Prêt entre particuliers : 17 mai 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/01382

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Prêt entre particuliers : 17 mai 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/01382
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17 mai 2023
Cour d’appel de Chambéry
RG n°
21/01382

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Mercredi 17 Mai 2023

N° RG 21/01382 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GXYS

Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’ALBERTVILLE en date du 31 Décembre 2020, RG 19/00810

Appelants

M. [B] [E]

né le [Date naissance 4] 1995 à [Localité 8] ITALIE, demeurant [Adresse 15] (ITALIE)

M. [J] [E]

né le [Date naissance 5] 1966 à [Localité 12] ITALIE, demeurant [Adresse 15] (ITALIE)

Mme [G] [W] épouse [E]

née le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 6] ITALIE, demeurant [Adresse 15] (ITALIE)

M. [T] [E]

né le [Date naissance 2] 1992 à [Localité 8] ITALIE, demeurant [Adresse 15] (ITALIE)

Représentés par la SCP MILLIAND DUMOLARD THILL, avocat au barreau d’ALBERTVILLE

Intimées

REGIE DES PISTES DE [Localité 14] dont le siège social est sis [Adresse 13] prise en la personne de son représentant légal

Représentée par Me Stéphanie BAUDOT, avocat au barreau d’ALBERTVILLE

INPS – Instituto Nazionale Previdenza Sociale dont le siège social est sis [Adresse 16]. ITALIE prise en la personne de son représentant légal

sans avocat constitué

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l’audience publique des débats, tenue le 07 mars 2023 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

– Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

– Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

– Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 28 juillet 2009, M. [B] [E], né le [Date naissance 4] 1995 (âgé de 13 ans et 9 mois), qui participait à un entraînement avec le club de ski régional italien Mondole ski team sur une piste rouge du glacier de [Localité 11], sur la commune de [Localité 14], a perdu le contrôle de sa trajectoire et, après avoir heurté un monticule de neige bordant la piste et glissé sur plusieurs dizaines de mètres, a chuté dans une crevasse.

Au vu de la gravité de ses blessures, M. [B] [E] a été évacué à l’hôpital de [Localité 10] en hélicoptère et a subi plusieurs interventions chirurgicales en urgence, son pronostic vital étant engagé.

Par exploit du 22 mars 2013, M. [J] [E] et Mme [G] [W] son épouse ont, en leurs qualités de représentants légaux de leur fils mineur [B], fait assigner la Société des Téléphériques de [Localité 11] et l’INPS (Instituto Nazionale Previdenza Sociale), organisme social italien, devant le juge des référés du tribunal de grande instance d’Albertville aux fins d’expertise médicale.

Le 29 mars 2013, la Régie des pistes de [Localité 14] a été appelée dans la cause.

Cette dernière a procédé à l’appel en cause de l’association de droit italien Mondole ski team le 24 octobre 2013.

Par ordonnance du 14 janvier 2014, le juge des référés a ordonné une expertise en commettant pour y procéder le docteur [N] [P]. L’expert judiciaire a rendu son rapport le 06 juillet 2015.

Par actes délivrés les 25 juin et 1er juillet 2019, M. [B] [E], désormais majeur, M. [J] [E] et Mme [G] [W] épouse [E], ses parents, et M. [T] [E] son frère, ont fait assigner la Régie des pistes de [Localité 14] et l’INPS devant le tribunal de grande instance d’Albertville pour voir retenir la responsabilité de l’exploitant du domaine skiable pour manquement à son obligation de sécurité, et obtenir l’indemnisation de leurs préjudices.

L’INPS n’a pas comparu devant le tribunal.

Par jugement réputé contradictoire rendu le 31 décembre 2020, le tribunal judiciaire d’Albertville a :

débouté M. [B] [E], M. [J] [E], Mme [G] [W] épouse [E] et M. [T] [E] de l’ensemble de leurs demandes,

dit que chacune des parties conservera à sa charge les frais irrépétibles engagés par elle,

condamné M. [B] [E], M. [J] [E], Mme [G] [W] épouse [E] et M. [T] [E] aux entiers dépens,

déclaré le présent jugement commun à l’INPS.

Par déclaration du 1er juillet 2021, M. [B] [E], M. [J] [E], Mme [G] [W] son épouse et M. [T] [E] ont interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées le 23 septembre 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, M. [B] [E], M. [J] [E], Mme [G] [W] son épouse et M. [T] [E], demandent en dernier lieu à la cour de:

Vu les dispositions de l’article 1231-1 du code civil,

infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d’Albertville du 31 décembre 2020 en toutes ses dispositions,

Et, statuant de nouveau,

dire et juger que la Régie des pistes de [Localité 14] est responsable des préjudices subis par M. [B] [E],

en conséquence, condamner la société Régie des pistes de [Localité 14] à payer à M. [B] [E] la somme de 448 682,02 euros en réparation de l’intégralité de son préjudice, décomposée comme suit :

– 2 551,95 euros au titre des dépenses de santé actuelles,

– 22 575,10 euros au titre des frais divers,

– 11 179,97 euros au titre des dépenses de santé futures,

– 10 000 euros au titre de l’incidence professionnelle,

– 8 000 euros au titre du préjudice scolaire,

– 10 875 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

– 50 000 euros au titre des souffrances endurées,

– 50 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,

– 20 000 euros au titre du préjudice d’agrément,

– 80 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent,

– 80 000 euros au titre du préjudice d’établissement,

– 103 500 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

dire et juger qu’en cas d’aggravation de son état de santé, M. [B] [E] pourra saisir la présente juridiction de nouvelles demandes indemnitaires,

condamner la société Régie des pistes de [Localité 14] à payer à M. [J] [E], victime indirecte, la somme de 26 000 euros décomposée comme suit :

– 12 000 euros au titre de la perte de revenus,

– 14 000 euros au titre du préjudice d’affection,

condamner la société Régie des pistes de [Localité 14] à payer à Mme [G] [E], victime indirecte, la somme de 14 000 euros au titre du préjudice d’affection,

condamner la société Régie des pistes de [Localité 14] à payer à M. [T] [E], victime indirecte, la somme de 14 000 euros au titre de son préjudice d’affection,

condamner la société Régie des pistes de [Localité 14] à payer à M. [B] [E], ses parents les époux [E] et son frère M. [T] [E] la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner la société Régie des pistes de [Localité 14] aux dépens distraits au profit de la SCP Milliand-Dumolard.

Par conclusions notifiées le 21 mars 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, la Régie des pistes de [Localité 14] demande en dernier lieu à la cour de :

Vu l’article 1147 (ancien) du code civil,

débouter les consorts [E] de l’intégralité de leurs demandes,

confirmer purement et simplement le jugement déféré,

Y ajoutant,

condamner solidairement les consorts [E] à payer à la Régie des pistes de [Localité 14] la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,

Très subsidiairement,

faire droit aux propositions indemnitaires de la Régie des pistes de [Localité 14] selon le tableau ci-dessous :

poste de préjudice

montant proposé

M. [B] [E]

dépenses de santé actuelle

frais divers :

– frais (tunnel)

– tierce personne

– dépenses de santé futures

– incidence professionnelle

– préjudice scolaire

– déficit fonctionnel permanent

– souffrances endurées

– préjudice esthétique temporaire

– préjudice d’agrément

– préjudice esthétique permanent

– préjudice d’établissement

– déficit fonctionnel permanent

néant

248,40 euros

11 900,00 euros

néant

néant

3 000,00 euros

8 475,00 euros

35 000,00 euros

1 000,00 euros

5 000,00 euros

35 000,00 euros

5 000,00 euros

57 000,00 euros

M. [J] [E]

perte de revenu

frais divers

préjudice d’affection

néant

néant

5 000,00 euros

Mme [G] [E]

préjudice d’affection

5 000,00 euros

M. [T] [E]

préjudice d’affection

4 000,00 euros

La déclaration d’appel et les conclusions de M. [B] [E], M. [J] [E], Mme [G] [W] épouse [E] et M. [T] [E] ont été signifiées à l’organisme de sécurité sociale italien INPS par actes transmis aux autorités italiennes les 28 août et 30 septembre 2021, délivrés respectivement les 20 septembre et 10 novembre 2021. L’INPS n’a pas constitué avocat devant la cour.

L’affaire a été clôturée à la date du 6 février 2023 et renvoyée à l’audience du 7 mars 2023, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 11 mai 2023, prorogé à ce jour.

MOTIFS ET DÉCISION

I. Sur la responsabilité de la Régie des pistes de [Localité 14]

Il est constant que la Régie des pistes de [Localité 14] est en charge de la sécurité et du balisage des pistes du domaine skiable de [Localité 14]. A ce titre, elle est tenue, à l’égard des usagers des pistes de ski, d’une obligation de sécurité de moyens.

Il est également constant que le club de ski auquel M. [B] [E] était affilié et qui organisait l’entraînement au cours duquel l’accident s’est produit, a signé le 27 juillet 2009, avec la Régie des pistes de [Localité 14], une convention par laquelle celle-ci a mis à disposition de ce club un «stade», c’est-à-dire un couloir d’entraînement sur une piste du domaine skiable, pour une durée de 25 jours.

La Régie des pistes soutient que l’existence de ce contrat fait obstacle à ce que les consorts [E] puissent rechercher sa responsabilité sur un fondement contractuel, alors qu’elle ne serait liée par contrat qu’avec le club, tandis que la victime serait elle-même liée par contrat à son club.

Toutefois, il n’est pas contestable que M. [B] [E] a bien la qualité d’usager des pistes de ski du domaine de [Localité 14], de sorte que la Régie des pistes est tenue, à son égard, comme à celui de tout autre usager, de la même obligation de sécurité de moyens, et ce quel que soit le cadre dans lequel les pistes sont utilisées (loisirs, cours, entraînement, etc…). L’existence de la convention avec le club de ski n’a pas pour effet de transférer à celui-ci les obligations pesant sur la Régie quant à la signalisation et à la sécurisation des pistes qui relèvent des seules compétences de celle-ci.

La Régie des pistes de [Localité 14] fait également grief aux appelants de n’avoir pas recherché la responsabilité du club Mondole ski team.

Cependant, la victime est libre d’agir à l’encontre de celui qu’elle estime responsable de son préjudice, à charge pour elle d’établir que les conditions de sa responsabilité sont réunies. L’absence de mise en cause du club Mondole ski team n’est donc pas de nature à faire obstacle à l’action engagée par les consorts [E] contre la Régie des pistes de [Localité 14]. Au demeurant cette dernière était libre d’appeler en cause elle-même le club Mondole ski team, ce qu’elle n’a pas fait.

Pour écarter la responsabilité de la Régie des pistes, le tribunal a retenu qu’aucun manquement à son obligation générale de sécurité n’est caractérisé, ce qui est critiqué par les appelants.

Il appartient aux consorts [E] de rapporter la preuve de la faute commise par la Régie des pistes, en lien direct et certain avec les préjudices subis.

Ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la Régie, chargée de la sécurité et du balisage des pistes, est tenue à l’égard des usagers d’une obligation de sécurité de moyens. A ce titre, elle doit mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour prévenir les usagers des dangers objectifs pouvant se présenter sur les pistes, mais également pour les protéger des dangers pouvant présenter un caractère anormal ou excessif, le cas échéant par la mise en place de dispositifs de protection adaptés.

En l’espèce, le jeune [B] évoluait sur une piste dédiée à l’entraînement sportif, ce dont la Régie avait une parfaite connaissance pour avoir signé une convention avec le club Mondole ski team. La vitesse est inhérente à cette activité, et le risque de chute, à grande vitesse, est connu de la Régie.

Il résulte du procès-verbal d’enquête établi par le PGHM de Bourg-Saint-Maurice ensuite de l’accident que celui-ci s’est produit le matin, aux environs de 8h30, soit à une heure à laquelle la neige est particulièrement dure et rapide. Les gendarmes notent ainsi lors de l’intervention de secours «il n’y a pas de traces apparentes de glissade tant la neige en surface et la glace est dure», ce qui veut bien dire que la neige était dure, tant sur la piste que sur le glacier en dehors de la piste.

Il résulte encore de ce procès-verbal et des photographies produites aux débats que la piste sur laquelle évoluait la victime borde immédiatement une partie crevassée du glacier dont elle est séparée par un bourrelet de neige d’environ soixante à quatre vingt centimètres de haut, ainsi que par des piquets jaunes et noirs reliés par une simple corde tendue en hauteur. Des panneaux préviennent de l’existence des crevasses.

Le bourrelet de neige est surmonté, selon les gendarmes, de blocs de neige dure. Ils indiquent «la chute de la jeune victime est à l’origine de la collision avec le système de protection passive. Les blessures de la victime semblent liées à la collision, avec la tête et le ventre sur ce bourrelet».

Les éléments médicaux produits et la relation des faits par les secouristes révèlent de manière incontestable que les lésions les plus graves subies par M. [B] [E], au niveau de l’abdomen et du visage, résultent de la collision à grande vitesse avec le muret de neige bordant la piste, par-dessus lequel il a ensuite été projeté pour glisser sur le glacier pendant environ 150 mètres avant de tomber dans une crevasse.

La Régie des pistes soutient que ce muret de neige constitue un système de protection passive pour empêcher les skieurs de s’aventurer en zone crevassée.

Ce muret de neige, qui a été formé lors des damages successifs de la piste, constitue une limite physique entre la piste et le glacier. Pour autant, il ne peut pas être considéré comme un dispositif de protection, contrairement à ce qu’affirme la Régie des pistes. En effet, compte tenu de la compacité de la neige, ce muret est particulièrement dur et constitue un obstacle rigide contre lequel les skieurs sont susceptibles de se blesser.

C’est bien ce qui s’est produit le 28 juillet 2009.

Loin d’assurer la protection des skieurs, ce bourrelet de neige constitue en réalité un élément de danger supplémentaire, particulièrement en bordure d’une piste dédiée à l’entraînement sportif, sur laquelle les skieurs évoluent nécessairement plus vite que sur les pistes ouvertes au public. En l’état d’une neige particulièrement dure (surtout le matin), cette vitesse est d’autant plus élevée, et la chute d’un skieur à l’entraînement n’a rien d’un événement rare ou imprévisible pour le gestionnaire des pistes.

Or aucun dispositif de protection n’a été mis en place par la Régie des pistes contre la collision avec ce muret, ni pour éviter qu’un skieur puisse basculer par dessus et glisser sur la zone crevassée. La hauteur de ce muret est à cet égard manifestement insuffisante pour éviter ce type d’accident.

La Régie se prévaut des conclusions de l’enquête pour soutenir que ce muret était un dispositif de protection adapté.

Le procès-verbal de synthèse indique: «De l’enquête effectuée, il ressort que l’accident dont a été victime monsieur [E] [B] est lié à sa chute à grande vitesse. Lors du choc avec le système de protection passif situé en bordure de piste, il s’occasionne l’ensemble de ses blessures. Au vu des conditions d’enneigement de part et d’autre de la piste de descente, le système de sécurité mis en place par la station paraît être le mieux adapté et s’apparente à des glissières de sécurité».

Toutefois, la cour, qui n’est pas liée par la qualification donnée par les gendarmes, note que ceux-ci précisent également, parlant du bourrelet de neige, qu’il s’agit d’un dispositif «rudimentaire» qui n’a pour effet que d’empêcher les skieurs de sortir de la piste. Cette utilité n’enlève pour autant pas son caractère dangereux à ce dispositif en ce que, en cas de collision, il est susceptible de causer des blessures aux skieurs compte tenu de la présence de blocs de glace.

Si l’exploitant n’est pas tenu de poser des filets ou des matelas de protection sur tous les obstacles pouvant se présenter lorsque la configuration de la piste ne présente aucune dangerosité particulière, il en va différemment lorsque l’obstacle représente un danger anormal ou excessif, ou lorsque la configuration de la piste présente un danger particulier.

Or ici la piste présente deux dangers objectifs et anormaux: d’une part la proximité immédiate de crevasses, et d’autre part la présence d’un muret de neige dure, voire de glace, contre lequel des collisions sont possibles. Le seul balisage mis en place est manifestement insuffisant pour protéger les usagers de ces deux dangers.

L’intimée soutient que la perte de contrôle de M. [B] [E] caractériserait soit une faute de la victime, soit une absence de prise en compte par le club, organisateur de l’entraînement, des caractéristiques des lieux, ce qui exclurait toute responsabilité de la Régie.

Toutefois, le seul fait de chuter pour un skieur n’est pas en soi constitutif d’une faute. Quant à la vitesse, il y a lieu de rappeler que l’activité consistait en un entraînement sportif auquel la recherche de vitesse est inhérente. Or il n’est pas démontré par la Régie que le comportement de M. [B] [E] aurait été à un quelconque moment fautif, la cause de la chute n’étant pas déterminée. Il n’y a donc pas de faute de la victime susceptible d’exonérer la Régie, ne serait-ce que partiellement, de la responsabilité qu’elle encourt.

Concernant l’absence de mesures spécifiques prises par le club sportif, outre le fait que celui-ci n’est pas dans la cause, la cour note que, contrairement à ce qui est soutenu par la Régie, ni la convention de mise à disposition du stade (pièce n° 1 des appelants), ni le règlement d’organisation des couloirs d’entraînement sur le glacier de la [Localité 9] (pièce n° 3 de l’intimée), ne prévoient expressément la possibilité pour le club organisateur de solliciter la mise en place de protections supplémentaires si nécessaire. Tout au plus est-il précisé que les entraînements de vitesse (descente et super G) font l’objet de tarifs particuliers qui laissent supposer la mise en place de dispositifs spécifiques. Or ici il ressort des différents témoignages que l’entraînement était un slalom géant, pour lequel aucun dispositif spécifique n’est prévu.

En tout état de cause, la faute éventuelle du club sportif n’a pas pour effet d’exonérer la Régie des pistes de sa responsabilité à l’égard de la victime. En effet, dès lors que sa propre faute a contribué au dommage, elle est tenue de le réparer en son entier, à charge pour elle, si elle l’estime nécessaire, de se retourner contre d’autres responsables éventuels.

Il résulte de ce qui précède qu’en s’abstenant de toute mesure de protection adaptée pour protéger les usagers d’un risque de collision avec le bourrelet de neige et de chute sur la zone de crevasses, la Régie des pistes de [Localité 14] a commis une faute en lien direct et certain avec les préjudices subis par M. [B] [E].

Le jugement déféré sera donc infirmé en toutes ses dispositions.

***

II. Sur les préjudices subis par M. [B] [E]

La Régie des pistes fait valoir que M. [B] [E] disposait d’une assurance «Carré neige» au titre de laquelle il pouvait prétendre à une indemnisation.

Toutefois, en l’absence de tout élément laissant supposer qu’une indemnisation aurait effectivement été perçue, l’argument est sans effet sur la solution du litige, la Régie des pistes demeurant seule tenue à la réparation des préjudices subis.

Selon l’expert judiciaire, l’accident subi par M. [B] [E] le 28 juillet 2009 a entraîné les lésions suivantes:

‘ un choc hémorragique majeur par arrachement des 3 veines sus-hépatiques, responsable d’un tableau de collapsus cardio-vasculaire majeur nécessitant une poly-transfusion et une prise en charge en urgence,

‘ un hématome rétro péritonéal en rapport avec une hémorragie par rupture de l’artère épigastrique gauche,

‘ un traumatisme crânien avec perte de connaissance, sans fracture,

‘ un traumatisme facial avec dermabrasions multiples importantes, et plaies faciales,

‘ une fracture sous-capitale de l’humérus droit.

Son état initial a nécessité une première opération en urgence au CHU de [Localité 10], suivie de six autres interventions chirurgicales réalisées entre le 31 juillet et le 21 août 2009, toujours à l’hôpital de [Localité 10]. Il a été placé sous ventilation pulmonaire jusqu’au 1er septembre 2009. Son hospitalisation dans le service de chirurgie viscérale et hépatique s’est poursuivie jusqu’au 6 septembre 2009.

Le 6 septembre 2009 il a été transféré à l’hôpital de [Localité 8] (Italie), où il a encore subi deux nouvelles interventions chirurgicales, la dernière le 23 septembre 2009. Il a, par la suite, subi plusieurs nouvelles hospitalisations.

Au total, M. [B] [E] a subi six hospitalisations (la dernière en juin 2012) et dix interventions chirurgicales sous anesthésie générale, ainsi que deux séances de dilatation endo-luminale par radiologie interventionnelle d’une sténose de la veine cave inférieure.

L’état séquellaire se caractérise essentiellement par :

– des troubles du transit sous forme de constipation nécessitant la prise intermittente d’un traitement,

– la présence de nombreuses et importantes cicatrices sur le torse et l’abdomen, très disgracieuses, ainsi que sur le visage (plus discrètes), et d’une alopécie occipitale médiane

– sur le plan fonctionnel, il existe au niveau de la partie sus-ombilicale de l’incision de laparotomie médiane, une zone d’éventration mesurée à 8 cm de hauteur sur 5 cm de largeur, entourée par une musculature abdominale de très bonne qualité présageant d’une excellente qualité de réparation de cette éventration à long terme.

Les conclusions de l’expert sont ainsi les suivantes:

– déficit fonctionnel temporaire: 100 % pendant 8,5 mois, 75 % pendant 3 mois, 50 % pendant 2,5 mois et 25 % pendant 11 mois

– consolidation: 1er septembre 2012

– déficit fonctionnel permanent: 20 %

– assistance par tierce personne avant consolidation: 800 à 850 heures

– assistance par tierce personne après consolidation: aucune

– dépenses de santé futures: limitées aux frais pour les traitements médicamenteux quotidiens

– frais de logement adapté: aucun

– frais de véhicule adapté: aucun

– préjudice scolaire: perte d’une année de scolarité, sans incidence ultérieure sur la qualité de la scolarité

– souffrances endurées: 6/7

– préjudice esthétique: 5/7

– préjudice d’agrément: oui

– préjudice sexuel: non

– préjudice d’établissement: possible

– préjudice exceptionnel: non, sous réserve de l’absence d’aggravation au niveau de la prothèse de veine cave inférieure dans les années à venir.

Compte tenu de ces conclusions et de l’âge de la victime (16 ans et 10 mois au jour de la consolidation), la réparation des préjudices subis par M. [B] [E] sera fixée comme suit :

A. Préjudices patrimoniaux

1. Préjudices patrimoniaux temporaires:

‘ dépenses de santé actuelles

La Régie soutient que ce poste ne pourrait pas être indemnisé en l’état, faute de production par l’INPS de ses débours.

Toutefois, l’INPS a été régulièrement mis en cause et le fait qu’il n’ait pas fait connaître le montant de ses débours n’interdit nullement à la victime d’obtenir l’indemnisation des frais restés à sa charge. Seul l’organisme social pourra, en cas de double indemnisation, venir réclamer à l’assuré social la restitution de ce qui lui aurait été payé deux fois, sans que le responsable puisse se prévaloir de celle-ci.

Il est sollicité la somme globale de 2 551,95 euros au titre de frais pharmaceutiques restés à charge, des frais d’hospitalisation et de frais de consultations. L’examen des factures produites (pièces n° 15, 16 et 17 des appelants) permet de retenir cette somme qui est justifiée.

‘ frais divers

Il est réclamé à ce titre une somme globale de 22 575,10 euros correspondant à:

– frais de secours: ceux-ci ont été facturés 621 euros et les appelants produisent à cet effet une reconnaissance de dette de ce montant. Il n’est toutefois pas justifié du paiement effectif de cette somme ni de l’émission d’un titre de recette pour ce montant qui sera donc rejeté.

– frais de déplacements: les parents de [B] ont été contraints de traverser plusieurs fois le tunnel du [Localité 7] et justifient avoir à ce titre exposé 248,40 euros de frais qui seront retenus (pièce n° 18). Ces déplacements les ont également contraints à séjourner à [Localité 10] en exposant des frais de repas justifiés à hauteur de 455,70 euros (pièce n° 19).

– tierce personne:

La tierce personne est la personne qui apporte de l’aide à la victime incapable d’accomplir seule certains actes essentiels de la vie courante au nombre desquels se retrouvent l’autonomie locomotive (se laver, se coucher, se déplacer), l’alimentation, le fait de satisfaire à ses besoins naturels. Elle correspond également à la personne qui permet, par son action, de restaurer la dignité de la victime et de suppléer sa perte d’autonomie.

L’indemnisation est effectuée en fonction des besoins et non de la dépense effective et ne saurait être réduite en cas d’assistance par un proche de la victime. Elle s’effectue selon le nombre d’heures d’assistance et le type d’aide nécessaire.

En l’espèce l’expert a évalué les besoins temporaires en tierce personne de M. [B] [E] à 850 heures correspondant à sa période de convalescence initiale, à raison de 5 heures par jour pendant 90 jours, puis 2 heures par jour pendant cinq mois, soit 750 heures, outre 100 heures pour les épisodes suivants. L’assistance a ici été assurée par les parents de la victime. Compte tenu de la gravité des lésions l’assistance a été nécessairement active. Elle doit être évaluée sur la base d’un coût moyen de 18 euros de l’heure en semaine et de 22 euros de l’heure en week-end, selon le calcul suivant: [(18 euros x 5 jours) + (22 euros x 2 jours)] / 7 jours = 19,14 euros de l’heure.

L’indemnité sera donc fixée à 850 heures x 19,14 euros = 16 269 euros.

Il sera donc alloué, au titre des frais divers, la somme de:

248,40 + 455,70 + 16 269,00 = 16 973,10 euros

2. Préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation)

‘ dépenses de santé futures

Il est réclamé une somme de 11 179,97 euros à ce titre correspondant aux traitements médicaux que l’expert a retenus comme devant être suivis sa vie durant par M. [B] [E], sur la base d’une somme annuelle de 250,88 euros (moyenne des dépenses exposées entre 2012 et 2016), avec capitalisation selon le barème de la Gazette du Palais.

La Régie expose que ce poste ne pourrait être fixé en l’absence de justification des conditions de prise en charge par l’organisme social.

Toutefois, et pour les mêmes motifs que précédemment, l’absence d’explications fournies par l’organisme social INPS, dûment mis en cause, ne peut interdire à la victime d’obtenir la prise en charge de ces dépenses certaines par le responsable.

L’expert judiciaire a retenu que M. [B] [E] doit poursuivre un traitement médicamenteux comprenant plusieurs molécules, et ce à vie afin de prévenir, autant que faire se peut, une éventuelle aggravation de son état. Il doit également faire l’objet d’une surveillance médicale régulière rendant nécessaires des consultations périodiques.

Le montant moyen annuel avancé par les appelants de 250,88 euros n’est pas autrement discuté par la Régie des pistes de [Localité 14], de sorte qu’il sera retenu, son montant apparaissant en cohérence avec les soins jugés nécessaires.

Compte tenu de l’âge de M. [B] [E] à la date de consolidation (16 ans), les dépenses de santé futures seront indemnisées, conformément à la demande, sur la base du barème de capitalisation 2016 publié à la Gazette du Palais, soit:

250,88 euros x 44,563 = 11 179,97 euros, somme qui sera allouée au titre des dépenses de santé futures.

‘ incidence professionnelle

M. [B] [E] réclame à ce titre la somme de 10.000 euros en faisant valoir qu’à l’âge de 13 ans il pratiquait le ski en compétition depuis de nombreuses années et qu’il aurait voulu poursuivre dans cette voie pour en faire son métier.

Toutefois, il lui appartient de rapporter la preuve de la perte de chance alléguée. Or s’il est exact que l’accident s’est produit lors d’un entraînement de compétition de ski, pour autant il n’est pas justifié d’une affiliation à un club sportif les années précédentes, ni de quelconques résultats de compétitions qui permettraient d’établir qu’il avait une chance sérieuse de prétendre à une carrière sportive. Ses seules affirmations sont insuffisantes en l’absence de la production de pièces en ce sens.

En conséquence cette demande sera rejetée, étant précisé que l’expert n’a retenu, pour le surplus, aucune incidence professionnelle.

‘ préjudice scolaire

L’expert indique que l’accident a été responsable d’une perte d’une année complète de scolarité (2009/2010), mais que celle-ci s’est, par la suite, déroulée normalement

et qu’il a pu mener à son terme son projet professionnel.

Il n’est pas justifié de la perte d’autres années d’études.

Compte tenu de l’âge de la victime (13 ans) lors de l’accident, ce préjudice sera indemnisé par l’allocation d’une indemnité de 8000 euros.

B. Préjudices extra-patrimoniaux

1. Préjudices extra-patrimoniaux temporaires

‘ déficit fonctionnel temporaire

Le déficit fonctionnel temporaire s’entend du préjudice résultant de l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle jusqu’à sa consolidation, correspondant notamment à la perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante durant cette période.

La Régie des piste de [Localité 14] ne discute pas les périodes et taux retenus par l’expert mais soutient qu’il convient de retenir une indemnité forfaitaire de 600 euros par mois.

Toutefois, l’indemnité forfaitaire est communément fixée à 750 euros par mois, ou 25 euros par jour, ce qui correspond à l’indemnisation de cette invalidité temporaire.

Dans son rapport, l’expert a conclu à :

– un déficit fonctionnel temporaire total du 28 juillet 2009 au 1er mars 2010, puis du 15 juin 2011 au 30 juillet 2011 (soit 8 mois et demi),

– un déficit fonctionnel temporaire partiel à hauteur de 75 % du 1er mars 2010 au 1er juin 2010 (soit 3 mois),

– un déficit fonctionnel temporaire partiel à hauteur de 50 % du 1er juin 2010 au 1er août 2010, puis du 1er au 15 janvier 2011 (soit 2 mois et demi),

– un déficit fonctionnel temporaire partiel à hauteur de 25 % du 1er août 2010 au 1er janvier 2011, puis du 16 janvier au 14 juin 2011 (soit 10 mois).

Ainsi, en retenant une indemnité forfaitaire de 750 euros par mois ou 25 euros par jour, il convient de fixer l’indemnisation comme suit:

– déficit fonctionnel temporaire total: (8 x 750) + (15 x 25) = 6 375,00 euros

– déficit fonctionnel temporaire partiel (75%): (750 x 75 %) x 3 = 1 687,50 euros,

– déficit fonctionnel temporaire partiel (50%): [(750 x 50 %) x 2] + [(25 x 50 %) x 15] = 937,50 euros,

– déficit fonctionnel temporaire partiel (25%): (750 x 25 %) x 10 = 1 875,00 euros.

En conséquence, il y a lieu de fixer le préjudice au titre du déficit fonctionnel temporaire de M. [B] [E] à la somme globale de 10 875,00 euros.

‘ souffrances endurées

L’expert a évalué les souffrances endurées par M. [B] [E] à 6/7 en considération de la gravité de ses lésions initiales, son pronostic vital étant engagé, du nombre très important d’interventions chirurgicales subies dans un délai très bref, pour certaines particulièrement complexes, de la durée des hospitalisations, et de l’atteinte à l’ensemble de son système digestif, dont la récupération a été lente et douloureuse.

Il sera souligné que la victime n’était alors âgée que de 13 ans.

Ces éléments justifient de fixer l’indemnisation des souffrances endurées à la somme de 45 000 euros qui sera allouée à M. [B] [E].

‘ préjudice esthétique temporaire

M. [B] [E] sollicite l’indemnisation de ce préjudice à la somme de 50 000 euros, tandis que la Régie des pistes propose tout au plus la somme de 1 000 euros.

L’expert ne s’est pas prononcé sur l’existence d’un préjudice esthétique temporaire, mais seulement sur le préjudice esthétique permanent.

Or ce préjudice temporaire existe nécessairement, et il est caractérisé par l’intubation particulièrement longue subie par la victime (un peu plus d’un mois), l’absence de suture pendant plusieurs semaines de sa cicatrice principale compte tenu des opérations chirurgicales successives subies au cours des trois premier mois suivant l’accident, absence de suture dont il avait une parfaite conscience n’ayant pas été placé en coma artificiel.

Il était également placé sous perfusion constante et son état a nécessité une assistance respiratoire de longue durée.

Pour un garçon âgé de seulement 13 ans cette apparence physique particulièrement dégradée pendant les semaines ayant immédiatement suivi l’accident justifie l’allocation d’une indemnité de 15 000 euros.

2. Préjudices extra-patrimoniaux permanents

‘ préjudice d’agrément

L’indemnisation d’un préjudice d’agrément vise à réparer le préjudice lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs dont elle est en mesure de justifier la pratique avant la survenance de l’accident.

L’expert, dans son rapport, retient un préjudice d’agrément en ce que M. [B] [E] a dû cesser toutes ses activités sportives et les activités de compétition qu’il pratiquait antérieurement. L’expert souligne qu’à la date de l’expertise les activités physiques sont encore limitées. Il estime cependant que, à terme, il pourra reprendre une activité physique moyenne, sans toutefois retrouver le niveau sportif qu’il avait au préalable.

M. [B] [E] sollicite à ce titre la somme de 20 000 euros, tandis que la Régie des pistes propose une indemnité de 5000 euros.

Il résulte de l’expertise et des documents produits aux débats que M. [B] [E], qui pratiquait le ski en compétition, a été contraint de cesser toute activité physique et sportive pendant plusieurs années compte tenu de l’éventration persistante, dont l’expert note qu’elle pourra être compensée par le développement des muscles abdominaux, mais de manière partielle seulement.

Il est constant que le jeune [B] pratiquait le ski en compétition, même s’il n’est pas justifié de résultats sportifs particuliers. Ce sport était donc pour lui particulièrement important, ce qu’il a confirmé à l’expert. Une telle pratique révèle également qu’il s’agit d’un garçon aimant la pratique sportive intense, laquelle lui est désormais interdite, quelle que soit la discipline.

S’il n’est pas définitivement privé de toute activité sportive de loisir, les restrictions qu’il subit dans ce domaine justifient, compte tenu des circonstances de l’espèce et de son jeune âge, l’allocation d’une indemnité de 15 000 euros.

‘ préjudice esthétique permanent

Le préjudice esthétique résulte des souffrances liées à l’altération de l’apparence physique de la victime après sa consolidation.

En l’espèce, l’expert a évalué le préjudice esthétique à 5/7 en tenant compte de l’existence des multiples cicatrices abdominales et thoraciques, dont les séquelles esthétiques sont jugées majeures, ainsi que de lésions cutanées plus discrètes au niveau du visage et enfin d’une zone d’alopécie dans la région occipitale, laquelle est visible.

M. [B] [E] sollicite en réparation de ce préjudice une indemnité de 80 000 euros en contestant l’évaluation de l’expert, le préjudice devant être fixé à 7/7 selon lui.

La Régie des pistes propose pour sa part, sur une évaluation de 5/7, une indemnité de 35 000 euros.

Il résulte des photographies annexées au rapport d’expertise, ainsi que des constatations de l’expert, que M. [B] [E] conserve sur l’ensemble de son torse, de très nombreuses et importantes cicatrices (certaines de plusieurs dizaines de centimètres de long), très visibles et inesthétiques, dont il n’est pas prétendu que leur aspect pourrait évoluer, M. [B] [E] excluant toute intervention de chirurgie esthétique compte tenu des très nombreuses opérations déjà subies. Ces cicatrices sont particulièrement impressionnantes et ont incontestablement un retentissement majeur sur l’image corporelle de la victime, qui n’est, au moment de l’expertise, qu’un tout jeune homme.

C’est sans aucun doute pour lui un frein très important pour se dévêtir (voire une impossibilité selon ses déclarations), ne serait-ce que sur la plage, mais également pour certaines activités sportives de loisir ou encore pour des relations intimes.

Il présente par ailleurs une alopécie sur l’arrière de la tête qui est très visible, notamment compte tenu de la coupe de cheveux adoptée par M. [B] [E] (cheveux courts), mais également des cicatrices sur le visage qui, bien que discrètes, n’en sont pas moins visibles et source de complexes pour un si jeune homme.

L’ensemble de ces éléments justifie que soit allouée une indemnité de 50 000 euros en réparation de ce préjudice.

‘ préjudice d’établissement

Le préjudice d’établissement consiste en une perte d’espoir et de chance normale de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap permanent dont reste atteinte la victime après sa consolidation.

M. [B] [E] sollicite une indemnité de 80 000 euros à ce titre, tandis que la Régie propose une indemnité de 5 000 euros.

L’expert judiciaire souligne que M. [B] [E] a clairement exprimé que la présence des impressionnantes cicatrices abdominales et thoraciques rend difficile les rencontres féminines compte tenu de sa réticence à se dévêtir.

Il est incontestable que ces cicatrices ont un retentissement également sur la vie affective de M. [B] [E] pour lequel la construction d’une relation intime durable est rendue difficile par son aspect physique qu’il ressent comme un obstacle. L’expert met bien en évidence cette perte de confiance en lui, majorée par son jeune âge et son inexpérience, qui le fait douter de sa capacité à nouer une relation intime.

Ces éléments justifient l’allocation d’une indemnité de 8 000 euros.

‘ préjudice permanent exceptionnel

M. [B] [E] demande que ce poste de préjudice soit réservé. Dans la mesure où aucune demande n’est formée à ce titre il n’y a pas lieu de le rejeter ni de l’admettre, celui-ci dépendant, selon l’expert, d’une aggravation éventuelle de l’état de la victime.

‘ déficit fonctionnel permanent

Le déficit fonctionnel permanent découle de la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l’atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours.

La date de consolidation est fixée dans l’expertise médicale au 1er septembre 2012. A cette date, M. [B] [E], né le [Date naissance 3] 1995, était âgé de 16 ans révolus.

L’expert considère, qu’après consolidation, il subsiste un déficit fonctionnel global de 20 % en considération notamment de :

– l’existence d’une éventration de la paroi abdominale antérieure, de 8 cm x 5 cm, bien compensée et sans phénomènes sub-occlusifs ou complications digestives, justifiant un DFP de 8 %,

– une cholécystomie sans symptomatologie résiduelle, mais responsable de troubles digestifs sous forme d’une constipation en rapport avec de probables adhérences multiples intra-abdominales, nécessitant la prise régulière de ferments lactiques, justifiant un DFP de 3 %,

– la réparation de la veine cave inférieure et la mise en place de la prothèse sont à l’origine d’une sténose résiduelle asymptomatique, nécessitant une prise permanente d’aspirine pour limiter les risques de thrombose, ainsi qu’une surveillance régulière, justifiant un DFP de 5 %,

– la fracture sous capitale de l’humérus droit a entraîné une minime limitation de l’élévation, justifiant un DFP de 2 %,

– l’existence d’un retentissement psychologique en rapport avec l’importance des cicatrices abdominales et thoraciques, justifiant un DFP de 5 %.

M. [B] [E] conteste le taux retenu en soutenant que les conséquences physiques et psychologiques ont été sous-évaluées concernant:

– les risques futurs concernant une possible récidive de sténose de la veine cave justifient un taux de 10 %,

– le risque d’occlusion intestinale justifie un taux de 5 %,

– les séquelles psychologiques sont majorées par la sensation de mort imminente lors de l’accident et lors des soins réalisés en urgences et justifient un taux de 8 %,

– les souffrances résiduelles liées aux cicatrices.

Il soutient que le taux de DFP devrait être fixé à 30 % et réclame une indemnité de 103 500 euros à ce titre, sur la base d’une valeur du point de 3450,00 euros.

La Régie des pistes propose une indemnisation de 57 000 euros sur la base d’un DFP de 20 %.

Les contestations de M. [B] [E] ne peuvent être retenues dès lors que les observations du docteur [R], sur lesquelles il se fonde (pièce n° 13), n’ont pas été soumises à l’expert judiciaire qui aurait ainsi pu répondre sur les différents points soulevés.

Toutefois, l’expert a commis une erreur de calcul puisque l’addition de tous les points justifiant le DFP aboutit à un déficit de 23 % et non de 20 % seulement.

C’est donc ce taux de 23 % qui sera retenu. L’indemnité allouée à ce titre sera donc fixée à la somme globale de 71 760 euros sur la base d’une valeur du point à 3120 euros.

C. Récapitulatif

Ainsi, les préjudices subis par M. [B] [E] sont fixés comme suit:

Préjudices patrimoniaux:

– préjudices patrimoniaux temporaires :

‘ dépenses de santé actuelles 2 551,95 euros

‘ frais divers 16 973,10 euros

– préjudices patrimoniaux permanents:

‘ dépenses de santé futures 11 179,97 euros

‘ incidence professionnelle rejet

‘ préjudice scolaire 8 000,00 euros

Préjudices extra-patrimoniaux:

– préjudices extra-patrimoniaux temporaires:

‘ déficit fonctionnel temporaire 10 875,00 euros

‘ souffrances endurées 45 000,00 euros

‘ préjudice esthétique temporaire 15 000,00 euros

– préjudices extra-patrimoniaux permanents:

‘ préjudice d’agrément 15 000,00 euros

‘ préjudice esthétique permanent 50 000,00 euros

‘ préjudice d’établissement 8 000,00 euros

‘ déficit fonctionnel permanent 71 760,00 euros

TOTAL 254 340,02 euros

La Régie des pistes de [Localité 14] sera en conséquence condamnée à payer cette somme à M. [B] [E] en réparation de son préjudice.

En cas d’aggravation de son état M. [B] [E] pourra à nouveau saisir un tribunal aux fins d’indemnisation complémentaire. Toutefois, il n’y a pas lieu de statuer sur ce point, ni de lui en donner acte.

***

III. Sur les préjudices des victimes indirectes

A. Préjudices patrimoniaux

Les parents de M. [B] [E] soutiennent que l’accident a entraîné pour M. [J] [E] une perte de revenus à hauteur de 12 000 euros en raison des nombreux déplacements effectués pour être au chevet de son fils hospitalisé en France.

Toutefois, force est de constater qu’il n’est pas produit le moindre justificatif de cette prétendue perte de revenus, la profession de M. [E] n’étant pas même indiquée, ni le montant de ses revenus habituels. De surcroît une indemnisation est allouée par ailleurs au titre de l’assistance par tierce personne.

La demande à ce titre sera donc rejetée.

B. Préjudices extra-patrimoniaux

M. et Mme [E] et leur fils [T] réclament l’indemnisation de leur préjudice d’affection à hauteur de 14 000 euros chacun.

La Régie des pistes offre 5 000 euros pour chacun des deux parents et 4 000 euros pour [T].

Il est incontestable, et au demeurant non contesté, que les parents du jeune [B] ont subi un préjudice d’affection lié à:

– la gravité de l’état de leur fils ensuite de l’accident, le pronostic vital de celui-ci étant engagé,

– la durée de son hospitalisation, en France d’abord, puis en Italie,

– la lourdeur des soins qui ont été nécessaires pour son rétablissement (interventions chirurgicales nombreuses, soins et consultations réguliers pendant de nombreux mois),

– la durée de sa convalescence (éviction scolaire pendant une année entière).

Il est également établi que, dans les suites immédiates de l’accident, M. et Mme [E], mais également leur fils aîné [T], alors âgé de 17 ans, ont cru perdre leur fils et frère compte tenu de son état particulièrement grave. Encore aujourd’hui l’état de santé de [B] reste pour eux un sujet d’inquiétude.

Ces éléments justifient qu’il soit alloué:

– à chacun des parents une indemnité de 10 000 euros,

– à M. [T] [E] une indemnité de 5 000 euros.

***

IV. Sur les demandes accessoires

Il serait inéquitable de laisser à la charge des appelants la totalité des frais exposés, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de leur allouer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La Régie des pistes de [Localité 14], qui succombe à titre principal, supportera les entiers dépens de première instance et d’appel, avec, pour ceux d’appel, application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Milliand – Dumolard – Thill, avocat.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,

Infirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire d’Albertville le 31 décembre 2020 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Dit que la Régie des pistes de [Localité 14] est entièrement responsable des préjudices subis par M. [B] [E] ensuite de l’accident survenu le 28 juillet 2009 sur le domaine skiable de [Localité 14],

Condamne la Régie des pistes de [Localité 14] à payer à M. [B] [E] la somme globale de 254 340,02 euros en réparation de ses préjudices, décomposée comme suit:

Préjudices patrimoniaux:

– préjudices patrimoniaux temporaires:

‘ dépenses de santé actuelles 2 551,95 euros

‘ frais divers 16 973,10 euros

– préjudices patrimoniaux permanents:

‘ dépenses de santé futures 11 179,97 euros

‘ incidence professionnelle rejet

‘ préjudice scolaire 8 000,00 euros

Préjudices extra-patrimoniaux:

– préjudices extra-patrimoniaux temporaires:

‘ déficit fonctionnel temporaire 10 875,00 euros

‘ souffrances endurées 45 000,00 euros

‘ préjudice esthétique temporaire 15 000,00 euros

– préjudices extra-patrimoniaux permanents:

‘ préjudice d’agrément 15 000,00 euros

‘ préjudice esthétique permanent 50 000,00 euros

‘ préjudice d’établissement 8 000,00 euros

‘ déficit fonctionnel permanent 71 760,00 euros

Condamne la Régie des pistes de [Localité 14] à payer:

– à M. [J] [E] la somme de 10 000,00 euros en réparation de son préjudice d’affection,

– à Mme [G] [W] épouse [E] la somme de 10 000,00 euros en réparation de son préjudice d’affection,

– à M. [T] [E] la somme de 5 000,00 euros en réparation de son préjudice d’affection,

Déboute M. [B] [E], M. [J] [E], Mme [G] [W] épouse [E] et M. [T] [E] du surplus de leurs demandes indemnitaires,

Condamne la Régie des pistes de [Localité 14] à payer à M. [B] [E], M. [J] [E], Mme [G] [W] épouse [E] et M. [T] [E], indivisément, la somme de 6 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Régie des pistes de [Localité 14] aux entiers dépens de première instance et d’appel, avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Milliand – Dumolard – Thill, avocat.

Ainsi prononcé publiquement le 17 mai 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La Greffière La Présidente

 


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