23 mars 2023
Cour d’appel de Montpellier
RG n°
20/02045
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre civile
ARRET DU 23 MARS 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 20/02045 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OSUT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 13 février 2020 – tribunal judiciaire de Montpellier
N° RG 18/02484
APPELANTE :
S.A. CIFD
Société anonyme à Conseil d’Administration au capital de 124.821.703,00 EUR immatriculée au RCS de PARIS sous le n° B 379 502 644 ayant son siège social [Adresse 4], venant aux droits de la S.A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE MEDITERRANEE, société anonyme à Conseil d’Administration au capital de 78.775.064,00 EUR, immatriculée au RCS de MARSEILLE sous le n° B 391 654 399 ayant son siège social [Adresse 5], en vertu de la fusion par voie de l’absorption à effet du 1er décembre 2015 attestée suivant déclaration de régularité et de conformité du 1er décembre 2015 enregistrée au SIE de PARIS (8ème EUROPE-ROME) le 02 décembre 2015 bordereau n° 2015/4 013 case n° 51, ladite S.A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE MEDITERRANEE, anciennement dénommée CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE – SUD, venant elle-même aux droits de la S.A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE – MEDITERRANEE, société anonyme au capital de 52.500.000,00 EUR, inscrite au RCS de MARSEILLE sous le n° B 391 799 764, par suite de la fusion-absorption approuvée suivant procès- verbal d’Assemblée Générale Extraordinaire du 15 décembre 2009, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représentée par Me Jean luc VINCKEL de la SELARL VINCKEL SOCIETE D’AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, et par Me Jean-Christophe STRATIGEAS, avocat au barreau d’AIX EN PROVENCE, avocat plaidant
INTIMES :
Monsieur [O] [W]
né le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 11]
de nationalité Française
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représenté par Me Jean noël SARRAZIN de la SCP TEISSEDRE, SARRAZIN, CHARLES GERVAIS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/008367 du 26/08/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de MONTPELLIER)
Madame [Z] [S]
née le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 10]
Représentée par Me Jean noël SARRAZIN de la SCP TEISSEDRE, SARRAZIN, CHARLES GERVAIS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/008368 du 26/08/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de MONTPELLIER)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 JANVIER 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre
Mme Cécile YOUL-PAILHES, Conseillère
Madame Marianne FEBVRE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Henriane MILOT
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour prévu le 23 février 2023, délibéré prorogé au 09 mars 2023, puis au 23 mars 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Henriane MILOT, Greffier.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Suivant offres du 27 octobre 2011 acceptées le 9 novembre suivant, Monsieur [O] [W] et Madame [Z] [S] ont souscrit deux prêts immobiliers auprès du Crédit Immobilier de France Méditerranée, aux droits duquel se trouve désormais le Crédit Immobilier de France Développement (le CIFD, ci-après), destinés à financer l’acquisition d’une maison d’habitation à usage de résidence principale à [Localité 10] :
– le premier, au taux nominal de 3,90 %, portant sur une somme de 234.500 € remboursable sur 35 ans,
– le second, au taux zéro, pour une somme de 39.600 € remboursable sur 28 ans.
Ces deux prêts étaient assurés par le biais d’un contrat souscrit auprès de la compagnie CNP Assurances garantissant notamment les risques de pertes des revenus de Monsieur [W], lequel a été victime le 15 septembre 2016 d’un accident du travail qui a justifié arrêts de travail puis un avis d’inaptitude à ses fonctions de chauffeur de semi poids lourds suite à un examen unique réalisé par le médecin du travail le 1er juin 2017.
Compte tenu de la chute consécutives de leurs revenus, Monsieur [W] et Madame [S] se sont vus accorder un réaménagement du premier prêt avec un passage à taux fixe et modification du montant des mensualités à compter du 10 novembre 2016, puis un crédit renouvelable à partir du 28 août 2017.
Parallèlement, ils ont été confrontés au refus de l’assureur de prendre en charge les échéances des prêts, la compagnie CNP Assurances invoquant le fait que l’assuré continuait de percevoir des indemnités journalières de la sécurité sociale à concurrence de 80% de son salaire journalier de référence en brut, soit plus de 75% de sa rémunération de base hors heures supplémentaires.
Le 21 mars 2018, le tribunal d’instance de Montpellier a accordé aux emprunteurs un délai de grâce de 2 ans afin de leur permettre de vendre le bien immobilier financé par les deux prêts et de solder ainsi leurs crédits.
Le bien immobilier a été vendu le 16 octobre 2018 pour un prix de 255.000 € et le CIFD qui a reçu la somme de 251.800 € au titre du remboursement anticipé, a affecté cette somme en priorité au remboursement du prêt à taux zéro. Le CIFD s’est alors prévalu d’une créance résiduelle de 6.488,74 € ou, après exonération des indemnités de remboursement, de 3.806,28 € dans un courrier du 13 novembre 2018 puis dans le cadre d’une proposition d’accord transactionnel valant reconnaissance de dette présentée à Monsieur [W] et Madame [S] le 10 janvier 2019, que ces derniers ont refusé de signer.
Parallèlement, et par acte du 23 mai 2018 invoquant un manquement du prêteur à son devoir de mise en garde, les emprunteurs avaient fait assigner le CIFD en paiement de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de ne pas contracter.
Vu le jugement en date du 13 février 2020 par lequel le tribunal judiciaire de Montpellier a, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
– condamné le CIFD à payer à Monsieur [W] et Madame [S] la somme de 84.000 € au titre de la perte de chance de ne pas contracter et à leur restituer la somme de 7.527,71 € au titre du solde résultant du remboursement anticipé des deux prêts,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– condamné le CIFD à payer à la SCP Teissedre Sarrazin Charles-Gervais la somme de 3.000 € en application des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance,
Vu la déclaration d’appel du CIFD en date du 26 mai 2020,
Vu l’appel incident régularisé par Monsieur [W] et Madame [S] dans leurs premières conclusions,
Vu également l’ordonnance du 25 novembre 2020 par laquelle le premier président de la cour d’appel de Montpellier a débouté l’appelant de sa demande de suspension de l’exécution provisoire,
Vu les dernières conclusions remises par voie électronique le 20 janvier 2021 pour le CIFD qui demande à la cour d’infirmer le jugement et, en substance, de :
– à titre principal, dire irrecevable comme prescrite la demande indemnitaire de Monsieur [W] et Madame [S],
– à titre subsidiaire, rejeter cette demande comme étant infondée,
– à titre très subsidiaire, limiter le montant des dommages et intérêts à la somme de 30.000 €,
en tout état de cause,
– déclarer irrecevable et mal fondée la demande indemnitaire relative au crédit renouvelable,
– rejeter la demande de restitution de la somme de 7.527, 71 € correspondant au solde des prêts immobiliers suite à leur remboursement anticipé ainsi que les demandes accessoires présentées par les emprunteurs,
– condamner solidairement ces derniers à lui payer la somme de 3.783,01 € avec intérêts de droit au titre du solde de la créance ainsi qu’une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens de première instance et d’appel avec distraction au profit de son avocat concernant les dépens d’appel,
Vu les dernières conclusions, remises par voie électronique le 3 mai 2021 pour le compte de Monsieur [W] et Madame [S], aux fins de :
– confirmation du jugement entrepris, sauf en ses dispositions ayant rejeté leurs demandes de désinscription du FICP et d’indemnisation au titre du préjudice résultant de la violation par la banque à son devoir de les éclairer sur l’adéquation de l’assurance à leur situation personnelle,
– infirmation partielle du jugement sur ces points et :
– condamnation du CIFD à leur payer les sommes suivantes:
– 9.781, 21 € de dommages et intérêts pour la perte de chance de souscrire une assurance couvrant le risque d’ITT de Monsieur [W],
– 11.838,35 € de dommages et intérêts pour la souscription et le paiement des cotisations d’une assurance inutile,
– 5.000 € de dommages et intérêts pour maintien abusif du fichage au FICP,
– condamnation du CIFD à procéder à leur désincription de ce fichier et d’en justifier dans le délai de deux mois à compter de la décision à intervenir,
– rejet de l’ensemble des demandes du CIFD,
– condamnation de ce dernier au paiement d’une indemnité de 3.000 € à la SCP Teissèdre Sarrazin Charles-Gervais au titre de l’article 37 de la loi sur l’aide juridictionnelle ainsi qu’aux dépens,
Vu l’ordonnance de clôture en date du 13 décembre 2022,
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère au jugement ainsi qu’aux conclusions écrites susvisées.
MOTIFS
Sur la prescription
Au soutien de son appel, le CIFD fait en premier lieu valoir que les demandes de condamnation des emprunteurs à raison de manquements qui lui sont reprochés dans le cadre de la souscription de prêts classiquement amortissables par mensualités et non in fine, se heurtent à la prescription exctinctive de l’action, faute pour cette dernière d’avoir été engagée dans le délai de cinq ans prévus aux articles L.110 du code de commerce et 2224 du code civil courant selon lui à compter de la date de souscription des contrats.
Sans doute cette fin de non recevoir peut-elle être invoquée pour la première fois en cause d’appel, peu important qu’elle n’ait pas été soulevée devant le tribunal.
Cependant et ainsi que l’appelante l’indique elle-même, la prescription d’une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il a été révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance et, par plusieurs arrêts rendus le 5 janvier 2022, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser d’une part que le dommage résultant d’un manquement au devoir de conseil dû à l’assuré sur l’adéquation de la garantie souscrite à ses besoins se réalise au moment du refus de garantie opposé par l’assureur et qu’il résulte de l’article 2224 du code civil que l’action en responsabilité de l’emprunteur non averti à l’encontre du prêteur au titre d’un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement.
Par suite et dans la mesure où Monsieur [W] et Madame [S] ont assumé les remboursements du prêt sans aucune difficulté jusqu’à l’accident du travail survenu le 15 septembre 2016, tandis que l’assureur a refusé sa garantie à une date postérieure, les demandes indemnitaires présentées dans le cadre d’une action en responsabilité civile contractuelle engagée le 23 mai 2018 à l’encontre du CIFD ne se heurtent à aucune prescription.
Sur le manquement du prêteur à son obligation de mise en garde et de conseil
Le CIFD fait en deuxième lieu valoir qu’il ne peut lui être reproché aucun manquement à son obligation de mise en garde à l’égard de Monsieur [W] et Madame [S] alors que ces emprunteurs ont régulièrement remboursé leurs prêts pendant près de cinq ans, du fait notamment des ressources complémentaires du premier consistant en des indemnités de grands déplacement, qu’ils avaient d’ailleurs inclues dans leur déclaration de ressources lorsqu’ils avaient sollicité les crédits. Ils ont par ailleurs justifié de bulletins de salaires faisant état d’heures supplémentaires augmentant encore leurs revenus, si bien qu’il n’était pas tenu d’une obligation de mise en garde. L’appelant ajoute que l’on ne pouvait lui reprocher de ne pas avoir anticipé, lors de la souscription des contrats, l’éventualité de la survenance d’un accident du travail à une date postérieure.
Pour autant, la cour estime que le jugement mérite confirmation en ce que, au termes d’une juste et complète motivation, il a retenu l’existence d’un manquement de la part du prêteur à l’égard des emprunteurs profanes, cela au vu des pièces versées aux débats de part et d’autres, qui démontraient bien que les revenus professionnels mensuels fixes de Monsieur [W] (1.484 €) et de Madame [S] (132 €) ne leur permettaient pas de faire face aux échéances des deux prêts offerts par le CIFD, peu important l’existence de quelques revenus complémentaires (allocations sociales et familiales) et d’indemnités de grands déplacements accordés à Monsieur [W], alors que les prêts les mettaient en situation de surendettement et qu’au premier accident de la vie, cette famille avec quatre enfant a été dans l’impossibilité de faire face. Si le prêteur doit se placer au jour de la souscription du prêt pour apprécier la capacité de remboursement des emprunteurs, il doit aussi dans le cadre de son obligation de mise en garde et de conseil, inviter les intéressés à se projeter face à des difficultés qui ne constituent pas spécialement des cas de force majeure, c’est-à-dire des situations imprévisibles et irrésistibles dont l’accident de travail ne fait pas partie.
Par suite, le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu la responsabilité du CIFD, sans qu’il puisse utilement lui être reproché aucune contradiction de motifs entre le fait de constater que le surendettement était avéré dès l’acceptation de l’offre de prêts le 9 novembre 2011 et le point de départ du délai de prescription de l’action des emprunteurs.
En effet, le prêteur avait l’obligation d’attirer l’attention de ses clients profanes sur les risques encourus du fait d’un endettement excessif au regard de leur situation financière, à savoir leur revenus et leur patrimoine – risque qu’il pouvait aisément percevoir en sa qualité de professionnel averti, alors que tel n’était pas le cas des emprunteurs – .
Or le CIFD ne rapporte nullement la preuve qu’elle a pris le soin d’avertir Monsieur [W] et Madame [S] des risques qui étaient perceptibles au vu des éléments communiqués.
S’agissant du préjudice, le premier juge l’a estimé à 84.000 € au titre de la perte d’une chance pour ces derniers de ne pas contracter les deux prêts litigieux et de l’obligation dans laquelle les emprunteurs se sont trouvés de souscrire un crédit renouvelable de 3.000 € pour pouvoir faire face aux échéances résultant de ces deux premiers.
Les intimés demandent la confirmation du jugement sur ce point en faisant notamment valoir que la perte d’une chance de ne pas contracter pouvait être évaluée à 90% les concernant. De son côté, le CIFD demande à titre infiniement subsidaire à voir limiter ce poste de préjudice à la somme de 30.000 € en sollicitant une une application anticipée de la règle consacrée par la loi n° 2016-351 du 25 mars 2016.
Pour sa part, la cour réformera le jugement sur le quantum de la condamnation qu’elle estime devoir limiter à la somme de 35.000 € au regard de la situation des emprunteurs, du fait qu’ils ont dû souscrire un crédit renouvelable de 3.000 € au taux annuel effectif global de 12,190 %, mais également au vu de la possibilité dont ils ont bénéficié de la possibilité de renégocier le premier prêt pour un taux nominal de 2,16 % contre les 3,90 % initiaux ainsi que d’un report de leurs échéance pendant deux ans par jugement du tribunal d’intance de Sète du 21 mai 2018 constatant l’absence d’opposition du CIFD malgré l’absence de preuve du licenciement pour inaptitude de Monsieur [W].
La cour note que cette preuve n’est toujours pas rapportée et que, même si elle n’a pas été menée dans les meilleurs conditions, la vente du bien immobilier a finalement permis aux emprunteurs de rembourser les prêts litigieux.
Sur la violation du devoir pour le prêteur d’informer les emprunteurs sur l’adéquation de l’assurance souscrite
Monsieur [W] et Madame [S] forment appel incident et demandent l’infirmation du jugement qui les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts liés d’une part à la perte d’une chance de souscrire une assurance garantissant effectivement le risque d’ITT du premier et, d’autre part, au paiement de cotisations d’assurance inutiles, préjudices qu’ils estiment liés au défaut d’éclairage sur l’adéquation entre l’assurance souscrite et leur situation personnelle.
En effet, le banquier qui propose à son client, auquel il consent un prêt, d’adhérer au contrat d’assurance de groupe qu’il a souscrit à l’effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l’exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l’éclairer sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation.
Or en l’espèce, il ressort des explications des parties qu’alors que Monsieur [W] pensait être intégralement couvert par l’assurance groupe ‘DC PTIA ITT AMT’ souscrite, il s’est avéré non couvert du fait que les indemnités journalières versées par la sécurité sociale étaient supérieures au 75% à sa rémunération de base hors heures supplémentaires – et indemnités de déplacement – alors que, de fait, ses revenus avaient été davantage réduits puisqu’il avait effectivement perdu également le bénéfice de ces rémunérations complémentaires. Compte tenu de la faiblesse des revenus de Madame [S] (132 € par mois), le couple avait clairement eu la volonté de se garantir contre une éventuelle perte de revenus de la part de Monsieur [W], ce qui n’était effectivement pas le cas.
Faute de justifier avoir fourni une information sur l’adéquation de l’assurance groupe proposée à la situation du couple, le CIFD doit être condamné à réparer le préjudice ayant résulté pour eux à la fois de la perte d’une chance d’être mieux assurés – notamment par le biais d’une assurance garantissant de manière forfaitaire l’incapacité de travail indépendamment de la perte de revenus – et du paiement de cotisations pour une assurance qui s’est avérée inutile faute de couvrir totalement l’incapacité de travail, mais qui aurait pu l’être dans d’autres circonstances, préjudice que la cour estime pouvoir fixer à la somme de 6.000 €.
Le jugement sera donc réformé en ce sens.
Sur le solde de la créance du prêteur
Le CIFD conclut à l’infirmation du jugement qui l’a condamné à restituer à Monsieur [W] et Madame [S] la somme de 7.527,71 € au titre du solde résultant du remboursement anticipé des deux prêts immobiliers, au rejet de cette demande et, à l’inverse, à la condamnation des emprunteurs à lui payer la somme de 3.783,01 € correspondant à sa créance après affectation de la somme reçue du notaire sur le produit de revente de l’immeuble.
De leur côté, les emprunteurs intimés demandent à la cour de confirmer le jugement sur la restitution par le prêteur de la somme de 7.527,71 € après affectation des fonds résultant de la vente de l’immeuble.
Comme justement constaté par le premier juge, si l’on déduit de la somme de 251.800 € (que les deux parties s’accordent à dire qu’elle a été reçue du notaire sur les 255.000 € correspondant au prix de revente de l’immeuble) les sommes de 33.845,81 € et 210.760,02 € mentionnées par le CIFD comme étant les seules sommes restant dues au titre des deux prêts immobiliers au moment des demandes de remboursement anticipées (décomptes arrêtés à la date du 10 novembre 2018), il reste une différence en faveur des emprunteurs de 7.527,71 €. Et le prêteur qui se réfère à des échéances impayées pour un total de 11.070,26 € dans le cadre du second prêt ne justifie pas de cette créance qui n’est pas mentionnée dans les courriers de proposition de remboursements anticipés ni dans aucun autre courrier ou décompte adressé à l’époque aux emprunteurs.
Le jugement mérite donc confirmation de ce chef.
Sur le fichage au FICP
Des constatations qui précèdent, il s’infère que Monsieur [W] et Madame [S] n’étaient plus débiteurs à l’égard du CIFD après que ce dernier ait reçu dès le 19 octobre 2018 la somme de 251.800 € de la part du notaire chargé de la vente de l’immeuble, laquelle était intervenue le 16 octobre 2018.
Par suite, l’inscription des deux emprunteurs au fichier des incidents de paiements caractérisés (FIPC), notifiée aux intéressés par le CIFD au moyen de deux lettres du 28 décembre 2018, était injustifiée au regard des dispositions des articles L.751- 1 et suivants du code de la consommation.
Conformément à l’article L.752-1 du code de la consommation et de l’article 15 de l’arrêté du 26 octobre 2010, il convient d’ordonner au CIFD de procéder à l’effacement des informations relatives à Monsieur [W] et Madame [S].
Par ailleurs, ces derniers justifient de l’existence d’un préjudice personnel à chacun d’eux en lien avec leur inscription sur ce fichier et les conséquences juridiques qui s’y sont trouvées attachées, ayant été privés de la possibilité de disposer de chéquiers ou d’une carte de paiement classique. Leur maintien sur ledit fichier, y compris après le prononcé du jugement pourtant assorti de l’exécution provisoire constatant l’absence de dette à l’égard du prêteur, s’avère à la fois fautif et préjudiciable pour les intimés.
Par suite, la cour infirmera le jugement qui a rejeté leur demande d’indemnisation sur ce fondement et condamnera le CIFD à leur payer la somme de 5.000 € en réparation du préjudice subi à ce titre.
Partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, le CIFD supportera les dépens d’appel et sera condamnée à payer entre les mains de l’avocat de Monsieur [W] et Madame [S] une indemnité au titre des honoraires et frais irrépétibles que ces derniers auraient exposés en cause d’appel s’ils n’avaient pas bénéficié de l’aide judiridictionnelle totale.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe
Déclare recevables les demandes indemnitaires présentées par Monsieur [W] et Madame [S] dans le cadre de l’action en responsabilité civile contractuelle engagée le 23 mai 2018 à l’encontre du CIFD ;
Infirme le jugement entrepris sur le quantum de la condamnation au titre de la perte d’une chance de ne pas contracter, en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice résultant de la perte d’une chance d’être assurés de manière adéquate et sur le rejet des prétentions de Monsieur [W] et Madame [S] relativement à leur inscription au FIPC ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne le CIFD à payer à Monsieur [W] et Madame [S] les dommages et intérêts suivantes :
– 35.000 € au titre de la perte d’une chance de ne pas contracter,
– 6.000 € en réparation du préjudice résultant de la perte d’une chance d’être assurés de manière adéquate,
– 5.000 € en réparation du préjudice subi suite à leur inscription au FIPC et à leur maintien y compris après le prononcé du jugement assorti de l’exécution provisoire constatant l’absence de créance du prêteur à leur égard ;
Ordonne au CIFD de procéder à l’effacement des informations concernant Monsieur [W] et Madame [S] dans le FIPC et ce, avant l’expiration d’un délai d’un mois à compter du prononcé du présent arrêt ;
Confirme le jugement entrepris pour le surplus ;
Condamne le CIFD à payer entre les mains de la SCP Teissedre, Sarrazin et Charles Gervais la somme de 2.500 € par application des dispositions combinées de l’article 700 du code de procédure civile et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l’aide juridictionnelle ;
Condamne le CIFD aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT