17 mars 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
20/01192
2ème Chambre
ARRÊT N°150
N° RG 20/01192 – N° Portalis DBVL-V-B7E-QP2W
(3)
Mme [T] [C]
C/
Mme [D] [R]
M. [S] [R]
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
– Me Linda LECHARPENTIER
– Me Céline DENIS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 17 MARS 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Aichat ASSOUMANI, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 10 Janvier 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 17 Mars 2023, après prorogations, par mise à disposition au greffe
****
APPELANTE :
Madame [T] [C]
née le [Date naissance 2] 1962 à [Localité 6]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Céline DENIS de la SELARL DENIS & HERREMAN-GAUTRON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/000701 du 24/01/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de RENNES)
INTIMÉS :
Madame [D] [R]
née le [Date naissance 1] 1983 à
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représentée par Me Linda LECHARPENTIER de la SELARL CMA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [S] [R]
né le [Date naissance 3] 1984 à [Localité 8]
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représenté par Me Linda LECHARPENTIER de la SELARL CMA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
2
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par chèque du 17 juin 2014, Mme [T] [C] a versé à son fils M. [S] [R] et à sa belle-fille Mme [D] [R] la somme de 15 000 euros provenant d’un héritage reçu à la mort de son père.
Soutenant qu’il s’agissait d’un prêt, Mme [C] a réclamé le remboursement de cette somme par l’intermédiaire de son conseil par courrier recommandé en date du 7 avril 2015.
Les époux [R] ont refusé de rembourser cette somme au prétexte qu’il s’agissait d’un don. Mme [C] les a fait assigner, par acte d’huissier en date du 7 juillet 2015, en remboursement de la somme devant le tribunal de grande instance de Rennes.
Par jugement en date du 10 décembre 2019, le tribunal a :
– rejeté les demandes de Mme [T] [C],
– condamné Mme [T] [C] aux dépens,
– condamné Mme [T] [C] à payer à M et Mme [R], ensemble, la somme de 1 000 euros.
Par déclaration en date du 19 février 2020, Mme [C] a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 10 novembre 2022, elle demande à la cour de :
– réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Rennes le 10 décembre 2019 en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
– dire et juger recevable et fondée l’action diligentée par Mme [T] [C],
– condamner conjointement et solidairement M et Mme [R] à verser à Mme [C] la somme de 15 000 euros au titre du prêt consenti avec intérêt au taux légal à compter du 7 avril 2015,
– condamner conjointement et solidairement M et Mme [R] à verser à Mme [C] la somme de 216,56 euros à titre de dommages-intérêts,
– débouter M et Mme [R] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
– débouter M et Mme [R] de leurs demandes tendant à l’irrecevabilité du procès-verbal d’huissier de Maître [O] du 17 mars 2015 et des pièces 18 et 19,
– statuer sur les dépens comme en matière juridictionnelle.
Dans leurs dernières conclusions notifiées le 18 novembre 2022, M et Mme [R] demandent à la cour de :
– juger Mme [C] mal fondée en son appel,
– débouter Mme [C] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires,
– juger que Mme [C] a donné la somme de 15 000 euros à M et Mme [R],
– juger que Mme [C] ne rapporte pas la preuve d’avoir prêté la somme de 15 000 euros à M et Mme [R],
– juger que le constat d’huissier produit par Mme [C] n’a aucune force probante,
En conséquence,
– confirmer purement et simplement le jugement du 10 décembre 2019 en toutes ses dispositions,
– déclarer irrecevable le constat d’huissier réalisé par Maître [O], huissier de justice, le ²7 mars 2015,
– déclarer irrecevables les pièces adverses n° 18 et 19,
– condamner Mme [C] à verser à M et Mme [R] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [C] aux dépens de première instance et d’appel.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu’aux dernières conclusions déposées par les parties, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 10 novembre 2022.
EXPOSÉ DES MOTIFS :
Il est constant que Mme [C] a remis à son fils, M. [S] [R], la somme de 15 000 euros par chèque le 17 juin 2014. La remise de ces fonds n’est en effet pas contestée par les époux [R]. Le litige porte sur la nature de cette remise d’argent. Mme [C] soutient de son côté qu’il s’agit d’un prêt dont elle demande le remboursement. M et Mme [R] prétendent qu’il s’agit d’un don et qu’il n’a jamais été question de restituer cet argent.
Aucun écrit n’a été rédigé par les parties au moment de la remise du chèque. Or, la seule remise de fonds à une personne ne suffit pas à justifier l’obligation pour celle-ci de restituer la somme reçue.
Mme [C] fait valoir en appel, comme elle l’a fait en première instance, que compte tenu des liens familiaux l’unissant aux époux [R], elle s’est trouvée dans l’impossibilité de se procurer un écrit pour établir la preuve littérale de l’existence d’un prêt. Elle reproche au tribunal de ne pas avoir tenu suffisamment compte de ces relations familiales, particulièrement chaleureuses au moment de l’octroi du prêt, et qui ne se sont dégradées qu’à partir du moment où elle a demandé à en être remboursée, pour apprécier l’impossibilité de rédiger un écrit.
L’appelante soutient également qu’elle n’a jamais eu l’intention de donner cet argent aux époux [R] et en veut pour preuve le procès-verbal d’huissier de justice qu’elle a fait dresser le 17 mars 2015 retranscrivant des sms qu’elle a reçues de son fils et de sa belle-fille, à l’occasion de sa demande de remboursement dont les termes établissent selon elle, que ceux-ci ne se sont pas mépris sur la nature de la remise d’argent et savaient pertinemment qu’il s’agissait d’un prêt et non d’un don. Elle conteste toute remise en cause de l’authenticité de ce procès-verbal de l’huissier de justice comme le soulèvent les époux [R], soulignant que si ceux-ci tentent de discréditer le procès-verbal par des considérations formelles comme l’heure à laquelle il a été dressé, ils ne contestent pas le contenu des sms retranscrits.
En outre, Mme [C] fait valoir que les attestations produites par les époux [R] pour témoigner de sa présence à leur domicile pendant de nombreux mois, ce qu’elle conteste, et des propos qu’elle aurait tenus auprès de certaines personnes, attestant d’un don et non d’un prêt, sont contradictoires de sorte qu’il ne peut leur être apporté aucun crédit et qu’à tout le moins, si elle a pu employer le terme de ‘donnée’ en parlant de la somme litigieuse, ses paroles dites dans un langage courant et non dans un langage juridique, ont été mal interprétées par ceux qui les rapportent, si tant est qu’ils s’en souviennent avec autant de précision. Mme [C] reconnait qu’elle a été hébergée à plusieurs reprises par les époux [R] lorsqu’elle venait à [Localité 8] pour ses rendez-vous médicaux ou administratifs mais jamais de façon permanente puisqu’elle résidait toujours au domicile de ses parents et produit des attestations en ce sens. Elle souligne que lors de ces séjours, elle gardait les enfants du couple et effectuait les tâches ménagères de la maison ainsi qu’en justifient selon elle, ses agendas qu’elle produit aux débats. Elle conteste que la somme prêtée ait pu être un quelconque dédommagement de son temps de présence au domicile des époux [R].
Enfin, Mme [C] fait valoir qu’elle n’a jamais eu l’intention d’avantager l’un de ses fils au détriment de l’autre et que de surcroît le montant de la somme donnée, rapportée à la somme héritée au décès de son père, au regard également de son dénuement financier actuel, atteste qu’elle n’a jamais eu l’intention de donner cette somme. Elle ajoute que les époux [R] qui ne rapportent pas la preuve de l’intention libérale, n’ont pas déclaré fiscalement ce don dont ils se prévalent, que ce soit en juin 2014 ou ultérieurement, comme ils auraient dû le faire en pareille circonstance, ce qui démontre, selon elle, qu’ils n’ont jamais considéré être bénéficiaires d’un don.
De leur côté, M et Mme [R] considèrent que l’existence de relations familiales n’est pas suffisante à démontrer l’impossibilité morale de se procurer un écrit et que Mme [C] ne caractérise pas ce qui l’a empêché de faire rédiger une reconnaissance de dette. Ils font valoir qu’à tout le moins, Mme [C] ne rapporte pas la preuve d’un prêt, le procès-verbal d’huissier sur la retranscription de sms extraits de son téléphone portable ne pouvant, selon eux, être considéré comme un commencement de preuve, s’agissant d’échanges de sms après que Mme [C] ait fait volte face en leur demandant de rembourser le don qu’elle leur avait fait, et résultant de manipulations de sa part pour obtenir des preuves fabriquées de toutes pièces pour les besoins de la cause. Ils ajoutent que le procès-verbal d’huissier ne retranscrit que des sms de façon partielle et orientée puisque la totalité des échanges n’est pas photographiée et qu’en outre, ces sms n’ont pas été retranscrits dans leur intégralité, que ceux envoyés par Mme [C] ne sont pas retranscrits de sorte que le procès-verbal d’huissier de justice ne fait absolument pas la preuve de l’existence d’un prêt. Il souligne qu’il est impossible de déterminer la date et l’heure d’envoi de ces sms. Ils concluent à l’irrecevabilité du procès-verbal.
M et Mme [R] soutiennent que les attestations qu’ils produisent font état de la présence de Mme [C] à leur domicile pendant de nombreux mois et rapportent les propos qu’elle a tenus à plusieurs personnes selon lesquelles elle leur avait fait don de 15 000 euros. Ils prétendent que Mme [C] continuait à utiliser l’adresse de ses parents pour sa domiciliation fiscale et administrative, tout en utilisant la leur pour sa correspondance quotidienne et une boîte postale pour une raison qu’ils ignorent de sorte que les documents administratifs ou médicaux avec une adresse à [Localité 6], produits par l’appelante, n’établissent pas qu’elle ne résidait pas chez eux. Enfin, ils précisent que c’est par ignorance des dispositions légales qu’ils n’ont pas déclaré le don à l’administration fiscale.
Il est de principe que l’existence de liens familiaux ou d’affection constituent des circonstances de nature à caractériser l’impossibilité morale de se procurer un écrit. Cependant, si selon l’article 1348 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige, celui qui se prévaut d’un acte juridique peut prouver celui-ci par tout moyen s’il s’est trouvé dans l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve littéraire de cet acte, il n’en est pas pour autant dispensé de rapporter la preuve de l’obligation qu’il invoque, conformément à l’article 1315, devenu l’article 1353 du même code.
Bien que Mme [C] se soit trouvée dans l’impossibilité morale d’obtenir un écrit en sa qualité de mère et belle-mère des époux [R], elle doit néanmoins faire la preuve par tous moyens du prêt allégué. Ce n’est pas aux époux [R] à prouver l’intention libérale. En conséquence, les attestations émanant de Mmes [Y], de Mme [P] et de Mme [G] qui font état soit d’avoir reçu la confidence directement de Mme [C] de ce qu’elle avait donné une somme de 15 000 euros ou de l’argent à son fils, soit d’avoir entendu Mme [C] mentionner le don de cette somme dans une conversation, ne peuvent être retenues comme des éléments probants en faveur du don, outre le fait qu’elles émanent de membres proches de la famille de Mme [R] dont la partialité peut être interrogée. Il importe peu que Mme [C] souligne que l’emploi du mot ‘donné’ dans le cadre d’une discussion familiale, puisse avoir un sens différent dans le langage courant que dans le langage juridique et s’interroge sur la capacité de ces témoins à se souvenir plusieurs années après de l’utilisation du mot ‘donné’et non ‘prêté’.
Or, pour rapporter la preuve qui lui incombe de ce que la somme de 15 000 euros n’a pas été donnée mais prêtée, Mme [C] s’appuie essentiellement sur le procès-verbal de constat dressé par Maître [O], huissier de justice, le 17 mars 2015, dont les constatations, même si elles font foi jusqu’à preuve contraire, ne saurait constituer un commencement de preuve par écrit comme l’a relevé le tribunal.
D’une part, il apparaît que l’huissier n’a retranscrit que certains messages et seulement ceux émanant de M. [R] ou de son épouse sans que la réponse de Mme [C] n’y figure. La date de ces sms apparaît erronée, en raison vraisemblablement du fait que la carte sim a été ôtée préalablement pour la photographier avant de la replacer dans l’appareil, ce qui rend impossible une datation précise des messages. D’autre part, le montant de la somme litigieuse n’est jamais mentionné dans le contenu des sms retranscrits. Il est donc impossible de savoir si la phrase extraite d’un des messages ‘l’argent… quand les pb lié à cet argent seront résolu, c’est à ta mère qu’on ira les rendre !’, que Mme [C] invoque comme un élément de preuve du prêt, se rapporte à cette somme. Mme [R] le conteste précisant qu’elle fait référence à des échanges qu’elle a eus avec la mère de Mme [C] à propos de la succession du grand-père de son époux. En outre, les autres sms semblent au contraire faire la preuve d’un don puisqu’il est écrit : ‘ tu nous a donné cet argent pour les enfants et pour l’agrandissement’, ‘ tu as insisté pour nous le donner’et plus loin ‘ ‘comment te rendre ce que tu nous as donné’, les époux [R] indiquant que ces échanges sont bien relatifs à la somme de 15 000 euros, objet du litige.
Les attestations produites par Mme [C] ainsi que ses agendas pour les années 2013 et 2014 ont pour but de contredire l’affirmation des intimés selon laquelle elle résidait de façon quasi permanente chez eux en 2013 et 2014 mais ne se rapportent pas à la somme litigieuse. La durée réelle de la présence de Mme [C] au domicile de son fils et de sa belle-fille s’avère sans importance pour établir l’existence d’un prêt.
Par ailleurs, il ne peut être tiré de l’absence de déclaration du don à l’administration fiscale par les époux [R] qu’il s’agissait d’un prêt, aucun autre élément ne venant corroborer ce fait pour le considérer comme déterminant.
En conséquence, Mme [C] ne fait pas davantage en appel qu’elle ne l’a fait en première instance, la preuve du prêt de la somme litigieuse. Sa demande en remboursement de la somme de 15 000 euros ne peut prospérer et il ne peut être fait droit à sa demande en dommages-intérêts qui est d’ailleurs formulée sans aucune explication. C’est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les demandes de Mme [C]. Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les demandes accessoires :
Le présent arrêt confirmant le jugement dans ses dispositions principales, les dépens et frais irrépétibles seront également confirmés.
Mme [C] qui succombe en son appel supportera la charge des dépens.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M et Mme [R] les frais non compris dans les dépens qu’ils ont exposés à l’occasion de l’appel. Aussi Mme [C] sera condamnée à leur payer la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 10 décembre 2019 par le tribunal de grande instance de Rennes,
Condamne Mme [T] [C] à verser à M [S] [R] et son épouse Mme [D] [R] née [P] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [T] [C] aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT