Prêt entre particuliers : 15 juin 2023 Cour d’appel de Nancy RG n° 22/01292

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Prêt entre particuliers : 15 juin 2023 Cour d’appel de Nancy RG n° 22/01292
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15 juin 2023
Cour d’appel de Nancy
RG n°
22/01292

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D’APPEL DE NANCY

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT N° /23 DU 15 JUIN 2023

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 22/01292 – N° Portalis DBVR-V-B7G-E7SE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du tribunal judiciaire de NANCY, R.G. n° 18/00995 en date du 05 mai 2022,

APPELANTS :

Monsieur [M] [T]

né le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 6] (54), domicilié [Adresse 4]

Représenté par Me Ariane MILLOT-LOGIER de l’AARPI MILLOT-LOGIER, FONTAINE & THIRY, avocat au barreau de NANCYsubstituée par Me Eleonore WIEDEMANN, avocat au barreau de NANCY

Madame [X] [T] épouse [I]

née le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 7] (88), domiciliée [Adresse 4]

Représentée par Me Ariane MILLOT-LOGIER de l’AARPI MILLOT-LOGIER, FONTAINE & THIRY, avocat au barreau de NANCY NANCYsubstituée par Me Eleonore WIEDEMANN, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉE :

la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LORRAINE,

société coopérative à capital et personnel variables, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de METZ sous le n° D 775 616 162 dont le siège est [Adresse 5], agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me François CAHEN, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 11 Mai 2023,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Francis MARTIN, président et Madame Fabienne GIRARDOT, conseiller, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Francis MARTIN, président de chambre,

Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère

Madame Marie HIRIBARREN, conseillère, désignée par ordonnance de Monsieur le premier président de la cour d’appel de NANCY en date du 09 mai 2023, en remplacement de Madame Nathalie ABEL, conseillère, régulièrement empêchée

Greffier, lors des débats : Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET .

A l’issue des débats, le président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 15 Juin 2023, en application du deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 15 Juin 2023, par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier ;

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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EXPOSE DU LITIGE

Suivant offre préalable du 10 juin 2011 acceptée le 25 juin 2011, reprise en annexe d’un acte notarié dressé le 11 juillet 2011, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine (ci-après la CRCAM de Lorraine) a consenti à M. [M] [T] et Mme [X] [I] épouse [T] (ci-après les époux [T]) un prêt d’un montant de 155 000 euros remboursable en 240 mensualités de 1 006,73 euros (la dernière mensualité étant de 1 007,94 euros) au taux de 4,81% l’an, afin de financer l’acquisition d’un bien immobilier sis à [Localité 6], [Adresse 3], pour un prix de 330 000 euros, payé partiellement par un apport personnel à hauteur de 197 688 euros tiré de la vente de leur ancienne résidence principale par acte notarié du 21 juin 2011 et de leurs contrats d’assurance-vie.

Le 25 novembre 2013, les époux [T] ont saisi la commission de surendettement d’une demande de traitement de leur situation financière et ont été déclarés recevables au bénéfice de cette procédure le 3 décembre 2013, décision confirmée par jugement du tribunal d’instance de Lunéville du 4 février 2014.

Par jugement en date du 6 janvier 2015, le juge du tribunal d’instance de Lunéville statuant en matière de surendettement a suspendu l’exigibilité des créances des époux [T] pour une durée de 24 mois, subordonnée à la vente amiable de leur bien immobilier constituant leur résidence principale afin d’apurer leur endettement.

Par jugement en date du 1er août 2017, le juge du tribunal d’instance de Lunéville statuant en matière de surendettement a confirmé la décision de la commission de surendettement du 7 février 2017, saisie le 27 décembre 2016, tendant à l’irrecevabilité des époux [T] au réexamen de leur situation à défaut de vente du bien immobilier dans les délais impartis.

Par acte d’huissier du 9 février 2018, la CRCAM de Lorraine a fait signifier aux époux [T] un commandement de payer valant saisie immobilière du bien financé pour avoir paiement de la somme de 156 470,02 euros.

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Par acte d’huissier en date du 21 février 2018, les époux [T] ont fait assigner la CRCAM de Lorraine devant le tribunal de grande instance de Nancy afin de voir prononcer l’annulation du contrat de prêt vicié par dol, et subsidiairement, de voir condamner le prêteur à leur verser la somme de 140 823,02 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son devoir de conseil et de mise en garde.

La CRCAM de Lorraine a conclu à la prescription de l’action et subsidiairement au débouté, et a sollicité à titre reconventionnel la condamnation des époux [T] à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée.

Par jugement en date du 5 mai 2022, le tribunal judiciaire de Nancy a :

– déclaré la demande en nullité du contrat de prêt pour cause de dol irrecevable pour cause de prescription,

– débouté les époux [T] de leur demande de dommages et intérêts pour manquement de la CRCAM de Lorraine à ses devoirs d’information et de mise en garde,

– condamné les époux [T] aux dépens,

– condamné les époux [T] à payer à la CRCAM de Lorraine la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– condamné les époux [T] à payer à la CRCAM de Lorraine la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les époux [T] de leur demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision.

Le tribunal a retenu que dès la date de signature du prêt le 10 juin 2011, les époux [T] pouvaient se rendre compte de leur situation financière précaire, de sorte que cette date constitue le point de départ du délai de prescription quinquennale de l’action en annulation du contrat de prêt, déterminant la prescription de l’action en nullité du contrat, en précisant que seule l’action en paiement avait été interrompue par la saisine de la commission de surendettement valant reconnaissance de dette.

Il a constaté que le préjudice allégué né du manquement de la CRCAM de Lorraine à son obligation de mise en garde s’était manifesté dès les premiers défauts de paiement, et a fixé le point de départ de l’action en responsabilité au 3 décembre 2013, correspondant à la date d’ouverture de la procédure de surendettement, déterminant la recevabilité de l’action en responsabilité.

Le tribunal a retenu que la CRCAM de Lorraine, qui s’en était remise aux déclarations erronées des emprunteurs concernant l’omission de prêts contractés auprès de la Caisse d’Epargne et la baisse de leurs revenus entre 2009 et 2010, ne pouvait voir sa responsabilité recherchée, à défaut d’émission de l’avis d’imposition 2011au jour de la signature du prêt, s’agissant des conséquences du propre comportement des emprunteurs.

Il a jugé que les époux [T] n’avaient pas respecté les obligations imparties dans le cadre de la procédure de surendettement et avaient engagé la présente procédure suite à la délivrance du commandement de payer valant saisie immobilière.

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Le 2 juin 2022, les époux [T] ont formé appel du jugement tendant à son annulation, voir à son infirmation en tous ses chefs critiqués.

Dans leurs dernières conclusions transmises le 3 février 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les époux [T], appelants, demandent à la cour :

– de déclarer leur appel recevable et bien fondé,

Y faisant droit,

– d’infirmer le jugement du 5 mai 2022 rendu par le tribunal judiciaire de Nancy en ce qu’il :

* a déclaré la demande en nullité du contrat de prêt pour cause de dol irrecevable pour cause de prescription,

* les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour manquement de la CRCAM de Lorraine à ses devoirs d’information et de mise en garde,

* les a condamnés aux dépens,

* les a condamnés à payer à la CRCAM de Lorraine la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts,

* les a condamnés à payer à la CRCAM de Lorraine la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

* les a déboutés de leur demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

* a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

* a ordonné l’exécution provisoire de la présente décision,

Statuant à nouveau,

– de débouter la banque de tout appel incident,

A titre principal,

– de retenir qu’ils ont été victimes d’un dol reprochable à la CRCAM de Lorraine,

– de juger que la CRCAM de Lorraine devra, en conséquence de la nullité de l’opération financée, restituer toutes les échéances de crédit reçues,

– de condamner la CRCAM de Lorraine à leur verser une somme de 156 470,02 euros à titre de dommages et intérêts,

– de condamner la CRCAM de Lorraine à 2 000 euros supplémentaires en raison de la saisie qu’elle a poursuivie sur la base de l’exécution provisoire,

A titre subsidiaire et si par extraordinaire la cour devait rejeter le moyen fondé sur l’existence d’un dol,

– de décider que la banque a manqué à son devoir de conseil et a, à tout le moins, favorisé la conclusion d’un emprunt disproportionné au regard de leurs ressources et de leur patrimoine,

– de juger qu’ils ont perdu une chance de ne pas contracter ou de contracter dans des conditions différentes et plus favorables et sans perte de la totalité de leur apport,

– de condamner la banque à leur verser une somme de 140 823,02 euros à titre de dommages et intérêts,

– de débouter la CRCAM de Lorraine de toutes demandes, fins ou conclusions plus amples ou contraires et notamment de toutes demandes de dommages et intérêts,

– de condamner la CRCAM de Lorraine à leur verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs demandes, les époux [T] font valoir en substance :

– que le dol est caractérisé par l’émission par la banque d’un document dactylographié qui ne reprenait pas les éléments de leur situation financière, telle que résultant des pièces produites, et par la remise de ce document aux emprunteurs sans observation, s’agissant d’une présentation délibérement erronée de leurs revenus et de leur état d’endettement qu’ils ont signé et paraphé ; que le montant de l’endettement renseigné est faux et que leurs revenus s’élevaient à une somme totale de 1 471 euros par mois ; que le montant des échéances fait ressortir un taux d’endettement de 68% ; que la CRCAM de Lorraine a consenti un créduit ruineux, qu’ils ne pouvaient rembourser avec leurs revenus effectifs, au seul motif que la valeur du bien couvrait le prêt consenti ; qu’il existe des anomalies apparentes pour un service bancaire qui aurait dû vérifier la correspondance entre les éléments mentionnés et les documents fournis par les emprunteurs ; que le dol a été rendu possible par la violation d’une obligation préexistante d’information ;

– que la prescription de l’action en nullité a pour point de départ le jour où le contractant découvre l’erreur ou le dol ; que si à la date de la saisine de la commission de surendettement le 3 décembre 2013, le tribunal a retenu qu’ils pouvaient être réputés avoir pris conscience du défaut de conseil de la banque comme étant le jour de la réalisation du dommage, alors la connaissance des man’uvres frauduleuses de la banque à leur détriment a au mieux été concomitante ; que l’acte vicié n’a pas été exécuté de sorte qu’aucune confirmation tacite de l’acte nul ne peut être opposée ;

– que subsidiairement, la banque a fait preuve d’une grande légèreté dans l’analyse des pièces, ce qui est une faute au regard de son obligation d’information et de conseil ; que les époux [T] sont des emprunteurs non avertis et que l’exercice du devoir de mise en garde emporte pour l’établissement de crédit un devoir préalable de renseignement puis d’alerte sur les risques d’endettement liés au crédit ; que la CRCAM de Lorraine ne justifie pas de l’exécution de ce devoir ; que le devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter de la date du premier incident de paiement ;

– que le dol ouvre à la victime une action en réparation du préjudice subi ; que le dommage résultant d’un manquement à l’obligation de mise en garde consiste en la perte de chance d’éviter le risque que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt ; qu’il est sollicité à titre principal l’allocation de dommages et intérêt égaux au montant du crédit, soit une somme de 156 470,02 euros sur le fondement de la responsabilité encourue à l’occasion de la commission du dol ; qu’ils ont perdu la totalité de leurs économies et rencontrent une situation d’endettement anormale ; qu’à titre subsidiaire, le manquement de la CRCAM de Lorraine à son devoir de conseil et de mise en garde justifie l’allocation d’une somme de 140 823,02 euros correspondant à 90% du montant du prêt.

Dans ses conclusions transmises le 27 février 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la CRCAM de Lorraine, intimée, demande à la cour sur le fondement des dispositions de l’article 2224 du code civil :

– de déclarer les époux [T] recevables mais mal fondés en leur appel, et de les en débouter,

– de confirmer le jugement rendu le 5 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Nancy en ce qu’il a :

* déclaré la demande en nullité du contrat de prêt pour cause de dol irrecevable pour cause de prescription,

* débouté les époux [T] de leur demande de dommages et intérêts pour manquement de la CRCAM de Lorraine à ses devoirs d’information et de mise en garde,

* condamné les époux [T] aux dépens,

* condamné les époux [T] à lui payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts,

* condamné les époux [T] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

* débouté les époux [T] de leur demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

* débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

* ordonné l’exécution provisoire de la présente décision,

– d’infirmer le jugement rendu le 5 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Nancy en ce qu’il a déclaré recevable l’action en responsabilité pour manquement à son devoir de mise en garde,

En conséquence,

– de déclarer prescrite et forclose l’action engagée par les époux [T],

En toute hypothèse,

– de constater que les époux [T] n’ont pas contesté les sommes fixées dans le cadre de leur procédure de surendettement,

– de dire et juger qu’elle n’a commis aucune faute à l’encontre des époux [T],

– de débouter les époux [T] de l’ensemble de leurs demandes,

Y ajoutant,

– de condamner les époux [T] au paiement de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et injustifié,

– de condamner les époux [T] au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Au soutien de ses demandes, la CRCAM de Lorraine fait valoir en substance :

– que le point de départ de l’action en nullité est la date de la convention, soit le 11 juillet 2011, qui correspond au jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître le vice affectant son consentement ; que la demande d’annulation tendant à contester les échéances prélevées (au motif que l’opération de paiement aurait été mal exécutée) est forclose sur le fondement de l’article L. 133-24 du code monétaire et financier ; que l’action fondée sur le dol n’a pas été interrompue par la saisine de la commission de surendettement valant reconnaissance de dette ;

– que le point de départ de la prescription en matière de responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde ne peut être que celui retenu pour le dol, puisque la responsabilité de la banque est recherchée à l’occasion de la même opération mais sur deux fondements juridiques différents ;

– que subsidiairement, la banque n’a commis aucune faute en ce que le montage n’a été réalisé que sur la base et seulement sur les éléments que les époux [T] ont bien voulu fournir à la banque et qu’ils ont validé ledit montage ; que le dossier de prêt a été instruit en fonction des éléments financiers communiqués par les emprunteurs et repris dans la fiche intitulée « demande de financement habitat », paraphée, signée et datée par eux, validant la clause relative à la déclaration d’exactitude des renseignements fournis ; que le formalisme ressortant des dispositions des articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation a été respecté, ayant pour effet de garantir la parfaite information de l’emprunteur et partant, de rapporter la preuve du devoir de conseil de la banque ;

– que la nullité du contrat de prêt aurait pour conséquence la condamnation des époux [T] au paiement de la somme de 155 000 euros, outre les intérêts légaux depuis la date de libération des fonds, déduction faite des versements reçus, de sorte qu’ils ne peuvent pas sérieusement réclamer purement et simplement à titre de dommages et intérêts la somme de 156 470,02 euros à titre principal, ou celle de 140 823,02 euros à titre subsidiaire ; que la perte de chance ne peut correspondre au montant du prêt ;

– que la procédure engagée et l’appel sont totalement abusifs et injustifiés ; que les époux [T] disposent d’un vaste ensemble immobilier sans verser le moindre centime depuis plusieurs années ; que l’appel n’a pour objectif que de retarder la réalisation de l’immeuble financé ; qu’elle ne peut être tenue responsable des choix et déconvenues professionnelles des époux [T], tous postérieurs au déblocage du prêt ; que par jugement du tribunal de commerce de Nancy du 17 janvier 2023, la nouvelle activité de M. [T] a été placée en liquidation judiciaire simplifiée ;

– que la demande nouvelle tendant à solliciter la condamnation de la banque à une somme de 2 000 euros du fait de la poursuite de l’exécution provisoire (ayant sollicité la saisie des rémunérations de Mme [T] au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré) est irrecevable, et subsidiairement, correspond à l’exécution d’une décision de justice ; que Mme [T] n’a pas contesté les sommes sollicitées et a demandé des délais de paiement, emportant acquiescement aux condamnations prononcées et au débouté de ses demandes d’indemnisation.

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La clôture de l’instruction a été prononcée le 8 mars 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la prescription de l’action en annulation du contrat de prêt pour dol

Il ressort de l’article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle résultant de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, que l’action en nullité d’un contrat fondée sur le dol se prescrit par un délai de cinq ans à compter du jour où le contractant a découvert le vice qu’il allègue.

Les époux [T] soutiennent que le dol est caractérisé par l’émission par la banque d’un document dactylographié qui a modifié les éléments de leur situation financière, telle que résultant des pièces produites, soumis à leur signature.

Aussi, il convient de déterminer la date à laquelle les époux [T] ont eu connaissance des manoeuvres frauduleuses dont ils se prétendent victimes.

En l’espèce, il est constant que le prêteur a fait signer aux emprunteurs une fiche de renseignements le 10 juin 2011, comportant la mention selon laquelle les renseignements fournis étaient ‘complets, exacts, sincères et véritables’ pour ‘justifier leur situation financière et patrimoniale portant notamment sur la description de leur endettement, la composition de leur patrimoine, le niveau de leurs ressources et revenus’.

Aussi, il en résulte que les manoeuvres dolosives dont les époux [T] se prétendent victimes se matérialisaient à la date de signature de cette fiche par les emprunteurs.

Au surplus, la saisine de la commission de surendettement ne saurait avoir pour effet de reporter le point de départ du délai de prescription de l’action en nullité du contrat pour vice du consentement.

Dans ces conditions, la date du 10 juin 2011 constitue le point de départ du délai de prescription de l’action en nullité du contrat et en dommages et intérêts y afférents, qui était donc prescrite à la date de l’assignation du 21 février 2018.

Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

En outre, les époux [T] seront déboutés de leur demande présentée à hauteur de cour tendant à l’allocation de dommages et intérêts supplémentaires, fondée sur la saisie poursuivie sur les rémunérations de Mme [T] sur la base de l’exécution provisoire assortissant le jugement déféré malgré la nullité du contrat de prêt.

Sur la prescription de l’action en dommages et intérêts pour manquement du prêteur au devoir de conseil et de mise en garde

Il résulte de l’article 2224 du code civil que l’action en responsabilité de l’emprunteur non averti à l’encontre du prêteur au titre d’un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l’emprunteur d’appréhender l’existence et les conséquences éventuelles d’un tel manquement.

En l’espèce, les époux [T] ont saisi la commission de surendettement des particuliers des Vosges par déclaration reçue le 25 novembre 2013, et ont été déclarés recevables au bénéfice de la procédure de surendettement le 3 décembre 2013.

Or, selon les dispositions de l’article L. 330-1 alinéa 1 du code de la consommation, dans sa version applicable jusqu’au 1er juillet 2016, la situation de surendettement des personnes physiques est caractérisée par l’impossibilité manifeste pour le débiteur de bonne foi de faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir.

Aussi, le premier juge a considéré à juste titre que ‘le point de départ de la prescription peut être fixé au plus tard’ à la date du 3 décembre 2013.

Dans ces conditions, l’action en responsabilité engagée le 21 février 2018, soit dans le délai de cinq ans, est recevable.

Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

Sur le manquement du prêteur à son obligation de conseil et de mise en garde

Il ressort de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que le banquier dispensateur de crédit est tenu à l’égard de l’emprunteur non averti d’une obligation de mise en garde lors de la conclusion du contrat, celui-ci étant tenu de justifier avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l’emprunteur, comprenant les revenus et la valeur des éléments du patrimoine garantissant le remboursement, et des risques de l’endettement né de l’octroi des prêts.

Il s’ensuit que le prêteur n’est tenu d’aucun devoir de mise en garde si la charge de remboursement n’excède pas la capacité financière de l’emprunteur.

Or, le prêt n’est pas excessif si son montant est quasi équivalent au patrimoine de l’emprunteur, alors même qu’il s’agit de sa résidence, et qu’il est en mesure de le rembourser, même en réalisant les biens de son patrimoine.

Aussi, pour apprécier s’il est tenu à un devoir de mise en garde, l’établissement de crédit peut, sauf anomalies apparentes, se fier aux informations recueillies auprès de l’emprunteur sur ses capacités financières sans devoir vérifier leur exactitude.

Les époux [T] soutiennent que la banque a fait preuve d’une grande légèreté dans l’analyse des pièces justifiant leur situation, ce qui est une faute au regard de son obligation d’information et de conseil, et que la CRCAM de Lorraine doit justifier de l’exécution de son devoir de mise en garde en leur qualité d’emprunteurs non avertis.

Au préalable, il y a lieu de constater que les époux [T] ne sauraient revêtir la qualité d’emprunteurs avertis à défaut de disposer des compétences nécessaires pour mesurer les risques de leur engagement.

En l’espèce, il ressort d’un document intitulé ‘demande de financement habitat’ paraphé et signé par les époux [T] le 10 juin 2011, les éléments de situation suivants :

– au titre des revenus : salaire : 2 559 euros, allocations familiales : 125 euros et pension alimentaire : 236 euros, soit un total de 2 920 euros,

– charges : aucun crédit extérieur en cours, étant précisé que la charge mensuelle du crédit sollicité à hauteur de 1 007 euros bénéficiera d’une allocation logement à déduire de 255 euros,

– aucun prêt à rembourser avant projet,

– impôts sur le revenu : 17 euros par mois,

– épargne : 2 600 euros.

Or, il y a lieu de constater que les époux [T] disposaient à cette date d’une résidence principale (vendue le 21 juin 2011) et de contrats d’assurance-vie pour un montant total de 197 688 euros, représentant l’apport personnel des emprunteurs à l’acquisition du bien immobilier financé partiellement par le prêt litigieux.

Il en résulte que le patrimoine et l’épargne des époux [T] leur permettaient d’apurer le prêt consenti à la date de sa signature, de sorte que le prêt litigieux ne pouvait être considéré comme excessif.

Aussi, le prêteur n’était tenu d’aucun devoir de mise en garde dans la mesure où la charge de remboursement n’excédait pas le patrimoine des emprunteurs.

Au surplus, il y a lieu de constater d’une part, que s’agissant d’un prêt immobilier soumis aux dispositions des articles L. 312-10 et suivants du code de la consommation, les époux [T] ont reconnu avoir reçu l’offre de prêt immobilier par voie postale le 14 juin 2011 qu’ils ont accepté le 25 juin 2011, et d’autre part, que la signature des époux [T] sur la demande de financement était précédée d’une clause intitulée ‘déclaration d’exactitude des renseignements fournis’ par laquelle ils ont certifié que les renseignements fournis étaient ‘complets, exacts, sincères et véritables’ pour ‘justifier leur situation financière et patrimoniale portant notamment sur la description de leur endettement, la composition de leur patrimoine, le niveau de leurs ressources et revenus’.

Or, si les époux [T] font état de quatre crédits en cours qui ne figurent pas à la demande de financement, en revanche, cette omission ne saurait caractériser une anomalie apparente obligeant le prêteur à en vérifier l’exactitude, dans la mesure où au surplus les prêts omis ont été consentis par la Caisse d’Epargne, et que le devis établi par la CRCAM de Lorraine le 25 octobre 2010 sur le projet d’acquisition de la maison, comprenant des mensualités de crédits en cours à hauteur de 423 euros, a été réalisé selon les déclarations des époux [T] à cette date.

De même, la surévaluation des revenus alléguée par les époux [T] ne pouvait ressortir d’une anomalie apparente à la demande de financement signée le 10 juin 2011, étant ajouté que pour en justifier, les emprunteurs ont versé en procédure des justificatifs de leur situation financière pour l’année 2010 (avis d’imposition 2011 sur les revenus 2010, attestation de paiement de la CAF pour le mois de novembre 2010 et comptes annuels de l’entreprise [T] Transports pour l’exercice du 1er mars 2020 au 31 mars 2011 comportant les salaires versés à M. [T] en 2010), de même que le relevé du compte bancaire de Mme [T] arrêté au 4 janvier 2011, qui ne sont pas contemporains de la demande de financement.

Dès lors, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté les époux [T] de leur demande en dommages et intérêts pour manquement de la CRCAM de Lorraine à son devoir de conseil et de mise en garde.

Sur les demandes de dommages et intérêts pour procédure et appel abusifs et injustifiés

L’abus du droit d’agir en justice ne saurait résulter du seul rejet des prétentions des époux [T].

Or, s’il est constant que les époux [T] n’ont pas respecté les recommandations de la commission de surendettement tendant à vendre amiablement le bien immobilier partiellement financé afin d’apurer leur endettement, et que la présente procédure a été engagée après la délivrance d’un commandement de payer aux fins de saisie dudit bien immobilier, en revanche, l’action en nullité du contrat de prêt, et subsidiairement en responsabilité du prêteur, de même que l’appel formé à l’encontre du jugement déféré, reposant sur des arguments de fait et de droit, ne sauraient être considérés comme abusifs.

Dès lors, le jugement déféré sera infirmé sur ce point, et la CRCAM de Lorraine sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour appel abusif.

Sur les demandes accessoires

Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Les époux [T] qui succombent à hauteur de cour seront condamnés aux dépens d’appel et seront déboutés de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Eu égard à la situation respective des parties, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,

INFIRME partiellement le jugement déféré et, statuant à nouveau,

DEBOUTE la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus,

Y ajoutant,

DEBOUTE M. [M] [T] et Mme [X] [I] épouse [T] de leur demande en dommages et intérêts fondée sur la saisie des rémunérations de Mme [X] [T] malgré la nullité alléguée du prêt,

DEBOUTE la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine de sa demande en dommages et intérêts pour appel abusif,

DEBOUTE M. [M] [T] et Mme [X] [I] épouse [T] de leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [M] [T] et Mme [X] [I] épouse [T] in solidum aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre à la cour d’Appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Minute en treize pages.

 


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