Prêt entre particuliers : 13 avril 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01628

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Prêt entre particuliers : 13 avril 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01628

13 avril 2023
Cour d’appel de Rouen
RG
21/01628

N° RG 21/01628 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IX4Q

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 13 AVRIL 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES D’EVREUX du 19 Mars 2021

APPELANT :

Monsieur [K] [J]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représenté par Me François DELACROIX de la SELARL DELACROIX, avocat au barreau de ROUEN

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/007472 du 29/06/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Rouen)

INTIMES :

Me [M] [E] liquidateur judiciaire de la SARL LE PETRIN DE L’ORIENT

[Adresse 2]

[Localité 6]

représenté par Me Delphine ABRY-LEMAITRE de la SCP HUBERT-ABRY-LEMAITRE, avocat au barreau de l’EURE

Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE [Localité 5]

[Adresse 4]

[Localité 5]

représentée par Me Thierry BRULARD de la SCP BRULARD-LAFONT-DESROLLES, avocat au barreau de l’EURE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 08 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 08 Mars 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 13 Avril 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 13 Avril 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Associé de la société Le pétrin de l’Orient immatriculée le 29 août 2011 et gérant de celle-ci du 4 février 2013 au 26 juillet 2017, M. [K] [J], soutenant être titulaire d’un contrat de travail a, par requête reçue le 8 octobre 2019, saisi le conseil de prud’hommes d’Evreux en reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail, ainsi qu’en contestation de la rupture et paiement d’indemnités et rappel de salaires.

Par jugement du 12 mars 2020, le tribunal de commerce d’Evreux a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société Le pétrin de l’Orient et désigné M. [E] en qualité de mandataire liquidateur.

Par jugement du 19 mars 2021, le conseil de prud’hommes, en sa formation de départage, a rejeté l’ensemble des demandes de M. [J], l’a condamné aux dépens et a ordonné la communication du jugement au Procureur de la République.

M. [J] a interjeté appel de cette décision le 19 avril 2021.

Par conclusions remises le 14 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [J] demande à la cour d’infirmer le jugement, et statuant à nouveau, de :

– dire qu’il était titulaire d’un contrat de travail et qu’il a été licencié sans cause réelle et sérieuse le 24 avril 2019,

– ordonner la remise des documents de fin de contrat, certificat de travail, attestation de chômage et reçu pour solde de tout compte dans le mois de la décision à intervenir,

– fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Le pétrin de l’Orient aux sommes suivantes :

indemnité légale de licenciement : 3 311,60 euros

indemnité de préavis : 4 966,74 euros

congés payés afférents : 469 euros

congés payés : 3 311,66 euros

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 3 311,66 euros

dommages et intérêts complémentaires : 5 000 euros

rappel de salaires : 14 900,99 euros

congés payés afférents : 1 269 euros

indemnité pour travail dissimulé : 9 933,48 euros

indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros

– déclarer la décision opposable au CGEA tenue à garantie dans les limites légales et les plafonds prévus par la loi,

– condamner M. [E], ès qualités, aux dépens et au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 10 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [E], ès qualités, demande à la cour de :

– à titre principal, confirmer le jugement,

– à titre subsidiaire, juger que le salaire moyen de M. [J] s’élève à 1 175,90 euros et que les montants accordés ne sauraient excéder les sommes suivantes :

rappel de salaire : 7 237,72 euros et très subsidiairement, 11 512 euros

congés payés afférents : 723,77 euros, et très subsidiairement, 1 151,20 euros

indemnité de préavis : 2 351,80 euros

congés payés afférents : 235,10 euros

indemnité de licenciement : 1 763,85 euros

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 2 476,23 euros

– débouter M. [J] de toutes demandes plus amples ou contraires,

– dire le jugement à intervenir opposable au CGEA,

– en tout état de cause, condamner M. [J] à lui payer la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 4 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, le CGEA de [Localité 5] demande à la cour de :

– lui donner acte de son intervention dans l’instance au titre des dispositions de l’article L. 625-3 du code de commerce,

– à titre principal, confirmer le jugement,

– à titre subsidiaire,

– dire que les créances au titre de la rupture du contrat de travail de M. [J] ainsi que l’indemnité forfaitaire du travail dissimulé ne sont pas garanties par l’AGS,

– dire que les dispositions de l’arrêt à intervenir ne lui seront déclarées opposables que dans les limites de la garantie légale de l’AGS, la garantie de l’AGS étant plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié à un des trois plafonds définis aux articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail,

– lui déclarer inopposables les dispositions de l’arrêt à intervenir qui seraient relatives aux créances résultant de la rupture du contrat de travail, à l’indemnité due en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 9 février 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’existence d’un contrat de travail

M. [J] expose avoir acquis avec M. [W] des parts dans la société Le pétrin de l’Orient courant août 2012/2013 et, qu’étant le seul à disposer des compétences techniques, il a été engagé dès le 1er août 2011 en qualité de boulanger. Il précise qu’en 2013, à l’occasion du départ de

M. [W] et l’arrivée de M. [P], quoique ne sachant ni lire, ni écrire le français, il a été désigné gérant, et ce, alors même que M. [P], par ailleurs vendeur, exerçait de fait cette fonction qu’il a occupée officiellement à compter de 2017, lui-même continuant à exercer les fonctions de boulanger.

Aussi, invoquant tant le contrat de travail signé en 2011 que celui signé en 2015 mais aussi les bulletins de salaire qui lui ont été remis tout au long de la relation contractuelle, M. [J], rappelant que le cumul d’un emploi salarié avec un mandat social est possible dès lors qu’il est exercé des fonctions techniques distinctes en contrepartie d’une rémunération et sous un lien de subordination, considère que, si ce dernier point est plus délicat, il n’a pas de raison d’être en la circonstance dès lors que ses prétentions remontent à août 2018, soit à une époque où la gérance était assumée par M. [P].

En réponse, M. [E], ès qualités, explique que M. [P] a été associé dans la société Le pétrin de l’Orient à compter de mars 2013, qu’il en a alors été le seul salarié, déclaré à temps partiel aux fins de lui fournir une couverture sociale sans qu’il ne soit cependant payé, seuls les dividendes lui étant versés.

Il précise qu’à compter de l’année 2015, ce dernier a émis des doutes sur la fiabilité des recettes déposées en banque par M. [J] mais n’a obtenu pour seule réponse que le changement de comptable et de banque sans qu’il en soit informé, avant cependant que M. [J] lui propose de prendre la gérance pour ne plus être inquiété dès lors qu’il ne pouvait plus utiliser les recettes comme il l’entendait, reprise qui ne lui a cependant pas permis, malgré la souscription d’un prêt personnel, de mettre en place une gestion saine à défaut d’obtenir les documents du comptable choisi par M. [J].

En tout état de cause, rappelant que M. [J] était associé mais aussi gérant de février 2013 à juillet 2017, il conteste l’existence de tout contrat de travail, expliquant qu’il n’existait aucun lien de subordination, M. [J] conservant la signature du compte bancaire auprès de la Bred et allant et venant à son gré au sein de la société en laissant M. [P] s’occuper de l’ensemble des tâches.

Le CGEA, rappelant que M. [J] était associé égalitaire de cette société, soutient qu’il a déployé son activité en dehors de tout lien de subordination et que les contrats de travail produits, particulièrement douteux, permettent de s’assurer de leur caractère fictif, tout comme le fait qu’il n’ait saisi le conseil de prud’hommes de demande de rappel de salaire qu’en octobre 2019 alors qu’il prétend ne plus avoir été payé à compter d’août 2018.

L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité, et notamment par l’existence d’un lien de subordination, caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements d’un subordonné.

En l’absence de contrat de travail apparent, il appartient à la partie qui en invoque l’existence d’en apporter la preuve et inversement, en cas de contrat de travail apparent, il appartient à celui qui le conteste d’apporter la preuve de son caractère fictif.

Si la production de bulletins de salaire par une société à l’un de ses associés crée l’apparence d’un contrat de travail, au contraire, lorsque celui qui prétend avoir été salarié d’une société exerçait un mandat social, la production de bulletins de salaire et la notification d’une lettre de licenciement sont à elles seules insuffisantes à créer l’apparence d’un contrat de travail.

En l’espèce, M. [J] produit un contrat de travail daté du 1er août 2011, lequel comporte deux signatures distinctes, la sienne en qualité de salarié et une autre qui n’est pas identifiable dans la mesure où le seul représentant de l’entreprise mentionné dans ce contrat est M. [J] lui-même, présenté en en-tête comme étant le gérant, aussi, ce contrat, qui ne peut être authentifié, ne permet pas de retenir l’existence d’un contrat de travail apparent à compter de cette date.

Néanmoins, M. [J] produit des bulletins de salaire à compter de janvier 2012, date à laquelle il n’était pas encore gérant pour l’être devenu en février 2013 et il convient donc de retenir l’existence d’un contrat de travail apparent à compter de cette date.

Dès lors, il appartient à M. [E], ès qualités, et au CGEA de rapporter la preuve de son caractère fictif.

A cet égard, il doit être relevé que le contrat de travail du 1er août 2011 produit aux débats démontre que les parties avaient initialement, avant même l’immatriculation de la société Le pétrin de l’Orient, envisagé de nommer M. [J] en qualité de gérant puisqu’il est désigné comme tel dans le contrat de travail qu’il produit.

Aussi, et quand bien même par la suite M. [W] a finalement été désigné gérant de septembre 2011 à février 2013, cet élément permet de s’assurer que, dès la création de la société, le rôle de M. [J] n’était pas si négligeable qu’il le soutient, ce qui est d’ailleurs confirmé par la rédaction même de ce contrat qui ne prévoyait aucun horaire de travail.

De même, alors qu’il affirme avoir dû prendre la place de gérant de M. [W] lorsque celui-ci a cessé ses fonctions, il apparaît en réalité que cette prise de fonction s’est accompagnée d’une cession de parts à son profit, et ce, à égalité avec M. [P], sachant qu’il ne ressort nullement des pièces versées au dossier que M. [J] aurait rencontré des difficultés avec la langue française ou que M. [P] aurait occupé la gestion de fait de la société.

Ainsi, en mars 2016, alors que M. [P] avait dénoncé des détournements de fonds de la part de M. [J], lesquels ont été par la suite chiffrés par son avocat à 31 648,80 euros, ce dernier lui a transmis un courrier lui rappelant très clairement sa qualité de gérant, le fait qu’il n’avait, quant à lui, en tant qu’associé, pas à interférer dans cette fonction et qu’il disposait d’un délai de trente jours pour modifier son comportement et prouver ainsi sa bonne foi, lui précisant qu’à défaut, il se verrait dans l’obligation d’engager des poursuites judiciaires, ce qui permet de s’assurer que sur la période durant laquelle M. [J] était gérant, il affirmait pleinement son autorité et estimait ne devoir rendre compte à personne, et notamment pas à son associé égalitaire, exerçant ainsi son activité sans aucun lien de subordination.

Le caractère fictif du contrat de travail est encore confirmé par le deuxième contrat de travail produit daté du 1er octobre 2015, signé par M. [J] seul, sachant qu’il y est mentionné que M. [W] est le gérant de la société et ce, alors qu’il n’en est plus associé, ni gérant depuis plus de deux ans et qu’au contraire, à cette date, M. [J] est le seul gérant de la société et en exerce pleinement les attributions comme vu précédemment.

En outre, et si M. [J] produit des bulletins de salaire édités après la désignation de M. [P] en qualité de gérant, soit postérieurement à juin 2017, il doit néanmoins être relevé qu’ils ne se présentent plus de la même manière et ce, alors que M. [E], ès qualités, justifie que le bulletin de salaire d’une salariée embauchée sur cette période continuait à se présenter de manière identique à ceux édités antérieurement.

A cet égard, et s’il est exact que M. [J] justifie pour les mois de mars et avril 2018 que des chèques d’un montant identique à celui des bulletins de salaire ont été crédités sur son compte, de même qu’il justifie qu’une partie de ses salaires a été déclaré auprès de l’Urssaf pour la période d’octobre à décembre 2018, outre que rien ne permet d’affirmer que les chèques de mars et avril ont été émis par la société Le pétrin de l’Orient, ni d’ailleurs que les déclarations auprès de l’URSSAF ont été faites par M. [P] au regard des graves négligences qui entachent sa gérance et qui démontrent qu’il n’a accompli aucune des démarches qui lui incombaient, ainsi notamment en ne modifiant pas le pouvoir de représentation dont disposait M. [J] auprès de la banque, en tout état de cause ces éléments ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère fictif du contrat de travail lié à l’absence de tout lien de subordination.

En effet, au-delà de la teneur du courrier envoyé à M. [P] en mars 2016 qui démontre l’ascendant de M. [J], du maintien du pouvoir de représentation de M. [J] auprès de la banque, et ce, jusqu’à la clôture du compte en janvier 2020, il ressort en outre des attestations produites de part et d’autre que si tous deux étaient présents et accomplissaient un travail au sein de la boulangerie, M. [P] n’avait cependant que le statut d’employé contrairement à M. [J] qui était boulanger et présent depuis l’origine de la société, ce qui, là encore conforte l’absence de tout lien de subordination de M. [J] à l’égard de

M. [P].

Enfin, s’il est produit un courrier qui émanerait du gérant de la société Le pétrin de l’Orient en date du 2 mai 2019 aux termes duquel il est demandé à M. [J] de reprendre son poste sous 48 heures et qu’à défaut, étant absent depuis huit jours, il l’informera de sa démission à compter du jour de la première discorde, rien ne permet de s’assurer que la signature apposée sur ce courrier est celle de M. [P] au regard de sa dissemblance avec celles apposées par lui sur des actes signés en dehors de tout contentieux, à savoir l’acte officiel relatif à la prise de gérance en 2017 et deux prêts souscrits en 2018, et ce, sans que la production d’un accusé de réception signé du gérant, sans mention, là non plus, du nom de la personne ayant signé, ne permette de retenir que cette signature serait celle de M. [P], pas plus que celle apposée sur les chèques de la société, lesquels sont issus du compte de la Bred sur lequel M. [J] avait encore tout pouvoir de représentation.

Au vu de ces éléments, et alors que M. [E], ès qualités, et le CGEA justifient du caractère fictif du contrat de travail en l’absence de tout lien de subordination entre M. [J] et la société Le pétrin de l’Orient, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a dit qu’il n’existait pas de contrat de travail et a débouté M. [J] de l’intégralité de ses demandes.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner M. [J] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance. Par ailleurs, l’équité commande de débouter les parties de leur demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne M. [K] [J] aux entiers dépens ;

Déboute les parties de leur demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

 


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