27 février 2023
Cour d’appel de Pau
RG n°
21/01741
JG/ND
Numéro 23/756
COUR D’APPEL DE PAU
2ème CH – Section 1
ARRET DU 27/02/2023
Dossier : N° RG 21/01741 – N° Portalis DBVV-V-B7F-H4DM
Nature affaire :
Cautionnement – Demande en paiement formée contre la caution seule
Affaire :
[N] [J]
[S] [T] épouse [J]
C/
Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL PYRENEE S GASCOGNE
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 27 février 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 02 Janvier 2023, devant :
Madame Joëlle GUIROY, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame Nathalène DENIS, Greffière présente à l’appel des causes,
Joëlle GUIROY, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Philippe DARRACQ et en a rendu compte à la Cour composée de :
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Joëlle GUIROY, conseillère
Monsieur Marc MAGNON, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTS :
Monsieur [N] [J]
né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 10] (71)
de nationalité française
[I]
[Localité 4]
Madame [S] [T] épouse [J]
née le [Date naissance 2] 1962 à [Localité 6] (12)
de nationalité française
[I]
[Localité 4]
Représentée par Me Elodie BEDOURET, avocat au barreau de PAU
INTIMEE :
LA CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL PYRÉNÉES GASCOGNE
Société coopérative à personnel et capital variables, immatriculée au RCS de Tarbes sous le n° 776 983 546,dont le siège social est [Adresse 3], et dont la [Adresse 9], poursuites et diligences de son représentant légal
Représentée par Me Paul CHEVALLIER de la SCP CHEVALLIER-FILLASTRE, avocat au barreau de TARBES
sur appel de la décision
en date du 19 AVRIL 2021
rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE TARBES
EXPOSE DES FAITS ET DU LITIGE :
Monsieur [N] [J] et Madame [S] [T] épouse [J], exploitant de l’hôtel du [Adresse 7] à [Localité 11], ont constitué entre eux et à cet effet trois sociétés : la SARL Occitania, propriétaire du fonds de commerce d’hôtel, la SARL Edelweiss, propriétaire du fonds de commerce de restaurant et la SCI [J], propriétaire de l’immeuble.
La SARL Occitania a souscrit plusieurs prêts auprès de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne dont les époux [J] se sont portés cautions solidaires.
Ainsi et notamment, par acte sous seing privé du 09 décembre 2004, la SARL Occitania a souscrit un prêt d’un montant de 85.000 € sur 120 mois portant intérêts conventionnels à 4.75 %.
Puis, le 04 juillet 2006, elle a souscrit une ouverture de crédit en compte courant de 15.000 €.
Ensuite, le 29 avril 2010, le Crédit agricole lui a consenti un prêt d’un montant de 29.850 € sur 65 mois au taux de 2.90 %.
Et, enfin, le 06 mai 2011, la SARL s’est engagée dans un prêt d’un montant de 35.000 € remboursable en 65 mensualités au taux de 4.16 %.
Le 28 octobre 2014, alors qu’elle était à jour du remboursement de ses prêts, la SARL Occitania a été placée en redressement judiciaire.
Par jugement du 10 mai 2016, elle a été placée en liquidation judiciaire et le 7 décembre 2018, la procédure a été clôturée pour insuffisance d’actif.
Se prévalant d’impayés au titre des crédits susvisés, après mise en demeure du 20 août 2018 d’avoir a en effectuer le règlement dans le délai 15 jours restée infructueuse, par acte du 15 mars 2019, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne a assigné Monsieur et Madame [J], es-qualités de caution, devant le tribunal de commerce de Tarbes.
Par jugement du 19 avril 2021, le tribunal de commerce de Tarbes a :
Sur le prêt de 85.000 euros :
Condamné solidairement Monsieur [N] [J] et Madame [S] [J], née [T], à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne la somme principale de sept mille six cent sept euros et soixante trois centimes – 7.607,63 € – outre intérêts contractuels de retard à 8,75% l’an à compter du 06/09/2018.
Sur l’ouverture de crédit :
Condamné solidairement Monsieur [N] [J] et Madame [S] [J], née [T], à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne la somme principale de dix mille cent cinquante deux euros et soixante dix neuf centimes -10.152,79 € – outre intérêts contractuels à 5,8457% l’an à compter du 19/02/2019,
Sur le prêt de 29.850€ :
Condamné solidairement Monsieur [N] [J] et Madame [S] [J], née [T], à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne la somme principale de sept mille cent dix sept euros et seize centimes – 7.117,16 €- outre intérêts contractuels de retard à 6,90% à compter du 06/09/2018.
Sur le prêt de 35.000 euros :
Condamné solidairement Monsieur [N] [J] et Madame [S] [J], née [T], à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne la somme principale de dix neuf mille soixante sept euros et trente et un centimes -19.067,31 €- outre intérêts contractuels de 8,16% l’an à compter du 06/09/2018.
Débouté Monsieur [N] [J] et Madame [S] [J], née [T], de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.
Condamné solidairement Monsieur [N] [J] et Madame [S] [J], née [T], à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne la somme de cinq cent euros -500,00 euros – au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamné solidairement Monsieur [N] [J] et Madame [S] [J], née [T] aux entiers dépens, taxés et liquidés pour ce qui concerne le greffe à la somme de 94,34 € TTC.
Par déclaration du 26 mai 2021, Monsieur et Madame [J] ont interjeté appel du jugement.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2022.
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Dans leurs dernières conclusions notifiées par le RPVA le 2 février 2022, Monsieur et Madame [J] demandent à la cour de :
Vu les articles L. 313-16 et R. 313-14 du code de la consommation,
Vu l’article 2290 du code civil,
Vu l’article L. 314-18 du code de la consommation,
Vu l’article 1240 du code civil,
Vu la jurisprudence
– infirmer le jugement dont appel et statuant à nouveau,
A titre principal,
– débouter la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne de l’ensemble de ses demandes fins et prétentions,
– la condamner au paiement de la somme de 43 944,89 € à titre de dommages et intérêts venant en compensation avec la dette qui leur serait imputable en qualité de caution,
A titre subsidiaire,
– débouter la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne de son droit à percevoir les intérêts, en raison du non-respect des deux obligations d’information qui s’imposaient à elle ;
– la débouter de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions, compte tenu de l’absence de décompte de la créance prétendument détenue par la banque ;
A titre reconventionnel,
– condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne à les indemniser de la perte de chance de ne pas contracter, à hauteur de 26.163,81€, outre les intérêts contractuels, somme qui viendra compenser la somme due par la caution
– la condamner au paiement de la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
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Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 12 décembre 2022, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants et 1905 et suivants du Code Civil et 2288 et suivants du Code Civil, de :
– sur ses demandes, confirmer le jugement entrepris ;
– s’agissant des demandes des époux [J] :
– les débouter de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
– juger leur demande au titre du devoir de mise en garde irrecevable à raison de la prescription ;
– en toute hypothèse, juger qu’elle n’a commis aucune faute ;
– débouter les époux [J] en leur demande en paiement de la somme de 43.944.89 € à titre de dommages et intérêts ;
– juger que les engagements de caution des époux [J] ne sont pas disproportionnés ;
– débouter les époux [J] de toute demande en nullité desdits engagements ;
– juger qu’elle a satisfait à ses obligations d’information ;
– au titre de l’article 700 du code de procédure civile et dépens, condamner solidairement Monsieur et Madame [J] à lui payer la somme de 2.500,00 € ainsi qu’aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel.
MOTIVATION :
Sur la disproportion de l’engagement des cautions :
Pour demander l’infirmation des condamnations prononcées à leur encontre au paiement des soldes des quatre crédits restés impayés par la SARL Occitania, les époux [J], ès qualités de caution, font valoir que les engagements qu’ils ont souscrits présentaient et présentent un caractère manifestement disproportionné à leurs capacités financières.
Or, il appartient à la caution personne physique qui entend se prévaloir du caractère manifestement disproportionné de son engagement à ses biens et revenus d’en apporter la preuve.
En l’espèce, Monsieur et Madame [J] exposent qu’à la date de leur engagement et sur une période de temps brève, ils ont souscrit via les trois sociétés autour desquelles leur activité professionnelle était organisée, un ensemble de prêts bancaires auprès d’un même établissement bancaire, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne, dont ils se sont portés les seules cautions, précisant que les échéances cumulées des plusieurs centaines de milliers d’euros empruntés correspondent à des mensualités totales de 8.000 euros.
Or, au moment de leur souscription, ni leurs revenus, de 2.000 à 3.000 euros, ni leur patrimoine personnel, qui est grevé d’un prêt garanti par une hypothèque, ni le patrimoine professionnel de leurs sociétés, qui ne leur appartient pas en propre, ne leur permettaient de faire face à leur engagement ès qualités de caution.
En défense, l’intimée rappelle que les prêts pour lesquels les époux [J] se sont portés cautions étaient adaptés aux capacités financières de l’emprunteur qui en a assuré le remboursement pendant des années et qu’il est en droit de se fier aux indications qu’ils ont données quant à leurs revenus et biens, la disproportion n’étant caractérisée que lorsque l’engagement de caution est de nature à la priver du minimum vital.
L’appréciation de la disproportion se fait à la date de la conclusion de chaque contrat de cautionnement, à charge pour la caution de démontrer son existence.
Toutefois, il y a lieu de prendre en compte l’endettement global de la caution mais également l’ensemble de ses biens et revenus au moment de l’engagement, l’établissement prêteur n’ayant pas à vérifier la situation financière de la caution, la fiche de déclaration de patrimoine renseignée par elle lui étant opposable en l’absence d’anomalie apparente.
En outre, le créancier peut démontrer que le patrimoine de la caution est suffisant pour honorer l’engagement au jour de l’appel en garantie.
S’agissant des crédits pour lesquels les époux [J] sont appelés en qualité de caution de la SARL Occitania,
– le premier a été souscrit le 09 décembre 2004, pour un montant de 85.000 euros remboursable par 120 mensualités de 892,21 euros.
– le deuxième, consistant en une ouverture de crédit en compte courant, a été souscrit le 4 juillet 2006 pour un montant de 15.000 euros ;
– le troisième a été souscrit le 29 avril 2010 pour un montant de 29.850 € sur 65 mois pour une mensualité de 535,04 euros. Pour la souscription de cet engagement, le 26 février 2010, les cautions ont rempli une fiche de renseignements.
– le quatrième a été souscrit le 6 mai 2011 pour un montant de 35.000 € sur 65 mois pour une mensualité de 647,11 euros. Le même jour les cautions ont rempli une fiche de renseignements.
S’agissant des deux premiers cautionnements, aucune fiche de patrimoine ou de renseignements n’a été établie. Il en résulte que la preuve d’une éventuelle disproportion est libre.
Or, les époux [J] produisent le tableau d’amortissement du prêt souscrit auprès du même établissement bancaire le 30 décembre 2003, soit un an auparavant, par la SARL Occitania pour un montant de 219.530 euros remboursables par 84 mensualités de 3.020,97 euros (dernière échéance prévue le 05/01/2011).
Ils ne justifient toutefois pas du montant de leurs revenus et de la consistance et valeur de leur patrimoine et de celui de la SCI [J] à cette période et en particulier au 9 décembre 2004.
Il en est de même quant à leur situation et celle de la SCI [J] à la date de l’ouverture de crédit en compte courant, le 4 juillet 2006.
S’agissant des prêts souscrits les 29 avril 2010 et 6 mai 2011, une fiche de renseignements ayant été remplie par les époux [J], il convient de s’y référer.
Pour leur engagement en qualité de caution du 29 avril 2010, ils ont fait valoir être mariés sous le régime de la communauté légale et être propriétaire d’une résidence secondaire en [Localité 5] pour une valeur de 195.000 euros, du fonds de commerce de l’hôtel du [Adresse 7] à [Localité 11] pour un montant de 380.000 euros et percevoir des salaires et revenus mobiliers pour un total mensuel de 3.281 euros,
Ils précisaient alors assurer des charges mensuelles de 606,82 euros pour un prêt personnel et ne pas être redevables de l’impôt sur le revenus. Leur taux d’endettement était de 19%.
La fiche de renseignements alors complétée ne comportait pas d’information sur d’autres engagements de caution.
Pour le prêt contracté le 6 mai 2011 d’un montant de 35.000 € remboursable en 60 mensualités de 647,11 euros, ils se sont prévalus de la même situation matrimoniale, être propriétaire de leur résidence principale sise à [Adresse 8] pour une valeur de 208.000 euros et de la SCI familiale ‘ SCI [J] et bénéficier de salaires et revenus mobiliers pour un total de 3.184 euros. Au titre des charges, ils ont mentionné des mensualités de 1070 euros pour deux emprunts contractés à titre personnel le 22 octobre 2010 pour 115.000 euros et 110.304 euros mais également leurs engagements ès qualité de caution de la SARL Occitania pour 61.364 euros au titre du reste à payer des deux précédents prêts.
Ils ont aussi fait état de leur demande d’un nouveau prêt pour le compte de la SCI [J].
Leur taux d’endettement était alors fixé à 34%
Les appelants soutiennent qu’au-delà de ces engagements, il doit être tenu compte, pour apprécier la disproportion qu’ils dénoncent, des prêts suivants pour lesquels ils produisent un tableau d’amortissement :
– un crédit de 255.000 euros remboursable par 180 mensualités de 2.013,50 euros souscrit auprès de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne ;
– deux crédits de 52.000 euros et 47.000 euros remboursables par 12 mensualités souscrit auprès du même établissement.
Toutefois, pour chacun de ces trois prêts, il est indiqué que l’emprunteur est : [J] sans autre précision mais semble se rattacher à la SCI du même nom et les contrats ne sont pas produits.
Ils remettent également un contrat de prêt relatif à un prêt souscrit par la SARL Edelweiss auprès du même établissement bancaire pour un montant de 14.000 euros remboursable par 84 mensualités de 192,98 euros. Mais, ce contrat, tout comme l’engagement des cautions, n’est ni daté ni signé.
Par ailleurs, ils ne produisent aucun justificatif relatif à leurs revenus et à l’état de leur patrimoine.
Ainsi, les époux [J] n’établissent pas la disproportion de leurs engagements avec leurs ressources et biens au moment de leur souscription. Ils n’établissent pas plus un manquement de la banque alors qu’il ne ressort pas des pièces communiquées une ou des anomalies apparentes affectant la fiche de renseignements qu’ils ont remplie en avril 2010 et mai 2011.
Ainsi, aucune disproportion manifeste n’étant retenue au jour de la souscription des engagements, il n’y a pas lieu, subséquemment, de vérifier la situation des cautions au jour de l’appel en garantie étant néanmoins remarqué qu’ils n’ont remis, pour préciser leur situation financière et sur la période 2004-2020 que l’avis de situation déclarative 2020 portant leur déclaration de revenus pour l’année 2019 mais déclaré des revenus mensuels d’environ 2.000 euros et la propriété de leur résidence principale d’une valeur de 208.000 euros (patrimoine net 150.000 euros).
Aussi, leurs engagements de caution objets du litige leur sont opposables.
Sur le devoir de conseil et de mise en garde de la banque :
– Sur la prescription :
Selon l’article 1134 du code civil, dans sa version en vigueur au jour de la conclusion des contrats, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
Conformément aux articles 2288 et suivants du même code, celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation si le débiteur n’y satisfait pas lui-même. Le cautionnement ne se présume point. Il doit être exprès et on ne peut l’étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté.
En l’espèce, les appelants soutiennent que c’est à tort que le premier jugement a fait droit aux prétentions de la banque et a retenu la prescription de leur action en responsabilité contractuelle.
Ils affirment en effet que le délai pour agir sur ce fondement n’a pas commencé à courir le jour de la souscription de leur engagement mais au jour où l’accumulation des prêts bancaires a entraîné des difficultés de remboursement et plus particulièrement au jour de la délivrance de l’assignation dont ils ont fait l’objet, soit le 15 mars 2019.
A l’inverse, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne maintient que la prescription quinquennale de l’action en responsabilité contractuelle des époux [J] à raison de manquements éventuels à ses obligations a couru à compter de l’octroi de chacun des crédits de telle sorte qu’ils ne peuvent plus lui opposer un quelconque manquement à ses obligations.
En droit, aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Il est constant que le délai de prescription de l’action de la caution en responsabilité est de cinq ans à compter du jour où elle a su, par la mise en demeure qui lui a été adressée, que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal.
Les concernant, Monsieur et Madame [J], es qualités de caution, ont été destinataires d’une mise en demeure du 20 août 2018 d’avoir à effectuer le règlement, dans le délai de 15 jours, des sommes impayées dont le règlement est poursuivi et qu’à défaut de paiement dans ce délai, la déchéance du terme serait appliquée.
Puis, par acte du 15 mars 2019, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne les a assignés devant le tribunal de commerce de Tarbes.
En conséquence, les époux [J] ne peuvent se voir opposer la prescription des moyens de défense qu’ils opposent à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne.
– Sur le bien fondé de la demande :
Les appelants sollicitent l’octroi de dommages-intérêts reprochant à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne de ne pas avoir respecté son obligation de conseil, en vérifiant leur solvabilité, et son obligation de mise en garde contre les risques qu’ils encourraient eu égard aux montants pour lesquels ils se sont portés cautions alors même qu’ils n’étaient pas avertis.
Ils affirment que les manquements de la banque à ses obligations doivent être sanctionnés par sa condamnation à des dommages et intérêts pour perte de la chance de ne pas contracter de tels engagements.
Le prêteur soutient n’avoir commis aucune faute à l’occasion de l’octroi des crédits, les prêts comme les engagements des cautions étant proportionnés aux capacités financières de l’empruntrice et aux leurs.
L’obligation de conseil du banquier ne se confond pas avec l’obligation de mise en garde de la caution. En effet, l’obligation de conseil trouve ses limites dans l’interdiction de s’immiscer dans les affaires d’autrui et il n’incombe pas au prêteur de vérifier l’opportunité économique de l’opération financée.
En l’espèce, les époux [J] n’indiquent pas les raisons de la déconfiture de la SARL Occitania qui était à jour du remboursement de ses prêts à la date de son placement en redressement judiciaire, le 28 octobre 2014. Ils ne précisent pas plus la situation de la SARL Edelweiss. Ceci alors même que les prêts octroyés avaient notamment pour objet de permettre la réalisation de travaux et d’acquérir un véhicule destiné au bon fonctionnement de l’hôtel restaurant qu’ils géraient.
Dans ces conditions, ils ne rapportent pas la preuve d’un manquement de la banque à son obligation de conseil.
Quant à son devoir de mise en garde des cautions, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne affirme que les appelants ne rapportent pas la preuve d’un manquement de sa part. Elle précise en outre que la SARL Occitania avait souscrit un prêt le 30 décembre 2003 de 219.530 euros remboursables par 84 mensualités de 3.020,97 euros dont elle assurait le parfait remboursement et ajoute que la vente de la maison secondaire était destinée à financer un des deux prêts personnels octroyés le 22 octobre 2010.
Or, le banquier dispensateur de crédit est tenu, à l’égard de la caution, lorsqu’elle est non avertie, d’une obligation de mise en garde sur le risque d’endettement excessif, lequel s’apprécie au jour de la conclusion du contrat à partir des capacités financières de la caution qui comprennent son patrimoine et ses revenus.
Or, pour apprécier la qualité de caution avertie ou non du co-contractant, il doit notamment être pris en compte sa connaissance du monde des affaires, les expériences professionnelles, la fréquence de ses opérations financières et du recours au crédit et le montant de l’emprunt cautionné.
En l’espèce, une telle obligation n’a pas fait l’objet de dispositions contractuelles spécifiques et Monsieur et Madame [J] ayant contracté les engagements objets du litige dans le cadre de leur activité professionnelle et pour les besoins de celle-ci, dans le cadre de prêts successifs, ils ne peuvent être considérés comme des cautions non-averties en ce qu’ils étaient en mesure de prendre conscience du risque encouru au moment de la souscription des contrats.
En effet, Monsieur [J] était le gérant de la SARL Occitania constituée le 10 décembre 2003 avec son épouse.
Madame [J] était la gérante de la SARL Edelweiss constituée le 27 avril 2011 avec son époux ainsi que de la SCI [J] immatriculée le 16 février 2010.
D’ailleurs, ils ne soutiennent pas que leurs compétences ou expériences les rendaient inaptes à comprendre la portée de leurs engagements mais seulement que leur situation financière et patrimoniale, dont il n’ont pourtant pas justifié sur la période contemporaine à la souscription de chacun des prêts, présentait un risque d’endettement excessif et qu’il appartenait à la banque de ne pas octroyer des prêts sollicités.
En conséquence, la demande de dommages et intérêts des époux [J] fondée sur un manquement de la banque à ses obligations sera en conséquence rejetée qu’elle ait été formulée à titre principal ou subsidiaire.
Sur l’obligation d’information due aux cautions :
Sur le fondement de l’article L. 313-22 du code monétaire et financier, les époux [J] prétendent à la déchéance des intérêts échus pour les prêts litigieux au motif que la banque ne démontre pas, comme il lui appartient de le faire, de ce qu’elle a effectivement et certainement donné l’information annuelle qui leur est due ainsi que celle les avisant, dès le premier incident de paiement de l’empruntrice, de sa défaillance et que ces informations ont bien été reçues par eux.
La Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne conclut à la confirmation du jugement et au rejet de cette prétention soutenant avoir adressé à Monsieur comme à Madame [J] les informations qui leur étaient dues pour les années 2010 à 2019.
Elle produit un ensemble de correspondances intitulées information des cautions relatif à cette période.
En droit, il résulte des dispositions de l’article L. 341-6 du code de la consommation (applicable du 05/02/2004 au 01/07/2016) et de l’article L. 313-22 du code monétaire et financier (applicable du 11/12/2016 au 01/01/2022), que les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l’engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.
Le défaut d’accomplissement de la formalité prévue à l’alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l’établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts conventionnels échus depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l’établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.
Il appartient à la banque de démontrer qu’elle a satisfait à cette obligation et la production de copies de courriers adressés aux cautions n’est pas suffisante à rapporter la preuve qu’elle a satisfait à son obligation d’information à défaut d’être en mesure de rapporter la preuve qu’elle a réellement envoyé lesdites lettres pour chaque année.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il n’a pas prononcé la déchéance du droit aux intérêts conventionnels de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne et ce à compter du 31 mars de l’année suivant la souscription de chacun des crédits dont elle poursuit le paiement, date à laquelle aurait dû intervenir la première information.
Toutefois, les éléments versés aux débats ne permettent pas à la cour d’évaluer la créance de la banque compte tenu de ce qui précède, il convient en conséquence de rouvrir les débats en demandant à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne de produire un décompte de sa créance pour chaque prêt cautionné tenant compte de la déchéance du droit aux intérêts conventionnels prononcée et mentionnant le capital restant dû.
Sur les autres demandes :
Il convient de réserver la décision sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile jusqu’à la fin de l’instance.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a prononcé le principe de la condamnation solidaire de [N] [J] et [S] [T] épouse [J],ès qualités de caution, à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne des sommes au titre des prêts souscrits par la SARL Occitania les 09 décembre 2004, le 04 juillet 2006, le 29 avril 2010 et 06 mai 2011
et, statuant à nouveau,
Déclare recevable l’action de [N] [J] et [S] [T] épouse [J] fondée sur la disproportion de leur engagement ès qualités de caution et le défaut d’information et de mise en garde de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne
Rejette la demande formée par [N] [J] et [S] [T] épouse [J] ès qualités tendant à voir priver d’effet l’engagement des cautions au motif de la disproportion manifeste de leurs engagements respectifs,
Déboute [N] [J] et [S] [T] épouse [J] de leur demande de dommages et intérêts pour manquement de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne à son devoir de conseil et de mise en garde,
Prononce la déchéance de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne de son droit aux intérêts contractuels à l’égard de [N] [J] et [S] [T] épouse [J] ès qualité pour non-respect de son obligation d’information annuelle de la caution à compter du 31 mars de l’année suivant la souscription de chacun des crédits ;
Avant-dire droit, sur le montant de la créance de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne à l’égard de [N] [J] et [S] [T] épouse [J] au titre de chacun de leurs engagements de caution souscrits les 09 décembre 2004, le 04 juillet 2006, le 29 avril 2010 et 06 mai 2011 ;
Ordonne la réouverture des débats à l’audience du 27 avril 2023 à 14 heures,
afin de permettre à la banque de produire un nouveau décompte de ses créances tenant compte de la déchéance du droit aux intérêts contractuels prononcée et mentionnant le capital restant dû après imputation des paiements effectués sur le principal de la dette conformément à l’article L. 341-6 du code de la consommation devenu L. 313-22 du code monétaire et financier
Réserve les autres demandes ;
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Philippe DARRACQ, conseiller faisant fonction de Président et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l’article 456 du Code de Procédure Civile.
La Greffière, Le Président,