3 mai 2023
Cour d’appel de Nancy
RG n°
22/00902
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D’APPEL DE NANCY
CINQUIEME CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT N° /23 DU 03 MAI 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 22/00902 – N° Portalis DBVR-V-B7G-E6WL
Décision déférée à la Cour :
ordonnance de référé du tribunal de commerce d’EPINAL, R.G. n°2021.002663 , en date du 31 mars 2022,
APPELANTS :
Madame [Y] [V] né le [Date naissance 8] 1930 au [Localité 14] , demeurant [Adresse 5]
Représentée par Me Clarisse MOUTON de la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE, avocat au barreau de NANCY
Avocat plaidant : Me Nicolas LOHRET avocat au barreau de Paris
Monsieur [A] [V], né le [Date naissance 4] 1958 à [Localité 11] demeurant [Adresse 6]
Représenté par Me Clarisse MOUTON de la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE, avocat au barreau de NANCY
Avocat plaidant : Me Nicolas LOHRET avocat au barreau de Paris
INTIMÉES :
S.A.S. [R] GROUPE, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social [Adresse 7] inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés d’Epinal sous le numéro 304 326 697
Représentée par Me Michaël DECORNY de la SCP MOUKHA DECORNY, avocat au barreau de NANCY
Avocat plaidant : Me Axel BARJON avocat au barreau de Lyon
S.A.S. [P], prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social [Adresse 13] inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Frejus sous le numéro 801 126 038
Représentée par Me Michaël DECORNY de la SCP MOUKHA DECORNY, avocat au barreau de NANCY
Avocat plaidant : Me Axel BARJON avocat au barreau de Lyon
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 22 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice BOURQUIN, Président de Chambre et Monsieur Olivier BEAUDIER, conseiller chargé du rapport ;
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Patrice BOURQUIN Président de Chambre,
Monsieur Olivier BEAUDIER, Conseiller,
Monsieur Jean-Louis FIRON Conseiller
Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL.
A l’issue des débats, le Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 03 Mai 2023, en application du deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 03 Mai 2023, par Monsieur Ali ADJAL, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Monsieur Patrice BOURQUIN, Président de chambre, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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FAITS ET PROCEDURE
La société [R] Groupe est une société ‘holding’ qui détenait historiquement la société [R] Industrie Vosgienne spécialisée dans les ustensiles de cuisine.
Suite à la vente de l’actif de la société [R] Industrie Vosgienne, la société [R] Groupe détient l’immobilier d’entreprise (l’usine [R]), un ancien portefeuille de valeurs intégralement cédé en 2021 , ainsi que des participations directes ou indirectes dans diverses filiales vosgiennes.
L’actionnariat de la société [R] Groupe est composé de la famille [O] [R], décédé en [Date décès 10] 2020.
La société [P], actionnaire majoritaire et présidente de la société [R] Groupe détient 86% des titres, détenue par [O] [R] et son épouse, fait l’objet d’une indivision.
M. [Y] [V] et son fils M. [A] [V], soeur et neveu de feu de [O] [R], détiennent a eux deux 7,77 % du capital de la société [R] groupe.
La société [P], actionnaire à hauteur de 86% de la société [R] Groupe, est présidente de celle-ci. Elle était représentée jusqu’en avril 2021 par M. [S] [L] puis à partir de cette date par M. [I] [T].
Le 12 janvier 2021, M. [Y] [V] et M. [A] [V] ont été convoqués par M. [S] [L], dirigeant de la société [P], elle-même présidente de la société [R] Groupe, en vue d’une assemblée générale prévue au 28 janvier 2021.
Ne s’estimant pas suffisamment informés sur les résolutions devant être mises au vote au cours de cette assemblée, M. [Y] [V] et M. [A] [V] ont demande son report et la communication de documents et informations sur les opérations envisagées.
Suivant ordonnance de référé rendue contradictoirement le 31 mars 2022, le tribunal de commerce d’Epinal a :
– débouté Mme [Y] [V] et M. [A] [V] de leur demande de production des pièces suivantes par la société [R] Groupe :
* L’offre de reprise d’Edify qui devait nécessairement comprendre une valorisation,
* La comptabilité complète (donc à côté du bilan et du compte de résultat aussi la totalité des grands-livres, général et auxiliaires, le livre-journal et/ou les fichiers des écritures comptables) sur les trois derniers exercices de [R] Groupe (DBG) et de toutes ses filiales, c’est-à-dire françaises comme étrangères, détenues directement comme indirectement,
* Le protocole transactionnel signe le 14 octobre 2021, portant engagement de céder les deux filiales [R] Engine et [R] Europe,
* Les contrats de travail des salariés de la société [R] groupe, y compris celui désormais rompu de M. [S] [L].
* Les propositions de ventes reçues pour le château et la maison ‘Jacquins’, propriété de DBG,
* Toute autre pièce permettant d’établir la valeur vénale de DBG, comme notamment, mais sans que cela ne soit limitatif, les extraits cadastraux, les avis de taxes foncières, les divers baux conclus et accordés, les relevés bancaires et les extraits de comptes-titres.
– en conséquence, dit n’y avoir lieu à astreinte,
– débouté Mme [Y] [V] et M. [A] [V] de leur demande d’expertise judiciaire visant à évaluer la valeur vénale de la société [R] Groupe, faute de motif légitime,
– mis hors de cause la société [P],
– condamné solidairement Mme [Y] [V] et M. [A] [V] à payer à la société [R] Groupe la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté la société [P] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné solidairement Mme [Y] [V] et M. [A] [V] aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration en date du 14 avril 2022, Mme [Y] [V] et M. [A] [V] ont interjeté appel de l’ordonnance rendue par le tribunal de commerce le 31 mars 2022.
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 13 janvier 2023, M. [A] [V] et Mme [Y] [V] demandent à la cour de :
– infirmer dans toutes ses dispositions l’ordonnance rendue par M. le Président du tribunal de commerce d’Epinal en date du 31 mars 2022 (n° RG 2021 003663).
Statuant à nouveau :
– juger recevables les demandes de Mme [Y] [V] et M. [A] [V],
– ordonner la production forcée, par les sociétés [R] Groupe et [P] au profit de Mme [Y] [V] et M. [A] [V], ou subsidiairement à l’huissier qu’il plaira à la cour de désigner pour communication ultérieure, à Mme [Y] [V] et M. [A] [V], dans les quinze jours de la signification de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard commençant à courir à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, les pièces suivantes :
* La comptabilité complète (incluant le bilan et le compte de résultat, la totalité des Grands-Livres – général et auxiliaires – et le Livre-Journal, le Fichier des Ecritures Comptables) des exercices clos respectivement au 31 mars 2021, 31 mars 2020 et 31 mars 2019 des sociétés (i) [R] Groupe, (ii) [R] Engine (RCS Epinal 820 225 308), (iii) [R] Europe (RCS Luxembourg B227721) ;
* Le protocole transactionnel signé entre [R] Groupe et M. [S] [L] consécutivement à son licenciement et la démission de son mandat de directeur général de [R] Groupe,
* Le contrat de travail conclu entre M. [S] [L] et [R] Groupe et ses éventuels avenants,
* Les trois dernières fiches de paie de M. [S] [L] ès qualités de salarié de [R] groupe,
– se réserver la liquidation de l’astreinte ainsi prononcée,
– désigner en qualité d’expert M. [G] [X] ([Adresse 9] : [XXXXXXXX02] – Fax : [XXXXXXXX01] – Port. : [XXXXXXXX03] ; Email : [Courriel 12]), expert en évaluation d’entreprise inscrit sur la partie D-02 de la liste 2022 des experts judiciaires de la cour d’appel de Paris avec pour mission :
* d’effectuer une double valorisation (valeur vénale) de la société [R] groupe à deux instants différents :
(i) une première valorisation de [R] Groupe avant les décisions de gestion et actes litigieux, soit au 24 septembre 2016, date de nomination de M. [S] [L] ès qualités de Directeur Général de [R] groupe,
(ii) une seconde valorisation de [R] Groupe à la date de l’introduction de la présente action par les consorts [V], soit au 29 octobre 2021,
* d’identifier et décrire les opérations étant à l’origine de l’éventuelle baisse de valeur de [R] Groupe résultant des deux valorisations réalisées ;
* de déterminer la part de responsabilité respectivement de M. [S] [L] ès qualités de directeur Général de [R] Groupe et la société [P], ès qualités de président de [R] Groupe dans l’éventuelle baisse de valeur de [R] Groupe résultant des deux valorisations réalisées,
* de recueillir auprès de la société [R] Groupe et/ou [P] et/ou [R] Europe et/ou [R] Engine, puis analyser pour les besoins de sa mission, l’ensemble des pièces suivantes :
* La comptabilité complète (incluant le bilan et le compte de résultat, la totalité des Grands-Livres – général et auxiliaires – et le Livre-Journal, le Fichier des Ecritures Comptables) des exercices clos respectivement au 31 mars 2021, 31 mars 2020 et 31 mars 2019 de (i) [R] Groupe, (ii) [R] Engine, (iii) [R] Europe,
* Le protocole transactionnel signé en octobre 2021 entre [R] Groupe et M. [S] [L],
* Le contrat de travail conclu entre M. [S] [L] et [R] Groupe et ses éventuels avenants ainsi que ses trois dernières fiches de paie,
* Toutes autres pièces complémentaires que l’expert estimerait pertinentes pour la réalisation de sa mission.
– rendre un pré-rapport qui sera discuté contradictoirement entre les parties avant établissement d’un rapport final,
– juger que les honoraires et frais liés à la mission de l’expert ainsi nommé seront supportés pour
moitié par Mme [Y] [V] et M. [A] [V] d’une part, et [R] Groupe et [P] d’autre part,
– condamner solidairement [R] Groupe et [P] à prendre en charge les entiers frais et dépens de première instance et d’appel,
– condamner solidairement [R] Groupe et [P] à payer à Mme [Y] [V] et M. [A] [V] la somme totale de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de leurs dernières conclusions remises au greffe le 17 janvier 2023, les sociétés [R] Groupe et [P] demandent à la cour de :
– confirmer la décision dont appel et en conséquence :
– débouter Mme [Y] [V] et M. [A] [V] de leur demande d’expertise judiciaire visant a évaluer la valeur vénale de la société DBG aux dates sollicitées, faute de motif légitime et d’utilité d’une telle mesure d’expertise,
– subsidiairement sur la demande d’expertise, rejeter la demande de désignation de M. [G] [X] et désigner tel expert qu’il plaira a la cour,
– débouter Mme [Y] [V] et M. [A] [V] de leur demande de condamnation, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, de produire les pièces sollicitées,
– mettre hors de cause la société [P],
– juger à titre subsidiaire au cas ou une expertise serait ordonnée que les consorts [V] qui la sollicitent en feront seule l’avance,
– condamner solidairement Mme [Y] [V] et M. [A] [V] a payer à la société [R] Groupe et à la société [P], chacune, la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions des parties la cour renvoie expressément à leurs conclusions visées ci-dessus, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Vu l’ordonnance de clôture en date du 8 février 2023 ;
MOTIFS :
– Sur la demande de communication de pièces :
Aux termes des dispositions de l’article 143 du code de procédure civile, les faits dont dépend la solution d’un litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible. Selon l’article 145 du même code, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
En premier lieu, Mme [Y] [V] et M. [A] [V] ne justifient d’aucun motif légitime à la production par les sociétés [R] Groupe, [R] Engine et [R] Europe de leur comptabilité complète pour les exercices clos respectivement le 31 mars 2019, le 31 mars 2020 et le 31 mars 2021.
L’établissement de la preuve avant tout procès d’éventuels fautes de gestion ou d’abus de majorité, pouvant être imputés à la société [R] Groupe, ou personnellement à ses dirigeants successifs, à savoir M. [S] [L] et M. [I] [T] ne commande la productions des pièces comptables énumérées au dispositif des conclusions d’appel. Il est en effet justifié que les appelants ont d’ores-et-déjà été rendus destinataires, en leur qualité d’actionnaires minoritaires, de l’ensemble des éléments comptables de la société [R] Groupe, leur permettant d’agir la cas échéant en responsabilité contre ces derniers.
La société [R] Groupe a en effet communiqué aux appelants, le 10 septembre 2021, avant la tenue de l’assemblée générale mixte en date du 16 septembre 2021 le rapport du président sur les comptes clos le 31 mars 2021, les rapports des commissaires aux comptes, l’actif et passif, le comptes de résultats, ainsi que les annexes au bilan. Il ressort par ailleurs à la lecture d’un rapport d’un rapport établi le 14 février 2022 par le commissaire aux compte de la société [R] Groupe que M. [A] [V] et Mme [Y] [V] ont été convoqués systématiquement depuis 2015 aux assemblées générales appelées à statuer sur l’approbation des comptes.
Le commissaire aux compte certifie par ailleurs que la direction de la société [R] Groupe a répondu à toutes leurs interrogations de M. [A] [V] et de Mme [Y] [V], s’agissant en particulier des capitaux propres détenus respectivement par les sociétés filiales [R] Engine et [R] Europe, ainsi que sur les perspectives économiques et financières de la société [R] Groupe, dont ils sont actionnaires minoritaires (cf. rapport en date du 14 février 2022 de M. [N] [W], commissaire aux compte).
Il est indiqué à ce même rapport que si la société [R] Groupe a connu des résultats nets négatifs au 31 mars 2020 et au 31 mars 2021, ses capitaux propres s’élèvent à cette date à 2 976 960 euros, représentant 36% du bilan, ce qui constitue un ratio satisfaisant selon le commissaire aux comptes. S’agissant du compte de résultat, il est précisé que le déficit d’exploitation a été sensiblement réduit d’un exercice à l’autre, passant de – 347 612 euros à – 26 356 euros et que si l’excédent brut d’exploitation était effectivement tout juste positif au 31 mars 2020 (+ 4 968 euros), il a nettement progressé sur le dernier exercice atteignant 314 408 euros. Le commissaire aux comptes affirme enfin que l’exercice clos au 31 décembre 2022 ne présente pas de déficit, et que la continuité d’exploitation de la société [R] Groupe est assurée.
M. [A] [V] et Mme [Y] [V] ne démontrent pas que les documents comptables, dont ils ont reçu communication en leur qualité d’actionnaire de la société [R] Groupe révéleraient des éléments présumant la commission de fautes de gestion et des abus de majorité allégués à l’encontre de ses dirigeants, ex-dirigeants et de son actionnaire majoritaire (la société [P]). Les comptes annuels de la société [R] Groupe, ainsi les différents rapports établis par le commissaire aux comptes, permettent en effet d’appréhender l’intégralité des mouvements financiers intervenus entre la sociétés [R] Groupe et ses deux filiales. Les appelants ne justifient d’aucun indice rendant vraisemblable l’existence de fautes de gestion imputables aux dirigeants successifs de la société [R] Groupe.
Il en va de même de la reconnaissance de dette signée le 28 mars 2018 par [O] [R] sur laquelle le dirigeant de la société [R] Groupe a fourni, sur interrogation des appelants, les explications sur son absence de recouvrement du fait de la contestation de la signature de son auteur reposant en l’espèce sur une expertise graphologique produite aux débats par l’intimée. Les appelants disposent également des éléments comptables nécessaires permettant d’apprécier la régularité de la distribution des réserves (à concurrence de la somme de 1 807 656 euros) qui a été décidée le 8 mars 2021 par l’assemblée générale de la société [R] Groupe, ainsi que de son financement par la vente des valeurs mobilières de placements, dont il est fait état dans les comptes annuels transmis aux appelants. Ces derniers ne justifient pas non plus en quoi la production de l’intégralité de la comptabilité détaillée de la société [R] Groupe serait nécessaire à l’appréciation de la régularité de ces opérations.
En leur qualité respective d’actionnaire minoritaire, au vu notamment du rapport circonstancié établi le 14 février 2022 par le commissaire aux comptes qui leur a été communiqué, M. [A] [V] et Mme [Y] [V] ont reçu l’ensemble des informations ayant motivé l’abandon par la société [R] Groupe d’une créance de 827 158,12 euros au profit de la société [R] Engine, sa filiale. Le commissaire aux comptes précise à cet effet que les comptes annuels de la société [R] Engine font ressortir des capitaux propres de l’ordre de 810 132 euros, incluant la somme susvisée au titre de cet abandon de créance assorti d’ ‘une clause de retour à meilleur fortune’.
Il n’est révélé par le rapport du commissaire au comptes aucune présomption que cet abandon de créance constituerait une faute de gestion ou un abus de majorité, quand bien même il serait assorti d’une ‘clause de retour à meilleur fortune’, comprenant par nature un aléa. En tout état de cause, la condamnation de la société [R] Engine à produire sa comptabilité complète est inutile, dans la mesure où les documents comptables nécessaires à l’appréciation de sa solvabilité, ainsi que de ses perspectives de redressement, font l’objet d’une publication au greffe du tribunal de commerce accessible aux appelants.
M. [A] [V] et Mme [Y] [V] ne démontrent pas non plus que les conditions ayant motivé un abandon partiel de la créance détenue par la société [R] Groupe au profit de sa seconde filiale (la société [R] Europe) avant sa cession présumeraient l’existence d’une faute de gestion, ou d’un abus de majorité. Le rapport du commissaire aux comptes en date du 14 février 2022 confirme en effet que cette filiale était déficitaire, celle-ci disposant de capitaux propres négatifs de – 145 567 euros. Sa dette envers [R] Groupe s’élevant à 3 407 557 euros a été remboursée seulement à moitié au 31 mars 2021. Les appelants ne font état d’aucun élément qui serait de nature à contredire les constations précédentes sur la situation économique de la société [R] Europe Il n’existe par conséquent aucun intérêt légitime à la production de la comptabilité complète et détaillée de cette filiale.
Au surplus, Il convient d’observer en dernier lieu que la production de la comptabilité intégrale des sociétés [R] Groupe, ainsi que des sociétés [R] Engine et [R] Europe, sur les trois exercices précédents, telle qu’elle est sollicitée par les appelants, constitue une mesure d’investigation générale sur ces trois sociétés qui excèdent les prévisions de l’article 145 du code de procédure civile, autorisant seulement, avant tout procès, la communication de certaines pièces déterminées détenues par une partie ou un tiers en vue de la preuve d’un fait.
Il convient en conséquence de confirmer l’ordonnance déférée, en ce qu’elle a débouté M. [A] [V] et Mme [Y] [V] de leur de demande de production forcée des pièces afférentes à la comptabilité de l’ intimée, ainsi que des deux sociétés tierces.
Conformément au procès-verbal de l’assemblée générale ordinaire en date du 29 octobre 2021, il a été adopté après mise aux voix à l’unanimité une résolution portant ‘information notamment sur le protocole transactionnel conclu avec Monsieur [S] [L] signé le 19 octobre 2021 portant engagement de cession de 100% des titres de deux filiales, à savoir les sociétés [R] Engine et [R] Groupe’. Il est indiqué :
‘Après discussion, les participants conviennent à l’unanimité de ce que les négociations concernant le licenciement de Monsieur [S] [L] sont du ressort du Président et qu’il n’y a pas lieu que l’Assemblée Générale délibère sur ce point.
Toutefois, l’Assemblée Générale reconnaît avoir été informée de l’accord transactionnel conclu entre la Société et Monsieur [S] [L] le 19 octobre 2021 (au lieu du 14 octobre comme indiqué par erreur dans la convocation), accord suivant lequel, en contrepartie de l’abandon d’une partie substantielle de l’indemnité contractuelle à laquelle Monsieur [L] pouvait prétendre, notre société a cédé à ce dernier, la totalité des titres qu’elles détenait dans deux filiales, à savoir :
– [R] ENGINE, moyennant le prix de 100 000 euros
– [R] EUROPE, moyennant le prix de 28 500 euros.
L’assemblée Générale prend acte de ce que Monsieur [S] [L] a démissionné de ses fonctions de Directeur Général par courrier du 13 octobre 2021. Ses fonctions ont donc pris fin à compter de cette date. Il n’est pas nommé de Directeur Général en remplacement.
L’Assemblée Générale donne tous pouvoirs au porteur de copies ou d’extraits du présent procè-verbal pour remplir toutes formalités de droit’.
A la lecture de cette résolution, Mme [Y] [Z] et M. [A] [Z], actionnaires minoritaires de la société [R] Groupe, justifient d’un intérêt légitime à la production du protocole d’accord transactionnel, conclu le 19 octobre 2021 entre M. [S] [L], directeur, et son président, et ce, afin d’établir avant tout procès la preuve de l’abus de majorité qu’ils invoquent. Il ressort en effet de cette résolution que les actionnaires présents à l’assemblée générale du 29 octobre 2021 n’ont pas eu connaissance du contenu de ce protocole, s’agissant en particulier de la renonciation par M. [S] [L] du versement d’une ‘partie substantielle’ de l’indemnité contractuelle due au jour de la cessation de ses fonctions en contrepartie de la cession par la société [R] Groupe de ses titres détenus au sein de ses filiales, les sociétés [R] Engine et [R] Groupe.
Afin d’apprécier si le vote de cette résolution est conforme à l’intérêt social de la société [R] Groupe, et qu’elle n’est pas de nature à nuire à celui particulier des associés minoritaires, Mme [Y] [Z] et M. [A] [Z] sont ainsi en droit d’obtenir la communication du contrat de travail de M. [S] [L] et de ses avenants éventuels, indiquant le montant de l’indemnité contractuelle, à laquelle celui-ci pouvait prétendre au jour de sa démission. Les appelants justifient en outre d’un intérêt légitime à la production du protocole transactionnel susvisé leur permettant de connaître le montant auquel celui-ci a renoncé au versement en contrepartie de la cession des actions des filiales concernées estimée au total à 128 500 euros. Il apparaît enfin utile de connaître le montant de la fraction de l’indemnité contractuelle versée par la société [R] Groupe, au jour de la démission de M. [S] [L] à son poste de directeur général, ce qui commande la production de son dernier bulletin de paie.
Au vu de ci qui précède, Mme [Y] [Z] et M. [A] [Z] ne justifient en revanche d’aucun intérêt légitime à la production des autres documents visés au dispositif de leurs conclusion d’appel. Il convient en conséquence d’infirmer l’ordonnance déférée, seulement en ce qu’elle a débouté les appelants de leur demande de production du contrat de travail de M. [S] [L] en qualité de directeur général de la société [R] Groupe, de ses éventuels avenants, du dernier bulletin de paie de ce celui-ci qui lui a été remis au jour de sa démission le 13 octobre 2021, ainsi que du protocole conclu le 19 octobre 2021 entre la société [R] Groupe et M. [S] [L].
Conformément aux articles L. 131-1 à L. 131-4 du code de procédure civile, afin de garantir l’exécution de cette obligation de production des pièces susvisées par la société [R] Groupe, il convient de l’assortir d’une astreinte provisoire d’un montant de 50 euros par jour et par document pendant trois mois, courant passé un délai d’un mois à compter de la notification du présent arrêt.
– Sur la demande d’expertise :
Au visa des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, Mme [Y] [Z] et M. [A] [Z] soutiennent qu’il existe des motifs légitimes à la désignation avant tout procès contre la société [R] Groupe, ainsi que de ses dirigeants, compte tenu des éléments suivants :
* la dégradation financière de la société [R] Groupe, se traduisant selon eux par une baisse des capitaux propres et des pertes importantes enregistrées sur les exercices clos au 31 mars des années 2019 à 2021 ;
* une gestion qualifiée d’hasardeuse par les présidents qui se sont succédé, depuis le décès de [O] [R] survenu le [Date décès 10] 2020, allant selon eux contre l’intérêt social de la société [R] Groupe, caractérisée notamment par une décision de distribution des réserves, d’abandon de créances au profit des filiales [R] Engine et [R] Europe, ainsi que la cession de ces mêmes filiales ;
* de possibles abus de majorité du fait du projet de rachat par la société Edify des actions des associés minoritaires, de la distribution de réserves ou de la cession des filiales du groupe ayant bénéficié d’abandon de créance ;
Il résulte de ce qui précède que Mme [Y] [Z] et M. [A] [Z] ne justifient, à l’appui de leur demande d’expertise, d’aucun indice rendant vraisemblable l’existence de fautes de gestion imputable au dirigeants de la société [R] Groupe, concernant en particulier les décisions votées en assemblée générale, concernant la distribution des réserves, d’abandon de créances des filiales concernées, avant leur cession.
La société [R] Groupe observe en outre à juste titre qu’ils n’ont jamais émis de réserves sur les décisions précitées, n’ayant jamais sollicité, en leur qualité d’actionnaires minoritaires à hauteur de 7,7%, la mise en oeuvre d’une expertise de gestion en application des dispositions de l’article L. 227-1 alinéa 3 du code de commerce, comme ils en avaient la possibilité.
Par ailleurs, le projet de rachat des actions de la société [R] Groupe par la société Edify n’ayant pas abouti, faute d’un vote de l’assemblée générale en vue d’agréer cet acquéreur, Mme [Y] [Z] et M. [A] [Z] ne justifient d’aucun intérêt légitime à la nomination d’un expert, afin d’évaluer la valeur vénale de la société au 24 septembre 2016, date à laquelle M. [S] [L] a accédé aux fonctions de directeur, puis au 29 octobre 2021, date de la saisine du tribunal de commerce d’Epinal de leur demande de mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.
Il convient par conséquent de confirmer l’ordonnance déférée, en ce qu’elle a débouté Mme [Y] [Z] et M. [A] [Z] de leur demande d’expertise.
– Sur les demandes accessoires :
Mme [Y] [Z] et M. [A] [Z] sont condamnés aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel. Ils sont également déboutés de leurs demandes formées au titre des frais irrépétibles de procédure exposés devant le tribunal et la cour.
Mme [Y] [Z] et M. [A] [Z], d’une part, les sociétés [R] Groupe et [P], d’autre part, sont déboutés de leurs demandes formées au titre des frais irrépétibles de procédure exposés en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,
Vu les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile ;
Infirme l’ordonnance déférée, en ce qu’elle a débouté Mme [Y] [Z] et M. [A] [Z] de leur demande de production du contrat de travail de M. [S] [L] au poste de directeur de la société [R] Groupe, de ses avenants éventuels, du dernier bulletin de paie délivré à l’intéressé au jour de sa démission, ainsi que le protocole d’accord conclu le 19 octobre 2021 entre ce dernier et la société [R] Groupe ;
La confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur ces chefs infirmés et ajoutant :
Ordonne à la société [R] Groupe des documents susvisés, dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent arrêt, passé ce délai, sous astreinte d’un montant de 50 euros par jour de retard et par document pendant trois mois :
1°) le contrat de travail de M. [S] [L] en qualité de directeur général de la société [R] Groupe et ses éventuels avenants ;
2°) le dernier bulletin de paie de M. [S] [L], directeur général de la société [R] Groupe délivré au jour de sa démission en date du 13 octobre 2021 ;
3°) le protocole conclu le 19 octobre 2021 entre la société [R] Groupe et M. [S] [L] ;
Déboute les parties de leurs demandes formées au titre des frais irrépétibles de procédure exposés en cause d’appel ;
Condamne Mme [Y] [Z] et M. [A] [Z] aux entiers frais et dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrice BOURQUIN Président de Chambre, à la Cour d’Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Minute en dix pages.