Prêt entre particuliers : 22 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/08544

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Prêt entre particuliers : 22 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/08544
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22 juin 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/08544

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 10

ARRET DU 22 JUIN 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/08544 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB67X

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Juin 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS RG n° 19/02369

APPELANTE

Madame [B] [X] épouse [L]

née le [Date naissance 2] 1967 à [Localité 4]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Assistée de Me Katemm PLANÇON de la SELARL KBP AVOCAT, avocat au barreau de RENNES

INTIMEE

Madame [S] [V]

née le [Date naissance 1] 1984 à [Localité 4]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Isabelle CAILLABOUX-ROUQUET de la SELARL LUTETIA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1917

Assisté de Me Nicolas MENAGE de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de RENNES, toque : 41

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été appelée le 23 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Valérie MORLET, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Florence PAPIN, Présidente

Madame Valérie MORLET, Conseillère

Monsieur Laurent NAJEM, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Catherine SILVAN

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Florence PAPIN, Présidente et par Catherine SILVAN, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

***

Faits et procédure

Arguant lui avoir le 1er avril 2011 prêté la somme de 70.000 euros, qui n’a pas été remboursée malgré deux mises en demeure de ce faire des 26 septembre et 30 octobre 2018, Madame [B] [X], épouse [L], a par acte du 22 février 2019 assigné Madame [S] [V] en paiement devant le tribunal de grande instance de Paris

En parallèle, par ordonnance du 18 juin 2019, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris, saisi par Madame [L], a autorisé celle-ci à nantir à son profit les parts sociales détenues par Madame [V] dans la SCI des Loges pour sûreté et conservation de la somme de 70.000 euros. Ce nantissement a été dénoncé à Madame [V] par acte du 13 septembre 2019 et inscrit sur ses parts sociales dans la société selon certificat du greffe du tribunal de commerce de Rennes du 18 septembre 2019.

*

Le tribunal de Paris, devenu tribunal judiciaire, par jugement du 2 juin 2020, a :

– débouté Madame [L], de toutes ses demandes,

– condamné Madame [L] à payer à Madame [V] la somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Madame [L] aux entiers dépens,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Madame [L] a par acte du 3 juillet 2020 interjeté appel de ce jugement, intimant Madame [V] devant la Cour.

*

Madame [L], appelante, dans ses dernières conclusions signifiées le 2 mars 2022, demande à la Cour de :

A titre principal,

– réformer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes,

– juger que la force probante de l’écrit produit ne respectant pas la mention de l’article 1326 du code civil n’est pas supprimée mais réduite,

– juger que la déclaration de contrat de prêt constitue un commencement de preuve par écrit,

– juger qu’il peut être complété par des éléments extrinsèques de preuve,

– juger qu’elle complète la déclaration de contrat de prêt par des éléments extrinsèques permettant de rapporter la preuve que Madame [V] s’est engagée à lui rembourser la somme perçue soit 70.000 euros,

– condamner Madame [V] au paiement de la somme de 70.000 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 22 octobre 2018,

– ordonner la capitalisation des intérêts,

– réformer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à verser la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Madame [V] à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter Madame [V] de toutes demandes fins et conclusions de quelque nature que ce soit y compris au titre de la procédure d’appel.

Madame [V], intimée, dans ses dernières conclusions signifiées le 22 mars 2022, demande à la Cour de :

A titre principal,

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Madame [L] de l’intégralité de ses demandes présentées contre elle,

– reconventionnellement, condamner Madame [L] à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.

*

La clôture de la mise en état du dossier a été ordonnée le 29 mars 2023, l’affaire plaidée le 23 mai 2023 et mise en délibéré au 22 juin 2023.

Motifs

Sur la demande de remboursement de Madame [L]

Les premiers juges ont considéré que si la remise des fonds par Madame [L] au profit de Madame [V] n’était pas contestée, l’obligation de remboursement de la seconde n’était pas établie et qu’ainsi le prêt n’était pas prouvé, la seule pièce produite, « déclaration de contrat prêt » de Madame [V], sans mention du montant du prêt, ne pouvant constituer un commencement de preuve par écrit.

Madame [L] reproche aux premiers juges d’avoir ainsi statué, faisant valoir l’existence d’un commencement de preuve par écrit du prêt allégué au vu de « déclaration de contrat de prêt » malgré l’absence de mention de son montant, et se prévalant d’éléments extrinsèques venant le compléter (copie du chèque, copie de son relevé de compte, copie de sa déclaration de revenus, deux attestations, ses mises en demeure sans réponse, l’absence de contestation par Madame [V] du nantissement de ses parts sociales, la profession de l’intéressée établissant qu’elle n’est pas profane en la matière).

Madame [V] ne critique pas le jugement, ne contestant pas avoir reçu et encaissé la somme de 70.000 euros de la part de Madame [L], mais estimant que celle-ci ne démontre pas son obligation de remboursement, le seul document produit en ce sens ne répondant pas aux prescriptions requises pour constituer une reconnaissance de dette et n’étant corroboré par aucun élément extrinsèque.

Sur ce,

Le contrat de prêt, aux termes de l’article 1892 du code civil en sa version applicable en l’espèce, antérieure au 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, est celui par lequel l’une des parties livre à l’autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l’usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité. Doivent ainsi être prouvés, pour établir la réalité d’un prêt d’argent, non seulement une remise de fonds, mais également une obligation de restitution de celle-ci.

La remise d’une somme de 70.000 euros par Madame [L] à Madame [V], par chèque tiré sur le compte de la première au profit de la seconde le 6 avril 2011, n’est en l’espèce pas contestée. Madame [V] reconnaît d’ailleurs avoir encaissé ce chèque et la somme a bien été débitée du compte de Madame [L].

L’obligation de restitution ne peut être prouvée par l’attestation du 12 août 2020 de Madame [E] [T], épouse [P], qui se contente de rapporter les propres propos de Madame [L] concernant ses difficultés pour obtenir le remboursement d’un prêt et qui n’a donc aucune valeur probante.

D’autres éléments, en revanche, accréditent la réalité de cette obligation de remboursement.

Madame [V] a le 1er avril 2011 signé un formulaire Cerfa de « déclaration de contrat de prêt » destiné à l’administration fiscale, laissant apparaître son nom en qualité de « débiteur ou émetteur ou emprunteur » et celui de Madame [L] en qualité de « créancier ou porteur ou prêteur ». Monsieur [W] [L], mari de Madame [L], atteste le 25 janvier 2021 de la remise de ce formulaire par Madame [V] à son épouse. A la date de la déclaration ainsi faite, le 1er avril 2011, Madame [V] n’avait pas encore encaissé ni même reçu la somme de 70.000 euros de la part de Madame [L]. Aucune information n’y est donc mentionnée relative aux conditions du prêt et Madame [L] admet avoir elle-même apposé la mention manuscrite du chèque de 70.000 euros du 6 avril 2011.

Ce document, qui ne comporte pas la mention de la somme en cause en chiffres et en toutes lettres, ne constitue donc pas une reconnaissance de dette au sens de l’article 1326 ancien du code civil, mais un commencement de preuve par écrit au sens de l’article 1347 ancien du même code, rendant vraisemblable – selon les termes mêmes de ces dispositions – l’existence d’un prêt. Prenant soin de préparer et signer un formulaire de « déclaration de contrat de prêt » et non un formulaire Cerfa de « déclaration de don manuel » également à sa disposition, Madame [V] a par ce document reconnu sa qualité de débitrice vis-à-vis de Madame [L], et a admis un prêt de la part de celle-ci.

Ce commencement de preuve par écrit est complété par plusieurs autres éléments extérieurs à l’acte.

Monsieur [O] [I], expert-comptable, atteste le 13 décembre 2011 que Madame [L] « fait partie du foyer fiscal » de son époux et, « par conséquent, réalise une déclaration d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à ce jour (IFI) commune ». Or l’annexe 3-1 des formulaires de déclaration des revenus au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune remplie en 2012, 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017 par Monsieur [W] [L], époux de Madame [L], porte la mention d’un prêt effectué au profit de Madame [V] de 70.000 euros, révélant une absence d’intention libérale au titre de la remise de cette somme.

Madame [V], ensuite, n’a pas répondu au courrier recommandé du 26 septembre 2018 que lui a adressé le conseil de Madame [L], ni à la lettre du 22 octobre 2018 de ce même conseil (signifiée à l’intéressée par acte d’huissier du 30 octobre 2018), évoquant sa dette à hauteur de 70.000 euros et ses engagements à remboursement. Elle ne justifie pas non plus avoir sollicité la mainlevée du nantissement des parts sociales qu’elle détient dans la société des Loges auquel Madame [L] a procédé au mois de septembre 2019 à hauteur de 70.000 euros, n’ayant jamais émis aucune contestation contre cet acte.

Ces silences de Madame [V] ne valent certes pas acceptation des termes des courriers ou du nantissement. Mais, ceux-ci et la remise effective par Madame [L] de la somme de 70.000 euros le 6 avril 2011 ainsi que l’absence d’intention libérale de celle-ci lors de cette remise avérée par la déclaration du prêt aux services fiscaux, constituent autant d’éléments extérieurs à la« déclaration de contrat de prêt » du 1er avril 2011 tendant à rendre vraisemblable la réalité d’un prêt à son profit de ladite somme.

Il apparaît ainsi que la remise par Madame [L] à Madame [V] de la somme de 70.000 euros n’est pas contestée, et que l’obligation de la seconde à restituer cette somme à la première est avérée par un commencement de preuve par écrit d’un prêt, complété par plusieurs éléments extérieurs attestant du montant de cette obligation.

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a débouté Madame [L] de sa demande et, statuant à nouveau, la Cour condamnera Madame [V] à payer à celle-ci, en remboursement du prêt, la somme de 70.000 euros.

Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 22 octobre 2018, date du courrier du conseil de Madame [L] adressé par voie de signification à Madame [V] le 30 octobre 2018 et portant mis en demeure suffisante de payer, conformément aux termes de l’article 1231-6 ancien (1153-1 nouveau) du code civil.

Les intérêts dus pour une année entière porteront eux-mêmes intérêts, en application des dispositions de l’article 1154 ancien (1343-2 nouveau) du code civil.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Le sens de l’arrêt conduit à l’infirmation du jugement en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance, mis à la charge de Madame [L].

Statuant à nouveau et ajoutant au jugement, la Cour condamnera Madame [V], qui succombe, aux dépens de première instance et d’appel en application de l’article 696 du code de procédure civile.

Tenue aux dépens, Madame [V] sera également condamnée à payer à Madame [L] la somme équitable réclamée de 2.000 euros en indemnisation des frais exposés, tant en première instance qu’en appel, et non compris dans les dépens, conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs,

La Cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne Madame [S] [V] à payer à Madame [B] [X], épouse [L], la somme de 70.000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 octobre 2018 et capitalisation desdits intérêts,

Condamne Madame [S] [V] aux dépens de première instance et d’appel,

Condamne Madame [S] [V] à payer à Madame [B] [X], épouse [L], la somme de 2.000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

 


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