Prêt entre particuliers : 18 novembre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/00510

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Prêt entre particuliers : 18 novembre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/00510

18 novembre 2022
Cour d’appel de Rennes
RG n°
22/00510

2ème Chambre

ARRÊT N°580

N° RG 22/00510

N° Portalis DBVL-V-B7G-SNJQ

S.A. BANQUE CIC OUEST

C/

M. [L] [F]

Mme [I] [C] épouse [F]

Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

– Me SIROT

– Me RAIFFAUD

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 18 NOVEMBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 06 Octobre 2022

devant Monsieur Joël CHRISTIEN, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 18 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

S.A. BANQUE CIC OUEST

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Pierre SIROT de la SELARL RACINE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES

INTIMÉS :

Monsieur [L] [F]

né le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 7] (29)

[Adresse 4]

[Localité 6]

Madame [I] [C] épouse [F]

née le [Date naissance 2] 1941 à [Localité 8] (75)

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentés par Me André RAIFFAUD de la SELARL OCTAAV, postulant, avocat au barreau de NANTES

Représentés par Me Sébastien BENA, plaidant, avocat au barreau de PARIS

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon offre préalable de crédit immobilier acceptée le 9 juin 2005, la Banque régionale de l’Ouest, aux droits de laquelle se trouve la société Banque CIC Ouest (le CIC), a, en vue de financer l’acquisition d’un appartement dans le [Localité 6], consenti à M. [L] [F] et Mme [I] [C], son épouse, (les époux [F]) un prêt in fine de 746 932 euros à taux variable capé à 3,96 % l’an, dont le capital était remboursable à l’ultime échéance du 10 juin 2015.

En garantie du remboursement de ce prêt, les époux [F] ont donné en nantissement les contrats d’assurance-vie dénommés ‘Plan Patrimonio’, qu’ils avaient souscrits par l’intermédiaire du prêteur le 4 mai précédent auprès de la compagnie CIC Assurances, à hauteur de 370 000 euros chacun.

Par ailleurs, selon offre préalable acceptée le 22 août 2007, le CIC a, en vue de financer l’acquisition d’une résidence secondaire sur l’île de Ré, consenti à la SCI [F] Management (la SCI), dont les époux [F] sont les associés, un prêt in fine de 516 000 euros au taux de 4,25 % l’an, dont le capital était remboursable à l’ultime échéance du 31 juillet 2015.

En garantie de ce prêt, les époux [F] ont à nouveau nanti leurs contrats d’assurance-vie au profit de la banque.

Le 15 décembre 2008, M. et Mme [F] ont procédé au rachat partiel de leurs contrats d’assurance-vie, à hauteur de, respectivement, 259 064,03 euros et 259 045,19 euros, à l’effet de rembourser par anticipation le prêt consenti à la SCI.

En revanche, les emprunteurs n’ayant pas été en mesure d’honorer l’échéance de remboursement du capital de leur prêt personnel du 10 juin 2015 en dépit d’une mise en demeure du prêteur du 11 septembre 2015, le CIC a exercé le 14 janvier 2016 sa faculté de rachat des contrats d’assurance-vie nantis à son profit pour un montant total de 532 685,78 euros et, par acte du 15 avril 2016, a fait assigner les époux [F] devant le tribunal de grande instance de Paris en paiement du solde du prêt.

Par jugement du 22 mars 2017, le tribunal de grande instance de Paris a condamné les époux [F], qui avaient alors constitué avocat sans conclure, à payer à la banque une somme de 222 099,47 euros en principal, outre les intérêts au taux de 2,96 % à compter du 10 juin 2015 et une indemnité de 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les époux [F] ont relevé appel de cette décision le 12 mai 2017, mais, par ordonnance du 8 septembre 2017, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Paris a prononcé la caducité de leur déclaration d’appel, faute pour les appelants d’avoir conclu dans le délai imparti par l’article 908 du code de procédure civile.

Ils ont alors engagé une action en responsabilité contre l’avocat qui les représentait devant les juridictions parisiennes, mais, par jugement du 10 juin 2020, le tribunal de grande instance de Paris, estimant qu’ils ne caractérisaient pas de perte de chance de gagner le procès en responsabilité contre la banque à l’encontre de laquelle un telle action n’avait jamais été exercée alors qu’elle n’était toujours pas prescrite, les a déboutés de leurs demandes.

Corrélativement, par acte du 16 mars 2020, les époux [F] ont fait assigner le CIC devant le tribunal judiciaire de Nantes en paiement de dommages-intérêts pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde lors de la souscription du prêt in fine du 9 juin 2005.

Par conclusions d’incident du 11 janvier 2021, le défendeur a saisi le juge de la mise en état de fins de non-recevoir tirées de l’autorité de chose jugée attachée à la décision du tribunal de grande instance de Paris du 22 mars 2017, ainsi que de la prescription de l’action en responsabilité exercée à son encontre.

Estimant que l’action engagée devant le tribunal judiciaire de Nantes n’avait pas le même objet que celle introduite devant le tribunal de grande instance de Paris, et que le délai de la prescription quinquennale n’avait pu courir avant le terme du prêt in fine, le juge de la mise en état a, par ordonnance du 6 janvier 2022 :

déclaré l’action des époux [F] recevable,

condamné le CIC à verser aux époux [F] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné le CIC aux dépens,

débouté le CIC de sa demande au titre des frais irrépétibles,

débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Le CIC a relevé appel de cette décision le 26 janvier 2022, pour demander à la cour de l’infirmer et de :

juger irrecevables les demandes formées par les époux [F] en ce qu’elles contreviennent à l’autorité de la chose jugée du jugement du tribunal de grande instance de Paris du 22 mars 2017, en lien avec le principe de concentration des moyens,

juger irrecevables car prescrites les demandes formées par les époux [F],

les en débouter,

condamner les époux [F] au paiement d’une indemnité de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner solidairement les époux [F] aux entiers dépens.

Les époux [F] concluent quant à eux à la confirmation de l’ordonnance attaquée, et sollicitent en outre la condamnation du CIC au paiement d’une indemnité de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour le CIC le 9 août 2022 et pour les époux [F] le 22 mars 2022, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 8 septembre 2022.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur la prescription

L’action en responsabilité exercée par les emprunteurs au titre d’un manquement de la banque leur ayant consenti un prêt à son devoir de mise en garde est soumise à la prescription de l’article L. 110-4 du code de commerce, de dix ans ramenés à cinq ans par la loi du 21 juin 2008.

Toutefois, ainsi que le juge de la mise en état l’a exactement rappelé, s’agissant d’un prêt in fine dont le remboursement en capital était adossé sur des contrats d’assurance-vie constitués en nantissement au profit de la banque et dont les rachats devaient permettre le remboursement du capital emprunté au terme convenu, le manquement de la banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un tel prêt prive l’emprunteur d’une chance d’éviter un risque qui ne s’est réalisé, non au jour de la conclusion du contrat, mais seulement à l’échéance de remboursement du capital devant être couverte par le rachat des contrats d’assurance-vie.

Dès lors, le délai de la prescription quinquennale n’a commencé à courir qu’à compter du 10 juin 2015, de sorte que l’action des époux [F], engagée par assignation du 16 mars 2020, n’est pas prescrite.

Sur la chose jugée

Il résulte de l’article 1351 devenu 1355 du code civil que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement, la chose demandée, la cause de cette demande et les parties demanderesses et défenderesses devant être les mêmes.

Il est en outre de principe qu’il incombe au défendeur de présenter, dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à justifier son rejet total ou partiel.

Pour écarter la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée, le juge de la mise en état a relevé que le jugement rendu le 22 mars 2017 par le tribunal de grande instance de Paris avait statué sur l’action, intentée par le CIC, en paiement des sommes dues au titre du prêt, de sorte que l’action en paiement de dommages-intérêts ultérieurement exercée par les emprunteurs, devant le tribunal judiciaire de Nantes, contre la banque pour manquement de celle ci à son devoir de mise en garde n’avait pas un objet identique.

Pourtant, la demande tendant à voir déclarer la banque responsable d’une faute commise lors de l’octroi de son concours concernait le même prêt que celui dont cette dernière avait précédemment poursuivi l’exécution, de sorte qu’elle ne tendait qu’à remettre en cause, en dehors de l’exercice des voies de recours, par un moyen non soutenu devant le tribunal de grande instance, une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée à leur égard.

La cour ne prétend à cet égard pas qu’il existerait un principe général de concentration des demandes faisant obligation à toutes les parties à une instance en cours de former l’ensemble des prétentions qu’elles pourraient être à même de faire valoir l’une à l’encontre l’autre, mais il doit être néanmoins rappelé que le manquement son devoir de mise en garde de la banque agissant en paiement des sommes dues au titre d’un prêt n’a pas nécessairement à être invoqué comme fondement d’une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts et en compensation, mais constitue aussi un moyen de défense que les emprunteurs sont en droit d’opposer aux prétentions adverses pour conclure à leur rejet total ou partiel.

Il en résulte qu’en vertu du principe de concentration des moyens précédemment visé, les époux [F] étaient tenus d’invoquer, dans l’instance engagée devant le tribunal de grande instance de Paris sur l’assignation en paiement du CIC, l’ensemble des moyens propres à provoquer le rejet total ou partiel des demandes de la banque, y compris celui tiré du manquement de la banque à son devoir de mise en garde, ce que, pour des motifs qu’ils imputent à des carences de l’avocat qui les représentait, ils se sont s’abstenus de faire en ne concluant ni devant les premiers juges, ni, en tous cas dans les délais requis, devant la cour d’appel de Paris.

Dès lors, sous le couvert d’une demande en paiement de dommages-intérêts formée devant le tribunal judiciaire de Nantes, leur action ne tend en réalité qu’à faire échec, par un moyen non soutenu devant le tribunal de grande instance de Paris, à leur condamnation irrévocable à paiement.

Par ailleurs, si l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs, ou des actes ou faits nouveaux, sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice, les époux [F], qui étaient tenus de soulever devant le tribunal de grande instance de Paris le moyen de défense tiré du manquement de la banque à son devoir de mise en garde, ne sauraient arguer d’une évolution favorable de la jurisprudence applicable à la prescription postérieure au jugement du 22 mars 2017 comme une circonstance nouvelle de nature à faire écarter la fin de non-recevoir.

En effet, une jurisprudence postérieure à la décision ayant autorité de chose jugée ne saurait, sauf à mettre à néant le caractère irrévocable des décisions contre lesquelles les voies de recours ont été épuisées, constituer l’élément nouveau modifiant la situation antérieurement reconnue en justice dépouillant cette décision de son autorité de chose jugée.

L’action des époux [F] est donc irrecevable comme se heurtant à l’autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal de grande instance de Paris du 22 mars 2017, de sorte qu’il convient d’infirmer l’ordonnance attaquée.

Sur les frais irrépétibles

Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge du CIC l’intégralité des frais exposés par lui à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte qu’il lui sera alloué une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Infirme l’ordonnance rendue le 6 janvier 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nantes ;

Déclare l’action exercée par les époux [F] contre la société Banque CIC Ouest irrecevable ;

Condamne les époux [F] à payer à la société Banque CIC Ouest une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne les époux [F] aux dépens de première instance et d’appel ;

Accorde le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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