne au sujet de la vente d’un appartement par les consorts [J] à la société Deepsea, dont le président est M. [B] [Z], pour un prix de 825’000 € les éléments suivants :
– les vendeurs et les acquéreurs étaient représentés par un clerc de l’office.
– La délégation de pouvoir consentie en Turquie par M. [B] [Z] le 12 février 2019 a été certifié conforme par M.[U] [A] le même jour à [Localité 5], révélant qu’il ne disposait que d’une copie
– les fonds ont été versés par M. [B] [Z] à partir d’un compte ouvert dans une banque à Zurich, puis transférés sans qu’il soit justifié d’un ordre de transfert sur le compte client de la société Deepsea.
– Il n’a pas été possible de retrouver dans le dossier en comptabilité une quelconque justification de l’origine des fonds.
Alors même que M. [B] [Z] serait le seul actionnaire de la société s’étant porté acquéreur du bien immobilier, seule cette dernière pouvait abonder le paiement du prix.
Le rapport d’inspection conclut sur ce point que Me [A] n’a pas respecté la réglementation anti blanchiment prêtant son concours à des mouvements de fonds par la comptabilité de l’étude de nature à occulter le bénéficiaire effectif de l’opération et sans vérifier l’origine des fonds.
Le notaire ne peut se retrancher derrière les contrôles susceptibles d’avoir été réalisés par la banque suisse qui disposerait selon lui de moyens performants dans ce domaine, dès lors qu’il est lui-même personnellement responsable de la vérification de l’origine des fonds.
S’il affirme, sans le justifier, avoir assisté les parents de celui-ci pour l’acquisition d’un appartement sur la Croisette à [Localité 5] M. [A] ne démontre pas que M. [B] [Z] était un client ancien et habituel de l’étude, cette situation ne le dispensant pas, en tout état de cause, de ses obligations.
Le fait que M.[B] [Z] soit l’actionnaire unique de la société Deepsea n’exclut pas la possibilité d’une acquisition pour le compte d’un tiers, véritable bénéficiaire de l’opération, dès lors que l’origine des fonds déposés sur un compte ouvert dans une banque suisse n’est pas connue.
Il n’est pas contesté que cette personne exerce ou aurait exercé les fonctions d’adjoint des affaires financières du ministère de l’intérieur et de gouverneur de district en Turquie.
Il incombait donc au notaire de procéder à une déclaration de soupçon à l’organisme Tracfin.
Les manquements à l’obligation de justification de la mise en ‘uvre de mesures de vigilance en adéquation aux risques de blanchiment présentée par la relation d’affaires, à son obligation de s’abstenir les opérations dont il soupçonne qu’elles sont liées au blanchiment dont il avait de bonnes raisons de soupçonner qu’elle provenaient d’une infraction, ainsi qu’à son obligation de mettre en ‘uvre les mesures permettant de s’assurer de la cohérence des opérations effectuées au titre d’une relation d’affaires avec la connaissance de cette relation d’affaires actualisée sont ici constitués.
M.[U] [A] a également manqué à son obligation de déclarer à Tracfin les éléments d’information relatifs à certaines opérations présentant un risque élevé de blanchiment en raison du pays d’origine de destination des fonds, de la nature des opérations en cause et des structures juridiques impliquées dans ces opérations.
Sur le dossier [W]:
Il apparaît que la somme de 200’000 € a été versée le 28 janvier 2019 en la comptabilité de l’étude notariale située [Adresse 2] à [Localité 5], au sein de laquelle exerçait M.[U] [A], par M. [V], à titre d’acompte sur le dépôt de garantie versé à l’occasion de l’acquisition d’une propriété, sise à Antibes au prix de 15 millions d’euros, devant être régularisée par Me [H], notaire exerçant depuis le 26 juin 2018, en l’étude Clarelis, après avoir été notaire salarié dans l’étude d’origine.
Ce versement n’était donc justifié par aucun acte authentique devant être reçu par l’étude notariale de la [Adresse 2] à [Localité 5].
Le rapport d’inspection relève que par courrier du 19 décembre 2018, M.[U] [A] avait transmis à l’acquéreur le relevé d’identité bancaire de l’étude de la [Adresse 2], alors qu’il n’était pas censé intervenir dans cette transaction. Un reçu a été établi par le comptable de cette étude.
Il ne peut-être sérieusement prétendu et n’est pas justifié que la société Clarelis dont les statuts ont été déposés le14 novembre 2016 ne disposait toujours pas d’un compte bancaire au mois de janvier 2019.
Il n’est démontré par aucune pièce que la somme susvisée aurait été reversée ultérieurement à la société Clarelis.
Aux termes des dispositions de l’article 13 1° du décret numéro 45-0117 du 19 décembre 1945 il est interdit au notaire de pratiquer des opérations de banque.
Selon l’article L311-1 du code monétaire et financier des opérations de banque comprennent la réception des fonds du public, les opérations de crédit, ainsi que les services bancaires de paiement.
Il résulte des articles L311-3 et L314-1 du code monétaire et financier que sont notamment des services de paiement, les virements.
Il doit donc être considéré que la réception de fonds sur un compte pouvant être virés ultérieurement sur un autre compte, constitue une opération de banque dès lors que le versement ne concerne aucun acte établi par l’étude dépositaire.
M.[U] [A], en mettant la comptabilité de son étude à la disposition d’une personne qui n’était pas son client, n’a donc pas respecté l’interdiction fait au notaire de pratiquer des opérations de banque.
Sur le dossier Villa Jeanne /[L]
Le rapport d’inspection souligne que Me [A] qui intervenait en qualité de notaire de l’acquéreur, n’a pas été en mesure de produire l’attestation de provenance des fonds, alors que le libellé du virement saisi en comptabilité porte la mention ‘not provided purchase of’ qui signifie en matière bancaire que l’identité de l’emetteur n’a pas été fournie. Il est précisé que l’étude n’a pas présenté le dossier physique de la vente, ni le reçu du prix.
Dans le cadre de la vente d’un bien immobilier au prix de 15’850’000 €, intervenue le 24 juin 2016, il incombait au notaire de réclamer des précisions sur ce point à M. [L], ressortissant azerbaïdjanais.
M.[U] [A] ne justifie pas avoir disposé à la date de la signature de l’acte d’un exemplaire du contrat de prêt qui a été accordé le 16 juin 2016 par la banque Edmond de Rothschild à Monsieur [L] pour une durée de trois mois, cette pièce n’ayant été évoquée que par le courrier d’explications sur le rapport d’inspection adressée le 23 décembre 2020 et dans le cadre de la procédure de première instance. Ce prêt aurait dû être visé dans l’attestation d’origine des fonds à joindre à l’acte, laquelle n’est pas communiquée.
La déclaration de soupçon adressée à l’organisme Tracfin, évoquant la possibilité d’une substitution de personnes au vu du comportement peu loquace de l’acquéreur, intervenue trois jours après la vente est tardive, dès lors qu’un signalement aurait déjà dû être réalisé au regard de l’absence de justification de l’origine des fonds.
M. [A] indique lui-même avoir eu connaissance des relations suivies existant entre l’acquéreur
et des personnes proches du gouvernement de la fédération de Russie et affirme sans le démontrer qu’il connaissait la famille de ce client depuis de nombreuses années.
Il appartenait au notaire de différer l’opération, dans l’attente de l’avis de l’organisme dédié à la lutte contre le blanchiment, aucune situation d’urgence ne pouvant être retenue de ce chef.
Il est également relevé que le refinancement du paiement de ce prix, intervenu trois mois après l’acte d’acquisition, par l’intermédiaire d’une banque étrangère aurait dû entraîner un réflexe de vigilance, ainsi qu’une nouvelle déclaration spécifique à cette opération, avant de recueillir une reconnaissance de dette par acte authentique au bénéfice de la banque 28 septembre 2016.
M.[U] [A] a ainsi manqué à son obligation de vigilance sur l’origine des fonds, et à la mise en ‘uvre des mesures adéquates au risque de blanchiment présenté par la relation d’affaires, à son obligation de signaler les sommes inscrites dans les livres de son étude pour les opérations portant sur les sommes dont il soupçonnait et avait de bonnes raisons de soupçonner qu’elles provenaient d’une infraction, à son obligation de s’assurer de la cohérence des opérations effectuées au titre d’une relation d’affaires, ainsi qu’à son obligation de déclaration à Tracfin. Il s’avère qu’il a également manqué à son obligation de vigilance complémentaire à l’égard de son client originaire d’un pays figurant sur la liste du groupe d’actions financières GAFI parmi ceux dont la législation et les pratiques font obstacle à la lutte contre le blanchiment.
Sur les faits de harcèlement sexuel :
L’article 2 de l’ordonnance numéro 45-1418 du 28 juin 1945 dans sa rédaction applicable à la date des faits, constituant le fondement des poursuites édictait que toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout fait contraire à la probité, à l’honneur ou la délicatesse commis par un officier public ministériel, même se rapportant à des faits extra professionnels, donne lieu à sanction judiciaire. Ce texte a été abrogé par l’ordonnance numéro 2022-544 du 13 avril 2022.
L’article 7 de cette ordonnance, relative à la déontologie et la discipline des officiers ministériels édicte que toute contravention aux lois et règlements, tout fait contraire au code de déontologie commis par un professionnel, même se rapportant à des faits commis en dehors de l’exercice de sa profession et toute infraction aux règles professionnelles constitue un manquement disciplinaire.
L’arrêt rendu le 28 juin 2018, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, a définitivement condamné la société civile professionnelle au sein de laquelle exerçait M.[U] [A] pour des faits de harcèlement sexuel au sens des articles L 1152-1 et L1153-1 du code du travail du fait de son comportement à l’égard de Mme [R] [T] épouse [E].
Cette décision relève qu’il ressort de l’ensemble des témoignages recueillis que Me [A] a manifesté auprès de Mme [T] un empressement particulièrement appuyé, caractérisé par une multitude de messages envoyés pour lui exprimer ses sentiments à son égard, par des propos à connotation sexuelle répétés pendant près d’un an et un comportement dicté par l’intention d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, tous éléments qui sont de nature à laisser présumer l’existence d’un harcèlement sexuel.
Il est également observé qu’aucun élément objectif, notamment le contenu de ses messages, ne permet de corroborer les affirmations contenues dans les témoignages produits par l’employeur, selon lesquelles, la salariée aurait acquiescé au projet d’une relation sentimentale avec M.[U] [A].
Il a été considéré que les messages se terminant par les mots : « bisous », « votre [R] », « vous savez très bien toute l’admiration que je vous porte », « vous êtes mon boss préféré » ne permettaient pas de caractériser un encouragement ou un consentement de la salariée et révélaient tout au plus le souci de maintenir de bonnes relations avec son employeur, précisant qu’elle a toujours répondu de manière négative ou évasive aux propositions explicites de ce dernier et qu’elle n’a jamais cessé de le vouvoyer.
Le constat de la dégradation sévère de son état de santé, confirme le refus de Mme [T] de céder aux avances de M.[U] [A].
La cour d’appel a ainsi considéré qu’un tel comportement dégradant et humiliant était de nature à porter atteinte à la dignité de l’intéressée, à ses conditions de travail et son état de santé.
Les éléments ainsi examinés par la cour statuant en matière disciplinaire lui permettent de conclure à la même analyse des faits, des pièces et des témoignages produits et de constater que les éléments constitutifs du harcèlement sexuel sont réunis à l’encontre de M.[U] [A].
Il en résulte que M.[U] [A] a contrevenu aux dispositions des articles 2 et 3 de l’ordonnance n°45-1418 du 28 juin 1945, devenus les articles 7 et 16 de l’ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022.
Sur la peine:
L’esprit des textes du code monétaire et financier est d’imposer au notaire sa participation à la transparence des opérations financières, notamment sur l’origine de la destination des fonds qui transitent par son étude, liés aux opérations qu’il pratique. Or le dossier établit que M. [A] a, au contraire, contribué à leur opacité et ainsi pris le risque de participer à des opérations de blanchiment international.
Les faits établis dans le cadre de la présente procédure révèlent l’utilisation délibérée par le notaire de ses fonctions d’officier ministériel et de sa comptabilité pour réaliser des transactions en dehors et au mépris des règles élémentaires et fondamentales de la profession, tant en ce qui concerne l’interdiction de recevoir des fonds sans lien avec l’établissement d’actes authentiques qu’au regard de l’interdiction légale d’établir un acte sous seing privé de reconnaissance de dette.
La multiplicité des manquements aux règles en matière de lutte contre le blanchiment, dans des dossiers engageant des sommes importantes, et concernant des personnes à risque, ressortissants d’États gangrenés par la corruption et l’insécurité en matière de transferts financiers, exclut l’hypothèse de simples négligences, et démontre la volonté délibérée de favoriser des opérations illicites, mettant ainsi en péril l’ordre public international économique et financier.
Les faits de harcèlement sexuel, constituent également un manquement significatif aux obligations légales d’un officier ministériel, à l’égard de ses salariées.
Il convient d’observer que le rapport d’inspection de second degré ne signale aucun manquement en ce qui concerne la couverture des fonds détenus pour le compte de clients, ni aucune autre anomalie sur la tenue de la comptabilité de l’office notarial, ni sur la qualité des actes.
Qu’aucun détournement à son profit n’est reproché au notaire en l’espèce.
Il doit également être tenu compte du fait que le dossier ne comporte pas la trace d’avertissements antérieurs donnés à M.[U] [A] et qu’aucun antécédent disciplinaire n’est signalé à son égard.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, de la particulière gravité et de la multiplicité des manquements retenus à l’encontre de M.[U] [A], il apparaît adapté à sa situation personnelle et professionnelle de prononcer à son encontre, en application de l’article 3 de l’ordonnance du 28 juin 1945, devenu l’article 16 de l’ordonnance du 13 avril 2022, la peine disciplinaire d’interdiction d’exercer à titre temporaire pendant une durée de 4 ans.
Cette peine est proportionnée au regard de l’obligation pour le notaire de garantir la sécurité juridique et économique des actes qu’il instrumente, ainsi quà l’objectif de la lutte contre les faits de blanchiment de capitaux, par rapport au droit d’exercer une activité professionnelle.
Le jugement est confirmé, sauf en ce qu’il a relaxé l’intéressé du chef des manquements à la législation relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux dans le cadre de l’opération vente [Y] /SCI Baie et sur le quantum de la peine.
La partie perdante est condamnée aux dépens conformément aux disposition de l’article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Dit n’y avoir lieu de prononcer l’annulation du jugement déféré,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a relaxé l’intéressé du chef des manquements à la législation relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux dans le cadre de l’opération vente [Y] /SCI Baie et sur le quantum de la peine.
Statuant à nouveau de ces chefs,
Dit que M.[U] [A] a commis les manquements à la législation relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux dans le cadre de l’opération vente [Y] /SCI Baie et sur le quantum de la peine, tels que mentionnés dans l’acte de poursuite, suivants:
courant mars 2017 à mars 2018, manqué, dans le dossier vente [Y]/SCI Baie, comportant une opération ne paraissant pas avoir de justification économique ou d’objet licite
– à ses obligations de vigilance sur l’origine et la destination des fonds, sur l’objet de l’opération ou l’identité de la personne qui en benéficie.
– à son obligation de justification auprès des autorités de contrôle de la mise en oeuvre de ces mesures de vigilance et de leur adéquation au risque de blanchiment présenté par la relation d’affaires et que les mesures prises pour l’identification du bénéficiaire effectif sont conformes aux exigences légales
– à son obligation de s’abstenir d’effectuer les opérations dont il soupconne qu’elles sont liées au blanchiment, ou dont il a de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’au moins un an d’emprisonnement, jusqu’a ce qu’il ait procédé à une déclaration de soupçon à Tracfin
– à son obligation de signaler à Tracfin les sommes inscrites dans les livres de son étude ou les opérations portant sur des sommes dont il savait, soupçonnait ou avait de bonnes raisons de soupçonner qu’elles provenaient d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure a un an.
– à son obligation de déclarer à tracfin les éléments d’information relatifs à certaines opérations presentant un risque élevé de blanchiment en raison du pays d’origine ou de destination des fonds, de la nature des opérations en cause ou des structures juridiques impliquées dans ces opérations
– à son obligation, avant de réaliser l’opération de montant supérieur à 15 Keuros ou de préter assistance à sa préparation, d’identifier et de vérifier l’identité de son client occasionnel.
Faits prévus et punis par les articles 2 et 3 de l’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945, les articles L561-10-2, L561-15, L561-15-1, L561-16, L561-36-3, R561-7,R561-10, R561-12 et l’article 30 du réglement national
Prononce à l’encontre de M.[U] [A] la peine disciplinaire d’interdiction d’exercer à titre temporaire pendant une durée de 4 ans.
Condamne M.[U] [A] aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT