Prêt entre particuliers : 24 juillet 2023 Cour d’appel de Basse-Terre RG n° 22/00025

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Prêt entre particuliers : 24 juillet 2023 Cour d’appel de Basse-Terre RG n° 22/00025
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24 juillet 2023
Cour d’appel de Basse-Terre
RG n°
22/00025

COUR D’APPEL DE BASSE-TERRE

2ème CHAMBRE CIVILE

ARRÊT N° 351 DU 24 JUILLET 2023

N° RG 22/00025

N° Portalis DBV7-V-B7G-DMQM

Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, en date du 18 novembre 2021, dans une instance enregistrée sous le n° 18/01766.

APPELANTE :

S.C.I. Privalis

Prise en la personne de son gérant Monsieur [D] [G] [P]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Maître Christelle Reyno, avocate au barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy.

INTIMES :

Madame [M] [V] [S] [C] [X]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Maître Hugues Joachim, de la SELARL J – F – M, avocat au barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy.

Madame [B] [U] [Z] [X]

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentée par Maître Hugues Joachim, de la SELARL J – F – M, avocat au barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy.

Monsieur [H] [W] [X]

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représenté par Maître Hugues Joachim, de la SELARL J – F – M, avocat au barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy.

Madame [E] [R] [X] épouse [O]

[Adresse 10]

[Localité 6]

Représentée par Maître Hugues Joachim, de la SELARL J – F – M, avocat au barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy.

Monsieur [N] [A] [X]

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représenté par Maître Hugues Joachim, de la SELARL J – F – M, avocat au barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy.

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 13 mars 2023 devant Madame Annabelle Clédat et M. Frank Robail, magistrats chargés du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposé.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries devant la cour composé de :

Monsieur Frank Robail, président de chambre,

Madame Annabelle Clédat, conseillère,

Monsieur Thomas Habu Groud, conseiller,

qui en ont délibéré.

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait rendu par sa mise à disposition au greffe de la cour le 22 mai 2023. Elles ont été avisées de la prorogation de ce délibéré à ce jour en raison de l’absence d’un greffier et d’une surcharge des magistrats.

GREFFIER

– lors des débats : Madame Sonia Vicino

– lors du prononcé : Mme Armélida Rayapin.

ARRÊT :

– Contradictoire, prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

– Signé par M. Frank Robail et par Mme Armélida Rayapin, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Par acte sous seing privé en date du 31 mai 1999, [H] [X], bailleur, a conclu avec la SCI Privalis, locataire, un bail à titre précaire pour une durée de 18 mois portant sur un immeuble cadastré AN [Cadastre 5] lieudit [Adresse 9] à [Localité 7] pour un loyer annuel de 120 000 francs TTC, soit 1524,49 euros par mois.

Le bail précisait que les lieux loués étaient exclusivement destinés à la création et à l’entretien d’un centre d’affaires destiné aux sociétés commerciales, entrepreneurs individuels et professions libérales désirant s’établir en zone franche.

Ce bail était assorti d’une promesse synallagmatique de vente à échéance au plus tard du 3 novembre 2000.

La vente n’a pas eu lieu et le bail a été poursuivi au-delà de la durée dérogatoire de 18 mois, sous la forme d’un bail commercial.

Le 13 août 2002, [H] [X] est décédé, laissant pour lui succéder Mme [M] [C] veuve [X], Mme [B] [X], M. [H] [X], Mme [E] [X] épouse [O] et M. [N] [X].

Le 7 avril 2014, sur la base d’un constat d’huissier réalisé le 4 avril 2014, la SCI Privalis a demandé à ses bailleurs de réaliser des travaux.

Par assignation en référé du 4 juin 2014, la SCI Privalis a sollicité une expertise.

Par assignation en référé du 5 août 2014, les héritiers de [H] [X] ont sollicité la condamnation du locataire à leur payer la somme de 91.500 euros de loyers à titre provisionnel.

Les deux instances ont été jointes et une expertise a été ordonnée. Le rapport d’expertise définitif a été déposé le 16 avril 2016.

Par assignation en date du 21 juin 2018, Mme [M] [C] veuve [X], Mme [B] [X], M. [H] [X], Mme [E] [X] épouse [O] et M. [N] [X] ont assigné la SCI Privalis devant le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre en demandant dans leurs dernières écritures à la juridiction de :

– les dire et juger recevables et bien fondés en leurs demandes,

– rejeter le moyen de la SCI Privalis aux fins de prescription de la créance de loyer,

– condamner la SCI Privalis à leur payer la somme de 201 300 euros,

– prononcer la résiliation du bail et ordonner l’expulsion de la SCI Privalis en sa personne, ses biens et meubles et de tous occupants de son chef à compter de la signification du jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 3 000 euros par jour à compter de ladite signification et pour une durée d’un moins,

– dire et juger qu’ils pourront procéder à l’expulsion de la SCI Privalis et des occupants de son chef des lieux avec le concours d’un huissier et de la force publique s’il échet,

– fixer l’indemnité d’occupation à payer par la SCI Privalis à la somme de 3.000 euros mensuels à compter de la signification du jugement à intervenir et ce jusqu’à la libération effective des lieux,

– condamner la SCI Privalis à leur payer la somme de 82.424 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis en raison de l’inexécution contractuelle résultant du non-paiement des loyers,

– débouter la SCI Privalis de l’intégralité de ses demandes,

– débouter la SCI Privalis de sa demande de condamnation à lui payer la somme de 310.404,84 euros correspondant au montant des travaux à engager par eux,

– débouter la SCI Privalis de sa demande de condamnation à lui payer la somme de 142.539,81 euros et de sa demande de suspension du paiement des loyers,

– condamner la SCI Privalis à leur verser la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– prononcer l’exécution provisoire de la décision à intervenir

Par jugement du 18 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre a :

– dit que la créance de Mme [M] [C] veuve [X], Mme [B] [X], M. [H] [X], Mme [E] [X] épouse [O] et M. [N] [X] à l’égard de la SCI Privalis n’est pas prescrite,

– débouté la SCI Privalis de son exception d’inexécution,

– condamné la SCI Privalis à payer à Mme [M] [C] veuve [X], Mme [B] [X], M. [H] [X], Mme [E] [X] épouse [O] et M. [N] [X] la somme de 201 232,68 euros au titre des loyers impayés suivant décompte arrêté au 1er août 2020,

– prononcé la résiliation du bail,

– ordonné l’expulsion de la SCI Privalis en sa personne, ses biens et meubles et de tous occupants de son chef à compter de la signification du jugement à intervenir et dit qu’elle pourra être poursuivie, en tant que de besoin avec le concours de la force publique, à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la délivrance d’un commandement d’avoir à quitter les lieux,

– dit n’y avoir lieu à astreinte,

– fixé l’indemnité d’occupation à payer par la SCI Privalis à la somme de 1524,49 euros par mois, et ce jusqu’à la libération effective des lieux,

– débouté Mme [M] [C] veuve [X], Mme [B] [X], M. [H] [X], Mme [E] [X] épouse [O] et M. [N] [X] de leur demande de dommages et intérêts,

– débouté la SCI Privalis de sa demande de dommages et intérêts,

– débouté la SCI Privalis de sa demande de compensation,

– débouté la SCI Privalis de sa demande de condamnation de Mme [M] [C] veuve [X], Mme [B] [X], M. [H] [X], Mme [E] [X] épouse [O] et M. [N] [X] à effectuer des travaux,

– débouté la SCI Privalis de sa demande de suspension du paiement des loyers,

– condamné la SCI Privalis à payer à Mme [M] [C] veuve [X], Mme [B] [X], M. [H] [X], Mme [E] [X] épouse [O] et M. [N] [X] la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la SCI Privalis aux dépens,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision.

La SCI Privalis a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 12 janvier 2022, en visant expressément tous les chefs du dispositif du jugement entrepris.

Cet appel a été orienté à la mise en état et, le 3 mars 2022, le greffe a donné avis à la SCI Privalis de faire signifier la déclaration d’appel aux intimés.

Mme [M] [C] veuve [X], Mme [B] [X], M. [H] [X], Mme [E] [X] épouse [O] et M. [N] [X] ont remis au greffe leur constitution d’intimés par voie électronique le 22 mars 2023.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 16 janvier 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 13 mars 2023, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 22 mai 2023. Les parties ont ensuite été informées de la prorogation du délibéré à ce jour en raison de l’absence d’un greffier.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

1/ La SCI Privalis, appelante :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 18 novembre 2022 par lesquelles la SCI Privalis demande à la cour de :

– dire et juger qu’elle est recevable et bien fondée en son appel,

– infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

Jugeant à nouveau :

– juger que la demande en paiement des loyers des consorts [X] est prescrite pour une durée de 31 mois, du fait, d’une part, de la reprise du cours de la prescription quinquennale après le dépôt du rapport d’expertise et, d’autre part, de l’absence de reconnaissance de dette de sa part,

– juger que la SCI Privalis est fondée à se prévaloir d’une exception d’inexécution compte tenu de l’impossibilité totale pour elle d’utiliser les locaux loués à défaut d’entreprendre elle-même des travaux,

En conséquence,

– débouter les consorts [X] de leur demande de paiement de la somme de 201.300 euros au titre des loyers impayés,

– débouter les consorts [X] de leur demande de résiliation du bail en date du 31 mai 1999,

– condamner solidairement les consorts [X] à lui payer la somme de 283.490 euros à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2014,

– condamner solidairement les consorts [X] à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

2/ Les consorts [X], intimés :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 29 septembre 2022 par lesquelles Mme [M] [C] veuve [X], Mme [B] [X], M. [H] [X], Mme [E] [X] épouse [O] et M. [N] [X] demandent à la cour de :

– déclarer la SCI Privalis mal fondée en ses moyens et en son appel et de la débouter de l’intégralité de ses demandes,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

– dit que leur créance à l’égard de la SCI Privalis n’est pas prescrite,

– débouté la SCI Privalis de son exception d’inexécution,

– condamné la SCI Privalis à leur payer la somme de 201 232,68 euros au titre des loyers impayés suivant décompte arrêté au 1er août 2020,

– prononcé la résiliation du bail commercial liant les parties à compter du 1er décembre 2000,

– ordonné l’expulsion de la SCI Privalis en sa personne, ses biens et ses meubles et de tous occupants de son chef à compter de la signification du jugement à intervenir et de tous occupants de leur chef et dit qu’elle pourra être poursuivie, en tant que de besoin avec le concours de la force publique, à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la délivrance d’un commandement d’avoir à quitter les lieux,

– fixé l’indemnité d’occupation à payer par la SCI Privalis à la somme de 1524,49 euros par mois, et ce jusqu’à la libération effective des lieux,

– débouté la SCI Privalis de sa demande de dommages et intérêts,

– débouté la SCI Privalis de sa demande de compensation,

– débouté la SCI Privalis de sa demande tendant à les voir condamner à effectuer des travaux,

– débouté la SCI Privalis de sa demande de suspension du paiement des loyers,

Statuant à nouveau sur leur appel incident,

– infirmer le jugement en ce qu’il a débouté les héritiers [X] de leur demande de dommages et intérêts,

– condamner la SCI Privalis à leur payer la somme de 120 889 euros au titre des dommages et intérêts,

– condamner la SCI Privalis à leur payer la somme de 8000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des litigants pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur la recevabilité de l’appel

Il convient de constater que l’appel de la société Privalis, interjeté dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Sur la prescription de la demande de loyers

L’article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer.

Selon l’article 2240 du même code, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.

Enfin, en vertu de l’article 2241, alinéa 1er, du même code, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

En l’espèce, il est constant que la société Privalis a assigné en référé expertise les consorts [X] par assignation en date du 4 juin 2014. Puis, par assignation en référé du 5 août 2014, les consorts [X] ont sollicité le paiement à titre provisionnel des loyers impayés depuis le 9 août 2019.

Par ordonnance en date du 23 janvier 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance Pointe-à-Pitre a ordonné la jonction des deux procédures, rejeté la demande de provisions pour loyers impayés et ordonné une expertise.

Pour écarter la fin de non-recevoir, soulevée par la société Privalis, fondée sur la prescription des loyers impayés depuis août 2009 jusqu’au 1er août 2020, les premiers juges ont retenu que la créance des intimés d’un montant de 201 232,68 euros n’était pas prescrite à la date de l’assignation au fond le 21 juin 2018 dès lors que le locataire avait reconnu le principe de sa dette dans sa propre assignation en référé en date du 4 juin 2014.

La société appelante soutient que son assignation en référé du 4 juin 2014 ne mentionne à aucun moment l’existence d’une dette envers les consorts [X] et, qu’en introduisant cette procédure, elle réaffirmait ne leur devoir aucune somme compte tenu du fait que le bien mis à disposition ne pouvait aucunement servir à l’usage auquel il était destiné.

Cependant, en invoquant l’exception d’inexécution, la société Privalis n’a pas contesté l’existence de la créance de loyers des intimés mais a invoqué un fait, l’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance, pour refuser de payer sa dette. L’exception d’inexécution suppose nécessairement l’existence d’une créance à l’encontre de celui qui l’invoque.

En outre, contrairement à ses affirmations actuelles, l’appelante indiquait expressément dans son assignation en référé du 4 juin 2014 qu’«eu égard aux nombreuses dépenses que la société Privalis a dû avancer, celle-ci n’a pas été en mesure de payer l’intégralité des loyers qui étaient dus » (assignation, p.3, §4).

Cette reconnaissance de la dette en juin 2014 a entraîné l’interruption de la prescription quinquennale qui courrait à l’égard des loyers impayés et un nouveau délai quinquennal a commencé à courir.

C’est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu que les loyers impayés depuis août 2009 n’étaient pas prescrits à la date de la délivrance de l’assignation au fond des consorts [X], le 21 juin 2018.

Surabondamment, il sera relevé que contrairement à l’argumentation des intimés, c’est tout aussi justement que le jugement déféré a relevé que par son ordonnance du 23 janvier 2015, le juge des référés a rejeté la demande de provision des consorts [X], de sorte que l’interruption de la prescription résultant de l’assignation du 5 août 2014 est non avenue.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a dit que la créance des consorts [X] à l’égard de la SCI Privalis n’est pas prescrite.

Sur l’exception d’inexécution

En vertu d’une jurisprudence constante, il résulte de l’article 1728 du code civil que le preneur ne peut opposer l’exception d’inexécution au commandement de payer les loyers au motif de désordres dans les lieux loués et d’une prétendue créance certaine de travaux, sauf s’il y a impossibilité totale d’utiliser les locaux ou impossibilité pour le bail de remplir l’usage auquel il était destiné.

En l’espèce, au soutien de son exception d’inexécution, la société appelante fait valoir que le bien loué présentait, depuis sa délivrance en 1999, d’importants désordres tant techniques que fonctionnels et que ce sont uniquement les travaux qu’elle a effectués en lieu et place du bailleur qui lui ont permis d’exercer son activité.

Elle produit les attestations de M. [J] [L], de M. [K] [Y] et de M. [I] [T] (pièces n° 24 à 26) qui relatent qu’en 1999, l’immeuble litigieux était vétuste, que des arbres traversaient les murs et que la dalle du sol était défoncée. M. [Y] ajoute que les travaux conséquents ont été réalisés par la SCI Privalis pour remettre en état le bâtiment.

L’appelante invoque également un constat d’huissier non contradictoire en date du 4 avril 2014 qui relève notamment que les façades sont fortement dégradées et présentent de multiples fissures et un rapport d’expertise en date du 2 mars 2015 qui fait également état de diverses dégradations affectant l’immeuble.

Cependant, comme le rappellent les intimés, le locataire ne pourrait invoquer l’exception d’inexécution que si le défaut de réalisation des travaux avait entraîné une impossibilité totale d’utiliser les lieux loués.

Or, il ressort d’un constat d’huissier en date du 13 février 2020, versé aux débats par les consorts [X], que plusieurs plaques professionnelles sont fixées sur la façade côté rue de l’immeuble et qu’un cabinet de kinésithérapie se trouve au rez-de-chaussée. Les plaques en cause sont celles d’un avocat à la cour, d’un infirmier ou encore d’un masseur kinésithérapeute.

De plus, l’huissier a pu constater à travers la porte d’entrée vitrée de l’immeuble le tableau des occupants de l’immeuble :

– Pour le 1er étage, 15 noms sont indiqués ;

– Pour le 2ème étage, 12 noms sont indiqués,

– Pour le 3ème étage, 15 noms sont indiqués ;

En outre, un panneau d’affichage à proximité de l’immeuble indique que la société appelante loue depuis 5 ans des locaux avec services inclus pour un tarif s’étalant de 30 euros à 450 euros.

L’appelante corrobore ces constatations dans ses écritures en indiquant qu’elle exerce dans l’immeuble litigieux une activité consistant à mettre à la disposition de tiers des espaces de travail accompagnés de services et que cette activité est autorisée par le contrat de bail.

Il en découle que les manquements invoqués à l’obligation de délivrance n’ont pas privé le locataire de la jouissance de l’immeuble loué puisqu’elle a pu y exercer une activité lucrative de sorte que la mise en ‘uvre de l’exception d’inexécution n’est pas justifiée.

L’argument de l’appelante, selon lequel son activité n’a pu advenir qu’après qu’elle a réalisé des travaux, est inopérant dans l’appréciation du caractère justifié de l’exception d’inexécution dès lors qu’il est établi, comme c’est le cas en l’espèce, que le locataire n’a pas été dans l’impossibilité totale d’utiliser les locaux.

Il en est d’autant plus ainsi que, comme l’a relevé le premier juge, quatre locaux loués à 450 euros permettent à la SCI Privalis de payer le loyer de 1524,49 euros et pas moins de quatre plaques de professions réglementées sont posées sur la façade de l’immeuble.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a débouté la SCI Privalis de son exception d’inexécution.

Sur la demande de résiliation du bail

L’article 1184 du code civil, dans rédaction antérieure à l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, dispose que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

En vertu de l’article 1728 du code civil, le preneur est tenu de deux obligations principales :

– user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d’après les circonstances, à défaut de convention;

– payer le prix du bail aux termes convenus.

En outre, il est constant que le cocontractant qui agit en résolution d’un contrat synallagmatique en invoquant l’inexécution par l’autre partie de ses obligations n’a pas à la mettre en demeure.

De plus, l’article 1721 du code civil énonce que le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer.

Il est constant que l’existence d’un bail implique la jouissance personnelle et exclusive d’un immeuble ou local.

Par ailleurs, si le preneur est en possession du bail au-delà de l’échéance du bail dérogatoire, et en l’absence d’opposition du bailleur dans le mois suivant, le bail dérogatoire est automatiquement converti en un nouveau bail, soumis aux mêmes conditions que le précédent mais également à l’ensemble des dispositions du statut des baux commerciaux.

Enfin, l’article L. 145-31 du code de commerce dispose que sauf stipulation contraire au bail ou accord du bailleur, toute sous-location totale ou partielle est interdite.

Au cas présent, pour prononcer la résiliation du contrat de bail litigieux, le jugement déféré a retenu que le locataire avait non seulement méconnu son obligation de payer le loyer, l’exception d’inexécution n’étant pas justifiée, mais aussi qu’il avait sous-loué les locaux sans autorisation du propriétaire.

La société appelante, qui persiste à hauteur d’appel, à invoquer l’exception d’inexécution, n’articule aucun moyen contestant la résiliation du bail en raison du défaut de paiement des loyers depuis 2009.

Or, il est constant que le locataire avait cessé de payer le loyer mensuel de 1524,49 euros depuis 9 ans à la date de l’assignation aux fins de résiliation du 21 juin 2018.

Cette inexécution de l’obligation de payer le prix aux termes convenus suffit à elle seule à justifier la résiliation judiciaire du bail litigieux.

Ce n’est donc que surabondamment que sera examiné le second motif de résiliation retenu par le jugement déféré à savoir la sous-location sans autorisation du bien.

Il convient de rappeler que, par acte sous seing privé en date du 31 mai 1999, la société Privalis a loué les locaux dans le cadre d’un bail dérogatoire d’une durée de 18 mois qui s’est poursuivi à son échéance en tant que bail soumis au statut des baux commerciaux.

Certes, le bail dérogatoire stipule sous la rubrique « cession ‘ sous-location » que « compte tenu de la promesse synallagmatique de vente contenue dans le présent bail, le propriétaire autorise l’occupant à procéder à des sous-locations partielles du bien loué, à la condition de n’avoir à connaître que l’occupant qui demeure seul responsable du versement du loyer et du respect des clauses des présentes ».

Cette clause est inapplicable en l’espèce, car, comme le font justement valoir les intimés, sans être contestés, elle était liée à la promesse synallagmatique de vente dont la validité a expiré le 30 novembre 2000 et, par voie de conséquence, elle est devenue caduque.

Pour échapper à la prohibition de la sous-location énoncée par le statut des baux commerciaux, la société appelante s’efforce de démontrer qu’elle n’a pas méconnu cette interdiction. Elle allègue que le simple affichage de panneau publicitaire aux fins de location ne suffit pas à prouver l’activité de sous-location. Elle soutient que la convention de mise à disposition se distingue de la sous-location en ce qu’elle permet de bénéficier à la fois de locaux, d’équipements, voire de moyens humains à la disposition d’un autre professionnel ou d’une entreprise afin qu’elle puisse exercer son activité. La SCI Privalis affirme qu’elle offre ces services et que la présence de professionnels soumis au secret professionnel n’exclut pas l’activité de mise à disposition. Elle indique que de nombreux anciens clients n’ont pas retiré leurs plaques aux termes de leur contrat de mise à disposition de sorte que le constat d’huissier en date du 13 février 2020 ne distingue pas entre les anciens occupants et ceux qui disposent d’un espace de travail.

Cette argumentation ne peut pas prospérer.

En premier lieu, comme l’ont justement retenu les premiers juges, l’activité des professionnels, notamment ceux ayant une plaque, exerçant des professions réglementées soumises à des secrets professionnels particuliers, sont exclusifs d’un espace de travail en commun ou d’une simple domiciliation. La SCI Privalis ne conteste pas sérieusement cette réalité puisqu’elle indique expressément dans ses écritures que ces professionnels bénéficient, outre de différents services, d’un espace privatif. La convention de mise à disposition telle que décrite par l’appelante confère donc à son bénéficiaire la jouissance personnelle et exclusive de locaux appartenant aux intimés. L’affichage des activités des professionnels corrobore ce constat.

En second lieu, comme le relèvent les intimés, l’appelante ne produit aux débats aucun des contrats conclus avec ses différents clients afin d’établir les prestations de service dont elle fait état. Plus généralement, elle ne verse aucune pièce permettant de qualifier les relations contractuelles qu’elle a pu nouer avec les différents professionnels recensés par le rapport d’huissier de justice en date du 13 février 2020.

Il est ainsi établi que la société appelante a sous-loué, sans autorisation du bailleur, l’immeuble litigieux. Dès lors, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a prononcé la résiliation du bail et l’expulsion.

Sur la demande de dommages-intérêts de la SCI Privalis

En vertu de l’article 1719-1° du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée.

L’obligation de délivrance consiste à mettre à disposition du locataire le bien loué.

L’article 1720 du même code dispose que le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce. Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.

Sauf urgence, le bailleur ne doit rembourser au preneur les travaux dont il est tenu que s’il a été préalablement mis en demeure de les réaliser et qu’à défaut d’accord, le preneur a obtenu une autorisation judiciaire de se substituer à lui.

Au cas présent, la société appelante soutient que l’immeuble loué présente depuis sa mise à disposition en 1999 d’importants désordres tant techniques que fonctionnels. Il en déduit que le bailleur a violé son obligation de délivrance et a ainsi engagé sa responsabilité.

Elle ajoute que l’état de l’immeuble l’a contrainte à réaliser sur plusieurs années, pour la somme totale à dire d’expert de 283. 490 euros (avis de valeur du 24 janvier 2017), les travaux suivants :

– l’ensemble des cloisons verticales,

– habillage des murs existants et trémies d’escaliers,

– menuiseries vitrées,

– carrelage,

– installation électrique globale,

– plomberie sanitaire,

– climatisation

Bien qu’elle sollicite l’allocation de la somme de 283.490 euros à titre de dommages et intérêts, il convient de relever, comme les premiers juges, que la société Privalis ne prouve pas le préjudice allégué. Pas plus qu’en première instance, elle ne produit des éléments permettant de démontrer l’impact de l’état des locaux sur son activité alors même que la réalité de cette activité est indubitable. Elle ne produit pas non plus les factures des travaux qu’elle affirme avoir réalisés.

Les conditions de la responsabilité du bailleur ne sont donc pas réunies.

En outre, l’appelante n’explique pas les raisons pour lesquelles elle aurait réalisé les travaux sans préalablement mettre en demeure le bailleur de le faire ou solliciter l’autorisation judiciaire pour leur réalisation.

Le locataire n’apporte pas plus d’explication sur son accommodement avec la situation, étant précisé qu’il n’a pas pris l’initiative d’une action au fond après le dépôt du rapport d’expertise le 16 avril 2016 et que l’instance ayant abouti au jugement déféré a été introduite par les intimés.

Il ressort de ces constatations que, sous couvert d’une action en responsabilité, l’appelante tente d’obtenir le remboursement des travaux effectués sans avoir préalablement mis en demeure le bailleur de les réaliser et sans autorisation judiciaire.

Par conséquent, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la SCI Privalis.

Sur la demande de dommages-intérêts des consorts [X]

Les consorts [X] sollicitent l’allocation de dommages et intérêts en faisant valoir qu’en raison du défaut de paiement des loyers par le locataire depuis 1999, ils n’ont plus été en mesure de payer la taxe foncière de l’immeuble depuis 2014. Ils produisent un bordereau de situation relatif à la taxe foncière en date du 17 avril 2018 qui fait état d’une dette de 84.424 euros ainsi que les avis de taxe foncière pour les années 2020 et 2021 (d’un montant respectif de 19.391 euros et 19.074 euros).

Cependant, comme l’ont relevé les premiers juges, la taxe foncière est due par les intimés en leur seule qualité de propriétaires, indépendamment des loyers perçus ou non du locataire. Or, ils ne versent aucun élément aux débats permettant d’établir que le passif lié à la taxe foncière est la conséquence directe de l’inexécution de son obligation par la société appelante. En particulier, les intimés ne fournissent aucune information sur l’incidence du non-paiement des loyers sur leurs capacités à payer la taxe foncière. Ils n’établissent donc ni le lien de causalité entre la faute du locataire et le préjudice allégué, ni la réalité de ce préjudice.

Par conséquent, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts des consorts [X].

Sur les dépens

La société Privalis succombe pour l’essentiel tant en première instance qu’en appel, si bien qu’elle devra supporter tous les dépens de ces deux instances et, subséquemment, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il l’a condamnée aux dépens de première instance.

Des considérations d’équité impliquent de confirmer le même jugement en ce qu’il a condamné la même société Privalis à indemniser les consorts [X] de leurs frais irrépétibles de première instance à hauteur de la somme de 3 000 euros, d’une part et, d’autre part, de la condamner cette fois à indemniser les intimés de leurs frais irrépétibles d’appel à hauteur de la somme de 6 000 euros.

La société appelante sera subséquemment déboutée de ses propres demandes au titre des dépens et frais irrépétibles d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevable l’appel de la SCI Privalis,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions déférées,

Y ajoutant,

Condamne la SCI Privalis à supporter la charge des dépens d’appel,

Déboute la SCI Privalis de ses demandes au titre des dépens et frais irrépétibles d’appel,

Condamne la SCI Privalis à payer à Mme [M] [C] veuve [X], Mme [B] [X], M. [H] [X], Mme [E] [X] épouse [O] et M. [N] [X] la somme de 6.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.

Et ont signé,

La greffière Le président

 


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