13 avril 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/16852
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 13 AVRIL 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 22/16852 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGPEC
Décision déférée à la cour :
Jugement du 30 juin 2022 -Juge de l’exécution de Paris-RG n° 21/00090
APPELANTE
Madame [Y] [O]
#[Adresse 1]
[Localité 8]-EMIRATS ARABES UNIS
représentée par Me Julie COUTURIER de la SELARL JCD AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0880
INTIMÉS
Monsieur [X] [D]
[Adresse 3]
[Localité 6]
n’a pas constitué avocat
Madame [G] [D]
[Adresse 3]
[Localité 6]
n’a pas constitué avocat
S.A. SUCRES ET DENRÉES
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Bruno PICARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C0865
S.A. CABINET LOISELET PERE FILS ET F DAIGREMONT
[Adresse 4]
[Localité 7]
n’a pas constitué avocat
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 15 mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-défaut
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
*****
Déclarant agir en vertu d’un jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 9 juillet 2020, signifié le 10 août 2020, la SA Sucres et denrées a, le 19 janvier 2021, délivré à [X] [D] un commandement valant saisie immobilière portant sur un immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 9], qui sera publié au service de la publicité foncière de Paris 8ème bureau le 19 février 2021 volume 2021 S n° 8, suivi d’une attestation rectificative du 23 février 2021 publiée le 25 février 2021. L’assiette de la saisie immobilière a été étendue à la cave et au parking par un second commandement valant saisie immobilière du 12 mars 2021 publié le 24 mars 2021 volume 2021 S n° 14. Ces commandements valant saisie immobilière seront dénoncés à [G] [D] les 20 janvier et 15 mars 2021.
La SA Sucres et denrées ayant assigné [X] [D] à comparaître devant le juge de l’exécution de Paris à l’audience d’orientation, ce magistrat a, par jugement daté du 30 juin 2022 :
– déclaré recevable l’intervention volontaire de [G] [D] ;
– ordonné la vente forcée du bien à l’audience du 22 octobre 2022 ;
– mentionné le montant de la créance retenue pour 725 715,57 $ avec leur contre-valeur en euros, outre intérêts au taux de 10 % à compter du 28 juillet 2016 et capitalisation desdits intérêts ;
– désigné Maître [H], huissier de justice, aux fins de procéder aux visites des lieux ;
– dit que les mesures de publicité sont celles de droit commun ;
– rejeté la déclaration de créance de [Y] [O] ;
– débouté celle-ci de ses autres prétentions ;
– dit que les dépens seront compris dans les frais taxés de vente.
Pour statuer ainsi, il a notamment relevé :
– que les commandements valant saisie immobilière sont réguliers ;
– que le prix auquel la partie saisie propose de vendre le bien à l’amiable est manifestement insuffisant ;
– que si [Y] [O] se prévaut d’une reconnaissance de dette notariée en date du 8 décembre 2016, dans sa déclaration de créance, au titre de prêts qui avaient été consentis à [X] [D] par sa famille à hauteur de 2 932 290 euros, l’intéressée ne justifie pas d’une cession de la créance à son profit et ne saurait donc être considérée comme personnellement créancière de [X] [D], tandis que la créance n’a pas été personnellement constatée par le notaire dans la mesure où la remise des fonds prêtés était intervenue hors de sa comptabilité.
Selon déclaration en date du 5 octobre 2022, [Y] [O] a relevé appel de ce jugement.
Elle a assigné à jour fixe [X] [D], [G] [D], la SA Sucres et denrées et le syndicat des copropriétaires de la résidence Constellation (créancier inscrit) devant la Cour, autorisée à cette fin par une ordonnance sur requête en date du 25 octobre 2022, par actes en date du 16 novembre 2022.
Dans ses conclusions notifiées le 6 mars 2023, [Y] [O] expose :
– que le juge de l’exécution est incompétent, au stade de l’audience d’orientation, pour statuer sur la validité de sa déclaration de créance, l’article R 322-18 du code des procédures civiles d’exécution prévoyant que le jugement d’orientation ne mentionne que la créance du poursuivant ;
– que cette question ne peut être abordée qu’à l’occasion de la distribution du prix ;
– qu’elle a régulièrement déclaré sa créance le 4 juin 2021 ;
– que son ex mari, [T] [D], dirigeait la société Karco Overseas tandis que [X] [D], son frère, en était le directeur général ;
– que ladite société ayant été confrontée à des difficultés financières, elle a emprunté des sommes d’argent à sa famille à hauteur de 1 747 024 euros puis de 1 065 266 euros, qui ont été versées sur le compte de la société ou sur son compte joint ; que près de 4,5 millions d’euros ont ainsi été injectés dans la société Karco Overseas, [X] [D] ayant reconnu être débiteur de ces sommes ;
– qu’à la suite de son divorce, elle a souhaité garantir le remboursement des sommes prêtées par une hypothèque conventionnelle portant sur le bien objet de la présente saisie immobilière, mais que cela ne s’est pas fait ;
– qu’aux termes d’un acte notarié des 5 et 8 décembre 2016, [X] [D] a reconnu lui devoir la somme de 1 500 000 euros remboursable au plus tard le 5 décembre 2020, une affectation hypothécaire étant consentie le même jour et publiée le 5 janvier 2017 ;
– que d’autre part, selon acte sous seing privé du même jour, [X] [D], [G] [D] et [T] [D] ont reconnu lui devoir la somme de 3 000 000 euros remboursable au plus tard le 1er décembre 2021 ;
– que la société Karco Overseas a reconnu être débitrice envers la SA Sucres et denrées de la somme de 725 715,57 $, [X] [D] souscrivant une garantie à première demande ;
– que la cause de l’obligation de l’emprunteur réside dans la remise des fonds prêtés et cette cause, exprimée dans la reconnaissance de dette, est présumée exacte, sauf à rapporter la preuve contraire ;
– que la SA Sucres et denrées se contente d’affirmer que la remise des fonds était fictive, mais ne le prouve pas ;
– que pour sa part, elle démontre le versement des sommes en cause notamment sur le compte joint dont elle disposait avec son mari ;
– que le transfert des fonds est intervenu bien avant que [X] [D] n’entre en relations commerciales avec la SA Sucres et denrées, si bien qu’aucune fraude paulienne n’est établie ;
– que le passage des écritures de la SA Sucres et denrées, dans lequel celle-ci l’accuse d’avoir dressé un faux acte notarié, est diffamatoire.
[Y] [O] demande en conséquence à la Cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes ;
– ordonner qu’elle participera à la distribution du prix à hauteur de 1 539 700 euros en principal ;
– rejeter les prétentions de la SA Sucres et denrées ;
– condamner la SA Sucres et denrées au paiement de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
– la condamner au paiement de celle de 20 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens dont distraction au profit de la société JCD avocats.
Dans ses conclusions notifiées le 18 janvier 2023, la SA Sucres et denrées réplique :
– que si [Y] [O] prétend que le juge de l’exécution est incompétent pour statuer sur sa contestation, la jurisprudence considère que la procédure de saisie immobilière et celle de la distribution du prix constituent les deux phases d’une seule et même procédure ;
– que l’exception d’incompétence soulevée par [Y] [O] est irrecevable, faute d’avoir été soulevée avant toute défense au fond et après l’audience d’orientation ;
– que la déclaration de créance de [Y] [O] est irrecevable ; qu’en effet conformément à l’article R 322-12 du code des procédures civiles d’exécution, le créancier inscrit doit produire son titre de créance ; que l’acte déposé au greffe à l’appui de la déclaration de créance ne constitue pas un titre exécutoire faute d’être pourvu de la formule exécutoire, alors que cet acte ne renferme qu’une simple déclaration, et qu’une créance est constituée par la remise des fonds et non pas par la reconnaissance de dette ; que [Y] [O] n’en démontre pas l’existence, car les fonds ont été remis hors la comptabilité du notaire ;
– que la déclaration de créance est irrégulière ; subsidiairement, que les mouvements de fonds au bénéfice de [X] [D] ne sont pas démontrés ; que la reconnaissance de dette opérée par acte sous seing privé du 5 décembre 2016 porte sur 3 000 000 euros alors que l’acte notarié du même jour fait état d’une somme de 1 500 000 euros ; que [Y] [O] est restée inactive alors que le premier remboursement du prêt devait intervenir le 5 décembre 2018, le deuxième le 5 décembre 2019, et le troisième le 5 décembre 2020 ;
– qu’il s’agit là d’une reconnaissance de dette de complaisance, régularisée par l’ex belle-soeur du débiteur, en vue de priver les créanciers de leurs droits ;
– que la concomitance entre la reconnaissance de dette et l’engagement de la procédure de référé, par elle-même, démontre l’existence d’une fraude paulienne.
La SA Sucres et denrées demande en conséquence à la Cour de :
– déclarer irrecevable la déclaration de créance de [Y] [O] ;
– subsidiairement, confirmer le jugement ;
– très subsidiairement, prononcer l’inopposabilité de la reconnaissance de dette et de l’affectation hypothécaire ; écarter [Y] [O] de la procédure de distribution du prix de vente ;
– condamner [Y] [O] au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le syndicat des copropriétaires de la résidence Constellation, assigné à domicile, [G] [D], assignée à domicile, et [X] [D], assigné à personne, n’ont pas constitué avocat.
MOTIFS
En application de l’article R 322-18 du code des procédures civiles d’exécution, le jugement d’orientation mentionne le montant retenu pour la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires.
Ces dispositions ne constituent pas une limite aux pouvoirs généraux que détient le juge de l’exécution en ce qu’il doit trancher à l’audience d’orientation les contestations formées par les parties, comme il est dit à l’article R 322-15 du même code, lesquelles peuvent également porter sur l’une des créances d’un des créanciers inscrits.
La SA Sucres et denrées a donc la possibilité de contester la déclaration de créance de [Y] [O].
Celle-ci fonde ladite déclaration de créance sur un acte notarié en date du 5 décembre 2016, par lequel [X] et [G] [D] reconnaissent expressément lui devoir la somme de 1 500 000 euros pour prêt de pareille somme qu’elle leur a consenti avant ce jour en dehors de la comptabilité du notaire. La dette était stipulée remboursable en trois annuités de 650 000 euros, 675 000 euros et 175 000 euros, payables les 5 décembre 2018, 5 décembre 2019 et 5 décembre 2020. En outre, des pénalités de retard étaient prévues à hauteur de 5 000 euros par mois de retard, et également une astreinte de 100 euros par jour. Il s’agit là d’un titre exécutoire, étant rappelé que le juge de l’exécution a relevé à juste titre qu’un exemplaire du contrat notarié comportant la formule exécutoire a été versé aux débats, peu important que la copie de cet acte qui a été produite lors de la déclaration de créance en soit dépourvue.
Dans l’hypothèse où, comme ici, les faits rapportés dans l’acte notarié n’ont pas été constatés personnellement par le notaire, la jurisprudence considère que leur énoncé fait foi jusqu’à ce que la preuve contraire soit rapportée. Il n’incombe donc pas à [Y] [O] de rapporter la preuve de la remise effective des fonds prêtés à [X] et [G] [D], mais à toute partie contestante de démontrer que ces sommes n’ont pas été remises.
En l’espèce, la Cour relève que :
– par acte sous seing privé du 5 décembre 2016, soit du même jour que l’acte notarié susvisé, [X] et [G] [D] et [T] [D] (ex mari de [Y] [O]) ont reconnu devoir à celle-ci la somme de 3 000 000 euros payable au plus tard le 1er décembre 2021 ;
– il est impossible de déterminer si cette somme englobe ou non celle de 1 500 000 euros litigieuse ;
– le tableau récapitulatif des sommes figurant dans les conclusions de l’appelante mentionne que certaines d’entre elles ont été versées par [U] [B] et non pas par elle (à hauteur de 1 747 024 euros), si bien que celle-ci ne saurait en être considérée comme la créancière ;
– il est indiqué que d’autres sommes (pour 1 065 266 euros) ont été versées par [S] [O], c’est-à -dire par le père de [Y] [O], et ce, au bénéfice non pas de [X] et [G] [D] mais de la société Karco Overseas, ou même directement pour rembourser une ligne de crédit que la société précitée avait ouverte dans les livres de la société HSBC ;
– [Y] [O] soutient dans ses conclusions que bien que les sommes prêtées aient été soit versées sur le compte de ladite société, soit sur le compte joint dont elle disposait avec [T] [D], elles ont été prêtées par ses soins à la société Karco Overseas ; le détail des versements est complexe ;
– [T] [D] prétend également avoir utilisé les sommes présentes sur le compte joint avec son épouse [Y] [O] afin de les déposer directement sur le compte de la société Karco Overseas ;
– dans ses écritures, [Y] [O] soutient que ce sont près de 4,5 millions d’euros qui ont été remis à ladite société directement par elle, par le biais de sommes empruntées auprès de sa famille, ou via le compte joint du couple ;
– elle précise que les fonds ont été remis soit par sa soeur, soit par son frère, soit par son père, et ce, au profit soit d’elle-même et de son époux, soit de la société Karco Overseas.
Il en résulte que la plus grande confusion règne sur les mouvements financiers ainsi opérés, laquelle est aggravée par le lien de parenté unissant les divers intervenants. L’appelante invoque des versements dont certains n’ont pas été réalisés par elle même, ou ne l’ont pas été entre les mains du débiteur. En outre, la SA Sucres et denrées fait remarquer à juste titre qu’alors même que le remboursement du prêt devait intervenir à compter du 5 décembre 2018, [Y] [O] est restée sans réaction à la suite de la survenance des impayés : elle n’a réclamé ni le paiement des annuités, ni celui des pénalités de retard, ni celui de l’astreinte. Enfin, un délai d’à peine 9 jours s’est écoulé entre la délivrance de l’assignation en référé délivrée par la SA Sucres et denrées à [X] [D], dans laquelle elle réclamait le paiement d’une provision de 725 715,57 $, et la reconnaissance de dette.
Il s’ensuit que la déclaration de créance effectuée par [Y] [O] n’est pas sincère et que les fonds prétendûment prêtés n’ont, en réalité, pas été remis par elle aux débiteurs. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la déclaration de créance de [Y] [O].
[Y] [O] a demandé à la Cour de condamner la SA Sucres et denrées au paiement de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, mais dès lors que son appel est déclaré infondé, cette demande ne saurait prospérer ; de plus, les allégations de la SA Sucres et denrées selon lesquelles l’acte notarié serait insincère ne revêtent pas de caractère diffamatoire ou excessif, eu égard à ce qui précède. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande de dommages et intérêts.
[Y] [O], qui succombe en ses prétentions, sera condamnée au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
– CONFIRME le jugement en date du 30 juin 2022 ;
– CONDAMNE [Y] [O] à payer à la SA Sucres et denrées la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNE [Y] [O] aux dépens d’appel.
Le greffier, Le président,