Prêt entre particuliers : 13 décembre 2022 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/02342

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Prêt entre particuliers : 13 décembre 2022 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/02342

13 décembre 2022
Cour d’appel de Poitiers
RG
21/02342

ARRET N°546

FV/KP

N° RG 21/02342 – N° Portalis DBV5-V-B7F-GKXC

[K]

C/

S.A.M.C.V. CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA T OURAINE ET DU POITOU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

2ème Chambre Civile

ARRÊT DU 13 DECEMBRE 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/02342 – N° Portalis DBV5-V-B7F-GKXC

Décision déférée à la Cour : jugement du 28 mai 2021 rendu(e) par le Tribunal Judiciaire de POITIERS.

APPELANTE :

Madame [N] [K]

née le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 6]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Ayant pour avocat plaidant Me Gérald FROIDEFOND de la SCP B2FAVOCATS, avocat au barreau de POITIERS.

INTIMEE :

S.A.M.C.V. CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA TOURAINE ET DU POITOU

[Adresse 2]

[Localité 4]

Ayant pour avocat postulant Me Nathalie MANCEAU de la SELARL MANCEAU – LUCAS-VIGNER, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Frnaçois VACCARO, avocat au barreau de TOURS.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 06 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :

Monsieur Fabrice VETU, Conseiller

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président

Monsieur Claude PASCOT, Président

Monsieur Fabrice VETU, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président, et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [N] [K] a souscrit auprès de la CAISSE DE CRÉDIT AGRICOLE DE LA TOURAINE ET DU POITOU :

– un prêt n° 73087581501de 11.000 € en date du 08 juillet 2016, amortissable par mensualité de 236,66 € sur une période de 52 mois correspondant à un rachat et regroupement de ses précédents crédits ;

– un crédit renouvelable SUPPLETIS n° 7000771949630 en date du 12 août 2016 avec une mensualité de 36 € sur une période de 36 mois minimum ;

– un prêt n° 73088741263 d’un montant de 5.000 € en date du 07 septembre 2016 avec une mensualité de 48,12 € sur une période de 144 mois.

Rencontrant de nouvelles difficultés pour rembourser lesdits crédits, elle a souscrit deux nouveaux prêts destinés à racheter et regrouper les précédents crédits par contrats datés du 05 juillet 2017, soit :

– un prêt n° 73096254342 dénommé « crédit 342 » d’un montant de 14.895 €, au taux de 3,15%, amortissable selon 84 mensualités de 214,69 € ;

– un prêt n° 73096264706 d’un montant de 4.000 €, au taux de 2,96%, amortissable remboursable en 60 mensualités de 75,80 €.

Par exploit en date du 14 août 2020, Mme [K] a fait assigner le Crédit Agricole devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Poitiers aux ‘ns d’obtenir, sous le béné’ce de l’exécution provisoire, sa condamnation au paiement des sommes de :

– 2.414,90€ attachée au prêt n° 73096264706 pour perte de chance,

– 10.950,75€ pour le prêt n°73096254342 pour perte de chance,

– 2.500€ au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.

Par jugement en date du 28 mai 2021, la juridiction saisie a :

– Constaté que la demande relative aux frais d’incidents de paiement n’a pas été maintenue,

– Condamné la CAISSE DE CRÉDIT AGRICOLE DE LA TOURAINE ET DU POITOU à payer à Madame [K] la somme de 2.046,41 € en réparation du préjudice résultant du manquement au devoir de mise en garde du chef de l’octroi des crédits n° 73096254342 et n° 73096264706 le 05 juillet 2017,

– Écarté le bénéfice de l’exécution provisoire de droit.

– Condamné la CAISSE DE CRÉDIT AGRICOLE DE LA TOURAINE ET DU POITOU à payer à Madame [K] la somme de 600 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– Dit que la CAISSE DE CRÉDIT AGRICOLE DE LA TOURAINE ET DU POITOU sera tenue aux dépens.

Pour statuer comme il l’a fait, le premier juge a indiqué :

– s’agissant des frais relatifs incidents de paiement survenus en 2017 et 2018, que le tribunal n’en était pas valablement saisi dès lors que Mme [K] n’avait pas soutenu oralement sa demande d’indemnisation au titre de ces frais, étant relevé que le renvoi oral à l’assignation ne pouvait en l’espèce suffire, la prétention ne ‘gurant pas au dispositif comme la partie adverse l’avait signalé dans ses conclusions et que, surabondamment, aucun moyen de droit n’était attaché à cette demande ;

– concernant la demande d’indemnisation pour réparation d’une perte de chance, que le Crédit Agricole avait manqué à son obligation de mise en garde dès lors que cet établissement bancaire n’apportait pas la preuve qu’elle avait suf’samment attiré l’attention de l’emprunteuse sur le risque d’endettement excessif et sur l’importance des obligations financières souscrites au regard de ses capacités financières ;

– s’agissant du préjudice, qu’il n’y avait pas lieu de s’interroger sur le fait de savoir si l’utilisation de fonds dans le cadre d’un crédit renouvelable a ou non aggravé sa situation ‘nancière postérieurement à la signature des nouveaux prêts, dès lors qu’il s’agit d’une perte de chance de contracter ou non.

Par déclaration au greffe en date du 23 juillet 2021, Mme [K] a interjeté appel de cette décision en visant ses chefs expressément critiqués.

Dans ses dernières conclusions RPVA datées du 11 avril 2022, Mme [K] sollicite de la cour de :

Dire son appel recevable et bien fondé,

Vu l’appel incident de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Touraine et du Poitou,

Débouter celle-ci de l’ensemble de ses conclusions, fins et prétentions comme non fondées et en tous cas injustifiées,

Réformer le jugement en ce qu’il a prononcé les condamnations suivantes à l’égard de la banque :

– Condamner la Caisse de Crédit Agricole de la Touraine et du Poitou à payer à Madame [N] [K] la somme de 2.046,41 € en réparation du préjudice résultant du manquement au devoir de mise en garde du chef de l’octroi des Crédits n°73096264342 et 730096264706 le 05 juillet 2017,

– Condamner la Caisse de Crédit Agricole de la Touraine et du Poitou à payer à Madame [N] [K] la somme de 600 € en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

– Constaté que la demande relative aux frais d’incidents de paiement n’a pas été maintenue,

En conséquence,

– infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

Vu l’article 6 paragraphe 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme,

Vu l’article 446-1 du Code de Procédure Civile,

Vu l’article 1231’2 du Code Civil,

Condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole de la Touraine et du Poitou à payer à Madame [K] en remboursement des incidents de paiement survenu en 2017 et 2018 les sommes suivantes :

* 453,90 € en 2017

* 2,661,14 € pour 2018

Vu notamment les prêts n°73096254342 du 23 juin 2017 et n°73096264706 du 23 juin 2017 souscrits par Madame [K] auprès de LA CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE DE LA TOURAINE ET DU POITOU,

Condamner la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE DE LA TOURAINE ET DU POITOU pour avoir manqué à son devoir de mise en garde à l’égard de Madame [K], les prêts 73096264706 et 73096254342 étant inadaptés aux capacités financières et aux risques consécutifs d’endettement excessif de Madame [K].

Par conséquent,

Condamner CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE DE LA TOURAINE ET DU POITOU à payer à Madame [K] les sommes suivantes :

– 2.414,90 €, au titre de la perte de chance attachée au prêt n° 73096264706 ;

– 10.950,75 € au titre de la perte de chance pour le prêt n°73096254342 ;

– 2.500 €, au titre de l’article 700 du Code de procédure Civile pour la représentation de Mme [K] en première instance ;

– 2.500 €, au titre de l’article 700 du Code de procédure Civile pour la représentation de Mme [K] en instance d’appel

Outre les entiers dépens de première instance et d’appel.

Par dernières conclusions RPVA en date du 22 juillet 2022, le Crédit Agricole, appelant incident, sollicite de la cour de :

Vu les dispositions de l’article 1231-2 du Code civil,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu le jugement du Tribunal Judiciaire de POITIERS en date du 28 mai 2021,

Il est sollicité de la Cour de :

– Confirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Poitiers en date du 28 mai 2021 en ce qu’il a constaté que la demande relative au remboursement des frais d’incidents de paiement n’a pas été maintenue par Madame [K], cette demande étant nouvelle en cause d’appel et par voie de conséquence irrecevable,

Pour le surplus,

– Infirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Poitiers en date du 28 mai 2021,

En statuant à nouveau,

– Juger que la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA TOURAINE ET DU POITOU a respecté son devoir de mise en garde lors de l’octroi des prêts n° 73087581501, n° 7000771949630, n° 73088741263, n° 73096254342 et n° 73096264706 à Madame [K],

– Débouter Madame [K] de ses demandes, fins et conclusions,

– Condamner Madame [K] à verser à la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA TOURAINE ET DU POITOU la somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

– Condamner Madame [K] aux entiers dépens, dont distraction est requise au profit de la société MANCEAU LUCAS-VIGNER, avocat aux offres de droit.

Pour un plus ample exposé des faits, prétention et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives conformément à l’article 455 du Code de procédure civile.

L’instruction de l’affaire a été clôturée par ordonnance en date du 30 août 2022 pour être plaidée le 06 septembre 2022 puis, mise en délibéré à ce jour.

MOTIFS

‘Sur les demandes relatives aux frais d’incident de paiement

1. Il résulte de l’article 4 du Code de procédure civile, que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

Ces prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense. Toutefois l’objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ».

Selon l’article 5 du même code, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.

2. L’article 53 du Code de procédure civile dispose que « la demande initiale est celle par laquelle un plaideur prend l’initiative d’un «procès en soumettant au juge ses prétentions ».

3. Selon le texte de l’article 446-1, alinéa 1, du Code de procédure civile régissant la procédure orale, les parties présentent oralement à l’audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien et peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu’elles auraient formulés par écrit.

4. Mme [K] fait valoir que la demande d’indemnisation au titre des frais d’incident de paiement est étayée par les pièces 6 et 7 du bordereau de ses pièces, que de plus, la partie adverse a répondu sur cette prétention et qu’enfin, le tribunal « aurait reconnu » qu’il y avait eu un renvoi à l’assignation sur ce sujet.

Selon l’appelante, ce renvoi était fait en considération de la longueur des débats. Ainsi, il existerait une violation du principe du contradictoire évidente. Selon elle encore, il appartenait au tribunal de demander au conseil de l’appelante de préciser les prétentions sur ce point.

5. Au surplus, soutient Mme [K], dans la mesure où la procédure est orale, il n’y a aucune obligation à ce que le dispositif soit exhaustif.

6. Le Crédit Agricole objecte qu’en tout état de cause et quand bien même le simple dépôt d’écritures à l’audience serait jugé suffisant, Madame [K] n’a pas formulé de demande concernant les frais d’incidents de paiement dans le dispositif de ses écritures, ce qui est pourtant indispensable.

Selon cette caisse, en formulant sa demande au titre des frais d’incidents de paiement seulement dans le corps de ses écritures de première instance, sans la reprendre dans le dispositif, c’est à juste titre que le tribunal a rejeté cette demande.

7. Par ailleurs, la demande de paiement de la somme de 453,93 € au titre des incidents de paiement survenus en 2017 et de la somme de 2.661,14 € au titre des incidents de paiement survenus en 2018 ne pourrait qu’être rejetée comme étant nouvelle en cause d’appel et par voie de conséquence, devrait être déclarée irrecevable.

8. La cour rappelle qu’en vertu des textes susmentionnés, le juge est régulièrement saisi des demandes soutenues oralement devant lui ou contenue dans un écrit auquel il est référé à l’audience ou incluse dans le dossier déposé par les parties lors de cette même audience.

9.Ainsi, en présence de demande formée à l’audience, il appartient au juge, pour faire respecter le principe de la contradiction, de laisser un temps suffisant à l’adversaire afin qu’il puisse prendre connaissance lors de l’audience des moyens et y répondre ou alors, de renvoyer l’affaire à une prochaine audience, à condition toutefois, que dans ces deux hypothèses la partie adverse en fasse la demande.

10. La cour constate que la demande formée au titre des incidents de paiement a été présentée oralement par Mme [K] à l’audience publique du juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Poitiers le 15 janvier 2021, comme le rappelle celui-ci, dès lors qu’il indique, au titre de la perte de chance, que la débitrice sollicite « le paiement du capital restant dû sur les deux emprunts de 2017 à compter du refus de la banque de prendre en considération ses observations formulées le 8 août 2019, soit à partir des échéances 25 des prêts 706 et 342, auquel s’ajoutent les frais d’incidents de paiement survenus en 2017 et 2018 sur son compte de respectivement de 453,93 € et 2.661,14 € ».

11. La cour constate en outre qu’il résulte des termes du jugement déféré que le Crédit Agricole s’est prononcé à l’audience sur cette demande puisqu’il avait fait remarquer au premier juge que « Mme [K] ne les avait pas reprises dans ses conclusions » et avait en outre indiqué « que ces frais étaient conformes à la tari’cation pratiquée et qu’elle-même en avait amiablement abandonné une partie ».

12. Le principe du contradictoire ayant été observé sur cette demande relative au frais d’incident de paiement formée à l’audience, le premier juge ne pouvait pas constater dans le dispositif du jugement que la demande relative à ces frais d’incidents de paiement n’était pas maintenue.

13. La décision déférée sera réformée sur ce point et il convient pour la cour d’examiner l’ensemble des demandes indemnitaires formées en première instance par Mme [K] en regard du devoir de mise en garde.

‘Sur le manquement au devoir de mise en garde

14. En application de l’article 1231-1 du Code civil, la banque est tenue à l’égard de l’emprunteur non averti d’un devoir de mise en garde contre le risque d’endettement né de l’octroi du prêt au regard de ses capacités financières.

15. Aux termes de l’article L. 312-14 du Code de la consommation, applicable au présent litige, le prêteur ou l’intermédiaire de crédit fournit à l’emprunteur les explications lui permettant de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière, notamment à partir des informations contenues dans la fiche mentionnée à l’article L. 312-12. Il attire l’attention de l’emprunteur sur les caractéristiques essentielles du ou des crédits proposés et sur les conséquences que ces crédits peuvent avoir sur sa situation financière, y compris en cas de défaut de paiement. Ces informations sont données, le cas échéant, sur la base des préférences exprimées par l’emprunteur.

L’article L. 312-16 du Code de la consommation dispose :

« Avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur vérifie la solvabilité de l’emprunteur à partir d’un nombre suffisant d’informations, y compris des informations fournies par ce dernier à la demande du prêteur. Le prêteur consulte le fichier prévu à l’article L. 751-1, dans les conditions prévues par l’arrêté mentionné à l’article L. 751-6, sauf dans le cas d’une opération mentionnée au 1 de l’article L. 511-6 ou au 1 du I de l’article L. 511-7 du code monétaire et financier. »

16. En application de ces textes, il est constant en droit que le banquier dispensateur de crédit est tenu d’un devoir de mise en garde à l’égard de l’emprunteur non-averti sur les risques d’endettement nés de l’octroi du crédit au regard de ses capacités financières.

À cet égard, le banquier est tenu de se renseigner sur la situation des emprunteurs sur la base d’éléments objectifs, sans outrepasser son devoir de non-immixtion. Ce devoir de mise en garde n’existe toutefois qu’en présence d’un prêt inadapté aux capacités financières déclarées de l’emprunteur et à condition qu’il ait la qualité de non-averti.

17. Il appartient à l’emprunteur qui se prévaut d’un crédit excessif, pour pouvoir bénéficier du devoir de mise en garde, de rapporter la preuve de l’inadaptation de son engagement par rapport à ses facultés de remboursement, en produisant des documents de nature à établir la réalité de sa situation économique à la date de la souscription du crédit.

Le devoir de mise en garde de l’emprunteur non averti implique d’une part, que les capacités financières du candidat à la dette doivent être vérifiées, et d’autre part, que les informations recueillies ne révèlent pas l’existence d’un risque résultant de cet endettement.

18. L’emprunteur averti est celui disposant des compétences nécessaires lui permettant de mesurer le contenu, la portée et les risques liés aux concours consentis, lesquelles ne dépendent pas forcément de sa qualité de professionnel et sont appréciées notamment au regard de ses capacités de discernement, de son expérience dans le secteur considéré et de son habitude des affaires. Il est également tenu compte des caractéristiques de l’opération.

19. Mme [K] fait valoir que la banque n’a pas pris en compte, notamment, son passage en retraite avec une baisse significative de ses revenus, passant de 1.431 € mensuels à 800 € alors que la conseillère de la banque ne l’ignorait pas pas plus que son déménagement.

Elle indique en outre que le service juridique de la banque se fourvoie en indiquant qu’elle n’aurait pas déménagé, son congé étant effectif le 27 février 2018.

Selon elle, son taux d’endettement, du fait de la régularisation des emprunts en 2017, se trouvait supérieur à 50 %, la situation antérieure étant déjà anormalement déséquilibrée, à savoir 33 %.

20. Le Crédit Agricole, dans le cadre de son appel incident objecte qu’il a parfaitement respecté ses obligations au titre de l’octroi des prêts à Mme [K] et que le premier juge a motivé sa décision en se fondant sur des éléments erronés à deux titres :

– En premier lieu, selon le Crédit agricole, du fait que le premier juge ne pouvait soutenir qu’il avait obligation de faire figurer le taux d’endettement sur un tableau des ressources et charges, ce d’autant que rien n’indique que la mention d’un tel taux attirerait l’attention d’un emprunteur non-averti.

– En second lieu, du fait que le premier juge a indiqué qu’il ne produisait aucun document permettant de donner à Mme [K] une compréhension certaine de sa situation financière, notamment au regard de sa charge de loyers alors que lesdits crédits ont été octroyés en considération du fait que Madame [K] devait, lors de son entrée en retraite en février 2018, selon ses dires, habiter dans sa résidence secondaire, ce qui devait lui permettre de ne plus régler de loyers.

21. Par ailleurs, fait valoir le Crédit Agricole, aucun risque d’endettement excessif n’est né de l’octroi de ces prêts dès lors que les deux crédits de restructuration ont permis de solder des crédits dont le montant cumulé des échéances s’élevait à la somme de 413,42 € alors que Mme [K] était tenue, à la suite de l’octroi de son prêt, au paiement d’échéances mensuelles de 225,66 €, faisant passer son taux d’endettement de 29 % à 16 %, étant précisé que ces échéances sont passées à la somme de 214,69 € à la suite du second rachat de crédits.

22. Le Crédit Agricole rappelle que Mme [K] sollicite la réparation totale de son prétendu préjudice et non une fraction de celui-ci alors qu’il est communément admis que le dommage consécutif à la perte de chance est nécessairement inférieur au préjudice final et indique, enfin, que pour être prise en compte, la perte de chance doit être réelle et sérieuse et l’appelante ne démontre à aucun moment que si elle avait mise en garde par la banque, elle aurait renoncé à contracter les prêts dont s’agit.

23. La cour observe que les parties ne discutent pas le caractère non-averti de Mme [K], en sa qualité d’emprunteur, de sorte que le Crédit Agricole était tenu à son égard d’un devoir de mise en garde contre le risque d’endettement né de l’octroi du prêt au regard de ses capacités financières.

24. Il ressort de la ‘che de dialogue relative au prêt personnel n°342, d’un montant de 14.895 € que Madame [K] percevait en 2017 des revenus mensuels à hauteur de 1.431 € et déclarait des charges mensuelles d’habitation d’un montant de 427 €, auxquelles s’ajoutaient des charges d’emprunt déclarées de 318 € de sorte que c’est à bon droit que le premier juge, par des motifs pertinents qui ne sont pas remis en cause en appel, a retenu que le taux d’endettement de Mme [K] s’élevait à 52% et qu’il pesait sur la banque une obligation de mise en garde particulière auprès de l’emprunteuse.

25. La cour relève cependant, contrairement à ce que le premier juge a jugé, que la situation de Mme [K] était plus favorable que ce qu’elle ne concède dans la fiche de dialogue précitée.

26. En effet, il ressort des éléments produits aux débats par Mme [K], notamment, ses fiches de paie sur l’ensemble de l’année 2017, qu’elle percevait des salaires mensuels à hauteur de 1.446,45 €. De la sorte, tenant compte d’un loyer de 427 €, de charges d’emprunts portés à la somme de 290,49 € (214,69 € + 75,80 €) le 05 juillet 2017, soit un endettement de 49,63 %.

27. La cour relève en outre que Mme [K] a indiqué aux termes de cette même fiche de dialogue être exclusivement locataire alors qu’elle soutient dans ses écritures en cause d’appel être propriétaire d’une maison en Auvergne, qui aurait dû être déclarée dès lors que le Crédit Agricole, dans le cadre de son obligation de se renseigner sur sa solvabilité, sollicite cette information dans la fiche de dialogue et qu’un patrimoine immobilier entre en ligne de compte pour apprécier la capacité financière d’un candidat à l’emprunt.

28. La pièce n°8 de Mme [K], en tant qu’état descriptif de sa situation au 31 août 2018, établie par la Commission de surendettement des particuliers du Puy-De-Dôme, qui ne retient aucun loyer à sa charge, confirme d’ailleurs qu’elle était bien propriétaire au moment de la souscription des deux prêts de restructuration de sorte que c’est à tort que le premier juge a relevé, dans ses motifs, que la banque n’aurait pas suf’samment attiré son attention sur le risque d’endettement excessif et sur l’importance des obligations financières souscrites au regard de ses capacités financières, notamment, « au regard de la charge de loyers, dont rien ne prouvait que Mme [K] en avait indiqué la disparition prochaine ».

29. En outre et surtout, il est constant en droit qu’il ne peut y avoir de devoir de mise en garde à l’égard d’un crédit de restructuration dès lors que celui-ci permet la reprise du passif et son rééchelonnement à des conditions moins onéreuses, c’est-à-dire, sans aggraver la situation économique de l’emprunteur, un tel prêt ne pouvant créer de risque d’endettement nouveau.

30. Or, Mme [K] ne conteste pas que cette nouvelle restructuration a permis une baisse de son taux d’endettement et il est encore constant en droit que le risque d’endettement excessif doit être apprécié au moment de l’octroi du crédit de sorte que les éléments relatifs à sa situation personnelle, survenus postérieurement à l’octroi des deux prêts accordés le 05 juillet 2017, n’ont pas à être prise en compte, les parties n’apportant pas la preuve que lesdits éléments seraient une condition de leur octroi.

31. À cet égard, la cour constate qu’il ressort des pièces n° 1, 2 et 3 de l’appelante qu’elle supportait à la suite des crédits octroyés les 08 juillet 2016, 12 août 2016 et 07 septembre 2016, d’une charge d’emprunts de 320,78 € à laquelle il convient d’ajouter un loyer de 427 €, ce qui fait une somme totale de 747,78 €. Rapportée à son salaire de 1.403 € déclaré dans les différentes fiches de dialogue concernant ces prêts, le taux d’endettement de Mme [K], avant les crédits de restructuration de l’année 2017, était donc de 53,29 %.

32. La cour constate que Mme [K] a donc bénéficié d’une restructuration de ses crédits ne pouvant créer de risque d’endettement nouveau et, partant, échappant au devoir de mise en garde.

33. Enfin, de manière surabondante, la cour constate que si Mme [K] est défaillante à apporter la preuve d’une faute de la banque dans l’octroi des deux crédits consentis le 05 juillet 2017, elle n’apporte pas davantage la preuve d’un préjudice et d’un lien de causalité, la situation de surendettement qu’elle allègue pouvant parfaitement être la conséquence d’une baisse de revenus, elle-même consécutive à sa retraite.

34. Il s’ensuit que la décision sera réformée de ce chef sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les autres demandes, notamment, relatives aux frais d’incident de paiement.

‘ Sur les autres demandes

35. Il apparaît équitable de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

36. Mme [K] qui échoue en ses prétentions sera en outre condamné aux dépens dont distraction au profit de la société MANCEAU LUCAS-VIGNER, Avocat aux offres de droit.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Infirme en toutes ses dispositions la décision du juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Poitiers en date du 28 mai 2021,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette l’ensemble des demandes indemnitaire formées par Madame [N] [K] au titre du devoir de mise en garde de la CAISSE DE CRÉDIT AGRICOLE DE LA TOURAINE ET DU POITOU,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamne Madame [N] [K] aux dépens dont distraction au profit de la société MANCEAU LUCAS-VIGNER, Avocat aux offres de droit.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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