Présomption d’innocence : 9 février 2023 Cour d’appel de Caen RG n° 21/02949

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Présomption d’innocence : 9 février 2023 Cour d’appel de Caen RG n° 21/02949

AFFAIRE : N° RG 21/02949

N° Portalis DBVC-V-B7F-G3P4

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CAEN en date du 30 Septembre 2021 – RG n° 20/00580

COUR D’APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRET DU 09 FEVRIER 2023

APPELANTE :

Association LADAPT NORMANDIE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN

INTIME :

Monsieur [N] [W]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Audrey FATOME-HERVIEU, avocat au barreau de CAEN

DEBATS : A l’audience publique du 05 décembre 2022, tenue par Mme PONCET, Conseiller, Magistrat chargé d’instruire l’affaire lequel a, les parties ne s’y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme ALAIN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller, rédacteur

Mme VINOT, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 09 février 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier

FAITS ET PROCÉDURE

L’association LADAPT (Ligue pour l’Adaptation du Diminué Physique au Travail) a embauché M. [N] [W] à compter du 1er septembre 2012 en qualité de chef de service, adjoint du directeur. Le 25 septembre 2019, elle l’a convoqué à un entretien préalable à licenciement et l’a mis à pied à titre conservatoire puis l’a licencié, le 15 octobre 2019, pour insuffisance professionnelle.

Le 30 décembre 2020, M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Caen pour voir dire son licenciement nul et vexatoire et obtenir des dommages et intérêts à ces deux titres.

Par jugement du 30 septembre 2021, le conseil de prud’hommes a condamné l’association LADAPT à verser à M. [W] : 30 000€ de dommages et intérêts pour licenciement nul, 10 000€ de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et 1 200€ en application de l’article 700 du code de procédure civile.

L’association LADAPT a interjeté appel du jugement.

Vu le jugement rendu le 30 septembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Caen

Vu les dernières conclusions de l’association LADAPT, appelante, communiquées et déposées le 25 janvier 2022, tendant à voir le jugement infirmé, à voir M. [W] débouté de ses demandes et condamné à lui verser 3 500€ en application de l’article 700 du code de procédure civile

Vu les dernières conclusions de M. [W], intimé, communiquées et déposées le 13 avril 2022, tendant à voir le jugement confirmé et à voir l’association LADAPT condamnée à lui verser 3 000€ supplémentaires en application de l’article 700 du code de procédure civile

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 16 novembre 2022

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul

M. [W] fait valoir que son licenciement est discriminatoire car son véritable motif réside dans son état de santé et non dans une insuffisance professionnelle alléguée par l’employeur et, au demeurant, inexistante.

Il appartient à M. [W] d’établir la matérialité d’éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination. En même temps que les éléments apportés, à ce titre, par M. [W], seront examinés ceux, contraires, apportés par l’association LADAPT quant à la matérialité de ces faits. Si la matérialité de faits précis et concordants est établie et que ces faits laissent supposer l’existence d’un discrimination, il appartiendra à l’association LADAPT de démontrer que ces agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

M. [W] qui gérait alors l’IEM (institut d’éducation motrice) indique que son employeur lui a proposé, en février 2019, une promotion consistant à lui confier également la responsabilité hiérarchique des SSESD (service de soins et d’éducation spécialisés à domicile). Il a refusé à raison de son état de santé instable dû à une hémochromatose, maladie dont il a alors fait part à son employeur. Celui-ci l’a relancé en juillet 2019 lors de son entretien annuel. Il à nouveau refusé et a alors, après les vacances d’été, été convoqué à un entretien préalable à un licenciement, mis à pied à titre conservatoire et licencié pour des motifs fallacieux.

L’association LADAPT conteste la réalité de ces faits (l’existence d’une proposition de promotion, sa connaissance de l’état de santé de son salarié) et tout lien entre l’état de santé de M. [W] et son licenciement.

‘ M. [W] produit les témoignages de plusieurs personnes qui indiquent qu’il leur avait parlé de cette promotion qu’il avait refusée. Outre les attestations de ses trois soeurs et de sa mère, il produit l’attestation de M. [O], médecin ayant travaillé au sein de l’IEM, qui indique que, peu avant son licenciement, M. [W] lui avait confié s’être vu proposer un poste de directeur adjoint pour les structures IEM et SSESD, poste qu’il avait refusé à raison de ses soucis de santé.

M. [W] verse également aux débats un compte rendu d’une réunion de travail du pôle sanitaire et éducatif qui s’est tenue le 7 février 2019 en présence du directeur, de lui-même et de deux autres personnes. Il est noté en conclusion que ‘[N] [W], adjoint de direction de l’IEM passera responsable hiérarchique sur les SSESD’. Il lui est demandé de faire un inventaire des missions à déléguer.

M. [W] n’établit pas l’existence d’un entretien annuel qui se serait tenu en juillet 2019 – entretien dont l’association LADAPT conteste l’existence- et ne justifie pas avoir été relancé pour occuper ce poste.

S’il est constant que M. [W] n’est pas devenu, comme prévu lors de la réunion du 7 février 2019 ‘responsable hiérarchique sur les SSESD’, il ne produit pas de document écrit actant qu’il aurait refusé ce poste si bien que la raison pour laquelle il n’a pas finalement occupé ce poste n’est pas établie.

‘ Le diagnostic de l’hémochromatose dont il souffre a été posé, au vu des éléments produits, le 3 février 2017. Il a été soigné par saignées toutes les semaines dans un premier temps puis tous les deux ou trois mois. Il a fait l’objet d’attaques de panique les 4 et 14 février 2019, le médecin a noté des épisodes similaires depuis quelques années sans qu’il ne rattache ces manifestations à sa maladie, au vu du document qu’il a établi. L’épisode de 14 février a donné lieu à une déclaration d’accident du travail mais n’a pas conduit à un arrêt de travail.

Il est constant que depuis le 3 février 2017, M. [W] n’a pas été placé en arrêt de travail, n’a pas consulté le médecin du travail.

M. [W] indique avoir fait part oralement de sa maladie à son employeur suite à ces deux attaques de panique de février 2019 et avoir refusé, à cette occasion, la promotion proposée mais n’apporte pas d’éléments en justifiant.

Mme [Z], enseignante à l’IEM, qui a attesté en faveur de M. [W], indique, quant à elle, que M. [W] avait des problèmes de santé connus de sa hiérarchie depuis un ou deux ans au moment de sa mise à pied, ce qui ne correspond pas aux indications données par M. [W].

La promotion de M. [W] comme ‘responsable hiérarchique sur les SSESD’ avait été actée en février 2019. Il est constant cette promotion n’a pas eu lieu. M. [W] a indiqué à plusieurs personnes l’avoir refusée à raison de ses problèmes de santé, sans justifier de ce refus. En toute hypothèse, il ne soutient pas que son employeur aurait réagi négativement à ce refus.

M. [W] n’établit pas que cette proposition lui aurait à nouveau été faite en juillet 2019 ni même qu’un entretien annuel aurait eu lieu à cette date.

Enfin, il est constant qu’il n’a pas été placé en arrêt de travail depuis le diagnostic de sa maladie et que son travail n’a pas été affecté par sa maladie.

Dès lors, les faits établis ne laissent pas supposer que le licenciement intervenu le 15 octobre 2019 soit discriminatoire car motivé par son état de santé.

M. [W] sera donc débouté de sa demande tendant à voir dire ce licenciement nul et de sa demande de dommages et intérêts en découlant.

2) Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

Si l’association LADAPT invoque l’irrecevabilité de cette demande selon elle prescrite, elle ne forme dans son dispositif aucune demande à ce titre. En application de l’article 954 du code de procédure civile, cette fin de non recevoir ne sera donc pas examinée.

M. [W] fait valoir qu’il a fait l’objet d’une mise à pied abusive, menée dans des conditions vexatoires.

M. [W] a été licencié pour une insuffisance professionnelle. L’association LADAPT ne conteste pas n’avoir jamais envisagé de le licencier pour faute a fortiori grave ou lourde, ce qui aurait dû la conduire à ne pas recourir à une mesure de mise à pied conservatoire. Elle explique avoir estimé ‘préférable pour M. [W] qu’il ne soit pas présent dans l’établissement’ pendant qu’elle procédait ‘aux vérifications nécessaires avant sa prise de décision’. Toutefois, elle n’apporte aucun élément au soutien de cette allégation : elle n’établit ni avoir procédé à de quelconques vérifications ni que cette mesure aurait été nécessaire à un autre titre sachant que les griefs qu’elle a invoqués et qu’elle résume ainsi : n’avoir pas ‘pris la mesure de votre poste de vos responsabilités et du positionnement que nous attendions de vous en termes de conduite de projets’ n’imposait pas d’écarter M. [W] immédiatement de ses responsabilités. L’association LADAPT a donc recouru de manière abusive à une mise à pied conservatoire.

M. [W] produit en outre plusieurs attestations indiquant que l’association LADAPT a accompagné cette mise à pied abusive de propos laissant entendre à ses collègues que des fautes graves étaient suspectées.

Mme [Z], écrit que la directrice régionale et le directeur sont venus de manière soudaine dans les locaux de l’IEM et ont tenu aux professionnels présents (qui lui ont rapporté cette entrevue) des propos que ceux-ci ont analysé comme une ‘mise à mort’ en parlant de ‘faute lourde’, de ‘faisceau d’éléments qui prouveraient que’, de ‘présomption d’innocence’ ce qui leur a laissé penser qu’il aurait volé de l’argent, harcelé voire violé quelqu’un.

M. [V], éducateur s’est vu rapporter les mêmes propos tels que ‘[N] présumé innocent pour l’instant’. Il ajoute que la directrice aurait dit ‘qu’à partir de maintenant l’équipe allait s’éclater dans son travail’.

Mme [P] cite les propos qui lui ont été rapportés : ‘l’équipe a été informé que M. [W] (…) devait partir pour des raisons de sécurité de l’équipe et qu’il était innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit prouvée’

Mme [S] indique que la mise à pied de M. [W] a été annoncée ‘sans explications nous laissant penser à une faute grave. Des termes forts ont été employés comme ‘on verra si [N] [W] est coupable ou innocent’.

Mme [G] atteste que la directrice régionale a indiqué que ce licenciement aurait dû être acté depuis longtemps déjà et aurait été réfléchi depuis 4 ans.

L’association LADAPT s’avère donc avoir accompagné cette mise à pied abusive de propos tendancieux laissant penser que M. [W] avait commis une faute grave et de propos dénigrants.

M. [W] justifie du préjudice que lui a occasionné cette mise à pied. Son père atteste que M. [W] l’a contacté dès le 26 septembre lorsqu’il a appris sa mise en pied ‘manifestement paniqué et en état de choc’, ne comprenant pas quelle faute il avait pu commettre. Il indique que son fils a passé la majeure partie du temps entre le 26 septembre et le 7 octobre, date de l’entretien préalable, à son domicile ‘sous anxiolytiques, antidépresseurs et somnifères. Il cherchait de manière obsessionnelle la faute lourde ou grave qui aurait pu motiver une telle décision’.

M. [W] produit une ordonnance du 30 septembre 2019 confirmant la prescription à cette date d’un anxiolytique, d’un antidépresseur et d’un somnifère.

Compte tenu du préjudice occasionné par les manquements commis par l’association LADAPT il sera alloué à M. [W] 5 000€ de dommages et intérêts.

3) Sur les points annexes

La somme allouée produira intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [W] ses frais irrépétibles; de ce chef, l’association LADAPT sera condamnée à lui verser 3 000€.

DÉCISION

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

– Infirme le jugement

– Condamne l’association LADAPT à verser à M. [W] 5 000€ de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt

– Déboute M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul

– Condamne l’association LADAPT à verser à M. [W] 3 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile

– Condamne l’association LADAPT aux entiers dépens de première instance et d’appel

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

M. ALAIN L. DELAHAYE

 


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