27 avril 2023
Cour d’appel de Chambéry
RG n°
22/00907
COUR D’APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 27 Avril 2023
N° RG 22/00907 – N° Portalis DBVY-V-B7G-G72W
Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge de l’exécution d’ANNECY en date du 10 Mai 2022, RG 21/01858
Appelant
M. [F] [B]
né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 6] (73), demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Virginie MANTELLO, avocat au barreau D’ALBERTVILLE
Intimée
Mme [L] [H]
née le [Date naissance 3] 1944 à [Localité 5] (ALGERIE), demeurant [Adresse 4]
Représentée par Me El hem SELINI, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SCP MBC AVOCATS, avocat plaidant au barreau de GRENOBLE
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue le 21 février 2023 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
– Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
– Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
– Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par requête du 30 juillet 2021, Mme [L] [H] a saisi le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Annecy d’une demande de saisie des rémunérations de M. [F] [B] pour la somme totale de 140.660,48 euros décomposés comme suit :
– principal : 108.931,66 euros
– frais : 1.530,72 euros
– intérêts échus : 30.198,10 euros.
M. [B] a soulevé une contestation devant le juge de l’exécution, tenant à la prescription du titre de créance de Mme [H].
Par jugement contradictoire rendu le 10 mai 2022, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Annecy a :
débouté M. [B] de son moyen relatif à la prescription,
fait droit à la demande de Mme [H] aux fins de saisie des rémunérations de M. [B] pour les sommes suivantes :
– principal : 108.931,66 euros
– frais : 1.530,72 euros
– intérêts échus : 30.198,10 euros
soit un total de 140.473,38 euros,
rejeté les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile,
débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
condamné M. [B] aux entiers dépens.
Par déclaration du 23 mai 2022, M. [B] a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées le 14 juillet 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, M. [B] demande en dernier lieu à la cour de:
Vu l’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution,
Vu les dispositions des articles 1347 et suivants du code civil,
Vu l’article 26 de la loi du 17 juin 2008,
réformer le jugement intervenu en ce qu’il a :
– débouté M. [B] de son moyen relatif à la prescription,
– fait droit à la demande de Mme [H] aux fins de saisie des rémunérations de M. [B] pour les sommes suivantes :
‘ principal : 108.931,66 euros
‘ frais : 1.530,72 euros
‘ intérêts échus : 30.198,10 euros
soit un total de 140.473,38 euros,
– rejeté sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau :
juger que les dispositions de la loi du 17 juin 2008 qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions en cours au jour de l’entrée en vigueur de ladite loi,
juger que pour une décision rendue le 27 novembre 2007, le délai de prescription de 30 ans a été réduit à 10 ans par l’effet immédiat de la loi du 17 juin 2008,
juger que le délai de prescription s’est achevé le 18 juin 2018, soit 10 années de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle,
juger que les conditions légales de la compensation ne sont pas réunies,
juger qu’il n’existe aucune reconnaissance de dette de la part de M. [B],
juger l’absence de toute cause d’interruption de la prescription,
juger prescrite la procédure d’exécution forcée engagée par Mme [H] concernant l’exécution du jugement rendu par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Chambéry en date du 27 novembre 2007,
par conséquent, débouter Mme [H] de sa demande de saisie des rémunérations de M. [B],
juger que les termes du jugement rendu le 27 novembre 2007 s’opposent à une exécution forcée de la prestation compensatoire avant le règlement de la question des intérêts patrimoniaux des époux,
débouter le plus fort Mme [H] de sa demande de saisie des rémunérations de M. [B],
annuler la saisie des rémunérations envisagée,
en tout état de cause, accorder à M. [B] les plus larges délais de paiement,
condamner Mme [H] à verser à M. [B] la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Par conclusions notifiées le 29 juillet 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, Mme [H] demande en dernier lieu à la cour de :
Vu l’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution,
Vu l’article 26 de la loi du 17 juin 2008,
dire mal fondé l’appel interjeté par M. [B] à l’encontre du jugement déféré,
en conséquence, confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
– débouté M. [B] de son moyen relatif à la prescription,
– fait droit à la demande de Mme [H] aux fins de saisie des rémunérations de M. [B] pour les sommes suivantes :
‘ principal : 108.931,66 euros
‘ frais : 1.530,72 euros
‘ intérêts échus : 30.198,10 euros
soit un total de 140.473,38 euros,
condamner M. [B] à payer à Mme [H] une somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner le même aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Selini.
L’affaire a été clôturée à la date du 23 janvier 2023 et renvoyée à l’audience du 21 février 2023, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 27 avril 2023.
MOTIFS ET DÉCISION
Sur la prescription
En application de l’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution, l’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long.
Le délai mentionné à l’article 2232 du code civil n’est pas applicable dans le cas prévu au premier alinéa.
L’article 2240 du code civil dispose que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
L’article 2241 du code civil dispose que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
En l’espèce, M. [B] soutient que l’exécution du jugement du 27 novembre 2007, qui l’a condamné au paiement d’une prestation compensatoire au profit de Mme [H], est prescrite depuis le 18 juin 2018 (conformément aux dispositions de la loi du 17 juin 2008 sur la prescription).
Mme [H] soutient pour sa part que la prescription invoquée n’est pas acquise puisqu’elle a été interrompue par les décisions successives intervenues dans le litige opposant les ex-époux quant à la liquidation du régime matrimonial, ces décisions prenant en compte la créance de prestation compensatoire de Mme [H]. La dernière décision rendue étant l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble du 30 janvier 2019, aucune prescription ne serait acquise.
Il résulte des pièces produites aux débats que le jugement de divorce rendu le 27 novembre 2007 a notamment condamné M. [B] à payer à Mme [H] la somme de 100.000 euros à titre de prestation compensatoire et a «dit que cette prestation compensatoire pourra être payée sur la part revenant à M. [F] [B] dans la liquidation du régime matrimonial».
Cette décision portait donc en elle-même la possibilité d’un différé de son exécution, ce que l’appelant ne peut sérieusement contester, et dont il a au demeurant profité.
La lecture des décisions postérieures, portant sur la liquidation du régime matrimonial, révèle que la prestation compensatoire due à Mme [H] a alors été prise en compte dans les comptes à faire entre les parties. Ainsi :
– le jugement du tribunal de grande instance de Chambéry du 22 juillet 2013 a notamment dit que Mme [H] est créancière d’une somme de 192.006,82 euros incluant la prestation compensatoire, et renvoyé les parties devant le notaire désigné pour établir l’acte de partage,
– l’arrêt de la cour d’appel de Chambéry du 16 décembre 2014, rendu sur appel du jugement précédent, a fixé la créance personnelle de Mme [H] à la somme de 173.312,45 euros, comprenant la prestation compensatoire, et cet arrêt a condamné M. [B] à payer à Mme [H] une somme totale de 182.689,45 euros au titre du solde lui revenant après compte entre les parties,
– cet arrêt a été cassé et annulé notamment sur cette disposition par arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 13 juillet 2016 (cassation intervenue sur la compensation à laquelle il a été procédé),
– sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Grenoble, par arrêt aujourd’hui définitif, en date du 30 janvier 2019, a notamment dit que les intérêts moratoires affectant la créance de la prestation compensatoire de Mme [H] courent à compter du 20 mars 2008, outre capitalisation, et a renvoyé les parties devant le notaire pour la poursuite des opérations de partage.
Au cours de ces différentes procédures, M. [B] n’a jamais contesté devoir la prestation compensatoire, ce qu’il ne pouvait faire au demeurant, le jugement du 27 novembre 2007 étant définitif, et il a continuellement reconnu le droit de Mme [H] à cette prestation résultant du jugement précité, la discussion ayant alors porté sur le cours des intérêts de retard dus sur la somme de 100.000 euros et leur capitalisation. Ceci est encore vrai dans le dernier état de la procédure devant la cour d’appel de Grenoble.
De ce seul fait, la prescription de l’exécution du jugement du 27 novembre 2007 a été interrompue par cette reconnaissance réitérée.
En outre, s’il est exact que seul le jugement du 27 novembre 2007 emporte condamnation définitive et expresse de M. [B] au paiement de la prestation compensatoire, les procédures relatives à la liquidation du régime matrimonial ont notamment porté sur les comptes à faire entre les parties, en y incluant cette prestation compensatoire, toujours impayée par M. [B].
Or, si l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu’ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la deuxième est virtuellement comprise dans la première.
De ce fait, et compte tenu des éléments développés ci-dessus, la prescription de l’exécution du jugement du 27 novembre 2007 a été interrompue par l’action portant sur la liquidation du régime matrimonial des ex-époux, dans laquelle le compte entre les parties a inclus la créance de Mme [H] au titre de la prestation compensatoire, et ce jusqu’à l’arrêt du 30 janvier 2019.
Au demeurant, la cour souligne que M. [B] se contredit dans ses conclusions puisqu’il prétend d’abord que l’exécution du jugement du 27 novembre 2007 serait prescrite en l’absence de toute compensation possible entre la prestation compensatoire et les droits réciproques des parties dans la communauté, pour ensuite soutenir que l’exécution de ce même jugement serait impossible dès lors que celle-ci serait subordonnée à la liquidation du régime matrimonial laquelle n’est toujours pas intervenue, ce qui revient à dire que l’exécution ne pourrait être prescrite.
Aussi, c’est à juste titre que le premier juge a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’exécution du jugement du 27 novembre 2007.
Sur la possibilité d’exécution du jugement du 27 novembre 2007
Ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, M. [B] prétend que l’exécution du jugement précité serait impossible dès lors que celle-ci devrait intervenir dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, laquelle n’est toujours pas achevée.
Toutefois, il convient de rappeler que le jugement du 27 novembre 2007 n’a pas imposé aux parties que le paiement de la prestation compensatoire intervienne par compte entre elles dans le cadre de cette liquidation, mais seulement que ce paiement pourrait être effectué de la sorte. Une telle formulation ne peut être analysée comme des délais de paiement accordés au débiteur suspendant l’exigibilité de la créance, dès lors que les conditions prévues par l’article 1244-1 ancien du code civil, alors applicable (devenu l’article 1343-5), ne sont à l’évidence pas remplies.
Ce jugement constitue donc un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible au sens des articles L. 111-2 et L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution.
Aussi, Mme [H] est bien fondée à en poursuivre l’exécution forcée, étant rappelé qu’elle a amplement respecté la possibilité offerte à M. [B] par le jugement du 27 novembre 2007 d’attendre le compte à faire entre eux, ayant patienté plus de 13 ans avant d’engager une mesure d’exécution.
Aussi, c’est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a retenu que la faculté offerte par le jugement de 2007 ne fait pas obstacle à la mise en oeuvre par la créancière de mesures d’exécution, sauf à permettre à M. [B] de différer indéfiniment le règlement de sa dette.
Sur la demande de délais de paiement
M. [B] sollicite subsidiairement des délais de paiement en exposant que sa situation s’oppose à toute exécution forcée de la décision et en invoquant ses revenus et ses charges actuels.
Toutefois, et ainsi que l’a justement relevé le premier juge, le caractère mixte, indemnitaire et alimentaire, de la prestation compensatoire, fait obstacle à l’octroi au débiteur de délais de paiement, conformément aux dispositions de l’article 1343-5 du code civil.
En outre, M. [B] admet n’avoir pas payé la moindre somme au titre de la prestation compensatoire depuis le jugement rendu le 27 novembre 2007, de sorte qu’il a déjà amplement bénéficié de très longs délais sans procéder au paiement. A cet égard, il importe peu de savoir à qui incombe le non-aboutissement de la liquidation du régime matrimonial, laquelle est indépendante du paiement de la prestation compensatoire.
Le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions, les montants retenus pour la saisie des rémunérations n’étant pas discutés.
Sur les mesures accessoires
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [H] la totalité des frais exposés en appel, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [B], qui succombe en son appel, en supportera les entiers dépens, avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me El Hem Selini, avocat.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Annecy le 10 mai 2022,
Y ajoutant,
Condamne M. [F] [B] à payer à Mme [L] [H] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [F] [B] aux entiers dépens de l’appel, avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me El Hem Selini, avocat.
Ainsi prononcé publiquement le 27 avril 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente