22 juin 2023
Cour d’appel de Metz
RG n°
21/02850
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°23/00113
N° RG N° RG 21/02850 – N° Portalis DBVS-V-B7F-FUCR
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[F], [M] EPOUSE [F]
C/
CAISSE DE CREDIT MUTUEL MULHOUSE SAINT-ANTOINE
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Tribunal de grande instance de Muhouse
27 juin 2017
Cour d’appel de Colmar
Arrêt du 15 janvier 2020
Cour de cassation
Arrêt du 20 Octobre 2021
COUR D’APPEL DE METZ
RENVOI APRÈS CASSATION
ARRÊT DU 22 JUIN 2023
DEMANDEUR À LA REPRISE D’INSTANCE :
Monsieur [Y] [F]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Hervé HAXAIRE, avocat au barreau de METZ – postulant et Me Vincent MERRIEN, avocat au barreau de COLMAR – plaidant
Madame [Z] [M] EPOUSE [F]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Hervé HAXAIRE, avocat au barreau de METZ – postulant et Me Vincent MERRIEN, avocat au barreau de COLMAR – plaidant
DÉFENDEUR À LA REPRISE D’INSTANCE :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL MULHOUSE SAINT-ANTOINE Association coopérative représentée par son représentant légal
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée Me Gilles ROZENEK, avocat au barreau de METZ – Représentant : Me Patrick PEGUET, avocat au barreau de STRASBOURG
DÉBATS :
A l’audience publique du 02 Mars 2023, l’affaire a été mise en délibéré pour l’arrêt être rendu le 22 juin 2023.
COMPOSITION DE LA COUR :
PRÉSIDENT : Mme Anne-Yvonne FLORES, Présidente de chambre
ASSESSEURS : Mme Catherine DEVIGNOT, Conseillère
Mme Claire DUSSAUD, Conseillère
GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Jocelyne WILD, Greffier
ARRÊT : Contradictoire
Rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme FLORES, Présidente de Chambre et par Mme Jocelyne WILD, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Par acte notarié du 31 janvier 2012, la SCI 2A s’est vue octroyer par l’association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine, ci-après également dénommée « la banque », un prêt immobilier d’une valeur de 256 000 euros.
M. [Y] [F] et Mme [M] [Z] épouse [F] se sont portés cautions solidaires de cet engagement.
La SCI 2A a cessé de payer les échéances de son prêt en juin 2015.
La banque a prononcé la déchéance du terme du prêt le 1er mars 2016.
Par acte d’huissier du 20 mai 2016, l’association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine agissant par son représentant légal a fait assigner M. et Mme [F] devant le tribunal de grande instance de Mulhouse afin d’obtenir le paiement des sommes dues.
Le conseil constitué pour M. et Mme [F] n’a pas conclu.
Par jugement du 27 juin 2017, le tribunal de grande instance de Mulhouse a :
– condamné solidairement M. et Mme [F] à payer à la banque les sommes suivantes :
– 231 987,33 euros au titre du capital restant dû des échéances de retard, majorée des intérêts au taux de 4,50 % à compter du 2 mars 2016,
– 793,36 euros au titre des intérêts échus au 1er mars 2016, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2016,
– 26,49 euros au titre des cotisations d’assurance vie, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la même date,
– 16 271,88 euros au titre de l’indemnité forfaitaire, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l’assignation,
– dit que les intérêts des sommes dues se capitaliseront dans les formes et conditions de l’article 1154 du code civil,
– condamné solidairement M. et Mme [F] aux dépens, ainsi qu’à verser à la banque une indemnité de 1 200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement.
Pour se déterminer ainsi, le tribunal a considéré que la banque démontrait bien l’existence de ses créances envers la débitrice principale, de sorte qu’il y avait lieu de condamner les cautions à payer ces sommes dues à la banque en raison de leur engagement.
Par déclaration au greffe de la cour d’appel de Colmar du 13 juillet 2017, M. et Mme [F] ont interjeté appel total de cette décision.
Par conclusions du 11 octobre 2017, M. et Mme [F] ont demandé à la cour de :
– infirmer la décision entreprise, et statuant à nouveau,
– dire que leurs engagements de caution sont disproportionnés,
– rejeter en conséquence les demandes formées par la banque à leur encontre,
Subsidiairement,
– limiter leur condamnation à 42 000 euros incluant intérêts et frais,
Plus subsidiairement,
– condamner la banque à leur payer des dommages-intérêts équivalents aux montants susceptibles d’être mis en compte dans le cadre de la demande principale.
En tout état de cause,
– condamner la banque à leur verser une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 21 juin 2018, l’association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine a conclu à la confirmation du jugement entrepris, outre la condamnation des appelants aux dépens ainsi qu’à lui verser une indemnité de 2 000 euros au titre des frais exposés et non inclus dans les dépens.
Par arrêt du 15 janvier 2020, la cour d’appel de Colmar a :
– infirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu le 27 juin 2017 par le tribunal de grande instance de Mulhouse,
Statuant à nouveau,
– débouté l’association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine de sa demande principale en condamnation de M. et Mme [F],
– condamné l’association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine aux dépens de la première instance et de l’appel, ainsi qu’à payer à M. et Mme [F] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine.
Pour se déterminer ainsi, la cour d’appel de Colmar a examiné une fiche patrimoniale et observé qu’il y est mentionné un patrimoine immobilier d’une valeur nette de 329000 euros qui se trouve être en tout ou partie la propriété de sociétés civiles immobilières, et non des époux [F]. Elle a estimé que faute pour la banque de s’être assurée, au vu des éléments dont elle disposait, que la situation financière des cautions leur permettait, en l’absence de disproportion manifeste, de faire face à leur engagement, l’acte de cautionnement ne pouvait valablement être opposé par celle-ci à M. et Mme [F].
Par arrêt du 20 octobre 2021, la Cour de cassation a :
– cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 janvier 2020, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar,
– remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Metz,
– condamné M. et Mme [F] aux dépens,
– en application de l’article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par M. et Mme [F] et les a condamnés à payer à l’association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine la somme de 3 000 euros,
– dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé.
La Cour de cassation a d’une part rappelé qu’il incombe à la caution, qui entend opposer au créancier la disproportion de son engagement de caution à la date de sa souscription, d’en rapporter la preuve, et a considéré que la cour d’appel de Colmar avait inversé la charge de la preuve.
La Cour de cassation a d’autre part rappelé que la disproportion manifeste de l’engagement de caution s’apprécie au regard de l’ensemble des biens et revenus de la caution, à la date de la souscription, et a considéré que la cour d’appel de Colmar n’avait pas donné de base légale à sa décision faute d’avoir vérifié si les cautions ne détenaient pas des parts de sociétés civiles immobilières faisant partie de leur patrimoine.
Par déclaration au greffe de la cour d’appel de Metz du 2 décembre 2021, M. et Mme [F] ont saisi la cour de céans aux fins de reprise d’instance après cassation.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 2 mars 2023.
Lors de l’audience du 2 mars 2023 la cour a autorisé M. et Mme [F] à produire contradictoirement en délibéré leurs avis d’imposition, et ceux-ci ont transmis 3 pièces numérotées 43 à 45.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES
Par conclusions déposées le 2 février 2022, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, M. et Mme [F] demandent à la cour, au visa de l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, de :
– recevoir l’appel,
– infirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
– dire et juger que les engagements de caution sont disproportionnés et rejeter en conséquence toutes prétentions de l’association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine à leur encontre,
En tant que de besoin subsidiairement,
– limiter leur condamnation à la somme totale de 42 000 euros y compris intérêts et frais,
– rejeter toutes prétentions plus amples,
Très subsidiairement,
– condamner l’association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine à leur payer les dommages intérêts équivalents aux montants susceptibles d’être mis en compte dans le cadre de la demande principale.
En tout état de cause,
– condamner l’association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine aux entiers dépens des deux instances ainsi qu’au versement d’un montant de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
A titre principal, M. et Mme [F] reprochent d’abord au tribunal de les avoir condamnés à payer l’intégralité des montants dus par la débitrice principale alors qu’il a constaté que leur engagement de caution était limité à la somme de 42 000 euros. Ils demandent donc la réformation du jugement sur ce point.
M. et Mme [F] exposent ensuite que leur engagement de caution est manifestement disproportionné à leurs biens et revenus au jour de la conclusion de leur engagement au sens de l’article L. 341-4 du code de la consommation, de sorte que la banque ne peut s’en prévaloir. En ce sens, ils expliquent que Mme [F] ne travaillait pas et que M. [F] s’était déjà porté caution de différents prêts accordés à leurs différentes sociétés civiles immobilières.
Ils précisent enfin que leur patrimoine ne peut pas leur permettre de faire face à leur engagement au jour de leur appel en garantie, car ils ne possèdent aucun patrimoine direct. Ils indiquent en effet que le patrimoine dont se prévaut la banque appartient en réalité à leurs différentes sociétés civiles immobilières, aujourd’hui en redressement judiciaire, et dont M. [F] ne détient que 50 % des parts, de sorte qu’il n’est pas mobilisable en l’espèce.
A titre subsidiaire, ils reprochent à la banque de ne pas les avoir mis en garde quant aux risques afférents à ces différents cautionnements alors qu’ils sont des cautions non averties. Ils demandent des dommages-intérêts d’un montant minimum de 264 000 euros à ce titre.
Par conclusions déposées le 24 novembre 2022, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, l’association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine prise en la personne de son représentant légal demande à la cour de :
– déclarer l’appel irrecevable, en tous cas mal fondé,
– le rejeter,
– confirmer le jugement entrepris,
– condamner les appelants aux entiers frais, ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La banque soutient d’abord que l’erreur matérielle affectant le jugement entrepris concernant la limitation de leur cautionnement a été corrigée par l’arrêt de la cour d’appel de Colmar, de sorte que les cautions ne peuvent s’en prévaloir. Elle se réfère en tant que besoin à ses pièces confirmant que l’engagement des cautions s’élève à un montant de 307 200 euros.
La banque expose ensuite que l’engagement de caution de M. et Mme [F] n’est pas disproportionné. Elle rappelle que les cautions disposent, au travers des trois sociétés civiles immobilières qu’elles détiennent presque en totalité, d’un patrimoine immobilier conséquent leur permettant de supporter leur engagement, tant au jour de sa conclusion qu’à celui de leur appel en garantie.
Elle précise en ce sens, après avoir relevé la volonté frauduleuse des cautions de soustraire leurs sociétés de toute poursuite, que les procédures collectives de ces dernières sont sans emport sur le présent litige, car la disproportion s’évalue au seul prisme des biens et revenus des cautions, et non des biens et revenus effectivement mobilisables en l’espèce. Elle note aussi que ces sociétés font actuellement l’objet d’un plan de continuation.
Elle ajoute que l’annexe relative au patrimoine immobilier des cautions ne porte pas la même date que la fiche patrimoniale, document principal, car elle la met régulièrement à jour.
Elle indique aussi que la question de l’extinction des créances de la banque envers la société d’exploitation de M. [F] est sans emport sur la solution du présent litige.
La banque soutient enfin qu’elle n’était tenue à aucun devoir de mise en garde à l’égard des cautions, car ces dernières étaient des cautions averties compte tenu de leur expérience dans le secteur du financement immobilier.
Elle explique à ce titre que les cautions connaissaient bien le fonctionnement des présents cautionnements au moment de leur conclusion, car elles avaient déjà conclu des cautionnements identiques à ceux-ci pour la même société débitrice principale.
Elle précise en outre qu’il n’existait pas de risque d’endettement particulier pour les cautions au jour de leur engagement étant donné qu’il était prévu que l’opération immobilière réalisée en 2012 puisse s’autofinancer, notamment grâce aux revenus locatifs.
MOTIFS DE LA DECISION
Au fond :
Sur la portée de l’engagement de caution souscrit le 31 janvier 2012 :
Selon offre de prêt émise le 28 décembre 2011 et acceptée le 10 janvier 2012, la CCM de Mulhouse St Antoine a consenti à la SCI 2A un prêt Modulimmo d’un montant de 256 000 euros. Il est précisé en page 3 de l’acte que M. [Y] [F] et Mme [Z] [F] se constituent caution solidaire pour un montant garanti total de 307 200 euros y compris frais et accessoires, lié au prêt modulimmo n° 10278 03009 000201 58504 d’un montant de 256 000 euros (cf pièces annexées à l’acte authentique de prêt du 31 janvier 2012).
En outre et surtout M. [Y] [F] et Mme [Z] [F] ont l’un et l’autre rédigé et signé, le 10 janvier 2012, une mention manuscrite dans laquelle ils s’engagent chacun solidairement dans la limite de la somme totale de 307 200 euros – mentionnée en chiffres et en lettres -, couvrant le principal, les intérêts et le cas échéant les intérêts et pénalités de retard dus au titre de ce prêt, et ce pour une durée de 264 mois.
Au surplus l’acte authentique de prêt du 31 janvier 2012 dressé par Me [N], notaire à [Localité 6], qu’ils ont tous les deux signé en qualité d’associés de la SCI 2A emprunteuse, rappelle également en pages 6 à 8 qu’ils se sont engagés en qualité de caution dans la limite de 307 200 euros.
Dès lors M. [Y] [F] et Mme [M] [Z] épouse [F] sont mal fondés à soutenir que leur engagement n’excède pas 42 000 euros, et le jugement comporte une simple erreur matérielle concernant le montant de leur engagement indiqué dans l’exposé du litige.
Sur le caractère disproportionné de l’engagement de caution :
En application de l’article L. 341-4 du code de la consommation dans sa rédaction en vigueur à la date de conclusion du cautionnement litigieux, devenu article L. 332-1 du même code, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Il appartient à la caution, qui l’invoque, de rapporter la preuve de l’existence de la disproportion manifeste de son engagement au moment de la conclusion de celui-ci.
La disproportion à la date de l’engagement s’apprécie au regard de l’ensemble des engagements souscrits par la caution, de tous les éléments de son patrimoine, ainsi que de ses revenus.
En l’espèce M. et Mme [F] produisent leurs avis d’imposition concernant les revenus qu’ils ont perçu durant les années 2007 (pièce 11), 2008 (pièces 12 et 43), 2009 (pièce 44) et 2010 (pièce 45). Lesdits avis d’imposition ont chacun été édités au cours de l’année qui a suivi celle concernée par l’avis en question, Ainsi par exemple l’intitulé exact de l’avis produit en pièce n° 45, figurant en haut à gauche du document, est : « avis d’impôt sur le revenu 2011 (sur les revenus de l’année 2010) », et cet avis qui a été établi à la date du 26 juillet 2011, concerne les revenus de l’année 2010.
M. et Mme [F] ne produisent pas l’avis d’imposition relatifs aux revenus de l’année 2011 qu’ils ont déclarés en 2012, de sorte qu’ils ne produisent pas de pièce concernant leurs revenus à la date de leur engagement de caution datant du 10 janvier 2012.
Il résulte de l’avis d’imposition édité le 26 juillet 2011 concernant les revenus de l’année 2010, qu’ils produisent en pièce n° 45, qu’ils avaient alors déclaré que l’époux avait perçu des salaires ou assimilés totalisant 22 761 euros net imposable en 2010, et que le couple avait perçu 22 467 euros de revenus fonciers en 2010.
Par ailleurs dans une fiche patrimoniale sur 2 pages, éditée puis et remplie à la main le 20 décembre 2011, qu’ils ont chacun paraphée et signée, produite par la CCM en annexe n° 11, il est précisé que leurs revenus annuels incluant les revenus fonciers représentaient alors 43 880 euros, et que le capital restant dû de l’unique prêt personnel qu’ils avaient contracté représentait 10 000 euros.
Ainsi à la date de leur engagement de caution début 2012, M. et Mme [F] étaient titulaires d’un patrimoine immobilier productif de revenus fonciers. Cependant ils ne produisent pas d’éléments permettant de lister de manière exhaustive leurs actifs immobiliers et mobiliers au 10 janvier 2012, ni de déterminer la valeur nette de leur patrimoine à cette date.
Le CCM produit également en pièce n° 11 une fiche entièrement dactylographiée intitulée « dossier patrimoine », éditée le 19 janvier 2012, qu’elle a manifestement élaborée, et qui n’a pas été paraphée ni signée par M. et Mme [F], qui indique la détention de parts par M. [Y] [F] dans la SCI [F], la SCI 2A et la SCI Melisa, pour une valeur brute totale de 1490 000 euros, et une valeur nette de 329 000 euros au 19 janvier 2012 après déduction des capitaux restant dus sur les emprunts souscrits par ces trois SCI, y compris celui résultant du prêt racheté et garanti par l’engagement litigieux. Cette fiche ne permet pas de déterminer objectivement la valeur des actifs patrimoniaux détenus par M. et Mme [F] à la date du 10 janvier 2012, étant observé que la source des informations qui y figurent n’est pas précisée, et qu’elle a été éditée après l’engagement de caution litigieux.
En revanche les deux parties produisent :
– les statuts de la SCI [F] au 4 juin 2010, indiquant que M. [Y] [F] et Mme [Z] [F] en détenaient ensemble 300 parts sur 303,
– les statuts de la société civile Melisa déposés le 11 juillet 2007 indiquant que M. [Y] [F] et Mme [Z] [F] détenaient ensemble la totalité des parts,
– le projet de statuts de la SCI 2A, ainsi que les statuts modifiés au 2 janvier 2015 de la SCI 2A, indiquant que M. [Y] [F] et Mme [Z] [F] détenaient depuis la fondation de cette SCI, et donc à la date de l’engagement de caution litigieux, ensemble, la totalité des parts de cette SCI.
En outre il ressort des actes authentiques de prêt du 5 octobre 2007 à la SCI 2A, et du 29 octobre 2007 à la SCI Melisa, que ces deux sociétés étaient déjà propriétaires de plusieurs biens immobiliers à usage professionnel et/ou d’habitation à la date de l’engagement de caution litigieux du 10 janvier 2012, acquis grâce à des financements totalisant à l’époque 264 000 + 700 000 = 964 000 euros. De plus il ressort des statuts de la SCI [F] du 4 juin 2010 qu’à cette date M. et Mme [F] avaient été autorisés à acquérir des biens et droits immobiliers sis à [Localité 2] moyennant le prix de 200 000 euros.
Il incombe à M. et Mme [F] de démontrer quel était leur patrimoine net à la date du 10 janvier 2012, en incluant la valeur à cette date des parts des trois SCI qu’ils détenaient, calculée en tenant compte de la valeur des actifs patrimoniaux de celles-ci déduction faite des capitaux restant dus des emprunts souscrits par ces SCI. Or ils ne produisent aucun élément permettant d’estimer la valeur des actifs patrimoniaux des SCI dont ils détenaient les parts au 10 janvier 2012.
S’agissant de leurs dettes et engagements, la fiche patrimoniale précitée du 20 décembre 2011, paraphée et signée par M. et Mme [F], produite par la CCM en annexe n° 11, indique que le capital restant dû de l’unique prêt personnel qu’ils avaient contracté représentait 10 000 euros à cette date.
Il résulte en outre d’un acte authentique de prêt du 2 juin 2008 produit par les appelants que M. [Y] [F] s’est engagé en qualité de caution dans la limite d’un montant total de 132 000 euros, pour garantir partiellement le remboursement d’un prêt de 220 000 euros consenti à M. [B] [T] et Mme [C] [F] son épouse (pièce 1 des appelants). Il est manifeste que la créance garantie par M. [Y] [F] représentait toujours 132 000 euros à la date du 10 janvier 2012, dès lors que, 4 ans et demi plus tard, le 5 septembre 2016 la CCM lui a notifié un commandement de payer aux fins de saisie vente ainsi que d’autres actes d’exécution forcée pour 132 000 euros en principal.
Par ailleurs les appelants établissent que M. [Y] [F] s’est engagé en qualité de caution solidaire de la SARL Alsace securité incendie le 3 décembre 2006 dans la limite de 20 000 euros, puis à nouveau dans un autre engagement le 2 février 2008 dans la limite de 19 900 euros, qu’il s’est également engagé en qualité de caution de la SCI Melisa à hauteur de 168 000 euros le 14 septembre 2007 et que les deux époux se sont portés caution solidaire de la SCI Melisa le 29 octobre 2007 pour 840 000 euros.
S’il ressort d’une lettre d’information annuelle du 18 février 2008 que M. [F] s’est engagé en qualité de caution de la SCI Melisa dans la limite de 168 000 euros en date du 14 septembre 2007, il y est également indiqué que le crédit relais professionnel ainsi garanti ne représentait plus que 65 177,24 euros en principal et 3 269,72 euros en intérêts au 31 décembre 2007, et que ce crédit devait arriver à terme le 15 octobre 2008 (pièce 28 des appelants). M. et Mme [F] ne prétendent pas, et ne démontrent pas, que ce crédit n’était pas encore remboursé à la date du 20 juillet 2010 et que l’engagement de caution de M. [F] dans la limite de 168 000 euros était encore effectif à cette date. Au demeurant ils produisent cette lettre d’information annuelle mais n’évoquent pas expressément cet engagement dans leurs conclusions.
Il n’est pas contesté par la CCM que M. [Y] s’est porté caution courant 2010 au titre d’un prêt contracté par la SCI [F] à hauteur de 264 000 euros, ni qu’il se serait engagé en qualité de caution pour garantir un prêt de la SCI Melisa à hauteur de 72 000 euros en juillet 2008 ainsi qu’il le soutient.
En tout état de cause, quel que soit le montant total de leurs dettes et engagements à la date du cautionnement du 10 janvier 2012, dès lors que M. et Mme [F] ne démontrent pas la valeur de leur patrimoine à cette date, ils n’établissent pas que ce cautionnement solidaire dans la limite totale de 307 200 euros, cumulé à toutes leurs dettes et leurs engagements antérieurs, serait manifestement disproportionné à l’ensemble de leurs revenus et patrimoine, lequel inclut la valeur des parts sociales qu’ils détenaient dans les SCI [F], SCI Melisa et SCI 2A.
Dès lors, la banque peut se prévaloir de l’engagement de caution litigieux, et les cautions ne peuvent pas en être déchargées en application du texte précité.
Sur le manquement allégué au devoir de mise en garde :
Le caractère averti ou non de la caution s’apprécie au regard de son expérience professionnelle et de sa connaissance ou méconnaissance des techniques financières et bancaires lui permettant de mesurer les risques encourus à l’occasion de l’engagement de caution litigieux.
En l’espèce il est démontré par l’ensemble des pièces versées aux débats que M. et Mme [F] avant la date du cautionnement souscrit le 10 janvier 2012, et à cette date, étaient l’un comme l’autre titulaires de parts de trois SCI qui avaient notamment pour objet l’acquisition, la gestion, la mise en valeur et l’exploitation par bail d’immeubles, ainsi que la conclusion de tout emprunt hypothécaire nécessaire pour cette acquisition. Il ressort également des pièces produites que M. [Y] [F] était gérant des SCI 2A et Melisa selon les statuts datant de l’année 2007, et que M. [Y] [F] et Mme [Z] [F] étaient cogérants de la SCI [F] selon les statuts du 4 juin 2010. En sa qualité de gérant M. [Y] [F] avait signé les actes de prêts des SCI 2A et Melisa. En outre il ressort de la fiche patrimoniale du 20 décembre 2011 que le couple remboursait un emprunt personnel. De plus M. [Y] [F] avait déjà souscrit plusieurs engagements de caution, et que les deux époux avaient déjà l’un comme l’autre souscrit l’engagement de caution très conséquent de 840 000 euros en date du 29 octobre 2007 qui avait nécessairement particulièrement attiré leur attention compte tenu de son montant, avant de conclure l’engagement litigieux. En raison de leur expérience dans la gestion de sociétés civiles immobilières et de l’objet de celles-ci, et en raison des actes de prêt et/ou d’engagement de caution qu’ils avaient chacun conclu auparavant, ils avaient une bonne connaissance des techniques financières et bancaires et étaient en mesure de comprendre les risques encourus à l’occasion de l’engagement de caution litigieux. Ils étaient ainsi des cautions averties à la date du 10 janvier 2012.
A l’égard d’une caution avertie la banque est tenue à un devoir de mise en garde lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution, ou s’il existe un risque de l’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur, et si la caution démontre que la banque avait sur ses revenus, son patrimoine, et ses facultés de remboursement raisonnablement prévisibles,en l’état du succès escompté de l’opération cautionnée, des informations que la caution ignorait (Cass. Com. 16 décembre 2008 n° 07-20.413).
Or M. et Mme [F] ne soutiennent pas que la banque avait sur leurs revenus et patrimoine et leurs facultés de remboursement, des informations qu’ils ignoraient. La demande en dommages-intérêts pour manquement au devoir de mise en garde est rejetée.
Sur le montant de la créance de la banque :
L’évaluation de la créance de la banque faite par le tribunal n’est pas remise en cause par les appelants. Le jugement est confirmé en toutes ses dispositions étant toutefois souligné que l’engagement de caution litigieux date du 10 janvier 2012, et non pas du 7 août 2009 comme indiqué par le tribunal.
Sur les dépens et l’indemnité prévue par l’article 700 du code de procédure civile :
Les dispositions du jugement statuant sur les dépens et indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance sont confirmées.
M. et Mme [F], qui succombent en leurs prétentions en appel, devront supporter ensemble les dépens de la procédure d’appel, et payer à la CCM une indemnité de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant
Dit que M. [Y] [F] et Mme [Z] [F] se sont engagés solidairement dans la limite de la somme totale de 307 200 euros y compris intérêts et pénalités, le 10 janvier 2012, pour garantir le remboursement du prêt consenti par la Caisse de crédit mutuel Mulhouse Saint Antoine à la SCI 2A accepté le 10 janvier 2012 et constaté par acte authentique du 31 janvier 2012 ;
Rejette en conséquence la demande de M. [Y] [F] et Mme [Z] [F] tendant à dire que leur engagement serait limité à la somme totale de 42 000 euros y compris intérêts et frais ;
Dit que l’association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint Antoine est en droit de se prévaloir des engagements de caution précités du 10 janvier 2012 ;
Rejette la demande en dommages-intérêts formée par M. [Y] [F] et Mme [Z] [F] pour manquement allégué au devoir de mise en garde ;
Condamne solidairement M. [Y] [F] et Mme [Z] [F] née [M] à payer à l’association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint Antoine la somme de 3500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne solidairement M. [Y] [F] et Mme [Z] [F] née [M] aux dépens de la procédure d’appel ;
Rejette les demandes de M. [Y] [F] et Mme [Z] [F] au titre des dépens et indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
La greffière La présidente de chambre