18 avril 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/13178
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 8
ARRÊT DU 18 AVRIL 2023
(n° / 2023, 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/13178 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEBPU
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Juin 2021 -Tribunal de Commerce de CRETEIL – RG n° 2019L00912
APPELANT
Monsieur [G] [B]
Né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 8] (POLOGNE)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 2]
[Localité 6]
Représenté par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065,
Assisté de Me Laure CHRISTIAEN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0855,
INTIMÉS
Maître [U] [R], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL P.S.B., immatriculée au registre du commerce et des sociétés de [Localité 7] sous le numéro 447 898 578, désignée par ordonnance du juge commissaire du Tribunal de commerce de CRETEIL en date du 27 octobre 2020, aux lieu et place de la SMJ,
Dont l’étude est située [Adresse 4]
[Localité 7]
Représenté et assisté de Me Thierry SERRA de la SELARL SERRA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0280,
Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL – SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
[Adresse 3]
[Localité 5]
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Février 2023, en audience publique, devant la Cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
Madame Constance LACHEZE, conseillère,
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
MINISTÈRE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur François VAISSETTE , avocat général, qui a fait connaître son avis écrit le 30 novembre 2021.
ARRÊT :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [G] [B] a été le gérant et l’associé unique de la société à responsabilité limitée P.S.B. qui exerçait l’activité de : » Électricité, menuiserie, chauffage, plomberie, peinture, revêtement de sol, serrurerie, rénovation « . La société employait 9 salariés, dont l’épouse du gérant, et son chiffre d’affaires était de 748 267 euros en 2014 et de 586 748 euros en 2015.
Sur déclaration de cessation des paiements le 28 juillet 2017 et par jugement du 29 août 2017, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de liquidation judiciaire, désigné en qualité de liquidateur la SELARL SMJ, prise en la personne de Maître [U] [R], et fixé la date de cessation des paiements au 29 février 2016.
Par acte du 29 avril 2019, le liquidateur judiciaire a assigné M. [B] devant le tribunal de commerce de Créteil aux fins de le voir condamné à combler l’insuffisance d’actif à hauteur de 240 194 euros et sanctionné par une faillite personnelle de 10 ans, ou subsidiairement par une interdiction de gérer, se prévalant des fautes de gestion ou griefs tenant à la poursuite d’une exploitation déficitaire, à l’absence de déclaration de la cessation des paiements dans le délai de 45 jours et à la tenue d’une comptabilité incomplète.
Par jugement du 30 juin 2021, le Tribunal de commerce de Créteil a :
– condamné M. [B] à payer à la SELARL SMJ, ès-qualités, remplacée par
Me Alain-François [R], la somme de 219 194 euros au titre de l’insuffisance d’actif de la société P.S.B. avec les intérêts au taux légal à compter du 29 avril 2019 ;
– interdit à M. [B] de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale, artisanale, toute personne morale, et fixé la durée de cette mesure à 6 ans ;
– ordonné l’exécution provisoire ;
– condamné M. [B] à payer à Me [R] ès-qualités la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, a débouté Me [R] ès-qualités du surplus de sa demande et débouté M. [B] de sa demande formée de ce chef ;
– dit que cette sanction fera l’objet d’une inscription au fichier national des interdits de gérer;
– dit que les dépens seront mis à la charge de M. [B].
Le tribunal n’a pas retenu le grief relatif à la tenue d’une comptabilité. En revanche, il a constaté la poursuite abusive de l’exploitation alors qu’elle était déficitaire sur trois années consécutives de 2014 à 2016, dans l’intérêt personnel de M. [B], celui de son épouse et d’une SCI dans laquelle il est associé, l’absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours, M. [B] étant conscient de l’état de cessation des paiements à compter du 29 février 2016 et, sur demande de Me [R], le paiement préférentiel de la SCI dont l’appelant est associé et dirigeant. M. [B] ayant contribué au remboursement du passif, le tribunal a soustrait la somme de 21 000 euros avant de condamner l’appelant à en régler le solde.
Par déclaration du 12 juillet 2021, M. [B] a relevé appel de ce jugement dont
Me [R] ès-qualités a formé appel incident par conclusions régulièrement notifiées le 12 janvier 2022.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 5 avril 2022,
M. [B] demande à la cour :
– de le recevoir en son appel et en ses conclusions et le dire bien fondé ;
– y faisant droit, de réformer le jugement du tribunal de commerce de Créteil en toutes ses dispositions ;
– statuant à nouveau, de débouter Me [R] ès-qualités de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
– à titre subsidiaire, d’infirmer le jugement sur le quantum des dommages et intérêts et la durée de l’interdiction prononcée et minorer les sanctions prononcées de ces chefs ;
– en tout état de cause, de débouter Me [R] ès-qualités de son appel incident ;
– de condamner Me [R] ès-qualités à lui payer une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 12 janvier 2022, Me [R] demande à la cour :
– de déclarer M. [B] mal fondé en son appel et de le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– de confirmer le jugement des chefs retenant la responsabilité de M. [B] dans l’aggravation de l’insuffisance d’actif de la société PSB et du chef de la mesure d’interdiction de diriger et gérer une entreprise commerciale sur la durée de 6 ans ;
– de le recevoir en son appel incident ;
– y faisant droit, de réformer le jugement des chefs emportant réduction de la contribution de M. [B] à l’insuffisance d’actif de la société P.S.B. ;
– statuant à nouveau de ces chefs, de condamner M. [B] à lui payer la somme de
240 194 euros en application de l’article L. 651-2 du code de commerce ;
– en tout état de cause, de condamner M. [B] à lui payer la somme supplémentaire de 5 000 euros en application de l’article 700 code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par avis notifié par RPVA le 30 novembre 2021, le parquet général demande à la cour:
– de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné M. [B] à une interdiction de gérer pour une durée de 6 ans ;
– de condamner M. [B] à payer au liquidateur judiciaire de la société P.S.B. ès qualités la somme de 180 000 euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d’actif.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 10 janvier 2023.
SUR CE,
– Sur la responsabilité pour insuffisance d’actif
Au soutien de sa demande de confirmation du jugement, Me [R] ès qualités expose que M. [B] a attendu 17 mois pour déclarer l’état de cessation des paiements malgré de multiples publications de créances privilégiées dès février 2016 et l’arrêt du paiement de la TVA et des caisses de sécurité sociale.
Me [R] fait valoir, comme l’a retenu le tribunal, que la société P.S.B. a enregistré des résultats déficitaires croissants les 31 décembre 2014, 2015 et 2016 et que les capitaux propres étaient fortement négatifs au 31 décembre 2016 (-184 330 euros), sans que son gérant ne prenne de mesures significatives pour redresser la situation et tout en cessant de payer les caisses sociales à compter de février 2016 et la TVA à compter de juin 2016. Malgré l’état des inscriptions de privilèges, dès février 2016, pour plus de 12 000 euros pour la caisse de retraite du BTP et pour plus de 16 000 euros pour l’URSSAF, outre des inscriptions régulières par la suite, des comptes annuels montrant au 31 décembre 2016 un état de cessation des paiements, M. [B] a volontairement tardé à déposer le bilan et a poursuivi une activité déficitaire dans son intérêt personnel et celui de son épouse, étant rémunérés en 2016 et 2017 par la société débitrice, et dans l’intérêt de la SCI SEV dont il est le dirigeant et qui a perçu des loyers jusqu’en juillet 2017.
Me [R] fait également observer que M. [B] a reconnu lors de l’audience d’ouverture de la procédure collective le 29 août 2017 que la société qu’il dirigeait était en état de cessation de paiement depuis le 29 février 2016. Il ajoute enfin reprenant un des motifs retenus par le tribunal que M. [B] ne peut se prévaloir du retard de son comptable pour s’exonérer de sa responsabilité alors que l’établissement de la comptabilité constitue une obligation du dirigeant.
Cette poursuite d’activité déficitaire et le retard dans la déclaration de cessation des paiements, constitutifs de fautes de gestion, ont contribué à l’insuffisance d’actifs à hauteur de 240 194 euros correspondant aux créances nées après le 14 avril 2016 (soit 45 jours après la date de cessation des paiements) et jusqu’au 28 juillet 2017 date de la déclaration de cessation des paiements. Le lien de causalité est caractérisé par le fait que M. [B] a de son propre chef tardé à déclarer l’état de cessation des paiements dont il était d’ailleurs conscient.
Au soutien de sa demande d’infirmation du jugement, M. [B] explique qu’il a continué l’exercice de l’activité sans se préoccuper de l’état de cessation des paiements en raison de difficultés rencontrées par son expert-comptable dans l’établissement des comptes de l’exercice clos le 31 décembre 2015, puis du refus opposé par ce dernier de transmettre les comptes 2015 une fois finalisés et de finaliser ceux de 2016, les comptes annuels de l’année 2016 ayant finalement été établis par un autre expert-comptable le 13 juillet 2017 provoquant dans leurs suites la déclaration de cessation des paiements. La rétention des comptes a également privé M. [B] de son outil de gestion et des données chiffrées nécessaires à la régularisation d’une déclaration de cessation des paiements dans les délais requis, ce qu’il a fait dès qu’il a été en possession des comptes de l’année 2016.
Il soutient par ailleurs que les rémunérations perçues et les loyers versés à la SCI SEV dont il est le dirigeant ne présente pas de caractère excessif, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il ait perçu un avantage personnel.
Il estime donc que les fautes de gestion ne sont pas établies, pas plus que le lien de causalité avec l’insuffisance d’actif n’est démontré.
Le ministère public considère que les conditions des griefs reprochés sont réunies :
– avec, pour la poursuite abusive d’une exploitation déficitaire, la poursuite de l’exploitation malgré des pertes croissantes d’environ 37 000 euros en 2014, 157 000 euros en 2015 et
203 380 euros en 2016, le caractère abusif du maintien de l’activité malgré la diminution continue des résultats d’exploitation, la liquidation rapide des capitaux propres passant de
146 344 euros en 2014 à -184 330 euros en 2016, le maintien de revenus stables au profit du dirigeant et de son épouse, cette situation conduisant inéluctablement à une situation de cessation des paiements, laquelle est intervenue selon le jugement de liquidation le
29 février 2016 ;
– et pour le retard dans la déclaration de cessation des paiements, avec d’une part la déclaration de cessation des paiements intervenue le 28 juillet 2017 alors que l’état de cessation des paiements était caractérisé dès le 29 février 2016 et, d’autre part, la connaissance de ces difficultés que M. [B] ne pouvait ignorer malgré l’absence de données comptables à jour puisque les inscriptions de privilèges sont exceptionnellement nombreuses et totalisent 159 453,73 euros.
Ces fautes de gestion ayant conduit à une aggravation du passif et à l’insuffisance d’actif, il y a lieu de faire peser sur le dirigeant de la société débitrice tout ou partie de l’insuffisance d’actif. Compte tenu des paiements échelonnés réalisés par l’intéressé, le ministère public est d’avis de le condamner à verser la somme de 180 000 euros, déduction faite des remboursements de l’URSSAF pour 31 308,35 euros et du versement de 21 000 euros, mais non compris celui au titre du cautionnement du prêt.
Sur ce, l’article L. 651-2 du code de commerce dispose : » Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée (‘) « .
En l’espèce,
– Sur l’insuffisance d’actif
Le montant définitif du passif après rejet et annulation de créances déclarées à tort s’élève à la somme de 445 643,34 euros qui n’est pas discutée par les parties et se décompose en une somme de 442 304,37 euros au titre du passif définitif échu, outre 3 338,97 euros de créances à échoir. De cette somme (445 643,34 euros), il convient de déduire le montant de l’actif recouvré s’élevant selon les pièces produites par Me [R] ès qualités, à la somme de 13 138,51 euros.
Après déduction des créances superprivilégiées d’un montant de 73 643,34 euros, le montant de l’insuffisance d’actif s’élève à la somme de 358 861,49 euros.
Me [R] indique que le montant de l’insuffisance d’actif qu’il considère imputable à la poursuite déficitaire de l’activité au-delà de la date de cessation des paiements s’élève à la somme totale de 240 194 euros pour une période comprise entre le 14 avril 2016 et le 7 août 2017, soit durant la période suspecte.
– Sur la poursuite d’une exploitation déficitaire ne pouvant conduire qu’à la cessation des paiements
Malgré un résultat net comptable déficitaire de 37 984 euros en 2014 susceptible d’être passager que M. [B] ne soutient pas avoir ignoré, ce dernier a poursuivi l’activité de la société en 2015 et en 2016, augmentant le déficit à 157 294 euros en 2015 puis à 203 380 euros en 2016 selon les bilans des exercices clos au 31 décembre 2015 et au 31 décembre 2016.
Durant toute cette période, le niveau des salaires est demeuré constant.
Ainsi, ce déficit résulte principalement d’une baisse significative du chiffre d’affaires à partir de 2015, de -60 000 euros par rapport à l’année précédente, et la situation n’a pas été rétablie en 2016 malgré une hausse du chiffre d’affaires par rapport à 2015, les charges ayant considérablement augmenté en 2016, dépassant le niveau de 2014 et privant la hausse du chiffre d’affaires d’effet sur le résultat d’exploitation. Dès lors, ce déséquilibre persistant ne pouvait que conduire inéluctablement à la cessation des paiements.
Il s’ensuit que la faute de gestion commise par M. [B] est caractérisée par la poursuite de l’exploitation tout au long de l’année 2015 et jusqu’au 28 juillet 2017 malgré l’apparition d’un déficit dès 2014 considérablement accru durant l’année 2015, faute par M. [B] d’avoir pris les mesures nécessaires pour réduire les dépenses de la société dont il n’ignorait pas le ralentissement de l’activité, étant rappelé que M. [B] indique dans ses dernières écritures qu’il s’efforçait à cette époque » de redresser la société « , démontrant qu’il avait conscience des difficultés de son entreprise. Dans ces conditions, la gravité de cette faute exclut qu’elle puisse ne constituer qu’une simple faute de négligence.
Compte tenu de l’importance du déficit dès 2015, M. [B] ne saurait justifier cette faute par la rétention des comptes de l’exercice 2015 opérée selon lui par son comptable en 2016, étant relevé que le défaut d’outils de pilotage ne saurait exonérer le dirigeant de sa responsabilité alors qu’il lui appartient précisément de faire le nécessaire pour se doter de tels outils.
Il ressort par ailleurs des bilans du passif des exercices 2015 et 2016 qu’en 2015, ce déficit d’exploitation a entrainé une baisse importante (de près de 90%) des capitaux propres de la société et qu’en 2016, ceux-ci sont devenus négatifs (-184 330 euros) après une nouvelle réduction massive résultant du déficit d’exploitation (-203 380 euros).
La poursuite de l’exploitation sur une partie de l’année 2015 et toute l’année 2016 jusqu’à la déclaration de cessation de paiement le 28 juillet 2017, alors que M. [B] ne parvenait pas à augmenter son chiffre d’affaires à un niveau supérieur à celui de 2014 ou à réduire ses charges, a ainsi contribué à l’augmentation du passif social et partant à l’insuffisance d’actif, de sorte que le moyen pris de l’absence de lien de causalité sera écarté.
– Sur l’absence de déclaration de cessation des paiements dans les 45 jours de sa survenance
Il est constant que l’état de cessation des paiements n’a pas été déclaré dans le délai imparti par la loi expirant en l’occurrence le 14 avril 2016 (date de cessation des paiements au 29 février 2016 + 45 jours).
Faute d’une telle déclaration, le passif a été augmenté du montant des créances nées entre le 14 avril 2016 et la déclaration effectuée le 28 juillet 2017. Par la production des déclarations de créances assorties, selon le cas, des factures, appels de fonds ou de cotisations, le mandataire liquidateur justifie du montant de cette augmentation à hauteur de 236 587 euros, déduction faite des créances nées entre le 28 juillet 2017, date de la déclaration de cessation des paiements, et le 29 août 2017, date du jugement d’ouverture.
Ainsi, l’augmentation du passif à hauteur de 236 587 euros calculée sur la période comprise entre le 14 avril 2016 et le 28 juillet 2017 résulte de manière directe et certaine du défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai imparti, alors que cette dernière aurait pu permettre de mettre un terme à cette augmentation.
– Sur le montant de la contribution mise à la charge de M. [B]
Me [R] ès qualités estime, contrairement au tribunal, qu’il n’y a pas lieu de déduire du quantum de l’insuffisance d’actif les paiements réalisés par M. [B] auprès de l’URSSAF (21 000 euros), s’agissant de paiements de cotisations personnelles et non de paiements dus par la société P.S.B., soulignant que M. [B] ne verse pas aux débats le titre servant de fondement aux poursuites diligentées par l’huissier. En outre, il ajoute que ce paiement est de nature à rompre l’égalité entre les créanciers et ne devrait pas venir en déduction du passif.
Par ailleurs sur les paiements réalisés entre les mains de la banque CIC, M. [B] ne produit pas son engagement de caution permettant de prouver que c’est en cette qualité qu’il a fait des règlements et précise que la banque, malgré ce paiement, n’a pas renoncé à sa production de créance qui reste inscrite au passif de PSB et que s’il a payé en qualité de caution, M. [B] sera subrogé dans les droits de cette dernière à l’égard de la société PSB qui reste débitrice, M. [B] n’ayant pas renoncé non plus à sa créance à ce titre.
M. [B] précise qu’il a réalisé un apport en compte courant d’un montant de 23 500 euros durant l’année 2017, des versements entre les mains du CIC pour un montant total cumulé de 26 000 euros selon décompte arrêté au 4 avril 2022 et des paiements de ses cotisations sociales des années 2016 et 2017 entre les mains d’un huissier de justice pour un montant total de 10 619,73 euros.
Il fait en outre état de ses ressources, un salaire net mensuel de 3 500 euros, et charges, un enfant majeur et un prêt personnel de 77 800 euros.
Le ministère public estime qu’il doit être tenu compte de la situation personnelle du dirigeant, en ce qu’il a réalisé des paiements échelonnés à l’URSSAF pour 31 308,35 euros et procédé à un versement de 21 000 euros à la société, mais qu’il n’y a pas lieu de prendre en considération les paiements réalisés au titre du cautionnement du prêt. Il est donc d’avis de condamner M. [B] à verser la somme de 180 000 euros.
Sur ce, se pose donc la question de savoir s’il convient de soustraire du montant de l’insuffisance d’actif imputable aux fautes de gestion ci-dessus caractérisées les sommes que M. [B] prétend avoir versées (apport en compte courant, paiements de cotisations sociales et d’échéances du prêt professionnel souscrit par la société P.S.B.) dans la mesure où ces paiements pourraient ne pas avoir été pris en considération par le mandataire liquidateur dans le calcul du passif de la société.
Si M. [B] justifie avoir versé à la société P.S.B. une somme de 23 000 euros par virement depuis le compte qu’il partage avec son épouse, ces virements ont eu lieu entre avril et juin 2017, soit avant l’ouverture de la procédure et l’établissement de l’état du passif. Il n’y a donc pas lieu de les déduire de l’insuffisance d’actif, sauf à les déduire deux fois, mais il doit en être tenu compte pour apprécier le montant de sa contribution à l’insuffisance d’actif.
Si M. [B] justifie avoir contribué au remboursement du prêt contracté par la société P.S.B. à raison de 1 000 euros par mois depuis le 1er janvier 2018 jusqu’au 24 mars 2022, c’est en sa qualité de caution des engagements de la société débitrice et en exécution d’un jugement du 5 juin 2018 l’ayant condamné à cet effet. Me [R] ès qualités prouve que malgré les remboursements intervenus, la banque n’a pas renoncé à la production de sa créance pour le montant déclaré le 15 septembre 2017 et admis à l’issue.
De ce fait, s’il n’y a pas lieu de déduire de l’insuffisance d’actif les sommes versées par
M. [B] postérieurement au jugement d’ouverture, il convient néanmoins de prendre en considération cet engagement de caution et l’effort de remboursement dans l’évaluation du quantum de sa contribution à l’insuffisance d’actif.
S’agissant enfin des paiements partiels de cotisations à l’URSSAF au titre des échéances des 3ème et 4ème trimestres 2016 ainsi que des 1er, 2ème et 3ème trimestres 2017, paiements effectués par l’appelant à une date non communiquée à la cour et dont le solde s’élève à la somme de 31 308 euros, il n’est pas démontré qu’il s’agisse d’une dette de la personne morale P.S.B., le courrier adressé par l’huissier étant libellé au nom de M. [B] sans plus de précision et à son domicile personnel et non au siège social de l’entreprise, de sorte que Me [R] ès qualités soutient à juste titre qu’il n’est pas démontré que ce paiement se rapporte à une dette de la société débitrice.
Par ailleurs, il ressort de son avis d’imposition 2019 sur les revenus de 2018, seul versé aux débats à ce jour, que le revenu fiscal de référence du couple s’élevait à la somme de 147 235 euros, que sur cette somme M. [B] a perçu un salaire net imposable de 38 169 euros, outre des revenus fonciers nets de 31 033 euros. En 2019, M. [B] avait un enfant à charge et un prêt personnel de 77 861 euros. Les montants de ces ressources et charges ne sont pas actualisés.
Enfin, il sera relevé que durant la poursuite fautive de l’activité de la société débitrice, cette dernière a continué à verser des salaires à l’épouse de M. [B] et des loyers de locaux professionnels à la SCI SEV dont M. [B] est le gérant et qui n’était créancière au jour de la déclaration de cessation des paiements que de 2430 euros au détriment des créanciers sociaux et fiscaux dont la somme des créances dépassait 270 000 euros.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, en considération de l’insuffisance totale d’actif qui s’élève à 358 861,49 euros dont 236 587 euros imputable aux fautes de gestion et compte tenu de l’effort de contribution aux dettes de la société de M. [B], le montant de sa contribution à l’insuffisance d’actif sera fixé à la somme de 100 000 euros.
En conséquence, M. [B] sera condamné à verser la somme de 100 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de ce jour, s’agissant d’une créance indemnitaire, et le jugement sera partiellement infirmé en ce qu’il a condamné M. [B] à verser une indemnité de 219 194 euros avec intérêt au taux légal à compter du 29 avril 2019 au titre de l’insuffisance d’actif.
– Sur la sanction personnelle
Au soutien de sa demande de confirmation du jugement déféré, Me [R] ès qualités retient deux griefs tenant à la poursuite abusive dans un intérêt personnel d’une exploitation déficitaire ne pouvant conduire qu’à la cessation des paiements et au retard dans la déclaration de cessation de paiements, faisant notamment état de paiements préférentiels de certains créanciers et dans l’intérêt personnel de l’appelant (rémunération de ses fonctions de gérant et paiement de son épouse salariée de la société P.S.B. jusqu’en juin 2017 et versements de loyers commerciaux au bailleur la SCI SEV dont il est également le gérant jusqu’en juillet 2017).
L’appelant soutient que le tribunal de commerce a retenu l’existence de paiements préférentiels au profit de la SCI SEV-bailleresse des locaux d’exploitation sans toutefois caractériser lesdits paiements. Il ajoute qu’en activité depuis 1995 en qualité d’artisan, puis d’associé dirigeant de la société P.S.B. à compter de l’année 2003, il s’est trouvé confronté après 20 années d’activité à des difficultés économiques conjoncturelles et des problèmes de personnel dont l’incidence a été aggravée par les carences et la rétention dont a fait preuve son expert-comptable.
Le ministère public considère que les fautes invoquées sont graves au regard de l’importance du passif dont il en résulte, de l’importance de la chute d’activité et du nombre exceptionnel de privilèges inscrits. Il estime donc nécessaire d’écarter M. [B] du monde économique et de ses potentiels clients par le prononcé d’une mesure d’interdiction de gérer d’une durée de 6 ans.
– Sur les griefs évoqués dans le jugement déféré et non repris par les parties
Sur le défaut ou la tenue incomplète de la comptabilité, Me [R] ès qualités et le ministère public ne se prévalent plus de ce manquement, dont le tribunal a considéré qu’il n’était pas démontré. Ce grief sera donc écarté.
S’agissant des paiements préférentiels retenus par le tribunal, il n’y a pas lieu faute de demande en ce sens en cause d’appel mais en présence d’une contestation de la part de l’appelant, de les retenir en tant que grief au sens strict, sans préjudice le cas échéant de la possibilité de les invoquer comme moyen de fait.
– Sur la poursuite abusive dans un intérêt personnel d’une exploitation déficitaire ne pouvant conduire qu’à la cessation des paiements
Il résulte de l’application combinée des articles L. 653-4 et L. 653-8 du code de commerce que le tribunal peut prononcer une mesure d’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale à l’encontre de tout dirigeant, de droit ou de fait, d’une personne morale, contre lequel a été relevé le fait d’avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale.
Ainsi qu’il l’a été démontré, la poursuite de l’exploitation déficitaire ne pouvant conduire qu’à la cessation des paiements est caractérisée en l’espèce par la poursuite de l’exploitation tout au long de l’année 2015 et jusqu’au 28 juillet 2017 malgré l’apparition d’un déficit dès 2014 considérablement accru durant l’année 2015, faute par M. [B] d’avoir pris à cette époque les mesures nécessaires pour réduire les dépenses de la société dont il n’ignorait pas le ralentissement de l’activité.
Cette poursuite d’activité est abusive en ce que des paiements préférentiels sont intervenus durant cette période au profit du gérant au titre de ses rémunérations, de son épouse au titre de ses salaires et de la SCI bailleresse de locaux professionnels dont M. [B] est le gérant, au détriment des créanciers sociaux et fiscaux et dans des proportions significatives ci-dessus évoquées caractérisant leur caractère excessif.
Elle est également abusive en ce que les salaires et achats nécessaires à l’activité ont continué à être réglés dans des proportions quasi similaires tandis que l’activité de la société connaissait une baisse significative, en ce que des efforts auraient dû intervenir pour réduire les coûts ou pour négocier des délais de paiement et en ce que les cotisations sociales auraient dû continuer à être honorées au moins pour une large partie.
La poursuite d’activité doit également être considérée comme abusive en ce qu’elle a duré près de deux années, sans que l’absence d’outils de pilotage ou de comptabilité ne soit de nature à la justifier, ce qui a conduit de manière inéluctable à la cessation des paiements.
Les paiements intervenus pendant la période suspecte au profit de M. [B], de son épouse et de la SCI dont il est le gérant caractérisent l’intérêt personnel.
Le grief doit donc être retenu.
– Sur l’absence de déclaration de cessation des paiements dans les 45 jours de sa survenance
Aux termes de l’article L. 653-8 du code de commerce, l’interdiction de gérer peut être prononcée à l’encontre du dirigeant qui a omis sciemment de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements sans avoir, par ailleurs, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation.
La date de cessation des paiements arrêtée par le tribunal de la procédure collective s’impose au juge de la sanction. En l’espèce, cette date a été fixée irrévocablement par le jugement d’ouverture au 29 février 2016. Le tribunal a statué sur déclaration de cessation des paiements intervenue le 28 juillet 2017. Il est ainsi établi et, au demeurant non contesté, que M. [B] n’a pas demandé l’ouverture d’une procédure collective avant le 14 avril 2016 à minuit, date d’expiration du délai légal de déclaration ayant couru à compter de la cessation des paiements et ce, sans avoir non plus demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation.
Or dès le 14 avril 2016, la société P.S.B. a fait l’objet de huit inscriptions de privilèges en 2016 et de six en 2017, les dettes fiscales et sociales ont atteint 195 751 euros en décembre 2016 et compte tenu du nombre et de l’importance des montants réclamés, M. [B] ne pouvait pas en tant que gérant investi dans sa société, ignorer ses obligations de cotisations et les appels réalisés entre le 14 avril 2016 et le 28 juillet 2017 par les caisses concernées (URSSAF et caisse de retraite du BTP).
Il est donc établi que c’est sciemment que M. [B] s’est soustrait à l’obligation de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal.
L’élément matériel et l’élément moral étant caractérisés, le grief sera retenu.
– Sur le quantum de la sanction
La mesure du déficit d’exploitation, la durée de la période suspecte et la gravité des griefs ainsi caractérisés justifient le prononcé d’une mesure d’interdiction de gérer pour une durée de 6 ans.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a interdit M. [B] de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale, artisanale, toute personne morale, et fixé la durée de cette mesure à 6 ans.
– Sur les demandes accessoires
Partie perdante, M. [B] sera condamné aux dépens de première instance, le jugement étant confirmé sur ce point, ainsi qu’aux dépens d’appel et ne peut prétendre à l’octroi d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Me [R] ès qualités se verra allouer, outre l’indemnité de 3 500 euros octroyée par le jugement qui sera confirmé de ce chef, la somme de 500 euros au titre de ses frais exposés en cause d’appel et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a condamné M. [G] [B] à verser une indemnité de 219 194 euros au titre de l’insuffisance d’actif avec intérêts au taux légal à compter du 29 avril 2019 ;
Statuant à nouveau,
Condamne M. [G] [B] à payer à Me [R] ès qualités la somme de
100 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;
Y ajoutant,
Condamne M. [G] [B] aux dépens d’appel ;
Condamne M. [G] [B] à verser à Me [R] ès qualités la somme de
500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et rejette sa demande de ce même chef.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT