28 février 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
20/01920
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 28 FEVRIER 2023
RP
N° RG 20/01920 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LRV2
[B] [Z]
[F] [X] épouse [Z]
[I] [W]
c/
SA BNP PARIBAS, agence de [Localité 8]
SA BNP PARIBAS
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 15 mai 2020 par le Tribunal Judiciaire de BERGERAC (RG : 18/00957) suivant déclaration d’appel du 05 juin 2020
APPELANTS :
[B] [Z]
né le [Date naissance 4] 1959 à [Localité 9]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 1]
[F] [X] épouse [Z]
née le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 7] (ALGERIE)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 1]
Maître [I] [W], ès qualité de Commissaire à l’exécution du plan de redressement de Monsieur et Madame [Z] par jugement en date du 11 avril 2017, domicilié en cette qualité [Adresse 5]
représentés par Maître DEMAR substituant Maître Michel PUYBARAUD de la SELARL MATHIEU RAFFY – MICHEL PUYBARAUD, avocats postulants au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Emmanuelle ARCIS-FAYAT de la SELARL ARCIS-FAYAT, avocat plaidant au barreau de BERGERAC
INTIMÉES :
SA BNP PARIBAS, agence de GOURDON, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité sis [Adresse 6]
SA BNP PARIBAS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]
représentées par Maître Bénédicte LAGARDE-COUDERT de la SELAS NUNEZ-LAGARDE COUDERT-MARTINS DA SILVA, avocat au barreau de PERIGUEUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 17 janvier 2023 en audience publique, devant la cour composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Véronique SAIGE
En présence de Bertrand MAUMONT, magistrat détaché en stage à la cour d’appel de Bordeaux
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Par jugement du 11 avril 2017, le tribunal judiciaire de Bergerac a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de Mme [F] [X] épouse [Z] et M. [B] [Z]. Un plan de redressement a été établi le 23 avril 2018, dans le cadre duquel il est fait état de plusieurs créances dues par les époux [Z] à la société BNP Paribas.
Par acte d’huissier du 31 août 2018, les époux [Z] ont fait assigner la société BNP Paribas Agence de [Localité 8] (46300) et la société BNP Paribas SA devant le tribunal judiciaire de Bergerac, aux fins de voir engager la responsabilité de la banque en raison du manquement au devoir de mise en garde et au devoir de conseil et d’obtenir l’indemnisation des préjudices subis en raison du grand nombre de prêts qu’ils auraient souscrits auprès d’elle, préjudice estimé à la somme de 200.000 €.
Par jugement du 15 mai 2020, le tribunal a :
– condamné la société BNP Paribas à payer à Mme [F] [X] épouse [Z] et M. [B] [Z] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– condamné la société BNP Paribas aux dépens de l’instance.
Les époux [Z] et Me [I] [W], ès qualités de commissaire à l’exécution du plan de redressement de M. et Mme [Z], ont relevé appel de ce jugement par déclaration du 5 juin 2020 et par conclusions déposées le 20 décembre 2022, ils demandent à la cour de :
– réformer le jugement entrepris en ce :
* qu’il a débouté les époux [Z] de leur demande visant à voir prononcer la nullité des contrats de prêts par eux consentis.
* qu’il a débouté les époux [Z] de leurs demandes fondées sur le devoir de conseil et visant à se voir indemniser au regard de leur endettement disproportionné consécutif aux prêts par eux souscrits.
* qu’il a débouté les époux [Z] de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
En conséquence :
– juger que la BNP a méconnu ses obligations contractuelles à l’égard de l’emprunteur Mme [Z],
– juger que la BNP, par ses agissements et ses manquements, a causé un préjudice certain et incontestable à M. et Mme [Z],
– condamner, par voie de conséquence, la BNP à leur verser une somme de 200.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice par eux subi,
– la condamner, de même, à leur verser une somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens d’appel.
Par conclusions déposées le 27 décembre 2022, la société BNP Paribas, prise en son agence de [Localité 8] et la société BNP Paribas SA demandent à la cour de :
– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la BNP Paribas à payer aux consorts [Z] la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts, considérant qu’elle aurait failli en son devoir de mise en garde,
En conséquence,
– débouter M. et Mme [Z] et la SCP [W] Leuret Devos Bot, ès qualité de leur demande consistant à voir retenue la responsabilité de la BNP Paribas à l’encontre de Mme [Z], tant au titre du devoir de mise en garde qu’au titre du devoir de conseil,
– condamner solidairement M. et Mme [Z] et la SCP [W] Leuret Devos Bot, ès qualité au paiement d’une somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner les mêmes aux dépens de première instance et d’appel.
L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 17 janvier 2023.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 3 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité des contrats de prêt
Les appelants demandent à la cour de réformer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté les époux [Z] de leur demande visant à voir prononcer la nullité des contrats de prêts par eux consentis, nullité qui serait fondée sur l’addiction au jeu de Mme [Z] annihilant sa capacité de contracter et l’absence de cause des contrats supposés consentis à titre professionnel mais sans autre cause que les besoins d’argent de Mme [Z] pour s’adonner à son addiction.
La cour constate toutefois que le dispositif des conclusions des appelants qui seul lie la cour aux termes de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, ne comporte aucune demande de nullité des prêts avec ses conséquences de droit, les prétentions visant seulement à mettre en cause la responsabilité contractuelle de la banque et à obtenir réparation des préjudices en résultant de sorte que la cour n’a pas à aborder le débat opposant les parties sur cette nullité dont elle n’est pas régulièrement saisie.
Sur le devoir de mise en garde
Il est acquis aux termes d’une jurisprudence constante que la banque qui accorde un crédit à un emprunteur non averti est tenue de le mettre en garde sur les risques de l’opération, notammentle risque d’endettement excessif.
Entre janvier 2013 et septembre 2016, la BNP a accordé aux époux [Z] un prêt personnel et 15 prêts professionnels pour des montant compris entre 3.500 € et 20.000 €, étant précisé que les emprunteurs exerçent la profession d’ostéopathe pour l’époux et de kinésithérapeute pour l’épouse.
Les appelants soutiennent que leur profession ne leur confère pas la qualité d’emprunteur averti et que Mme [Z] peut d’autant moins être considérée comme telle en raison de son addiction au jeu.
Sur ce dernier point, une addiction quelconque est sans influence sur la qualification d’emprunteur averti ou non, d’autant qu’en l’espèce, rien ne démontre que la banque ait pu être informée de cette situation lors de la signature des prêts, étant au surplus noté que la courte période de curatelle prononcée à l’égard de Mme [Z] en raison de son addiction, entre le 16 mars et le 21 septembre 2017, est postérieure à la souscription des contrats de prêts litigieux.
Pour le reste, tous les prêts, à l’exception d’un seul, ont été consentis à titre professionnel à des emprunteurs exerçant dans le domaine médical, non pas en une seule fois mais à 15 reprises, pour des montants de 3.500 € à 20.000 € pouvant parfaitement correspondre à des besoins en trésorerie comme le fait valoir la BNP.
Par ailleurs, les appelants produisent eux mêmes des justificatifs d’un précédent prêt de 130.000 € remboursé en 2012 et consenti par la BNP en 2008 pour le remboursement de divers prêts antérieurs contractés auprès de la banque Casino, CGDP, Cofinoga, Monabanq, Finaref, Mediatis, Sofinco, Facet, Soficarte Pass Service Financière, Crédit Agricole, Cofidis, Disponis,GE Money Bank,CB Renault, Crédit Agricole (leurs pièces n° 2/ à 2/16) .
Il ressort ainsi de ces pièces que les époux [Z], avisés des risques d’endettement excessif provenant de la souscription de prêts multiples leur imposant de contracter en 2008 un prêt de restructuration de leurs nombreuses dettes, familiers par ailleurs en raison de leur profession, des contraintes de gestion de cabinets d’exercice libéral, ne peuvent être considérés comme des emprunteurs non avertis lorsqu’ils ont entrepris de contracter à nouveau un grand nombre de prêts professionnels s’étalant sur trois années.
Dès lors, comme le soutient à raison l’intimée, elle n’était pas débitrice à leur égard d’un quelconque devoir de mise en garde et le jugement qui a retenu le contraire et condamné la BNP de ce chef sera infirmé.
Sur le devoir de conseil
Les appelants font grief au premier juge d’avoir écarté la violation du devoir de conseil de la banque alors que la BNP avait connaissance de l’addiction au jeu de Mme [Z], que la banque avait ainsi conscience du risque d’endettement excessif des emprunteurs lequel est établi par leur redressement judiciaire.
Le tribunal a rappelé à juste titre que le devoir de conseil du banquier n’existe qu’en cas de risque d’endettement manifestement excessif de l’emprunteur.
Il a été rappelé plus haut qu’aucun élément ne vient démontrer la connaissance par la banque de l’addiction dont souffrait Mme [Z] et, au regard des revenus ordinaires tirés de cabinets médicaux, les prêts professionnels successifs de 3.500 € à 20.000 € n’apparaissent pas manifestement excéder les capacités de remboursement du couple d’autant que la totalité des sommes prétées par la banque (191.854, 54 €) ne représente qu’un peu plus du quart du passif total de 732.452,68 € des époux [Z] qu’ils règlent d’ailleurs sans difficultés dans le cadre de leur plan de redressement adopté par jugement du 23 avril 2008.
Le jugement qui a débouté les appelants de leur demande indemnitaire sur ce fondement sera en conséquence confirmé.
Sur les autres demandes
Les appelants supporteront les dépens et verseront à la BNP une indemnité de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement en ce qu’il a :
– condamné la société BNP Paribas à payer à Mme [F] [X] épouse [Z] et M. [B] [Z] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,
– condamné la société BNP Paribas aux dépens de l’instance,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
– déboute les appelants de toutes leurs demandes;
– condamne in solidum Mme [F] [X] épouse [Z], M. [B] [Z] et Me [I] [W] ès qualité de commissaire à l’exécution du plan de redressement des époux [Z] à payer à la BNP Paribas la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
– condamne les mêmes in solidum aux dépens de première instance et d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,