Présomption d’innocence : 17 février 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/06233

·

·

Présomption d’innocence : 17 février 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/06233

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre de la famille

ARRET DU 17 FEVRIER 2023

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 19/06233 – N° Portalis DBVK-V-B7D-OKP4

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 05 SEPTEMBRE 2019

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CARCASSONNE

N° RG 15/00900

APPELANTE :

Madame [M] [S] épouse [A]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Franck ALBERTI de la SELASU SELASU ALBERTI, avocat au barreau de CARCASSONNE

INTIME :

Monsieur [U] [S]

né le 15 Mars 1956 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Laëtitia FOUQUENET, avocat au barreau de CARCASSONNE, postulant, et par Me Alain LECLERC, avocat au barreau de PARIS, plaidant

Ordonnance de clôture du 15 Novembre 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 DECEMBRE 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

Madame Catherine KONSTANTINOVITCH, Présidente de chambre

Madame Nathalie LECLERC-PETIT, Conseillère

Madame Morgane LE DONCHE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Séverine ROUGY

ARRET :

– Contradictoire ;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Madame Catherine KONSTANTINOVITCH, Présidente de chambre, et par Madame Séverine ROUGY, greffière.

*

* *

EXPOSÉ DU LITIGE

Du mariage de M. [V] [S] et Mme [Z] [E] sont issus deux enfants : Mme [M] [S], née le 13 mars 1953, et M. [U] [S], né le 15 mars 1956.

M. [V] [S] est décédé le 27 novembre 2013.

Par requête en date du 18 décembre 2013 déposée auprès du juge des tutelles, M. [U] [S] sollicitait la mise sous sauvegarde de justice de sa mère.

Le 23 janvier 2014, le procureur de la République de Valence saisissait lui-même le juge des tutelles de Montélimar d’une requête aux fins d’ouverture d’un régime de protection au bénéfice de Mme [Z] [E] veuve [S].

Par ordonnance du 11 mars 2014, le juge des tutelles de Montélimar plaçait Mme [Z] [E] veuve [S] sous sauvegarde de justice pour la durée de l’instance, et par procès-verbal du 22 septembre 2014, il était constaté qu’elle était hospitalisée depuis début août 2014 à [Localité 5] et que sa fille Mme [M] [S] épouse [A] gérait ses affaires.

Mme [Z] [E] veuve [S], qui avait été admise depuis le 16 septembre 2014 à l’Ephad [7], décédait le 27 décembre 2014 au centre hospitalier de [Localité 5] à l’âge de 87 ans.

A l’ouverture de sa succession, sa fille, Mme [M] [S] épouse [A] faisait valoir un testament olographe daté du 12 février 2014 par lequel sa mère lui léguait la quotité disponible de l’ensemble de ses biens.

Par acte d’huissier en date du 12 juin 2014, M. [U] [S] faisait assigner Mme [M] [S] épouse [A], devant le tribunal de grande instance de Carcassonne aux fins de voir déclarer nul le testament de feue Mme [Z] [E] veuve [S] daté du 12 février 2014, en faisant valoir que l’état de sénilité avancé et manifeste de leur mère avait été médicalement constaté depuis la fin de l’année 2011, et de voir condamner la requise à lui payer la somme de 5 000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Le 21 avril 2016, M. [U] [S] déposait plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction de Carcassonne à l’encontre de sa soeur, Mme [M] [S] épouse [A], de faits d’abus de faiblesse et escroqueries commis en 2013 et 2014 au préjudice de leurs parents et de lui-même.

Par jugement avant dire droit en date du 26 août 2016, le tribunal de grande instance de Carcassonne ordonnait une expertise confiée au Docteur [D], avec mission de se faire communiquer l’entier dossier médical de feue Mme [Z] [E] veuve [S], de décrire son état de santé psychique et mental et de déterminer si elle présentait un trouble mental au moment de la rédaction de son testament le 12 février 2014, et dans l’affirmative, de le décrire en expliquant ses conséquences sur l’établissement du testament.

Le médecin-expert judiciaire clôturait son rapport le 7 décembre 2017.

Par jugement contradictoire rendu le 5 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Carcassonne, statuant sur les demandes de M. [U] [S] suite au dépôt du rapport d’expertise judiciaire:

– prononçait la nullité du testament établi le 12 février 2014 par Mme [Z] [E] veuve [S], décédée le 27 décembre 2014,

– condamnait Mme [M] [S] à payer à M. [U] [S] à la somme de 1 000€ à titre d’indemnité pour frais non répétibles,

– rejetait la demande reconventionnelle de Mme [M] [S] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamnait Mme [M] [S] aux entiers dépens, y compris les frais de l’expertise judiciaire, le tout avec distraction au profit de Me Laëtitia Fouquenet, avocate au barreau de Carcassonne.

Mme [M] [S] a relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe en date du 13 septembre 2019, se référant à une annexe sur laquelle est précisé l’objet de l’appel en ce que :

‘ vu le rapport d’expertise du Docteur [D] :

déclare M. [U] [S] bien-fondé en son action en nullité de libéralité introduite à l’encontre de Mme [M] [S]

prononce en conséquence la nullité du testament établi le 12 février 2014 par Mme [Z] [E] veuve [S], décédée le 27 décembre 2014,

condamne Mme [M] [S] à payer à M. [U] [S] la somme de 1 000€ à titre d’indemnité pour frais irrépétibles,

rejette la demande reconventionnelle de Mme [M] [S] à ce dernier titre,

condamne Mme [M] [S] aux entiers dépens, y compris les frais de l’expertise judiciaire, le tout avec distraction au profit de Me Laëtitia Fouquenet, avocat au barreau de Carcassonne. ‘

L’affaire a fait l’objet d’un déchambrement au sein de la cour d’appel et a été enregistrée au greffe de la première chambre de la famille le 11 octobre 2021.

Par jugement du tribunal correctionnel de Carcassonne en date du 5 octobre 2022 dont elle a relevé appel sans que la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Montpellier n’ait encore statué à ce jour, Mme [M] [S] épouse [A] a été déclarée coupable d’abus de faiblesse commis du 22 octobre 2013 au 27 décembre 2014, au préjudice de son frère, de son père, de sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer à un stade avancé, avant d’être condamnée en répression à une amende de 100 000 euros dont 75 000 euros assortis du sursis et déclarée entièrement responsable du préjudice subi par M. [U] [S] dont la constitution de partie civile a été jugée recevable.

Dans le cadre de la présente instance civile pendante devant la présente chambre civile de la cour, les dernières écritures de l’appelante ont été déposées au greffe le 13 décembre 2019 et celles de l’intimé le 8 novembre 2022.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 15 novembre 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans le dispositif de ses dernières écritures en date du 13 décembre 2019, Mme [M] [S], demande à la cour, au visa de l’article 901 du code civil, de :

réformer le jugement dont appel,

débouter M. [U] [S] de l’intégralité de ses demandes,

condamner M. [U] [S] à lui verser une somme de 3 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner M. [U] [S] aux entiers dépens dont le coût de l’expertise.

Dans le dispositif de ses dernières écritures en date du 8 novembre 2022, M. [U] [S], demande à la cour, au visa de l’article 901 du code civil, de :

confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

déclarer nul le testament du 12 février 2014

Au surplus :

condamner Mme [M] [S] à lui payer la somme de 50 000 € au titre du préjudice moral,

condamner Mme [M] [S] à 15 000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Laetitia Fouquenet qui pourra en recouvrer directement le montant, conformément à l’article 699 du nouveau code de Procédure civile.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures précitées pour l’exposé exhaustif des moyens des parties.

SUR QUOI LA COUR

Sur l’effet dévolutif de l’appel

L’étendue de l’appel est déterminée par la déclaration d’appel et peut être élargie par l’appel incident ou provoqué (articles 562 et 901 4° du code de procédure civile) alors que l’objet du litige est déterminé par les conclusions des parties (article 910-4 du code de procédure civile). L’objet du litige ne peut s’inscrire que dans ce qui est dévolu à la cour et les conclusions ne peuvent étendre le champ de l’appel.

Par sa déclaration d’appel et l’annexe détaillant tous les chefs critiqués qui y a été jointe, Mme [M] [S] épouse [A] défère à la cour chacun des chefs de la décision dont appel.

Tenant l’appel d’incident de M. [U] [S], la cour est saisie des chefs qui concernent : la demande de nullité du testament de feue Mme [Z] [E] veuve [S], les frais irrépétibles, la demande d’indemnisation d’un préjudice moral de M. [U] [S], les frais irrépétibles et les dépens incluant les frais d’expertise judiciaire.

Sur la demande de nullité du testament

‘ Le premier juge a prononcé la nullité du testament de Mme [Z] [E] veuve [S], après avoir relevé que les constatations médicales démontrent une insanité mentale de la testatrice parfaitement établie à l’époque du testament, à la date duquel elle était atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis plus de deux ans, ajoutant que ce testament a été établi à une période difficile pour Mme [Z] [E] veuve [S] suite au décès de son mari et à l’abandon de son cadre de vie, autant d’éléments susceptibles de désorienter une personne déjà malade.

Le tribunal a considéré qu’en l’absence de preuve d’un intervalle lucide à la date de ce testament rédigé dans une période manifeste d’insanité d’esprit, il était nécessairement conduit à en prononcer la nullité.

‘ Au soutien de son appel, Mme [M] [S] épouse [A] conclut que le premier juge a renversé la charge de la preuve faisant valoir que la preuve de l’état d’insanité d’esprit du testateur incombe à celui qui agit en nullité du testament.

Elle conclut à l’infirmation de la décision dont appel, faisant valoir que M. [U] [S] ne rapporte pas la preuve que Mme [Z] [E] veuve [S] présentait au moment de la rédaction du testament un trouble mental ayant affecté son discernement et un trouble de la compréhension ponctuel, qui n’existait pas habituellement, reprochant au premier juge une appréciation partielle erronée des éléments de faits en ne retenant que des éléments médicaux dont il a fait une interprétation tronquée, sans avoir tenu compte ni du rapport d’expertise du docteur [D], qui a conclu que la dernière évaluation cognitive de Mme [Z] [E] veuve [S] faite le 10 octobre 2013 avait confirmé l’absence de comportement inadapté de l’intéressée, la préservation des intéractions et la poursuite de ses activités de loisirs, ni également du certificat médical du Docteur [W] qui a pris en charge cette patiente à compter de janvier 2014, pendant la période au cours de laquelle a été rédigé son testament et qui a confirmé l’absence chez elle de trouble avéré de la compréhension.

Mme [M] [S] épouse [A] se prévaut d’attestations de personnes ayant bien connu sa mère qui témoignent de la colère qu’elle ressentait envers son fils, de sa capacité à vouloir l’avantager elle, ainsi que de son comportement cohérent à l’époque de son testament.

Enfin, elle soutient que ni le test individuel GIR réalisé en Ehpad le 22 septembre 2014 deux mois après l’accident de Mme [Z] [E] veuve [S] ayant provoqué une aggravation de son état physique comme mental, ni son audition le 14 septembre 2014 par le juge des tutelles concomitamment à cette aggravation, ne sont des éléments déterminants et probants comme étant postérieurs de plusieurs mois à la date de rédaction du testament.

‘ M. [U] [S] conclut à la confirmation de la décision déférée et demande à la cour de déclarer nul le testament de sa défunte mère pour cause d’insanité d’esprit notoirement reconnue.

Il fait valoir que les médecins spécialistes qui avaient examiné sa mère avaient diagnostiqué une maladie d’Alzheimer avec atteinte sévère des troubles importants des fonctions cognitives dont elle était atteinte selon deux courriers du Docteur [R], gériatre au centre hospitalier de [Localité 8], datant de mars et septembre 2013.

M. [U] [S] expose que Mme [Z] [E] veuve [S] était atteinte en février 2014 de démence sénile, comme constaté par son entourage immédiat, famille et amis, et surtout par son médecin traitant qui avait effectué en décembre 2013 un signalement au procureur de la République de Valence, ce qui l’a amené à requérir le Docteur [F], médecin expert près la cour d’appel de Grenoble, dont le rapport a justifié ensuite la saisine sans délai du juge des tutelles, lequel a ordonné dès le 11 mars 2014 une mesure de sauvegarde de justice pour la durée de la procédure.

Il fait valoir que la perte par Mme [Z] [E] veuve [S] de ses facultés de discernement qui la plaçait alors dans l’incapacité de comprendre et de tester valablement résulte également des anomalies intrinsèques à son testament dans lequel elle a commis trois fautes d’orthographe dans l’écriture de ses propres prénom et nom et également en y apposant sa signature.

‘ Réponse de la cour :

L’article 901 du code civil dispose que pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence.

Il est avéré et non contesté que Mme [Z] [E] veuve [S] était, à la date de son testament olographe qui fait l’objet du litige, atteinte depuis plusieurs années de la maladie d’Alzheimer, dont la médecine actuelle décrit le caractère évolutif et irréversible, selon globalement trois stades communs : un stade léger caractérisé par des troubles mnésiques et lors duquel la maladie peut ne pas être visible pour les proches, un stade modéré lors duquel viennent s’ajouter aux troubles de la mémoire initiaux, avec des degrés divers mais toujours dans les sens d’une aggravation avec le temps, une désorientation spatiale, temporelle, des troubles du langage ainsi que des troubles praxiques de la gestuelle, des troubles gnosiques, une anosognosie, une modification de la personnalité, des troubles du comportement tels qu’opposition voire agressivité, et une atteinte des fonctions exécutives, et enfin, un stade sévère qui se caractérise par une dégradation de l’autonomie de la personne liée à une aggravation importante des troubles nécessitant des soins constants.

En l’espèce, il résulte du rapport d’expertise judiciaire du Docteur [D] et des éléments médicaux, que les premiers signes visibles chez Mme [Z] [E] veuve [S] de sa maladie ont été signalés par son mari et ses proches en 2006, la première consultation motivée par des troubles cognitifs ayant été réalisée le 12 mai 2006 par le Docteur [L] qui avait alors constaté des troubles cognitifs légers, et proposé une nouvelle évaluation à distance.

L’expert a précisé ensuite qu’une aggravation sérieuse des troubles cognitifs avait été signalée par la propre fille de Mme [Z] [E] veuve [S] cinq ans plus tard, en 2011, ce qui a alors justifié qu’elle soit à nouveau évaluée le 15 décembre 2011 par le Docteur [J] lors d’une consultation spécialisée au centre hospitalier de [Localité 5], à l’issue de laquelle un bilan neuro -psychologique a confirmé une altération notable sur l’échelle ‘IADL’qui permet de dépister les patients présentant une démence non encore diagnostiquée ou qui la développeront dans l’année.

Le compte-rendu établi à l’issue de ce bilan de décembre 2011 faisait état de résultats de tests orientant le diagnostic vers ‘une pathologie neuro- dégénérative de type Alzheimer déjà évoluée’, en soulignant que la patiente présentait déjà une ‘détérioration cognitive significative’, s’accompagnant d’apraxie gestuelle, de troubles gnosiques visuels, signifiant une atteinte à la capacité de reconnaître les visages des proches, d’une anosognosie qui se caractérise par une absence de conscience de la maladie, d’un dysfonctionnement exécutif, d’une perte d’autonomie et d’une apathie.

Le diagnostic de la maladie était annoncé le 16 février 2012, par le Docteur [T] du service de neurologie de l’hôpital de [Localité 5] qui avait alors estimé que le stock mnésique de Mme [Z] [E] veuve [S] était encore important, et que sa capacité de compréhension était normale, permettant un maintien de la patiente à domicile auprès de son époux qui pouvait veiller sur elle.

Mme [Z] [E] veuve [S] devait dès lors être régulièrement suivie et évaluée à l’hôpital de [Localité 8] dans le cadre des ‘consultations mémoires’ spécialisées du Docteur [R], dont les comptes-rendus décrits dans le détail par le Docteur [D], démontrent une dégradation rapide de ses troubles dans l’année ayant suivi, mise en évidence par des résultats des tests MMS évaluant sa capacité mnésique à 15/30 en février 2012, mais seulement à 11/30 en mars 2013, époque à laquelle le neurologue décrivait en plus de la désorientation temporelle et des troubles cognitifs ‘une dégradation du comportement à domicile’ qui se manifestait par une ‘attitude d’opposition’, de ‘l’agitation anxieuse ayant d’importantes conséquences sur la réalisation des gestes du quotidien’, seul son sommeil étant alors décrit comme dépourvu de trouble.

C’est à l’époque de cette aggravation avérée et médicalement constatée, qu’est survenu, le 27 novembre 2013 le décès de M. [V] [S], suite auquel le docteur [P] [X], médecin traitant habituel de Mme [Z] [E] veuve [S], a immédiatement procédé à un signalement au parquet de Valence en invoquant ‘la nécessité d’une mesure de protection de sa patiente dans les actes de la vie civile, en raison de l’altération de ses facultés mentales ‘.

Mme [M] [S] épouse [A] ayant rapidement déménagé sa mère à son domicile dans l’Aude, où elle allait confier son suivi à son propre médecin traitant, le Docteur [W], les consultations spécialisées ont alors été définitivement interrompues, soit deux mois environ avant la rédaction du testament olographe litigieux de Mme [Z] [E] veuve [S] daté du 12 février 2014.

L’expert judiciaire nommée par le premier juge a au demeurant fait état dans son rapport des perturbations importantes subies par Mme [Z] [E] veuve [S] dans sa vie personnelle, d’abord en novembre 2013 du fait du décès de son époux qui a été suivi de son déménagement de sa maison pour vivre chez sa fille à [Localité 5], et enfin le 5/08/2014 à l’occasion d’une fracture de la diaphyse fémorale liée à une chute qui l’a amenée, après un traitement chirurgical à l’hôpital, à être admise à l’EHPAD [7] où elle est restée avant de décéder à l’hôpital le 27 décembre 2014, les comptes rendus ayant évoqué une agressivité et une attitude opposante accrues ainsi qu’une dégradation rapide de son état général avec troubles de la conscience.

C’est sur la base des seuls éléments médicaux précités, à l’exception de l’avis en date du 6 janvier 2014 du médecin expert désigné par le procureur de la République de Valence, mais en évoquant néanmoins le certificat médical établi le 25 mai 2017 par le Docteur [W] par lequel il exposait que ‘Mme [Z] [E] veuve [S] avait malgré sa pathologie un comportement adapté sans trouble de la compréhension’, et non sans avoir insisté sur le fait qu’elle n’avait pas eu communication du testament de la défunte dont elle a exposé qu’il aurait pourtant pu apporter des éléments utiles pour répondre à sa mission, que l’expert judiciaire a conclu son rapport en estimant que ‘l’altération des fonctions cognitives de la défunte avait certes pu avoir un retentissement sur l’établissement de son testament mais que les pièces médicales dont elle avait disposé ne permettaient ni de l’affirmer, ni d’en préciser l’importance’.

S’il peut être reproché au premier juge, comme le fait valoir l’appelante, de ne pas avoir fait état dans les motifs de sa décision de cette expertise judiciaire qu’il avait lui-même ordonnée avant dire droit, force est de constater que la conclusion hypothétique et évasive émise par l’expert s’avère en tout état de cause dépourvue de pertinence quant à l’objet qui lui était assigné d’éclairer le juge sur la validité du testament olographe de Mme [Z] [E] veuve [S] au regard de l’étendue de l’altération de ses facultés à la date de cet écrit.

La cour qui constate que l’expert judiciaire n’a en définitive pas répondu à la question essentielle qui lui était posée, relève en outre une contradiction dans sa conclusion, puisque se référant à la dernière évaluation cognitive de Mme [Z] [E] veuve [S] datant du 10/10/20103, elle a écrit ‘celle-ci confirme l’absence de comportement inadapté de l’intéressée’, alors que quelques pages auparavant elle avait rappelé que le compte rendu du Docteur [R] en date du 10/10/2013 indiquait ‘ elle est assez difficile à vivre pour son époux en raison d’un comportement toujours opposant … Elle n’a pas de trouble du sommeil, elle continue à lire, parfois plusieurs fois les mêmes choses…’, ce qui caractérise à tout le moins un comportement qui n’était ni adapté, ni normal, ni cohérent, significativement à l’inverse de ce que le Docteur [W], généraliste de Mme [M] [S] épouse [A], avait affirmé avoir constaté avant le décès de Mme [Z] [E] veuve [S] dans un certificat médical qu’il a remis au Docteur [D] en 2017.

La cour considère que la conclusion très incertaine émise par le Docteur [D] qui manque de cohérence dans son analyse, n’est pas médicalement exploitable, et ne peut aucunement fonder une appréciation judiciaire quant à la validité du testament olographe de Mme [Z] [E] veuve [S] au regard de l’état d’altération de ses facultés cognitives, mnésiques et de compréhension de cette dernière à la date à laquelle elle a testé, alors surtout d’une part, que cet expert reconnaît ne pas avoir étonnamment eu connaissance du testament en cause qui recèle en lui-même certains indices matériels méritant d’être analysés à l’aune des avis médicaux spécialisés et de l’appréciation du médecin traitant de la patiente qui a été à l’origine d’un signalement au parquet, et d’autre part, qu’un autre expert judiciaire s’est prononcé de façon plus claire et affirmative dans un avis qu’il avait établi à la demande du procureur de la République de Valence moins de cinq semaines avant le testament litigieux, sans que le Docteur [D] n’ait pourtant jugé opportun d’en faire état dans son rapport qu’elle a clos trois ans après.

Il est avéré que suite au signalement qu’il avait reçu à son parquet dès le 5 décembre 2013 de la part du médecin traitant de Mme [Z] [E] veuve [S] qui avait estimé que l’état d’altération de ses facultés mentales nécessitait qu’une mesure de protection dans les actes de la vie civile soit ordonnée, le procureur de la République de Valence a désigné le docteur [F] en qualité de médecin-expert.

Cet expert n’ayant pu examiner Mme [Z] [E] veuve [S] rencontrée à son domicile en raison du refus catégorique qu’elle lui a opposé en présence de sa fille et de son gendre, il a procédé à compter du 9 décembre 2013 à son expertise au vu du dossier médical de la malade que lui ont transmis le Docteur [X], son généraliste, et le Docteur [R] qui était en charge au centre hospitalier de [Localité 8], de l’évaluation de l’évolution de ses troubles liés à sa maladie d’Alzheimer.

Le certificat médical que l’expert [F] a ensuite adressé au procureur de la République de Valence exposait ‘qu’au vu des courriers du Docteur [R] contenant compte-rendu de ses examens de la patiente et des résultats dégradés de ses tests MMS réalisés les 20 mars 2013 et en dernier lieu le 10 octobre 2013, la saisine sans délai du juge des tutelles de Valence se justifiait’.

La conclusion ainsi émise par cet expert à une date particulièrement proche de celle du testament de Mme [Z] [E] veuve [S], et selon laquelle cette dernière était alors ‘atteinte d’une maladie d’Alzheimer sévère avec des troubles importants des fonctions cognitives’, ce que le gériatre de l’intéressée avait déjà objectivé en octobre 2013, ne permet pas de considérer sérieusement, compte tenu de l’évolutivité inexorable parfaitement connue de cette pathologie, que la capacité de compréhension de Mme [Z] [E] veuve [S] était toujours opérationnelle, ni que son comportement était cohérent, comme cela avait pu être considéré 18 mois auparavant dans un contexte de stabilité de sa vie personnelle, alors surtout, comme l’a très justement retenu le premier juge, qu’étaient intervenus quelques semaines auparavant, le décès traumatisant de son époux fin novembre 2013, suivi d’un déracinement et d’un changement de son cadre de vie, autant d’évènements qui l’avaient nécessairement désorientée à l’âge de 87 ans, en impactant encore à la baisse ses facultés cognitives.

La cour observe au demeurant que le testament de Mme [Z] [E] veuve [S] recèle intrinsèquement des signes significatifs et apparents de l’état d’insanité mentale dans lequel elle était plongée lorsqu’elle l’a rédigé, puisqu’elle n’était même plus capable d’orthographier correctement ses propres nom et prénom, ayant écrit et signé ‘[Y]’ au lieu de [Z], écrit ‘[N]’ puis signé ‘[H]’, au lieu de [S].

Il convient également de relever que les mentions portées par une infirmière de l’hôpital de [Localité 5], le 25 août 2014, moins de six mois après la date d’établissement du testament dans la rubrique ‘évaluation des besoins et de l’autonomie’ de la fiche de liaison, révèlent un état d’altération maximum de ses fonctions de compréhension, de sa capacité à s’occuper, à appréhender le danger et à prendre soin de soi, mais également de ses capacités à comprendre, à respecter des valeurs, et à communiquer, seule sa capacité à respirer étant notée intacte et sa capacité à boire et à s’alimenter étant décrite comme ‘effective sur incitation’.

Enfin, l’audition de Mme [Z] [E] veuve [S] par le juge des tutelles de Carcassonne le 27 octobre 2014 illustre l’état de désorientation et de déconnexion totale de la réalité qui était alors le sien, puisqu’elle avait désigné le greffier comme étant sa fille, qu’elle avait affirmé qu’elle se trouvait à [Localité 6] et que son mari, pourtant décédé depuis 11 mois, gérait ses affaires, contestant tout besoin de mesure de protection et manifestant ainsi une anosognosie déjà constatée depuis 2011.

L’ensemble des éléments objectifs précités examinés par la cour, démontrent de façon concordante que la maladie d’Alzheimer dont était atteinte Mme [Z] [E] veuve [S] depuis 2006 au moins, s’est sérieusement aggravée entre le début de l’année 2012 et la fin de l’année 2013, époque à laquelle elle avait déjà abordé le stade sévère de l’évolution commune de cette pathologie caractérisée par une dégradation générale de ses fonctions cognitives qui perturbait son jugement dans des proportions importantes, la privant de la capacité d’appréhender une situation familiale et de la faculté de rédiger son testament de façon lucide, faute de pouvoir comprendre l’incidence juridique et familiale d’un tel acte.

L’aggravation sévère, médicalement constatée, des troubles cognitifs inhérents à la pathologie dégénérative irréversible dont était atteinte Mme [Z] [E] veuve [S], pré-existait à la rédaction de son testament daté du 12 février 2014 et s’est poursuivie jusqu’à son décès survenu moins d’un an après, sans que Mme [M] [S] épouse [A] ne rapporte la preuve qui lui incombe, contre des indices forts et concordants attestant de l’état d’insanité d’esprit de sa mère, que celle-ci ait pu bénéficier d’un intervalle de lucidité à la date de la rédaction de son testament.

C’est donc par une juste appréciation des faits tels que les établissent les éléments sérieux et concordants examinés, y compris le testament lui-même intrinsèquement, que le premier juge a prononcé à bon droit l’annulation du testament olographe de Mme [Z] [E] veuve [S] daté du 12 février 2014, pour cause d’insanité d’esprit de la testatrice.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef sur le fondement de l’article 901 du code civil.

Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral

‘ M. [U] [S] forme en cause d’appel une demande de dommages et intérêts à concurrence de 50 000 euros en réparation d’un préjudice moral.

‘ Mme [M] [S] épouse [A] demande à la cour de le débouter de sa demande.

‘ Réponse de la cour :

L’article 1240 nouveau du code civil, tel qu’il résulte de l’ordonnance du 10 février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre 2016, dispose que ‘tout fait de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer’.

En l’état de son appel du jugement correctionnel l’ayant déclarée coupable d’abus de faiblesse notamment à l’occasion de la rédaction du testament de feue Mme [Z] [E] veuve [S] et dès lors qu’aucune décision de culpabilité ayant acquis force de chose jugée n’a été rendue, Mme [M] [S] épouse [A] bénéficie de la présomption d’innocence.

M. [U] [S] ne rapportant pas la preuve d’une faute de Mme [M] [S] épouse [A] à l’occasion de la rédaction du testament de leur mère, et ne démontrant pas qu’il ait subi un préjudice moral qui soit la conséquence directe de l’annulation du testament qui est confirmée par le présent arrêt, les conditions cumulatives requises pour qu’il puisse être fait droit à son action en responsabilité à l’encontre de cette dernière ne sont pas vérifiées.

Il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Le premier juge a estimé que Mme [M] [S] épouse [A], partie succombante, devait supporter les entiers dépens et il l’a condamnée à payer à M. [U] [S] la somme de 1000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La cour confirmant les dispositions dévolues et critiquées de ce jugement dont appel quant à l’annulation du testament de Mme [Z] [E] veuve [S], la condamnation de Mme [M] [S] épouse [A] , partie succombante, à supporter les dépens de première instance, en ce compris les frais de l’expertise judiciaire du Docteur [D], sera confirmée.

La décision sera également confirmée en ce que Mme [M] [S] épouse [A] a été condamnée à payer à M. [U] [S] une somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles.

Mme [M] [S] épouse [A], succombant en son recours, elle doit supporter seule les dépens d’appel.

L’équité commande en outre de condamner Mme [M] [S] épouse [A] à payer à M. [U] [S] une somme de 6 000 euros en indemnisation des frais irrépétibles que son appel l’a contraint à exposer pour faire assurer sa défense devant la cour, et ce en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement dont appel en toutes ses dispositions déférées, critiquées et non définitives,

Y AJOUTANT,

DÉBOUTE M. [U] [S] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

CONDAMNE Mme [M] [S] épouse [A] à payer la somme de 6 000 € (SIX MILLE EUROS) à M. [U] [S] en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles d’appel,

CONDAMNE Mme [M] [S] épouse [A] à payer les entiers dépens d’appel avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de l’avocat postulant de M. [U] [S], Maître Laetitia Fouquenet.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

SR/NLP

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x