22 juin 2023
Cour d’appel d’Orléans
RG n°
21/01420
COUR D’APPEL D’ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 22/06/2023
la SCP SOREL & ASSOCIES
Me Amelie TOTTEREAU – RETIF
ARRÊT du : 22 JUIN 2023
N° : 116 – 23
N° RG 21/01420
N° Portalis DBVN-V-B7F-GLVJ
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’ORLEANS en date du 06 Mai 2021
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265259591121702
La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL CENTRE LOIRE Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
Ayant pour avocat postulant Me Pierre-Yves WOLOCH, membre de la SCP SOREL & ASSOCIES, avocat au barreau d’ORLEANS, et pour avocat plaidant Me Aurore THUMERELLE, membre de la SCP SOREL & ASSOCIES, avocat au barreau de BOURGES
D’UNE PART
INTIMÉS : – Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265268216267127
Monsieur [S] [Z] [W]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Ayant pour avocat postulant Me Amelie TOTTEREAU – RETIF, avocat au barreau d’ORLEANS et pour avocat plaidant Me Garry ARNETON, membre de la SELARL ARLINGTON PARTNERS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS,
Madame [R] [T] épouse [W]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Ayant pour avocat postulant Me Amelie TOTTEREAU – RETIF, avocat au barreau d’ORLEANS et pour avocat plaidant Me Garry ARNETON, membre de la SELARL ARLINGTON PARTNERS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS,
D’AUTRE PART
DÉCLARATION D’APPEL en date du : 19 Mai 2021
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 30 Mars 2023
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats à l’audience publique du JEUDI 13 AVRIL 2023, à 14 heures, Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS, Madame Fanny CHENOT, Conseiller, en charge du rapport, et Monsieur Damien DESFORGES, Conseiller, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l’article 805 et 907 du code de procédure civile.
Après délibéré au cours duquel Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS, Madame Fanny CHENOT, Conseiller, et Monieur Damien DESFORGES, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :
Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Monsieur Damien DESFORGES, Conseiller,
Greffier :
Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,
ARRÊT :
Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le JEUDI 22 JUIN 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE :
Selon offre préalable émise le 12 octobre 2006 et acceptée le 6 novembre suivant, M. [S] [W] et Mme [R] [T] épouse [W] ont souscrit auprès de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire (le Crédit agricole) deux prêts immobiliers d’un montant global de 94 200 euros :
– un prêt dit « accession sociale » n° 70044962128 d’un montant de 77 000 euros, remboursable en 240 mensualités avec intérêts au taux conventionnel de 3,85 % l’an
– un prêt dit « taux zéro » n° 70044962137 d’un montant de 17 200 euros, remboursable en 96 mois, sans intérêts.
Selon offre préalable émise le 16 mai 2017 et acceptée le 29 mai suivant, M. et Mme [W] ont par ailleurs souscrit auprès du Crédit agricole un crédit à la consommation n° 70049183299 d’un montant de 8 000 euros, remboursable en 144 mensualités de 70,12 euros comprenant les intérêts au taux conventionnel de 4,02 % l’an.
Par acte du 10 janvier 2020, exposant que les offres de prêt qui leur ont été soumises ne mentionnent pas de taux de période et se prévalant d’irrégularités dans le calcul du taux effectif global, M. et Mme [W] ont fait assigner le Crédit agricole devant le tribunal judiciaire d’Orléans aux fins de voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts ou, subsidiairement, la nullité des stipulations d’intérêts, et condamner l’établissement prêteur à leur restituer le montant des intérêts perçus.
Par jugement du 6 mai 2021, le tribunal judiciaire d’Orléans a :
– rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription,
– constaté la déchéance totale du droit aux intérêts,
– condamné la caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire à restituer aux époux [W] le montant des intérêts indûment perçus,
– débouté les époux [W] du surplus de leur demande,
– condamné la caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire à payer aux époux [W] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que l’exécution provisoire est de droit,
– condamné la caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire aux dépens dont distraction au profit de la Selarl Arlington-Partners représentée par Maître Garry Arneton, avocat.
Pour statuer comme il l’a fait, le premier juge a d’abord écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription en retenant que celle-ci n’avait commencé à courir que le 30 juin 2017, date à laquelle les contrats litigieux avaient été analysés par le conseil de M. et Mme [W] qui avaient alors été informés de l’erreur affectant le calcul du taux effectif global.
Sur le fond, sans se prononcer, dans les motifs de sa décision, sur les éventuelles irrégularités affectant le prêt personnel, le premier juge a retenu qu’en ce qu’elle comportait l’indication, non pas d’un taux effectif global unique, mais d’un taux effectif global par ce qu’il a tenu être deux « tranches du prêt », l’offre de prêt immobilier n’était pas conforme aux dispositions de l’article L. 312-8 du code de la consommation.
Il en a déduit qu’il convenait de « constater » la déchéance totale du droit aux intérêts et de condamner le Crédit agricole à restituer à M. et Mme [W] le montant des intérêts qu’il a perçus.
Le Crédit Agricole a relevé appel de cette décision par déclaration du 19 mai 2021 en critiquant expressément tous les chefs du dispositif du jugement en cause, hormis celui ayant rappelé que l’exécution provisoire était de droit.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 17 décembre 2021, le Crédit agricole demande à la cour de :
– déclarer recevable et bien fondé l’appel de la caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire,
– infirmer, en conséquence, le jugement rendu par le tribunal judiciaire d’Orléans en date du 6 mai 2021 en ce qu’il a :
* rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription,
* constaté la déchéance totale du droit aux intérêts des prêts n°70044962128 du 22 mai 2006 et 70044962137 du 29 mai 2007,
* condamné la caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire à restituer aux époux [W] le montant des intérêts indûment perçus,
* condamné la caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire à payer aux époux [W] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* condamné la caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire aux dépens,
Statuant de nouveau,
– déclarer irrecevable la demande de nullité de la stipulation de l’intérêt contractuel des prêts n°70044962128 du 22 novembre 2006 et 70044962137 du 29 mai 2007, formulée par M. [S] [W] et Mme [R] [W] née [T],
– déclarer prescrites les demandes de nullité de la stipulation de l’intérêt contractuel et de déchéance du droit aux intérêts du prêt n°70044962128 du 22 mai 2006 fondées sur l’omission du taux de période, l’utilisation de l’année lombarde et la mention de deux taux effectifs globaux dans l’offre de prêt, formulées par M. [S] [W] et Mme [R] [W] née [T],
– déclarer prescrites les demandes de nullité de la stipulation de l’intérêt contractuel et de déchéance du droit aux intérêts du prêt n°70044962137 du 29 mai 2007 formulées par M. [S] [W] et Mme [R] [W] née [T],
– déclarer mal fondées les demandes M. [S] [W] et Mme [R] [W] née [T],
– débouter M. [S] [W] et Mme [R] [W] née [T] de la totalité de leurs demandes, fins et conclusions,
– condamner M. [S] [W] et Mme [R] [W] née [T] à payer et porter à la caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [S] [W] et Mme [R] [W] née [T] aux dépens de première instance et d’appel.
Dans leurs dernières conclusions notifiées le 26 octobre 2021, M. et Mme [W] demandent à la cour, au visa des articles L.313-1 et suivants et R.313-1 du code de la consommation, L.312-1 et suivants du code de la consommation du même code, 1709 du code civil, 515 et 700 du code de procédure civile, de :
– confirmer la décision rendu « le – » par le tribunal judiciaire d’Orléans en ce qu’il a:
* rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription,
* constaté la déchéance totale du droit aux intérêts,
* condamné la caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire à restituer aux époux [W] le montant des intérêts indûment perçus,
* condamné la caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire à payer aux époux [W] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* dit que l’exécution provisoire était de droit,
* condamné la caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire aux dépens dont distraction au profit de la Selarl Arlington Partners représentée par Maître Garry Arneton,
En conséquence,
– constater que les TEG indiqués dans les offres de prêt émises en date du 27 octobre 2006 et 16 mai 2007 par le Crédit agricole au profit des consorts [T]-[W] sont erronés,
– constaté que les coûts globaux des crédits indiqués dans les offres de prêt émises en date du 27 octobre 2006 et 16 mai 2007 par le Crédit Agricole au profit des consorts [T]-[W] sont erronés,
A titre principal :
– prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts du Crédit agricole,
– condamner le Crédit Agricole à restituer aux consorts [T]-[W] le montant des intérêts indûment perçus en conséquence de la déchéance totale du droit aux intérêts,
– ordonner au Crédit agricole de communiquer aux consorts [T]-[W] de nouveaux tableaux d’amortissement tenant compte de la déchéance totale du droit aux intérêts,
A titre subsidiaire :
– prononcer la nullité des stipulations d’intérêts conventionnels,
– ordonner la substitution des taux conventionnels aux taux légaux en vigueur à la date d’acceptation des offres sans que ceux-ci ne puissent excéder 1,00 %,
– condamner le Crédit agricole à restituer aux consort [T]-[W] le montant des intérêts indûment perçus en conséquence de la nullité de la stipulation d’intérêts,
– ordonner au Crédit agricole de communiquer aux consort [T]-[W] de nouveaux tableaux d’amortissement établis sur la base des taux légaux applicables lors de la conclusion des contrats sans que ceux-ci ne puissent excéder 1,00 %,
A titre infiniment subsidiaire :
– prononcer la déchéance partielle du droit aux intérêts du Crédit agricole pour un montant de 20 000 euros, sous réserve de la libre appréciation de la cour de céans,
– ordonner à la banque Crédit agricole de communiquer aux consorts [T]-[W] un nouveau tableau d’amortissement en conséquence de la déchéance du droit aux intérêts,
En tout état de cause :
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
– condamner le Crédit agricole à payer aux consorts [T]-[W] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner le Crédit agricole aux entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de la Selarl Arlington-Partners, représentée par Maître Garry Arneton, avocat au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 30 mars 2023, pour l’affaire être plaidée le 13 avril suivant et mise en délibéré à ce jour.
A l’audience, afin de lui permettre de procéder le cas échéant au calcul des sommes à restituer, la cour a demandé aux parties de bien vouloir indiquer, au moyen d’une note en délibéré à transmettre contradictoirement sous quinzaine, s’il pouvait être tenu pour acquis que M. et Mme [W] ont réglé, au titre des intérêts des prêts litigieux, les sommes qui figurent aux tableaux d’amortissement qu’ils communiquent en pièces 1 (prêt immobilier n° 70044962137), 2 (prêt personnel) et 7 (prêt immobilier n° 70044962128 remboursé par anticipation) et, à défaut, de communiquer les justificatifs des intérêts effectivement réglés par M. et Mme [W] pour chacun des trois prêts en cause.
Par une note transmise par voie électronique le 26 avril 2023, le Crédit agricole a indiqué que ne devaient pas être pris en considération les tableaux d’amortissement figurant aux pièces 1 et 2 des intimés, qui ne tiennent pas compte des dates de déblocage des fonds, mais que pouvaient en revanche être prises en compte les échéances listées dans leurs pièces 6 et 7. Le prêteur a en outre produit, pour chacun des trois prêts litigieux, un relevé des échéances réglées en capital et intérêts.
Par une note pareillement transmise par voie électronique, le 28 avril 2023, M. et Mme [W] indiquent eux aussi que leurs pièces 6 et 7 peuvent être utilisées pour procéder le cas échéant au calcul des intérêts réglés et approuvent les décomptes du Crédit agricole desquels il résulte qu’ils ont réglé au titre des intérêts :
– 25 255,59 euros pour le prêt n° 70044962128, du 5 juin 2007 au 5 mai 2022
– 0 euro pour le prêt n° 70044962137 (prêt à taux zéro)
– 2 089,79 euros pour le prêt n° 70049183299, du 2 juillet 2007 au 5 juin 2019
SUR CE, LA COUR :
La cour observe à titre liminaire qu’il résulte des productions que le prêt personnel auquel le Crédit agricole attribue dans ses écritures le numéro 70044962137 porte en réalité le numéro 70049183299 et que l’offre de prêt immobilier que M. et Mme [W] présentent dans leurs conclusions comme ayant été émise le 27 octobre 2006 a en réalité été émise le 12 octobre 2006.
Dès lors que les parties se sont expliquées contradictoirement, sans aucun doute possible, sur les mêmes offres de prêts et produisent l’une et l’autre des offres identiques, à savoir une offre émise le 12 octobre 2006 et acceptée le 6 novembre 2006 portant sur deux prêts immobiliers numérotés 70044962128 et 70044962137, puis une offre de prêt personnel numérotée 70049183299 émise le 16 mai 2017 et acceptée le 29 mai suivant, les erreurs respectives des parties seront tenues pour purement matérielles.
Sur le caractère exclusif ou non de la sanction des irrégularités alléguées :
En raison du caractère d’ordre public des règles spécifiques édictées pour la protection du consommateur, qui prévalent sur les règles générales posées à l’article 1907 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l’absence de mention ou la mention erronée du taux effectif global figurant dans l’offre de crédit immobilier en méconnaissance de l’article L. 312-8, pris dans sa rédaction applicable en novembre 2006, n’est pas sanctionnée par la nullité de la clause de stipulation d’intérêts, mais exclusivement par la déchéance éventuelle du droit aux intérêts, totale ou dans la proportion fixée par le juge, prévue à l’article L. 312-33 du même code (v. par ex. Civ. 1, 6 juin 2018, n° 17-16.300).
Il en va de même de l’omission du taux de période et de la durée de période, dont la communication est exigée par l’article R. 313-1 auquel renvoie l’article L. 312-8 précité, ou encore de l’erreur dans l’indication du coût total du crédit exigé par le même article.
Les irrégularités de l’offre de prêts immobiliers dont se prévalent M. et Mme [W], tirées de ce que l’offre qui leur a été soumise ne mentionnerait pas le taux de période, mentionnerait plusieurs TEG, un coût total erroné ou encore de ce que les frais de garantie n’auraient pas été intégrés dans le calcul du taux effectif global figurant à cette offre ne peuvent donc être sanctionnées par la nullité de la stipulation d’intérêts, mais seulement par une déchéance de droit aux intérêts.
Si l’article L. 312-33 du code de la consommation, pris dans sa rédaction applicable à la cause, ne sanctionne expressément que l’indication et les modalités de fixation du taux effectif global, le Crédit agricole indique à raison qu’il est acquis, depuis un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 11 mars 2020 (n° 19-10.875), que la mention, dans l’offre de prêt, d’un taux conventionnel calculé sur la base d’une année autre que civile, telle l’année bancaire dite lombarde de trois-cent-soixante jours, est exclusivement sanctionnée elle aussi par la déchéance du droit aux intérêts dans les termes de l’article L. 312-33.
La mention erronée du taux effectif global devant, s’il y a lieu, figurer dans une offre de crédit à la consommation en application de l’article L. 311-10 du code de la consommation, pris dans sa rédaction applicable en mai 2007, n’est pas sanctionnée elle non plus par la nullité de la clause de stipulation d’intérêts, mais exclusivement par la déchéance du droit aux intérêts prévue à l’article L. 311-33 du même code.
Les irrégularités de l’offre de prêt personnel dont se prévalent M. et Mme [W], tirées de ce que des frais de garantie ou le coût de l’assurance qu’ils tiennent pour obligatoire n’auraient pas été intégrés dans le calcul du taux effectif global, ne peuvent donc, elles non plus, être sanctionnées par la nullité de la stipulation d’intérêts, mais seulement par une déchéance du droit aux intérêts.
Dès lors que les demandes de M. et Mme [W] ne peuvent être examinées qu’en leur principal tendant à la déchéance des intérêts, et non en leur subsidiaire, inopérant, poursuivant la nullité des stipulations d’intérêts, il n’y a lieu de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription qu’en ce qu’elle est opposée par le Crédit agricole à la demande de déchéance des intérêts.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription :
L’action en déchéance des intérêts, qui ne sanctionne pas une condition de formation du contrat et qui n’est pas une action en nullité, se prescrivait par dix ans en application de l’article L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et se prescrit désormais par cinq ans.
Le point de départ de ce délai court à compter du jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître l’irrégularité alléguée (v. par ex. Civ. 1, 1er mars 2017, n° 16-10 .142), étant précisé que cette connaissance est acquise au jour de la souscription du prêt uniquement si l’emprunteur était en mesure de se convaincre lui-même, à cette date (v. par ex. Civ. 1, 9 septembre 2020, n°19-15.835).
En l’espèce, l’offre portant sur les deux prêts immobiliers, qui comporte 23 pages, comporte en ses conditions générales, page 3, un article intitulé « calcul des intérêts », dans lequel il est clairement indiqué : « la base de calcul des intérêts sera assise sur une année de 360 jours. La période prise en compte pour le calcul des intérêts comprendra le jour de la réalisation ainsi que le jour de l’échéance ».
Une simple lecture de cette offre permettait donc à M. et Mme [W] de se convaincre par eux-mêmes que les intérêts étaient calculés sur la base d’une année bancaire dite lombarde.
Une telle lecture les mettait pareillement en mesure de déceler par eux-mêmes que l’offre ne faisait pas apparaître le taux de période, ou encore que le coût total du crédit n’incluait pas celui de la garantie exigée par le prêteur.
A supposer que l’offre portant sur deux prêts immobiliers, dont un prêt réglementé dit à taux zéro, ait dû comporter un seul et unique taux effectif global, la lecture de l’offre qui leur a été soumise permettait aisément à M. et Mme [W], là encore, de déceler que l’offre portait l’indication du taux effectif global de chacun des deux prêts, mais aucune indication d’un taux effectif global des deux prêts pris ensemble.
S’agissant enfin du coût des garanties, il est précisé en page 7 de l’offre que chacun des deux prêts immobiliers sur laquelle elle porte est éligible au marché hypothécaire et qu’une hypothèque de premier rang sera consentie sur un immeuble qui y est désigné.
En bas de cette même page 7, il est indiqué que « à l’initiative du notaire, il pourra être substitué à l’hypothèque conventionnelle un privilège de prêteur de deniers au moment de l’acte notarié si une telle mesure s’avère techniquement réalisable ». Il est ensuite précisé, d’une part que « les frais de constitution de la garantie à régler au notaire sont évalués approximativement en fonction des tarifs actuellement en vigueur, soit 867,40 euros », d’autre part que « ces frais estimés seront minorés dans le cas où la garantie privilège de prêteurs de deniers sera retenue ».
A la page qui suit (p. 8), intitulée « conditions financières du prêt n° 70044962128 », la somme de 867,40 euros ne figure pas ni même un prorata de cette somme, dans le détail du coût total du prêt.
A la page 16 de l’offre intitulée « conditions financières du prêt n° 70044962137 », le coût estimé de la garantie ne figure pas non plus dans le décompte du coût total du crédit.
Si pour chacun des deux prêts, le taux effectif global mentionné est suivi d’une note de renvoi qui indique « incluant le cas échéant une estimation des frais d’une inscription hypothécaire », la formule « le cas échéant » ne permettait pas de savoir si l’estimation des frais, dont a déjà dit qu’ils n’étaient pas mentionnés dans le coût total du crédit, avait ou non été intégrée dans le calcul du taux effectif global. Dans la mesure où, sauf celui de l’assurance, les frais n’avaient pas été exprimés en pourcentage mais uniquement en valeur euro, il n’était pas possible, pour des emprunteurs profanes comme M. et Mme [W], de déceler au seul examen de l’offre prêt, sans se livrer à des calculs relativement complexes, une éventuelle erreur affectant le calcul du taux effectif global.
Lorsque la simple lecture de l’offre de prêt permet à l’emprunteur de déceler son irrégularité, le point de départ du délai de prescription de l’action en déchéance du droit aux intérêts se situe cependant au jour de l’acceptation de l’offre, sans report possible tiré de la révélation postérieure d’autres irrégularités (v. par ex Civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-16.350).
Dès lors, même à supposer qu’une erreur dans le calcul du taux effectif global liée à l’absence de prise en compte de l’estimation des frais de garantie ait été révélée à M. et Mme [W] par la seule analyse à laquelle s’est prêté leur conseil, sur la base de calculs réalisés par un cabinet d’expertise-comptable, la révélation tardive de cette erreur n’a pu reporter le point de départ de la prescription qui avait commencé à courir dès que M. et Mme [W] avaient pu déceler les autres irrégularités dont ils se prévalent et en considération desquelles ils auraient pu exercer leur action en déchéance des intérêts.
Puisque quatre des cinq irrégularités discutées étaient facilement décelables par M. et Mme [W], on l’a dit, à la seule lecture de l’offre qui leur a été soumise par le Crédit agricole, il convient d’en déduire que le délai de prescription de l’action en déchéance des intérêts avait commencé à courir pour dix ans à compter du 6 novembre 2006, date d’acceptation de l’offre des prêts immobiliers et que, par l’effet des dispositions transitoires (article 26-II) de la loi du 17 juin 2008 ayant ramené le délai de prescription de l’article L. 110-4 du code de commerce à cinq ans, le nouveau délai de cinq ans a
commencé à courir le 18 juin 2008, date d’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, et avait donc expiré le 10 janvier 2020, date de l’assignation par laquelle les intimés ont introduit leur action.
S’agissant de l’offre de prêt personnel établie sur 17 pages, elle n’est pas soumise, contrairement à ce qu’indiquent M. et Mme [W] et à ce qu’a retenu pour procéder à son analyse l’expert- comptable consulté par leur conseil, aux dispositions de l’article L. 312-8 du code de de la consommation, propres aux crédits immobiliers, mais à celles de l’article L. 311-10 du même code, puisque le crédit litigieux est un crédit à la consommation au sens des articles L. 311-2 et L. 311-3 du code de la consommation, pris dans leur rédaction applicable à la cause.
L’offre de ce crédit à la consommation comporte en page 9, sous l’intitulé « conditions financières du prêt n° 70049183299 », l’indication du coût total ventilé du crédit exigé à l’article L. 311-10.
A supposer que le Crédit agricole ait exigé une garantie de remboursement de ce prêt, il était très aisé pour M. et Mme [W] de se convaincre par eux-mêmes, à l’examen du coût ventilé du crédit qui ne compte que quatre lignes, que celui-ci comportait l’indication de frais de dossier, de la somme des intérêts et des assurances décès-invalidité, mais aucune indication du coût d’une éventuelle garantie.
A supposer encore que le prêteur ait imposé à M. et Mme [W] de souscrire une assurance décès-invalidité dont le coût aurait dû être intégré dans le calcul du taux effectif global et qu’un examen de l’offre de prêt ne leur ait pas permis de détecter une éventuelle erreur dans le calcul de ce taux, il reste que, dès l’acceptation de cette offre de prêt, M. et Mme [W] pouvaient déjà se convaincre eux-mêmes des faits leur permettant d’agir en sorte que, là encore, il n’y a pas lieu à report du point de départ de la prescription.
Le délai dont disposaient M. et Mme [W] pour agir en déchéance des intérêts de ce prêt personnel a donc commencé à courir pour dix ans à compter du 29 mai 2007, date d’acceptation de l’offre en cause et, par l’effet des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 explicitées précédemment, le nouveau délai de cinq ans qui a commencé à courir le 18 juin 2008 avait expiré le 10 janvier 2020, date d’introduction de l’action des intimés.
Dès lors, par infirmation du jugement entrepris, M. et Mme [W] seront déclarés irrecevables en leurs prétentions.
Sur les demandes accessoires :
M. et Mme [W], qui succombent au sens de l’article 696 du code de procédure civile, devront supporter les dépens de première instance et d’appel et seront déboutés de leur demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur ce dernier fondement, M. et Mme [W] seront condamnés à régler au Crédit agricole, à qui il serait inéquitable de laisser la charge de la totalité des frais non compris dans les dépens qu’il a exposés en première instance puis encore en cause d’appel, une indemnité de procédure de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions critiquées,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :
Déclare M. [S] [Z] [W] et Mme [R] [T] épouse [W] irrecevables en leurs prétentions,
Condamne M. [S] [Z] [W] et Mme [R] [T] épouse [W] à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande de M. [S] [Z] [W] et Mme [R] [T] épouse [W] formée sur le même fondement,
Condamne M. [S] [Z] [W] et Mme [R] [T] épouse [W] aux dépens de première instance et d’appel.
Arrêt signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT