13 mars 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
22/05727
8ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°110
N° RG 22/05727 –
N° Portalis DBVL-V-B7G-TESF
M. [V] [Y]
C/
– Me [H] [P] (liquidation judiciaire de la SARL BEL INNOV)
-Association UNEDIC, Délégation AGS-CGEA DE [Localité 3]
Appel sur la compétence : Confirmation
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 13 MARS 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L’HENORET, Président de chambre,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 16 Décembre 2022
devant Madame Gaëlle DEJOIE, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Madame Natacha BONNEAU, Médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 13 Mars 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [V] [Y]
demeurant [Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Caroline MASSE-TISON, Avocat au Barreau de NANTES
(bénéficiaire d’une aide juridictionnelle totale numéro 2022/008173 du 30/09/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de RENNES)
INTIMÉES :
La SELARL de Mandataires Judiciaire [P] MJ-O prise en la personne de Maître [H] [P], ès-qualités de mandataire liquidateur de la SARL BEL INNOV
[Adresse 5]
[Localité 4]
INTIMÉE NON CONSTITUÉE
…/…
L’Association UNEDIC, Délégation AGS-CGEA DE [Localité 3] prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège :
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Samir LAABOUKI substituant à l’audience Me Bruno CARRIOU de la SCP IPSO FACTO AVOCATS, Avocats au Barreau de NANTES
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Le 26 avril 2016, Mme [I] [L] et M. [V] [Y] ont déposé auprès du Tribunal de Commerce de Nantes les statuts constitutifs de la SARL BEL INNOV, spécialisée dans les activités de gestion immobilière, de transactions immobilières, de syndic de copropriété, de promotion/construction.
La liquidation judiciaire de la SARL BEL INNOV a été prononcée d’office le 25 août 2021.
Le 29 septembre 2021, M. [Y] a saisi le Conseil de prud’hommes de Nantes aux fins de reconnaissance de l’existence d`un contrat de travail le liant à la SARL BEL INNOV et de condamnation de celle-ci au paiement de diverses sommes.
La cour est saisie d’un appel régulièrement formé par M. [Y] le 27 septembre 2022 contre un jugement du 8 septembre 2022 par lequel le Conseil de prud’hommes de Nantes :
‘ s’est déclaré incompétent pour connaître du litige entre M. [Y] et la liquidation judiciaire de la SARL BEL INNOV;
‘ a renvoyé les parties devant le Tribunal de Commerce de Nantes;
‘ a condamné M. [Y] aux dépens de la présente instance.
Vu l’ordonnance du 18 octobre 2022 autorisant, au visa des articles 84 et suivants, 917 et suivants du code de procédure civile, M. [Y] à faire délivrer assignation à jour fixe avant le 31 octobre 2022 et fixant l’audience de plaidoiries au 16 décembre 2022′;
Vu les assignations à jour fixe délivrées à Me [P] es-qualités le 26 octobre 2022 et à l’AGS-CGEA de [Localité 3] le 27 octobre 2022’;
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 27 septembre 2022, suivant lesquelles M. [Y] demande à la cour de :
‘ Infirmer le jugement sur la compétence rendu par le Conseil de prud’hommes de Nantes le 8 septembre 2022 ;
‘ Juger le Conseil de prud’hommes compétent pour connaître du litige entre M. [Y] et la liquidation judiciaire de la SARL BEL INNOV ;
‘ Renvoyer le dossier qui oppose M. [Y] à la liquidation judiciaire de la SARL BEL INNOV devant le Conseil de prud’hommes de Nantes afin qu’il soit statué sur le fond.
La SELARL [P] MJ-O es qualités n’a pas constitué avocat. La signification de la déclaration d’appel et des conclusions de l’appelant conformément aux dispositions des articles 902 et 911 du code de procédure civile a été faite par acte du 26 octobre 2022 à personne habilitée ; la signification des conclusions de l’AGS CGEA de [Localité 3] a été faite par acte du 23 novembre 2022. Le présent arrêt sera réputé contradictoire à son égard.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 15 novembre 2022, suivant lesquelles’l’UNEDIC délégation AGS-CGEA DE [Localité 3], demande à la cour de :
‘ Recevoir l’AGS et le CGEA de [Localité 3] en leur intervention;
‘ Donner acte au CGEA de [Localité 3] de sa qualité de représentant de l’AGS dans l’instance;
‘ Confirmer le jugement en toutes ses dispositions’;
‘ Condamner M. [Y] à verser à l’AGS CGEA de [Localité 3] la somme de 2.000€ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile’;
– Statuer ce que de droit sur les dépens.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
Sur la compétence
Pour infirmation et reconnaissance de la compétence de la juridiction prud’homale en raison de l’existence d’un contrat de travail, M. [Y] fait valoir que la SARL BEL INNOV était son unique client lorsqu’il était menuisier, qu’il disposait de l’ensemble des fournitures de bureau de l’entreprise, ainsi que d’une adresse courriel et d’un numéro de téléphone propres à ses fonctions au sein de la société, que ses horaires étaient définis par le planning d’activité de l’entreprise’; qu’il ne disposait ni d’une clientèle propre ni d’un stock ou de matériel personnel, qu’il travaillait à des horaires imposés par l’entreprise et qu’il était rémunéré en fonction du nombre d’heures travaillées multiplié par un taux horaire invariable et non pas au regard d’ordres de mission ou de contrats de prestations de service. M. [Y] mentionne qu’il est d’ailleurs titulaire d’une reconnaissance de dette, signée par Mme [L], au titre de sa rémunération pour la période du 2 avril 2017 au 26 avril 2020.
Les intimés répliquent que cette-dernière était sous emprise et qu’une plainte pénale a été déposée par Mme [L] à l’encontre de M. [Y]’; que M. [Y] agissait également en tant qu’associé-gérant et qu’il n’était nullement lié à la société par un quelconque lien de subordination.
La question de compétence soumise à la juridiction implique de rechercher, ainsi que l’ont fait les premiers juges, si le litige ouvert devant le Conseil de prud’hommes de NANTES est né à l’occasion de l’exercice d’un contrat de travail liant les parties.
En l’absence d’écrit ou d’apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d’en rapporter la preuve.
Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération.
L’existence d’un contrat de travail dépend, non pas de la volonté manifestée par les parties ou de la dénomination de la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur.
En particulier, le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. L’existence d’un lien de subordination n’est d’ailleurs pas incompatible avec une indépendance technique dans l’exécution de la prestation.
En l’espèce il est constant qu’aucun contrat de travail n’a été signé par M. [Y] et la SARL BEL INNOV, qu’il n’a jamais été déclaré parmi les salariés de l’entreprise et qu’il n’a jamais reçu un bulletin de paie.
Pour démontrer néanmoins l’existence d’un contrat de travail, M. [Y] a notamment versé aux débats :
– les statuts de la SARL BEL INNOV (Pièce n° 1) déposés’le 26 avril 2016 par lui-même et Mme [L] en qualité de co-associés, le siège social de la société étant leur adresse commune du [Adresse 1],
– huit factures de divers travaux émises entre février 2019 et janvier 2021 par «’B OPTIMISATION » domiciliée au [Adresse 1] à l’intention de la SARL BEL INNOV en qualité de client, pour des montants compris entre 50 et 500€ (pièce n° 2)’;
– des devis émis par «’Monsieur [Y] [V]’» sur des documents à en-tête de la «’SARL Hervé Philippe’» à la SARL BEL INNOV en 2020 et des copies d’écrans de courriels émis et reçus sur une adresse «'[Courriel 6]’» (pièces n°6)’;
– des copies d’écran de courriels adressés à Mme [L] (pièces n°8 et 9) et de courriers dans lesquels M.[Y] est désigné uniquement comme «’associé’» de la SARL BEL INNOV (pièce n°10)’;
– un courrier de M. [Y] à Mme [L] du 2 Février 2021 relatant son «’départ immédiat de l’entreprise BEL INNOV le vendredi 29 janvier 2020’» à la suite de «’l’exigence que vous avez formulée’» et faisant état de son impossibilité de justifier «’ni de l’expérience acquise de ces 5 dernières années, ni des salaires touchés pour bénéficier des allocations chômages’» (pièce n° 3)’;
– une copie de ses agendas entre décembre 2018 et janvier 2021 et d’un extrait de son planning du 1er trimestre 2021 (pièce n° 4)’;
– des extraits de conversations sur messagerie (SMS et MMS) entre lui et Mme [L] (pièce n° 5),
– une photocopie d’un document manuscrit sur papier à en-tête «’BEL INNOV’» intitulé «’reconnaissance de dette’» portant la date du 26 juin 2020, dont la signature n’est pas visible, comprenant les mentions «’je soussignée [I] [L] (‘) reconnaît devoir à M. [V] [Y] (‘) la somme de 74.898,00€ (‘) au titre de sa rémunération pour la période du 26.04.2017 au 26.04.2020, sans intérêt (pièce n° 7) ;
– une copie d’une «déclaration de créances» pour ce même montant enregistré par la société MJO en qualité de mandataire judiciaire de la société BEL INNOV le 21 septembre 2021 (pièce n°13)’;
– deux attestations de M. et Mme [Z] (pièces n°14 et 15) indiquant que M. [Y] avait été leur «’principal interlocuteur’au sein de la société BEL INNOV »», qu’ils lui avaient « confié la gestion locative de leur appartement à [Localité 7]’», qu’il avait «’toujours été disponible à n’importe quelle heure de la journée ainsi que le week-end’», qu’il avait «’recherché des artisans pour effectuer des travaux lorsque cela était nécessaire et a[vait] assuré le suivi des-dits travaux’»
Aucune des pièces communiquées ne laisse apparaître que les contrôles et directives émanant de la SARL BEL INNOV dans l’exécution de sa prestations de travail par M. [Y] auraient excédé ce qui est normalement attendu d’un partenaire contractuel au point de pouvoir être assimilées à l’exercice d’un pouvoir de sanction comparable à celui d’un employeur, ou plus généralement au point de caractériser un lien de subordination dans la gestion de son activité par M. [Y].
‘
En particulier, aucune pièce n’indique que les horaires de travail ou la présence de M. [Y] étaient imposés par la SARL BEL INNOV.
‘
De même, aucune pièce ne caractérise une ingérence directe de la part de la SARL BEL INNOV dans la gestion de ses activités et de son emploi du temps par M. [Y] ou dans les conditions d’exécution de son travail.
‘
Aucun des éléments produits ne témoigne de l’usage d’un pouvoir de sanction de la part de la SARL BEL INNOV à l’égard de M. [Y] ni de l’exercice effectif d’un pouvoir disciplinaire par la SARL ou par Mme [L] à son endroit.
La seule «’reconnaissance’» de dette, nullement authentifiée, qui n’est corroborée par aucun élément, ne peut suffire à caractériser la nature de la dette susceptible de persister entre Mme [L] y compris en sa qualité de gérante de la SAR BEL INNOV ni a fortiori l’existence entre M. [Y] et la SARL BEL INNOV d’un contrat de travail au sens des dispositions susvisées.
‘
Dans ces circonstances, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a constaté que le litige ne porte pas sur l’exécution ou la rupture d’un contrat de travail et en a tiré les conséquences en renvoyant l’affaire devant le tribunal de commerce de NANTES compétent pour statuer sur le litige opposant les parties, par application de l’article L.721-3 du code de commerce et de l’article 96 du code de procédure civile.
Sur les frais irrépétibles
‘
L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ; l’appelant, qui succombe en appel, doit être débouté de la demande formulée à ce titre et condamné à indemniser l’AGS CGEA des frais irrépétibles qu’elle a pu exposer pour assurer sa défense en appel.
‘
‘
PAR CES MOTIFS,
‘
LA COUR,
Statuant en dernier ressort et par arrêt réputé contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
‘
CONFIRME le jugement déféré ;
‘
CONDAMNE M. [V] [Y] à payer à l’UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 3] la somme de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘
DÉBOUTE M. [V] [Y] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘
CONDAMNE M. [V] [Y] aux dépens d’appel.
‘
‘
LE GREFFIER, » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » »’ LE PRÉSIDENT.