Prêt entre particuliers : 23 mars 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00528

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Prêt entre particuliers : 23 mars 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00528

23 mars 2023
Cour d’appel de Dijon
RG
21/00528

VCF/IC

[E] [N]

C/

FONDS COMMUN DE TITRISATION CASTANEA

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D’APPEL DE DIJON

2ème chambre civile

ARRÊT DU 23 MARS 2023

N° RG 21/00528 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FVVI

MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : au fond du 09 mars 2021,

rendue par le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône – RG : 18/01508

APPELANT :

Monsieur [E] [N]

né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 8] (Italie)

domicilié :

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Amandine CHAVANCE, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE

INTIMÉE :

FONDS COMMUN DE TITRISATION CASTANEA ayant pour société de gestion la société EQUITIS GESTION SAS représentée par la société MCS ET ASSOCIES, venant aux croits de la SA SOCIETE GENERALE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis :

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Jean-Vianney GUIGUE, membre de la SELAS ADIDA ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE, vestiaire : 38

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 19 janvier 2023 en audience publique devant la cour composée de :

Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, Président, ayant fait le rapport,

Sophie DUMURGIER, Conseiller,

Leslie CHARBONNIER, Conseiller,

qui en ont délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Sylvie RANGEARD,

DÉBATS : l’affaire a été mise en délibéré au 23 Mars 2023,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Selon actes sous seing privé du 17 et du 31 octobre 2013, la SARL F. Dancelem s’est engagée à vendre un fonds de commerce d’esthétique au prix de 20 500 euros, à Mme [C] [F] et à M. [E] [N] qui se sont engagés à l’acquérir, sous condition suspensive de l’obtention d’un prêt bancaire de 45 000 euros assorti d’intérêts au taux maximal de 3,5% et remboursable en 7 années. Cette condition devait se réaliser au plus tard le 15 novembre 2023.

Par courriel du 19 novembre 2013, le conseiller de clientèle de professionnels de l’agence Société Générale de [Localité 7] écrivait ceci au mandataire des acquéreurs : ‘Je vous confirme que notre établissement octroie un prêt de 60 000 euros sur 7 ans au taux de 3,75 % à la SARL Bulle d’Orient en cours de constitution. Ce prêt (…) sera formalisé par un acte sous seing privé et les garanties prises par notre établissement.’

Le même jour, M. [N] a ouvert un compte personnel auprès de la Société Générale, lequel a été débité de 20 500 euros, cette somme étant parallèlement créditée sur le compte détenu auprès de la Société Générale par la SARL Bulle d’Orient. Les deux mouvements de fonds ont été libellés comme suit : ‘virement virt apport en compte courant’ cette mention étant suivie pour le mouvement au débit du compte de M. [N] des mots ‘SARL Bulle dOrient’ et pour le mouvement au crédit du compte de cette société des mots ‘Mr [N] [E]’.

Le même jour toujours, le compte de la société était débité de la somme de 20 500 euros, somme affectée à l’achat du fonds de commerce de la SARL F. Dancelem.

La SARL Bulle d’Orient a été constituée le 21 novembre 2013, Mme [F] et M. [N] en étant les associés et les co-gérants.

Au titre des engagements pris par Mme [F] et M. [N] pour le compte de la société en cours de constitution et repris par la société, figurait l’achat du fonds de commerce au prix de 20 500 euros.

Le 18 décembre 2013, à la demande de la Société Générale et dans la perspective d’un engagement de caution de M. [N] en garantie d’un prêt professionnel de 60 000 euros à consentir à la société Bulle d’Orient, une fiche relative à la situation patrimoniale de M. [N] était complétée.

Suite à l’émission de chèques sans provision rejetés le 6 février 2014, la SARL Bulle d’Orient a fait l’objet d’une interdiction bancaire.

Le 17 mars 2014, la Société Générale a émis à l’attention de M. [N], une offre de crédit d’un montant de 60 000 euros assorti d’intérêts au taux initial de 3,30 %, susceptible de varier à la hausse ou à la baisse dans la limite de +/- 1 point, remboursable en 120 mensualités de 622,94 euros.

M. [N] a accepté cette offre le 20 mars 2014.

Le prêt a été constaté dans un acte authentique du 27 mai 2014, avec inscription d’une hypothèque sur un bien appartenant à M. [N] sis au [Localité 6].

Les fonds ont été débloqués le 28 mai 2014.

La SARL Bulle d’Orient a été placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Chalon sur Saône, le 30 mai 2015, puis en liquidation judiciaire le 2 novembre 2015 ; la procédure collective a été clôturée pour insuffisance d’actifs le 16 novembre 2017.

Par acte du 21 septembre 2018, M. [N] a assigné la SA Société Générale devant le tribunal de grande instance de Chalon sur Saône.

Paracte du 3 août 2020, la Société Générale a cédé sa créance à l’encontre de M. [N], au fonds commun de titrisation Castanea qui est intervenu volontairement à l’instance.

Aux termes de ses dernières conclusions de première instance, M. [N] soutenait que la banque avait manqué à ses devoirs de loyauté, de non ingérence et de mise en garde et demandait essentiellement à :

– ne pas être tenu au paiement du solde du prêt consenti le 27 mai 2014 et obtenir la restitution des sommes déjà réglées en exécution de ce prêt,

– obtenir 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement du 9 mars 2021, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône a :

– constaté l’intervention volontaire du fonds commun de titrisation Castanea, ayant pour société de gestion, la société Equitis Gestion SAS, représentée par son recouvreur, la société MCS et Associés, en lieu et place de la Société Générale ensuite de la cession de créances du 3 août 2020,

– débouté M. [N] de l’intégralité de ses demandes,

– condamné M. [N] à payer au fonds commun de titrisation Castanea la somme de 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [N] aux entiers dépens.

M. [N] a relevé appel de cette décision par déclaration du 20 avril 2021.

Aux termes du dispositif de ses conclusions n°2 notifiées le 26 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens développés au soutien des prétentions, M. [N] demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1147 du code civil alors applicables (devenus 1103, 1193, 1104 et 1231-1 du code civil), de :

– réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône le 9 mars 2021,

Et statuant à nouveau :

– dire et juger qu’il est bien fondé à opposer au fonds commun de titrisation Castanea les exceptions qu’il pouvait opposer à la SA Société Générale suite à la cession de créance opérée par cette dernière le 3 août 2020,

– dire et juger qu’il n’est pas tenu au remboursement du prêt personnel de 60 000 euros passé par devant Maître [W], notaire à [Localité 7] le 27 mai 2014,

– ordonner la radiation de son inscription au FICP,

– condamner le fonds commun de titrisation Castanea à lui payer la somme de 5 000 euros en réparation des préjudices subis,

– condamner le fonds commun de titrisation Castanea à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner le fonds commun de titrisation Castanea aux entiers dépens.

Aux termes du dispositif de ses conclusions n°2 notifiées le 13 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens développés au soutien des prétentions, le fonds commun de titrisation Castanea, venant aux droits de la Société Générale, demande à la cour au visa notamment des articles 1134 et suivants du code civil, de :

– juger l’appel de M. [N] mal fondé et l’en débouter,

– confirmer en tous points le jugement dont appel,

– débouter M. [N] de l’intégralité de ses demandes,

Ajoutant,

– condamner M. [N] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [N] aux entiers dépens.

La clôture a été prononcée le 13 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour constate que le jugement dont appel n’est pas critiqué par M. [N] en ce qu’il a jugé recevable l’intervention volontaire du fonds commun de titrisation Castanea, venant aux droits de la Société Générale.

La demande de M. [N] tendant à ce que la cour dise et juge que suite à la cession de créance du 3 août 2020, il bien fondé à opposer au fonds commun de titrisation Castanea les exceptions qu’il pouvait opposer à la Société Générale ne constitue pas une prétention au sens de l’article 4 du code de procédure civile. Aussi, eu égard aux dispositions de l’article 954 du même code, la cour n’est pas tenue d’y répondre.

En l’espèce, c’est M. [N] qui a pris l’initiative d’une action judiciaire tendant à l’engagement de la responsabilité de la banque. Il n’oppose aucune exception pour défendre à une action en paiement diligentée à son encontre.

Si la responsabilité de la banque est engagée, elle sera seulement tenue à réparer les préjudices causés par sa faute et à indemniser M. [N] de ceux qu’il a subis. En revanche, en aucun cas, M. [N] ne pourra, comme il le demande, être dispensé d’exécuter ses obligations contractuelles nées du prêt souscrit le 27 mai 2014. La cour ne pourra pas davantage ordonner la radiation de son inscription au FICP, conséquence du non-respect de ses obligations.

M. [N] reproche à la Société Générale d’avoir commis deux fautes.

Sur le manquement au devoir de mise en garde

Le devoir de mise en garde d’un banquier prêteur de fonds consiste à alerter un emprunteur sur le risque d’endettement excessif lié au prêt, en cas d’inadaptation de son engagement de remboursement à ses capacités financières.

En l’espèce, dès lors que le prêt n’a pas été accordé à la SARL Bulle d’Orient, mais à M. [N], les capacités financières de remboursement que l’activité à développer de la personne morale allait dégager n’ont pas à être considérées.

Pour apprécier si le prêt souscrit par M. [N] en mai 2014 était de nature à créer un risque d’endettement excessif, il convient exclusivement de se référer à la situation de M. [N], dont il n’est pas soutenu qu’il était un emprunteur averti.

Le risque d’endettement excessif est constitué lorsque les revenus et l’épargne de l’emprunteur sont tels qu’il apparaît qu’il ne pourra probablement pas faire face à son engagement.

En l’espèce, l’intimée oppose à M. [N] la fiche de renseignements datée du 18 décembre 2013. S’il est exact que M. [N] n’a pas signé cette fiche, il a écrit sur celle-ci la mention manuscrite suivante : ‘Je certifie l’exactitude des renseignements ci-dessus’. Ainsi, dès lors qu’il ne dénie pas son écriture, et quand bien même cette fiche a été établie dans la perspective d’un engagement de caution, il convient d’apprécier le risque d’endettement excessif au regard des informations figurant dans cette fiche, qui doit être regardée comme le reflet de la situation de M. [N] en décembre 2013.

Il ressort de cette fiche que les revenus annuels de M. [N] était de 34 000 euros, soit une moyenne mensuelle de 2 833 euros et que ses charges de crédit et de pension alimentaire étaient de 1 781 euros par mois.

La charge de remboursement du prêt litigieux étant de 623 euros par mois, il ne lui restait pour vivre que 429 euros par mois soit une moyenne de 14,30 euros par jour.

Il résulte de ces éléments qu’il existait un risque pour M. [N] de ne pas pouvoir honorer son nouvel engagement sans avoir à vendre un de ses biens immobiliers. La Société Générale était en conséquence tenue de le mettre en garde contre ce risque. Or, l’intimée ne prétend, et a fortiori ne justifie pas, l’avoir fait.

Sur le manquement au devoir de loyauté et d’ingérence

Il ressort des faits constants de l’espèce établis par les pièces produites aux débats que la Société Générale a consenti un prêt personnel non affecté à M. [N] en son nom personnel alors qu’en fait elle entendait soutenir la SARL Bulle d’Orient. Ceci est confirmé par les écritures de l’intimée qui expose en page 6 de ses conclusions, qu’in fine c’était cette société qui était débitrice des mensualités du prêt litigieux et qui soutient en conséquence qu’il n’était pas nécessaire pour M. [N] de prélever sur ses revenus pour rembourser les échéances du prêt.

Contrairement à ce que soutient l’intimée, il était parfaitement possible dès le 19 novembre 2013 de consentir un prêt à la société en cours de constitution. D’ailleurs, à cette date, la banque a ouvert un compte en ses livres au nom de la SARL Bulle d’Orient.

Il est établi que la banque a consenti une avance de trésorerie à cette société sous la forme d’une autorisation de découvert sur son compte. Alors qu’elle ne soutient ni ne démontre que ce découvert était plafonné, elle a refusé de payer des chèques émis par cette société au motif qu’ils étaient sans provision, ce qui est à l’origine de l’interdiction bancaire de la société. Or, sans cette interdiction, la SARL Bulle d’Orient aurait pu en mai 2014 souscrire le prêt de 60 000 euros, qui aurait couvert le solde débiteur de son compte, même augmenté de la valeur des chèques impayés.

Dans ces circonstances, M. [N] est fondé à soutenir que la banque n’a pas eu une attitude loyale.

Elle s’est de fait ingérée dans les affaires de ces deux clients : la société Bulle d’Orient et M. [N], en ne tenant pas suffisamment compte de ce qu’ils constituaient deux personnes distinctes. Ainsi, elle a consenti un prêt personnel à M. [N] dont elle savait, et dont elle attendait même, qu’il soit affecté aux besoins de la société. La cour relève qu’en page 6 de ses écritures, l’intimée persiste à ne pas suffisamment distinguer la personne morale de la SARL Bulle d’Orient de la personne physique de M. [N], en soutenant que le défaut de remboursement du prêt litigieux est liée aux difficultés de la SARL Bulle d’Orient.

Il résulte de ce qui précède que la banque a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité à l’égard de M. [N].

Sur le préjudice de M. [N]

Les fautes imputées à la Société Générale sont à l’origine pour M. [N] d’une perte de chance de ne pas s’engager en qualité de débiteur principal.

En l’espèce, la perte de chance de ne pas être tenu au remboursement du prêt de 60 000 euros doit être relativisée dans la mesure où il est acquis que si le prêt avait été consenti à la SARL Bulle d’Orient, M. [N] se serait engagé en qualité de caution.

En revanche, la perte de chance de ne pas hypothéquer son appartement sis au [Localité 6] est très importante, la banque n’ayant jamais évoqué un cautionnement tout à la fois personnel et réel, ainsi que cela ressort de la télécopie du notaire à la Société Générale en date du 11 avril 2014.

Si M. [N] a certes accepté de s’engager personnellement à l’égard de la Société Générale dans les termes de l’acte authentique du 27 mai 2014 et ne soutient pas que son consentement aurait été vicié, il est toutefois évident que l’attitude déloyale de la banque est à l’origine d’un préjudice moral caractérisé par le fait qu’à cette date, il ne pouvait choisir qu’une mauvaise solution : accepter le montage finalement imposé par la banque pour couvrir les besoins de trésorerie de la société Bulle d’Orient qu’il venait de créer et dont il était le gérant ou saborder son nouveau projet professionnel.

Au regard de ce qui précède, la cour alloue à M. [N] la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts qu’il réclame.

Sur les frais de procès

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d’appel doivent être mis à la charge de l’intimée qui succombe.

Les conditions d’application de l’article 700 du code de procédure civile ne sont réunies qu’en faveur de M. [N], auquel il est alloué la somme globale de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu’il a exposés tant en première instance qu’en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant dans les limites de l’appel,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté M. [N] de ses demandes tendant à ce qu’il ne soit pas tenu au remboursement du prêt de 60 000 euros en date du 27 mai 2014,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Condamne le fonds commun de titrisation Castanea à payer à M. [E] [N] les sommes suivantes, outre intérêts au taux légal à compter de ce jour :

– 5 000 euros de dommages-intérêts,

– 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [N] de sa demande tendant à sa radiation du FICP,

Condamne le fonds commun de titrisation Castanea aux dépens de première instance et d’appel.

Le Greffier, Le Président,

 


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