29 juin 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
22/01909
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 29 juin 2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 22/01909 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UHJL
Ordonnance de référé (N° 21/01232) rendue le 1er mars 2022 par le président du tribunal judiciaire de Lille
APPELANT
Monsieur [V] [E]
né le 18 août 1972 à [Localité 7] ([Localité 7])
demeurant [Adresse 4]
[Localité 1]
représenté par Me Bernard Franchi, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assisté de Me Frédéric Pau, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant
INTIMÉE
La SAS [5]
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Emmanuel Lacheny, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l’audience publique du 08 décembre 2022 tenue par Camille Colonna magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 29 juin 2023 après prorogation du délibéré en date du 9 mars 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 17 novembre 2022
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A compter du 1er novembre 2018, M. [V] [E] a été l’employé de la SASU [5] qui se prévaut d’une reconnaissance de dette non datée aux termes de laquelle : ‘Monsieur [E] [V] adresse [Adresse 4], déclare devoir la somme de 30 000 euros (trente mille euros), payable le 01 de chaque mois 150 euros (cent cinquante euros) à la société [5] [Adresse 2] [Localité 1] immatriculée au RCS [N° SIREN/SIRET 3] suite à des vols commis ces deux dernières années.’
La sommation de payer qu’elle a tenté d’adresser à M. [E] ayant fait l’objet d’un procès-verbal de constat de recherches infructueuses par l’huissier de justice chargé de la délivrer, la SASU [5], par acte du 27 octobre 2021, a fait assigner en référé M. [V] [E] afin d’obtenir sa condamnation au paiement à titre provisionnel de la somme de 29 850 euros, correspondant au solde de la dette, ainsi qu’une indemnité pour frais irrépétibles de 1 500 euros.
Par une ordonnance de référé du 1er mars 2022, le tribunal judiciaire de Lille :
– a rejeté l’exception d’incompétence au profit du Conseil des prud’hommes soulevée par M. [E],
– a condamné M. [E] à payer à titre provisionnel à la société [5], la somme de 29 850 euros,
– l’a condamné à payer à titre provisionnel à la société [5], la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles,
– l’a condamné aux dépens.
M. [E] a interjeté appel de cette ordonnance et aux termes de ses conclusions notifiées le 2 juin 2022, demande à la cour, sur le fondement des articles L 1411-1 du code du travail, 835 alinéa 2 du code de procédure civile et 1130 du code civil, de :
– déclarer recevable et bien fondé son appel,
– infirmer l’ordonnance,
– à titre principal et avant toute défense au fond, se déclarer incompétent au profit du conseil de prud’hommes de Roubaix,
– à titre subsidiaire et avant toute défense au fond, surseoir à statuer dans l’attente de la décision à venir du conseil de prud’hommes de Roubaix,
– à titre plus subsidiaire : déclarer que l’obligation dont se prévaut la société [5] à son encontre se heurte à une contestation sérieuse,
– en tout état de cause et reconventionnellement : débouter la société [5] de l’ensemble de ses fins et prétentions formulées à son encontre,
– la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner aux entiers frais et dépens de l’instance et dire que la SCP [6] pourra se prévaloir des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
A titre principal, M. [E] soutient que le litige relève de la compétence du conseil des prud’hommes dès lors qu’il porte sur un différend né à l’occasion du contrat de travail et pendant l’exécution de celui-ci, qu’un débat sur le motif du licenciement pour faute lourde doit se tenir devant la juridiction prud’homale, le vol n’étant pas nécessairement constitutif d’une faute lourde en l’absence d’intention de nuire à l’employeur, et que le conseil des prud’hommes est compétent pour examiner une demande de compensation entre les sommes dues à titre de salaires et une dette contractée par le salarié.
Il fait valoir à titre subsidiaire que la cour doit surseoir à statuer dans l’attente de la décision du conseil des prud’hommes de Roubaix, saisi de l’examen de la régularité de son licenciement.
A titre plus subsidiaire, il dénonce l’existence d’une contestation sérieuse dès lors qu’il conteste le vol, au demeurant non étayé par la société [5], la reconnaissance de dette ayant été rédigée sous la contrainte de l’employeur, outre qu’elle n’est pas datée, que l’encaissement d’un premier règlement de 150 euros n’est pas démontré et qu’elle ne contient pas de clause de déchéance du terme.
La société [5], aux termes de ses conclusions notifiées le 30 juin 2022, demande à la cour, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile et de l’article 1376 du code civil, de :
« – confirmer l’ordonnance entreprise dans l’ensemble de son dispositif,
et, vu l’effet dévolutif de l’appel, statuant à nouveau,
in limine litis
– rejeter l’exception d’incompétence soulevée par M. [V] [E],
sur le fond
– la dire recevable et bien fondée dans ses demandes,
– dire et juger que la demande ne se heurte à aucune contestation sérieuse,
en conséquence,
– débouter M. [V] [E] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– le condamner à lui payer la somme de 29 850 euros à titre provisionnel,
– le condamner à lui payer la somme de 3 000,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner aux entiers frais et dépens de l’instance ».
Elle soutient que sa demande n’est pas liée à l’exécution du contrat de travail mais est fondée sur l’engagement unilatéral de M. [E] de rembourser sa dette, que les rapports entre les parties ne sont pas ceux d’employé à employeur mais ceux de débiteur à créancier, qu’elle ne formule pas de demande de compensation financière entre les sommes qu’elle lui devrait à titre de salaire et la dette contractée par l’appelant et que la saisine du conseil des prud’hommes concernant le caractère abusif du licenciement prononcé à l’encontre de M. [E] est indifférente, de même que la demande de sursis à statuer n’est pas justifiée en l’absence d’identité entre les demandes formulées devant les deux juridictions.
Elle fait valoir qu’au fond, il n’existe pas de contestation sérieuse dès lors que M. [E] s’est engagé envers elle au remboursement de la dette, suivant une reconnaissance de dette valable quand bien même elle n’est pas datée, les pièces qu’il produit pour justifier de pressions qui auraient vicié son consentement étant postérieures à la reconnaissance de dette et au paiement de la première échéance, l’intégralité de la dette résiduelle étant manifestement due.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l’exception d’incompétence
Selon l’article L.1411-1 du code du travail, le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti.
En l’espèce, le litige porte sur l’exécution d’un acte unilatéral sous seing privé et non sur l’exécution du contrat de travail ayant lié les parties. Les vols reprochés à M. [E], qui sont à l’origine de la reconnaissance de dette, n’ont pas été commis en exécution du contrat de travail, quand bien-même ils auraient été commis dans le cadre de son activité professionnelle, étant sans incidence sur la question de la compétence juridictionnelle que ces vols soient contestés.
Ainsi, l’obligation résultant de la reconnaissance de dette est née à l’occasion du contrat de travail mais ne procède pas de l’exécution de celui-ci, de sorte que le tribunal judiciaire était compétent, étant précisé que les parties ne formulent aucune demande de compensation entre la créance à déterminer dans le cadre de la présente instance et les condamnations qui résulteraient de l’instance pendante devant le conseil des prud’hommes saisi d’une contestation relative au licenciement.
Sur la demande de sursis à statuer
Suivant les dispositions des articles 377 et 378 du code de procédure civile, ‘en dehors des cas où la loi le prévoit, l’instance est suspendue par la décision qui sursoit à statuer, radie l’affaire ou ordonne son retrait du rôle’ et ‘la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine’.
Le présent litige et celui qui est soumis au conseil des prud’hommes procédant de fondements juridiques distincts et les issues respectives des litiges étant sans effet l’une sur l’autre, étant rappelé que les parties ne formulent aucune demande en compensation entre la condamnation résultant de la présente instance et les condamnations qui résulteraient de l’instance pendante devant le conseil des prud’hommes saisi de la contestation de la qualification de faute lourde reprochée à l’appelant au motif de son licenciement, il n’y a pas lieu de surseoir à statuer, de sorte que M. [E] sera débouté de cette demande.
Sur la demande en paiement
L’article 1376 du code civil dispose que l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres ; qu’en cas de différence, l’acte sous signature privée vaut preuve pour la somme écrite en toutes lettres.
Aux termes de l’article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
Enfin, selon l’article 1130 du code civil, l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.
Au cas présent, c’est par des motifs pertinents et circonstanciés que le premier juge a estimé que la créance de la société [5] n’était pas sérieusement contestable et que M.'[E] devait être condamné à lui payer, à titre provisionnel la somme de 29 850 euros, considérant que la reconnaissance de dette, régulière en la forme, mentionnant qu’elle intervenait ‘suite à des vols commis ces deux dernières années’ avait reçu un commencement d’exécution, peu important dès lors qu’elle ne soit pas datée et que la preuve du vice du consentement qui incombait à M. [E] n’était pas rapportée.
En effet, d’une part, si la matérialité du paiement intervenu en février 2021 n’est pas démontrée, dès la sommation de payer du 24 février 2021, la société [5] en a opéré déduction de la somme lui restant due et il ne ressort pas des éléments de la procédure de première instance produits en cause d’appel que M. [E] ait contesté ce paiement devant le premier juge, d’autre part, le certificat médical dont il se prévaut, daté du 15 mars 2021, décrit un état anxio-dépressif réactionnel au harcèlement dénoncé. Or il ressort des procès verbaux des plaintes qu’il a déposées aux services de police que les menaces et le harcèlement qu’il allègue seraient postérieurs à la reconnaissance de dette, de sorte qu’il n’est pas démontré que M. [E] aurait signé cet acte sous la contrainte.
Le premier juge a justement statué sur le sort des frais et dépens de première instance.
En conséquence, l’ordonnance entreprise sera confirmée.
En outre, il y a lieu de condamner M. [E] aux dépens de la procédure d’appel et à payer à la société [5] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés par celle-ci en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour
déboute M. [E] de sa demande de sursis à statuer,
confirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
condamne M. [E] aux dépens et à payer à la société [5], la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet