Prêt entre particuliers : 16 mars 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/00911

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Prêt entre particuliers : 16 mars 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/00911

16 mars 2023
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG
22/00911

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 16 MARS 2023

N° 2023/

Rôle N° RG 22/00911 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BIXCL

[F] [O] veuve [W]

C/

[M] [R]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Françoise BOULAN

Me Marie-Pierre HEINTZE LE DONNE

1 CC à Mme Le Procureur près la CA d’Aix en Provence

le:

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal Judiciaire de GRASSE en date du 06 janvier 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 21/01385.

APPELANTE

Madame [F] [O] veuve [W]

Née le 21 octobre 1947 à [Localité 13], demeurant [Adresse 10]

représentée par Me Françoise BOULAN substituée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocats au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

et assistée de Me Nathalie PUJOL, avocat au barreau de GRASSE

INTIME

Monsieur [M] [R]

né le 10 mai 1954 à [Localité 12], demeurant [Adresse 16]

représenté par Me Marie-Pierre HEINTZE LE DONNE, avocat au barreau de GRASSE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 07 février 2023 en audience publique devant la cour composée de :

M. Gilles PACAUD, Président rapporteur

Mme Angélique NETO, Conseillère

Madame Myriam GINOUX, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 16 mars 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 16 mars 2023,

Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

L’assemblée générale des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 14] a, le 24 janvier 2018, voté à l’unamité une résolution autorisant Mme [F] [O] veuve [W] à raccorder sa villa et le terrain à bâtir qui en sera détaché au réseau communal d’assainissement en utilisant le réseau de la copropriété. Il était précisé dans le procès-verbal que cette autorisation (entrainait) la constitution d’une servitude spécifique dont les fonds concernés (seraient) les suivants :

– Fonds servant : parcelles cadastrées sous la section BT, parcelles numéros [Cadastre 3] et [Cadastre 6] ;

– Fonds dominant : parcelles cadastrées sous la section BT parcelles numéros [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 7], [Cadastre 8] et [Cadastre 9] (anciennement [Cadastre 1] et [Cadastre 2]) ;

Pouvoir était donné à M. [M] [R] à l’effet de représenter la copropriété à la signature de l’acte notarié de constitution de servitude.

Ledit acte authentique a été signé le 30 juillet 2018, en l’étude de Maître [I], notaire associé à [Localité 15]. Il y était stipulé que cette servitude (était) consentie à titre de bon voisinage et sans indemnité et que les parties (affirmaient) que ‘le présent acte (exprimait) l’intégralité des valeurs convenues.

Le même jour, Mme [F] [O] veuve [W] rédigeait à la main et signait une reconnaissance de dette d’un montant de 20 000 euros au profit de M. [M] [R]. Il y était indiqué : Cette reconnaissance de dette sera payable sans condition aucune par [F] [O] [W] à la vente de sa parcelle de terrain n° [Cadastre 2], section BT, situé [Adresse 11].

Mme [O] a cédé son terrain ainsi raccordé, sections BT [Cadastre 4] et [Cadastre 7], le 7 novembre 2018 au prix de 200 000 euros.

Après l’avoir mise en demeure de lui régler la somme convenue, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception non réclamée en date du 5 septembre 2019, M. [R] a, par acte d’huissier en date du 17 août 2021, fait assigner Mme [O], à cette fin, devant le président du tribunal judiciaire de Grasse.

Par ordonnance contradictoire en date du 6 janvier 2022 , le juge des référés du tribunal judiciaire de Grasse a :

– déclaré M. [R] recevable et bien fondé en sa demande en paiement provisionnelle ;

– condamné Mme [F] [O] veuve [W] à payer à M. [R] une provision de 20 000 euros outre intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 2019 jusqu’à parfait paiement, à valoir sur la reconnaissance de dette du 30 juillet 2018 ;

– condamné Mme [F] [O] veuve [W] à payer à M. [R] une indemnité de 1 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné Mme [F] [O] veuve [W] aux dépens de l’instance ;

– rejeté toutes autres prétentions.

Il a notamment considéré que cette reconnaissance de dette était causée par les accords que M. [R] a passé avec Mme [O], à titre personnel et non en qualité de représentant de la copropriété, tendant à déployer différents efforts, y compris financiers, pour permettre à cette dernière de céder son terrain à bâtir.

Selon déclaration reçue au greffe le 20 janvier 2022, Mme [O] a interjeté appel de cette décision, l’appel portant sur toutes ses dispositions dûment reprises.

Par dernières conclusions transmises le 10 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, elle sollicite de la cour qu’elle réforme l’ordonnance entreprise et :

– juge que la demande de M. [R] ne pouvait aboutir en l’état de contestations sérieuses, et le renvoie à mieux se pourvoir ;

– rejette en tout état de cause les demandes de M. [R] .

– condamne M. [R] à lui verser la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 code de procédure civile et aux dépens, ceux d’appel distraits au profit de Maître Françoise Boulan, membre de la SELARL Lexavoué, avocats associés, aux offres de droit.

Par dernières conclusions transmises le 24 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [M] [R] sollicite de la cour qu’elle confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et condamne Mme [O] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 devant la cour et aux dépens de première instance et d’appel.

L’instruction de l’affaire a été close par ordonnance en date du 24 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de provision

Aux termes de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable … le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence … peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution d’une obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

L’absence de constestation sérieuse implique l’évidence de la solution qu’appelle le point contesté. Il appartient au demandeur d’établir l’existence de l’obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu’en son montant, laquelle n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

En l’espèce, Mme [W] excipe de la nullité la reconnaissance de dette, qu’elle reconnaît avoir signée le 30 juillet 2018 et qu’elle qualifie de contre-lettre contredisant l’absence de contrepartie affichée par l’acte authentique ayant créé, au profit de son fonds, la servitude de tréfonds et raccordement. M. [R] conteste cette analyse en arguant notamment du fait que cet acte sous seing privé est causé et qu’il a été signé par des parties différentes de celles qui sont intervenues à l’acte authentique.

L’article 1201 du code civil dispose : Lorsque les parties ont conclu un contrat apparent qui dissimule un contrat occulte, ce dernier, appelé aussi contre-lettre, produit effet entre les parties. Il n’est pas opposable aux tiers qui peuvent néanmoins s’en prévaloir.

Aux termes de l’article 1202 du même code, est nulle toute contre-lettre ayant pour objet une augmentation du prix stipulé dans le traité de cession d’un office ministériel ; est également nul tout contrat ayant pour but de dissimuler une partie du prix, lorsqu’elle porte sur une vente d’immeubles, une cession de fonds de commerce ou de clientèle, une cession d’un droit à un bail, ou le bénéfice d’une promesse de bail portant sur tout ou partie d’un immeuble et tout ou partie de la soulte d’un échange ou d’un partage comprenant des biens immeubles, un fonds de commerce ou une clientèle.

En application des dispositions de ce texte, l’existence d’une contre-lettre est subordonnée à la concomitance d’actes reliés par un lien intellectuel, dont celui qui garde un caractère confidentiel contredit l’acte officiel. Elle doit être annulée lorsqu’elle porte atteinte aux droit des tiers et notamment de l’administration fiscale. L’identité de parties n’est pas requise ou, à tout le moins, peut être retenue lorsque des mécanismes d’interposition ou de représentation sont mis en oeuvre, dans le cadre de la dissimulation recherchée.

Il est constant que le 24 janvier 2018, l’assemblée générale de la copropriété, composée de M. [M] [R], seul copropriétaire présent (titulaire de 698 millièmes) et des époux [V], réprésentés (titulaires des 302 millièmes restants), a voté à l’unanimité une résolution n° 4 autorisant Mme [O]-[W] à raccorder sa villa et le terrain à bâtir qui en (serait) détaché au réseau communal en utilisant le réseau de la copropriété. Il était stipulé dans le procès-verbal que :

– cette autorisation entraînait la constitution d’une servitude spécifique dont le fonds servant serait constitué des pacelles [Cadastre 3] et [Cadastre 6], et le fonds dominant des parcelles [Cadastre 4] à [Cadastre 9] ;

– pouvoir était donné à M. [R] à l’effet de représenter la copropriété à la signature de l’acte notarié de constitution de servitude.

Alors même que le ‘réseau de la copropriété’ constituait une partie commune, propriété indivise de l’ensemble des copropriétaires, par application des dispositions des articles 3 et 4 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles batis, aucune contrepartie financière n’était prévue au profit de la copropriété pour la création de ce droit réel au profit d’un tiers.

Il en allait de même dans l’acte authentique de ‘constitution de servitude’, reçu le 30 juillet 2018, par Maître [H] [I], notaire à [Localité 15], dans lequel le Syndicat des copropriétaires de la Copropriété [Adresse 14], représenté par M. [R], était désigné comme ‘propriétaire du fonds servant’. En effet, cet acte stipulait expressément, en pages 10 et 11, que cette servitude (était) consentie à titre de bon voisinage et sans indemnité.

Le même jour et, selon l’intimé, en l’étude du notaire précité, Mme [O] a rédigé une reconnaissance de dette de 20 000 euros au profit de M. [R]. Celle-ci, contresignée par ce dernier, mentionnait qu’elle serait payable sans condition à la vente de la parcelle de terrain n° [Cadastre 2] section BT. Elle était expressément causée par la création de la servitude précitée puisqu’elle supportait, en en-tête, la mention dactylographiée suivante : reconnaissance de dette concernant le règlement d’une servitude autorisant le branchement de deux parcelles de terrain sur un regard privé de tout à l’égout situé sur la propriété [Adresse 14]. Cette mention était en outre suivie de l’indication manuscrite des fonds servant et dominant tels que mentionnés dans le procès-verbal de l’assemblée générale du 24 janvier 2018 et l’acte authentique du 30 juillet suivant.

Il résulte de ces éléments que la reconnaissance de dette litigieuse contredit la lettre de l’acte authentique, signé le même jour par les mêmes parties, en qualité certes différentes pour M. [R] (représentant du Syndicat pour l’acte authentique et à titre personnel pour l’acte sous seing privé), au sens où la création de la servitude n’est pas dépourvue de contrepartie financière. Il n’est en outre pas illégitime de penser que la mention de cette contrepartie dans le seul acte sous seing privé, dissimulé aux tiers et à l’administration fiscale, visait :

– faire échapper ce transfert d’un droit réel immobilier à toute imposition ;

– permettre le détournement de la contrepartie financière de la création de la servitude au profit de M. [R], simple copropriétaire, alors qu’elle aurait pu, voire dû, revenir à la copropriété qu’il réprésentait et donc créditer les comptes de son Syndicat.

S’il n’appartient pas au juge des référés de qualifier cette reconnaissance de dette, il s’infère néanmoins des éléments précités, qui consacrent plusieurs des critères juridiques de la contre-lettre, un doute suffisant sur son caractère frauduleux et donc sa potentielle nullité, en regard des dispositions précitées de l’article 1202 du code civil, pour que l’obligation de Mme [O]-[W] de verser la somme de 20 000 euros à M. [R] soit considérée comme sérieusement contestable.

L’ordonnance sera donc infirmée en ce qu’elle a fait droit à la demande de provision de ce dernier.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il convient d’infirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a condamné Mme [F] [O] veuve [W] aux dépens de l’instance et à payer à M. [M] [R] une indemnité de 1 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [M] [R], qui succombe au litige, sera débouté de sa demande formulée sur le fondement de ce texte. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l’appelante les frais non compris dans les dépens, qu’elle a exposés en première instance et appel.

Il lui sera donc alloué une somme de 3 500 euros en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de provision formulée par M. [M] [R] ;

Condamne M. [M] [R] à payer à Mme [F] [O] veuve [W] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M. [M] [R] de sa demande sur ce même fondement ;

Condamne M. [M] [R] au paiement des dépens de première instance et d’appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Dit qu’une copie du présent arrêt sera transmis par le greffe à Mme le Procureur général près la Cour d’appel d’Aix-en-Provence.

La greffière Le président

 


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