Prêt entre particuliers : 31 mai 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 21/02069

·

·

Prêt entre particuliers : 31 mai 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 21/02069
Ce point juridique est utile ?

31 mai 2023
Cour d’appel de Colmar
RG n°
21/02069

MINUTE N° 280/2023

Copie exécutoire à

– Me Mathilde SEILLE

– Me Anne CROVISIER

Le 31 mai 2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 31 Mai 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/02069 – N° Portalis DBVW-V-B7F-HSCP

Décision déférée à la cour : 30 Mars 2021 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANT :

Monsieur [G] [W]

demeurant [Adresse 2]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale numéro 2021/003994 du 03/08/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de COLMAR)

représenté par Me Mathilde SEILLE, avocat à la cour.

INTIMÉE :

Madame [J] [V]

demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Anne CROVISIER, avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 20 Janvier 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Dominique DONATH, Faisant fonction

ARRÊT contradictoire

– prononcé publiquement après prorogation du 26 mai 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS et PROCÉDURE

Mme [J] [V] et M. [G] [W] ont entretenu une relation amoureuse qui a pris fin courant 2011.

Se prévalant d’une reconnaissance de dette signée au nom de M. [W], Mme [V] a saisi le président du tribunal de grande instance de Strasbourg d’une requête en injonction de payer et, par ordonnance du 7 août 2015, M. [W] s’est vu enjoindre de lui payer la somme de 120 000 euros en principal, avec intérêts au taux de 1 % par mois à compter du 10 septembre 2015.

Cette ordonnance d’injonction de payer ayant été signifiée à M. [W] le 14 décembre 2015 selon les modalités de l’article 659 du code de procédure civile, ce dernier y a formé opposition le 18 avril 2017.

Par jugement du 12 juin 2019, le tribunal a ordonné une consultation technique afin de déterminer si la reconnaissance de dette produite par Mme [V] était un original ou une copie, et si elle avait été signée par M. [W].

Le rapport de consultation de l’expert judiciaire en écriture a été déposé le 30 août 2019 et, par jugement du 30 mars 2021, assorti de l’exécution provisoire :

– l’opposition formée par M. [W] à l’ordonnance d’injonction de payer du 7 août 2015 a été déclarée recevable et cette ordonnance a été mise à néant,

– M. [W] a été condamné à verser à Mme [V] la somme de 120 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2017 et l’ensemble de ses demandes a été rejeté,

– M. [W] a été condamné aux entiers dépens et à payer à Mme [V] la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Se fondant sur les articles 1341, 1326, 1315 et 1334 du code civil, le tribunal a retenu qu’au vu des conclusions de l’expert judiciaire, l’exemplaire du document intitulé « reconnaissance de dette », daté du 10 septembre 2013, signé « [W] [G] », était l’original de ce document et avait bien été rédigé et signé par M. [W].

Ce document mentionnait que, suite à deux prêts souscrits auprès de Mme [V], la personne signataire, M. [W], lui était redevable de la somme de 120 000 euros, écrite en toutes lettres et chiffres, précisant que le remboursement interviendrait dans un délai de deux ans au plus tard, avec intérêts fixés à 1 % par jour en cas de dépassement du délai.

De plus, si le défendeur contestait l’avoir rédigé, le tribunal a constaté que l’écriture et la signature étaient tout à fait similaires à celles de trois documents produits par la demanderesse, dont il ne contestait pas être l’auteur.

En présence d’une reconnaissance de dette signée de la main de l’emprunteur, le tribunal, rappelant qu’il incombait alors à ce dernier de prouver l’absence de remise de fonds afin de justifier l’absence de remboursement, a retenu que M. [W] ne produisait aucune pièce démontrant que Mme [V] ne lui avait pas remis les fonds en cause, l’absence de déclaration de l’existence de ce prêt auprès de l’administration fiscale étant sans lien avec la remise des fonds. Il était donc présumé que Mme [V] lui avait bien remis les fonds et le prêt devait être remboursé en application de la convention des parties.

Toutefois, relevant que le taux d’intérêt conventionnel fixé dans la reconnaissance de dette était largement supérieur au taux d’usure du dernier trimestre 2015, le tribunal a décidé que les intérêts devaient courir au taux légal, leur point de départ étant fixé à la date de l’opposition à l’injonction de payer, les deux significations de l’ordonnance n’ayant pas été faites à sa personne.

Par ailleurs, sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts, dès lors qu’il était fait droit dans son principe à la demande de Mme [V], son action ne pouvait être qualifiée d’abusive.

M. [W] a interjeté appel de ce jugement le 14 avril 2021.

Par ordonnance du 20 octobre 2020, le conseiller chargé de la mise en état a rejeté la requête en radiation du rôle de l’affaire présentée par Mme [V] sur le fondement de l’article 524 alinéa 1er du code de procédure civile dans la mesure où l’exécution provisoire avait été ordonnée. Il a relevé que l’appelant était dans l’impossibilité d’exécuter la décision l’ayant condamné en principal à payer la somme de 120 000 euros.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 5 juillet 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par ses conclusions d’appel transmises par voie électronique le 13 juillet 2021, M. [W] sollicite l’infirmation du jugement déféré, sauf en ce qu’il déclare recevable l’opposition qu’il a formée à l’ordonnance d’injonction de payer rendue par le tribunal judiciaire de Strasbourg le 7 août 2015 et met à néant cette dernière.

Il demande que la cour, statuant à nouveau, déboute Mme [V] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions, et la condamne à payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi.

A titre subsidiaire, il demande que lui soient accordés les plus larges délais de paiement et, en tout état de cause, il sollicite la condamnation de Mme [V] aux entiers frais et dépens de la procédure, mais également de la procédure d’injonction de payer, ainsi qu’à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [W] soutient que la reconnaissance de dette produite par Mme [V] est nulle, au motif qu’il n’a pas contracté de prêt de 120 000 euros auprès d’elle et qu’il n’a jamais reçu cette somme, à quelque titre que ce soit, contestant le principe-même de la créance invoquée par l’intimée.

S’il admet qu’en matière de prêt consenti par un particulier, une reconnaissance de dette fait présumer la remise des fonds, de sorte qu’il incombe à l’emprunteur d’établir que le prêteur ne lui a pas remis ces fonds, il estime que cette présomption n’est pas applicable en l’espèce, dans la mesure où il conteste avoir rédigé et signé cette reconnaissance de dette, si bien que la charge de la preuve de la remise de la somme réclamée par Mme [V] repose sur cette dernière.

À ce titre, il s’étonne que Mme [V] ne justifie d’aucun flux financier vers ses comptes et d’aucune formalité déclarative auprès de l’administration fiscale, alors que tous les contrats de prêt sont soumis à déclaration. Lui-même ne peut prouver un fait négatif et, s’il n’a pas effectué de déclaration fiscale, c’est parce qu’il n’a jamais bénéficié d’un prêt. Il soutient en tout état de cause que le document transmis par Mme [V] n’est pas l’original mais une simple copie dépourvue de force probante.

À l’appui de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, M. [W] dénonce la mauvaise foi de Mme [V] faisant dégénérer en abus son droit d’agir en justice, invoquant un préjudice moral causé par cette procédure et par les actes d’huissier dont il a fait l’objet, qui doit être indemnisé.

À l’appui de sa demande subsidiaire de délais de paiement, M. [W] indique travailler à temps partiel, pour un salaire net mensuel de 200 euros, percevant des prestations familiales de 550 euros par mois, étant marié et père d’un enfant.

Par ses conclusions en réplique transmises par voie électronique le 12 octobre 2021, Mme [V] sollicite que M. [W] soit débouté de son appel ainsi que de l’intégralité de ses demandes comme mal fondées ou irrecevables, s’agissant de ses conclusions subsidiaires.

En conséquence, elle sollicite la confirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions et la condamnation de M. [W] aux entiers frais et dépens ainsi qu’à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme [V] reprend intégralement les motifs du jugement déféré et se prévaut du rapport de consultation judiciaire du 30 août 2019, indiquant que le document remis à l’expert est un original et qu’il a été écrit et signé par M. [W]. Or, ce dernier est défaillant dans la preuve de l’absence de remise des fonds.

Elle indique s’être expliquée sur les différents montants qu’elle lui a prêtés ou qu’elle a été amenée à régler pour son propre compte, que c’est en pleine connaissance de cause que M. [W] a souscrit la reconnaissance de dette du 10 septembre 2013 et que c’est à lui qu’il appartenait d’accomplir les formalités fiscales concernant ces prêts.

Enfin, Mme [V] fait valoir que la demande de délais de paiement formée par M. [W] est irrecevable, comme constituant une demande nouvelle en appel prohibée par les articles 564 et suivants du code de procédure civile. En tout état de cause, elle est mal fondée, le débiteur s’étant d’ores et déjà accordé de larges délais de paiement.

*

Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions notifiées et transmises aux dates susvisées.

MOTIFS

I ‘ Sur la demande en paiement de Mme [V]

Ainsi que l’a relevé le tribunal, le rapport de consultation de l’expert judiciaire désigné par le tribunal démontre clairement que le document produit par Mme [V], ayant pour objet « reconnaissance de dette », daté du 10 septembre 2013 et signé sous le nom de [W] [G], constitue un original qui a bien été signé par l’appelant, contrairement aux dénégations de ce dernier. Il s’agit d’une analyse technique minutieuse effectuée à partir de documents de comparaison que M. [W] ne conteste pas avoir lui-même rédigés et signés et ce dernier ne produit aucun élément de nature à la contredire.

De plus, cet acte, par lequel M. [W] s’engage à verser à Mme [V] la somme de 120 000 euros qui lui a été remise à titre de prêt, satisfait aux conditions de l’article 1326 ancien du code civil, comportant la signature du débiteur ainsi que la somme, écrite de sa main en toutes lettres et en chiffres.

Dès lors, ainsi que l’a rappelé le tribunal, en présence d’une telle reconnaissance de dette, il appartient au débiteur de prouver que la somme qu’elle mentionne ne lui a pas été remise. Or, M. [W] échoue à rapporter cette preuve et tente de renverser la charge qui pèse sur lui à ce titre, en évoquant l’absence de justificatif de flux financier vers les comptes de Mme [V] et de formalité déclarative effectuée par cette dernière auprès de l’administration fiscale.

Dès lors, rien ne vient contredire la présomption de remise des fonds en cause par l’intimée à l’appelant et l’existence de la dette de ce dernier à hauteur du montant de 120 000 euros. Cette somme devait être remboursée dans un délai maximal de deux ans, selon les termes de la reconnaissance de dette qui a été signée l0 septembre 2013. Il en résulte que cette dette est exigible et que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a condamné M. [W] à la régler à Mme [V] avec intérêts au taux légal à compter de la date de l’opposition à l’ordonnance d’injonction de payer, étant observé que Mme [V] ne sollicite plus l’application du taux d’intérêt mentionné dans ladite reconnaissance de dette.

II ‘ Sur les demandes de M. [W]

A ‘ Sur la demande de délai de paiement

En application de l’article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Selon une jurisprudence constante, les mesures de grâce prévues par ces dispositions légales peuvent être sollicitées en tout état de cause, y compris en appel.

Dès lors, la fin de non-recevoir tirée de ce que la demande de délais de paiement de M. [W] est une demande nouvelle formée en appel doit être écartée et cette demande sera déclarée recevable.

Sur le fond, M. [W] produit un contrat de travail à durée déterminée à temps partiel qu’il a signé en décembre 2016 pour une durée de travail hebdomadaire de 2 h, des bulletins de paie faisant apparaître un revenu mensuel d’environ 200 euros et l’avis d’imposition sur les revenus de 2019, faisant apparaître un revenu imposable annuel de 2 982 euros. Par ailleurs, il justifie de prestations familiales de 550 euros/m. d’avril à juin 2021, étant observé qu’il vit avec son épouse, qui était sans revenu en 2019, ainsi que leur jeune enfant désormais âgé de 4 ans.

Force est de constater que la situation financière de l’appelant ne permet ni d’échelonner le paiement de la dette dans la limite de deux ans, ni de le reporter dans la même limite avec un espoir de paiement.

C’est pourquoi la demande de délais de paiement de M. [W] doit être rejetée.

B ‘ Sur la demande de dommages et intérêts

Comme l’a justement relevé le premier juge, la demande en paiement de Mme [V] étant accueillie, elle ne peut constituer un abus de droit. C’est pourquoi le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [W] pour procédure abusive.

III – Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Le jugement déféré étant confirmé en ses dispositions principales, il le sera également en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais exclus des dépens de première instance.

Pour les mêmes motifs, auxquels s’ajoute le rejet de la demande de délais de paiement présentée par M. [W] à hauteur de cour, l’appelant assumera les dépens de l’appel ainsi que ses frais non compris dans les dépens engagés en appel.

En revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge de l’intimée les frais exclus des dépens qu’elle a dû engager en appel et M. [W] devra donc lui régler à ce titre la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties par le tribunal judiciaire de Strasbourg le 30 mars 2021,

Ajoutant au dit jugement,

DECLARE recevable la demande de délais de paiement présentée par M. [G] [W],

REJETTE cette demande de délais de paiement,

CONDAMNE M. [G] [W] aux dépens d’appel,

CONDAMNE M. [G] [W] à payer à Mme [J] [V], la somme de 1 500,00 (mille cinq cents) euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu’elle a engagés en appel,

REJETTE la demande de M. [G] [W] présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu’il a engagés en appel.

La greffière, La présidente,

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x