Prêt entre particuliers : 19 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/03791

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Prêt entre particuliers : 19 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/03791

19 janvier 2023
Cour d’appel de Paris
RG
21/03791

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 9 – A

ARRÊT DU 19 JANVIER 2023

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/03791 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDF2T

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 décembre 2020 – Juge des contentieux de la protection de MEAUX – RG n° 20/01831

APPELANTE

La société CREATIS, société anonyme agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

N° SIRET : 419 446 034 00128

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Olivier HASCOET de la SELARL HAUSSMANN-KAINIC-HASCOET-HELAI, avocat au barreau de l’ESSONNE

INTIMÉ

Monsieur [P] [O]

né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 6] (GUADELOUPE)

[Adresse 2]

[Localité 5]

représenté par Me François MEURIN de la SCP TOURAUT & ASSOCIES, avocat au barreau de MEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Muriel DURAND, Présidente de chambre

Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère

Mme Laurence ARBELLOT, Conseillère

Greffière, lors des débats : Mme Camille LEPAGE

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Muriel DURAND, Présidente et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon offre préalable acceptée le 17 juin 2011, la société Creatis a consenti à M. [P] [O] un prêt personnel en regroupement de crédits d’un montant de 30 100 euros, au taux débiteur fixe de 6,14 % l’an.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 7 mai 2019, la société Creatis a mis en demeure M. [O] de payer la somme de 6 206,19 euros au titre de ses retards de paiement. Cette mise en demeure étant restée sans effet, la société Creatis a prononcé la déchéance du terme du prêt par courrier du 24 février 2020.

Saisi le 23 juin 2020 par la société Creatis d’une demande tendant principalement à la condamnation de l’emprunteur au paiement d’une somme de 15 124,96 euros, le tribunal judiciaire de Meaux, par un jugement contradictoire rendu le 23 décembre 2020 auquel il convient de se reporter, a :

– déclaré recevable la demande formée par la société Creatis,

– prononcé la déchéance du droit aux intérêts conventionnels,

– condamné M. [O] à payer à la société Creatis la somme de 2 343 euros au titre du prêt,

– dit que cette somme ne portera pas intérêts,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Après avoir fixé la date du premier incident de paiement non régularisé au mois d’août 2018 et contrôlé la recevabilité de l’action, le premier juge a constaté que le prêteur ne justifiait pas avoir vérifié la solvabilité de l’emprunteur avant la conclusion du contrat ni lui avoir remis le bilan prévu par l’article R. 312-20 du code de la consommation et a prononcé en conséquence la déchéance de la banque de son droit aux intérêts. Il a rappelé que l’article L. 312-38 du code de la consommation faisait obstacle à la capitalisation des intérêts, a souligné que l’indemnité de résiliation ne pouvait être réclamée et a écarté l’application des dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil et L. 313-3 du code monétaire et financier.

Par une déclaration en date du 25 février 2021, la société Creatis a relevé appel de cette décision.

Aux termes de conclusions remises le 21 octobre 2021, l’appelante demande à la cour :

– d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

– de déclarer M. [O] mal fondé en ses demandes et l’en débouter,

– de condamner M. [O] à lui payer la somme de 15 124,96 euros avec intérêts au taux contractuel de 6,14 % l’an à compter de la mise en demeure du 24 février 2020,

– subsidiairement si la cour confirmait la déchéance du droit aux intérêts contractuels, de condamner M. [O] à lui payer la somme de 15 124,96 euros avec intérêts au taux légal à compter du jour de la mise en demeure du 24 février 2020, sans suppression de la majoration de cinq points,

– de condamner M. [O] à lui payer la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

L’appelante soutient avoir contrôlé la solvabilité de l’emprunteur avant l’octroi effectif du crédit conformément aux dispositions des articles L. 311-13 et L. 311-9 du code de la consommation. Elle précise que cette consultation ne doit pas survenir avant l’acceptation du contrat ou avant sa signature et indique avoir consulté le FICP le jour du déblocage des fonds. Elle relève ensuite que l’article R. 314-19 du code de la consommation imposant la remise d’un bilan regroupant l’ensemble des crédits remboursés n’est entré en vigueur que le 1er juillet 2016 et que l’ancien article R. 313-12 du même code n’est entré en vigueur que le 1er octobre, soit plus d’un an après la conclusion du contrat. Elle conteste en conséquence encourir la déchéance du droit aux intérêts.

Elle signale enfin que l’intimé a reconnu être en possession d’un exemplaire du contrat doté du bordereau de rétractation au moyen d’une clause et verse aux débats la liasse contractuelle remise à l’emprunteur afin de corroborer cette clause. Elle relève enfin que l’emprunteur ne produit aucun document sur sa situation financière et qu’il n’y a pas lieu de lui accorder des délais de paiement supplémentaires.

Par des conclusions remises le 22 juillet 2021, M. [O] demande à la cour :

– de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande de délais de paiement,

– de lui octroyer le bénéfice de délais de paiement à hauteur de 350 euros par mois jusqu’à apurement de sa dette,

– de condamner la société Creatis à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

L’intimé soutient que la consultation du FICP doit avoir lieu pendant le délai de rétractation et avant le déblocage des fonds, souligne que le prêteur l’a consulté concomitamment voire postérieurement à ce déblocage et qu’il encourt en conséquence la déchéance de son droit aux intérêts. Il ajoute que le bilan de regroupement des crédits ne lui a pas été remis, que son exemplaire du contrat ne comportait pas de bordereau de rétractation puis demande l’octroi de délais de paiement en application des dispositions de l’article 1343-5 du code civil.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 18 octobre 2022 et l’affaire a été appelée à l’audience du 23 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le contrat litigieux ayant été conclu le 17 juin 2011, le premier juge a, à juste titre, fait application des dispositions du code de la consommation dans leur rédaction postérieure à l’entrée en vigueur de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 et antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 fixée au 1er juillet 2016.

La recevabilité de l’action en paiement du prêteur a été vérifiée et n’est pas contestée en appel.

Sur la déchéance du droit aux intérêts

Il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations précontractuelles et d’établir qu’il a satisfait aux formalités d’ordre public prescrites par le code de la consommation.

L’article L. 311- 48 devenu L. 341-1 et L. 341-2 du code de la consommation dispose que le prêteur est déchu du droit aux intérêts lorsqu’il ne satisfait pas aux conditions d’informations précontractuelles prévues par les articles énumérés et contenues dans le code de la consommation.

La société Creatis verse aux débats le contrat de regroupement de crédits accepté le 17 juin 2011, la fiche dialogue, la fiche d’informations précontractuelles, la notice d’assurance, les justificatifs de domicile et de revenus et le justificatif de la consultation du fichier des incidents de paiement des crédits aux particuliers effectuée le13 juillet 2011.

Il convient de relever que si l’intimé invoque l’absence d’une notice d’information relative au regroupement de crédits également retenue par le premier juge, cette exigence, prévue aux articles L. 311-8, L. 313-15, R. 313-12 et R. 313-13 du code de la consommation, résulte d’une version issue du décret du 30 avril 2012 et applicable aux opérations de regroupement de crédits dont l’offre est émise à compter du 1er janvier 2013, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Selon l’article L. 311-9 devenu L. 312-16 du code de la consommation dans sa rédaction applicable au litige, avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur vérifie la solvabilité de l’emprunteur à partir d’un nombre suffisant d’informations, y compris des informations fournies par ce dernier à la demande du prêteur. Le prêteur consulte le fichier prévu à l’article L. 333-4, dans les conditions prévues par l’arrêté mentionné à l’article L. 333-5.

Il résulte de ce texte que la consultation du fichier doit être réalisée avant l’octroi du crédit.

Il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations.

Les dispositions de l’article L. 311-9 précitée renvoient aux dispositions de l’arrêté du 26 octobre 2010 relatif au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers dont l’article 2 précise que les établissements doivent obligatoirement consulter le fichier avant toute décision effective d’octroyer un crédit tel que mentionné à l’article L. 311-2 du code de la consommation. Sans préjudice de consultations antérieures dans le cadre de la procédure d’octroi de crédit, cette consultation obligatoire, qui a pour objet d’éclairer la décision finale du prêteur avec les données les plus à jour, doit être réalisée lorsque le prêteur décide notamment d’agréer la personne de l’emprunteur en application de l’article L. 311-13 du code de la consommation pour les crédits mentionnés à l’article L. 311-2 du même code, de consentir un crédit en application du II de l’article L. 311-43 du même code.

Le prêteur disposait donc jusqu’à la date de déblocage des fonds pour procéder à la consultation du fichier des incidents de remboursement des crédits.

En l’espèce, il n’est pas contesté que les fonds ont été débloqués le 13 juillet 2011.

En produisant un justificatif d’une consultation effectuée le 13 juillet à 10h19, la société Créatis ne justifie pas avoir effectué cette consultation avant le déblocage des fonds, intervenu le même jour, étant précisé que cette antériorité est contestée.

Partant, le jugement est confirmé en ce qu’il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts.

Au surplus, l’article L. 311-12 (devenu L. 312-21) du code de la consommation prévoit que pour faciliter l’exercice de la faculté de rétractation reconnue au débiteur, un formulaire détachable est joint à son exemplaire de contrat de crédit.

L’article L. 311-34 du code de la consommation incrimine le fait pour le prêteur d’omettre de prévoir un formulaire détachable dans l’offre préalable ce qui démontre bien que le bordereau détachable fait bien partie intégrante de cet acte.

De surcroît, la présence du bordereau est exigée par les modèles-types d’offres préalables fixés par les articles R. 311-6 et R. 311-7 du code de la consommation. Ce formulaire doit, conformément au modèle type de bordereau et à l’article R. 311-7 comporter un certain nombre de mentions obligatoires, tant au recto qu’au verso.

Il appartient au préteur, s’agissant d’une disposition d’ordre public, de justifier de la régularité du bordereau de rétractation, qui doit comporter les mentions requises.

Il est désormais admis que la clause de reconnaissance de la remise d’une offre avec un bordereau de rétractation ne suffit pas en elle-même et ne constitue qu’un indice de la remise effective d’un document conforme aux dispositions d’ordre public et qu’il appartient au prêteur de rapporter la preuve qu’il a satisfait ses obligations en corroborant cet indice par tous autres éléments de fait.

En l’espèce, force est de constater que l’offre de crédit produite par le préteur est dépourvue de bordereau de rétractation détachable, de sorte que la preuve de la régularité n’est pas rapportée. Si l’emprunteur a apposé sa signature sous une clause selon laquelle il déclare avoir pris connaissance des conditions du contrat et rester en possession d’un exemplaire de ce contrat, doté d’un formulaire détachable de rétractation, cette reconnaissance ne constitue qu’un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.

À hauteur d’appel, la société Creatis produit un spécimen de la même offre de contrat de regroupement de crédits comportant une référence identique (REF : Contrat Regroup crédit IOB 11 2011). Néanmoins, alors que ce fait est contesté par l’intimé, elle ne rapporte pas la preuve que l’exemplaire signé par l’intimé comportait un bordereau conforme.

La société Créatis encourt également à ce titre une déchéance du droit aux intérêts.

Partant le jugement est confirmé en ce qu’il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts.

Les parties n’ayant pas contesté le calcul effectué par le premier juge pour déterminer la somme due après déchéance du droit aux intérêts, le quantum de la condamnation est confirmé.

Le prêteur, bien que déchu de son droit aux intérêts, demeure fondé à solliciter le paiement des intérêts au taux légal, en vertu de l’article 1153 devenu 1231-6 du code civil, sur le capital restant dû.

Ces dispositions légales doivent cependant être écartées s’il en résulte pour le prêteur la perception de montants équivalents ou proches de ceux qu’il aurait perçus si la déchéance du droit aux intérêts n’avait pas été prononcée, sauf à faire perdre à cette sanction ses caractères de dissuasion et d’efficacité (CJUE 27 mars 2014, affaire C-565/12, Le Crédit Lyonnais SA / Fesih Kalhan).

En l’espèce, le crédit a été accordé à un taux d’intérêt annuel fixe de 6,14 %. Dès lors, les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le prêteur au titre des intérêts au taux légal majoré de cinq points seraient supérieurs à ce taux conventionnel. Il convient en conséquence de ne pas faire application de l’article 1231-6 du code civil dans son intégralité et de dire qu’il ne sera pas fait application de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier. La somme restant due en capital au titre de ce crédit portera intérêts au taux légal à compter du 24 février 2020, date de la mise en demeure, sans majoration de retard.

Sur la demande de délais de paiement

En vertu de l’article 1343-5 du code civil compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues.

M. [O] a déjà bénéficié de larges délais depuis la déchéance du terme le 24 février 2020 et ne justifie pas de sa situation financière actuelle. Le jugement est confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.

Sur les autres demandes

La société Creatis succombant en son appel, il convient de mettre les dépens d’appel à sa charge et il apparaît équitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de la condamner à payer à M. [O] la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions’sauf en ce qu’il a dit que la somme de 2 343 euros ne portera pas intérêts au taux légal ;

Statuant dans cette limite,

Dit que la somme de 2 343 euros portera intérêts au taux légal non majoré à compter du 24 février 2020 ;

Y ajoutant,

Laisse les dépens d’appel à la charge de la société Créatis ;

Condamne la société Créatis à payer à M. [P] [O] une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

La greffière La présidente

 


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