Présomption d’innocence : 16 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01337

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Présomption d’innocence : 16 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01337
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 11

ARRET DU 16 MAI 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01337 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDDQO

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Janvier 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° 16/05353

APPELANTE

Association ECOLE SPECIALE D’ARCHITECTURE

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Jacques DE TONQUÉDEC, avocat au barreau de PARIS, toque : R163

INTIMEE

Madame [F] [R]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Inès PLANTUREUX, avocat au barreau de PARIS, toque : B0171

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,

Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Alicia CAILLIAU

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Mme [F] [R], née en 1970, a été engagée par l’association Ecole Spéciale d’architecture (ci-après l’ESA), selon un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1e novembre 2008 en qualité de responsable de la formation continue du 3e cycle et des relations internationales.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention d’établissement du 9 juin 2008.

Mme [R] soutient avoir participé à la création d’une section syndicale CGT culture le 09 septembre 2013.

Par lettre, Mme [R] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 21 avril 2015 à l’issue duquel elle a refusé de signer un contrat de sécurisation professionnelle.

Mme [R] a ensuite été licenciée pour motif économique par lettre datée du 05 juin 2015 ; la lettre de licenciement indique « [‘] Nous avons donc procédé afin de tenter d’éviter votre licenciement, à une recherche exhaustive et individualisée de reclassement au sein de l’école spéciale d’architecture. Dans ce cadre, nous avons remis une proposition écrite de reclassement en date du 21 avril 2015 sur le poste suivant : secrétaire du laboratoire de recherche, statut agent de maîtrise.

Force a été de constater que vous n’avez donné aucune suite à cette proposition de reclassement marquant ainsi votre refus de tout reclassement au sein de l’école spéciale d’architecture. En l’absence d’autre poste disponible susceptible de vous être proposé au titre du reclassement, nous nous voyons donc contraints, par la présente, dans le cadre des difficultés économiques rencontrées par l’ESA, de vous notifier votre licenciement pour motif économique suite à la suppression de votre poste de responsable de la formation continue et du 3ème cycle et des relations internationales ».

A la date du licenciement, Mme [R] avait une ancienneté de 6 années et 7 mois et l’ESA occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Contestant à titre principal la validité et à titre subsidiaire la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des dommages et intérêts pour harcèlement moral, Mme [R] a saisi le 13 mai 2016 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 07 janvier 2021, rendu en sa formation de départage auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :

Dit que le licenciement de Mme [F] [R] est nul,

En conséquence, condamne la société école spéciale d’architecture à payer les sommes suivantes :

-30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

-1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Rappelle que les sommes ayant la nature de salaire produisent intérêts à compter de la saisine de la juridiction prud’homale,

Dit que les sommes ayant la nature de dommages et intérêts seront assorties du taux légal à compter du jour du jugement,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Dit que les dépens seront supportés par la société,

Ordonne l’exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 25 janvier 2021, l’ESA a interjeté appel de cette décision, notifiée le 07 janvier 2021.

Par un arrêt confirmatif du 09 décembre 2022, rendu par une chambre correctionnelle de la cour d’appel de Paris M. [O], directeur de l’ESA, a été déclaré coupable de faits de discrimination syndicale notamment à l’encontre de Mme [R]. Il a formé un pourvoi en cassation.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 07 février 2023 l’ESA demande à la cour de :

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de paris sauf en ce qu’il déboutait Mme [R] de sa demande relative à des prétendus faits de harcèlement moral et en conséquence de sa demande relative à l’octroi de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts,

statuant de nouveau,

in limine litis,

– déclarer toute demande relative à des faits antérieurs au 13 mai 2014 forclose au regard des dispositions de l’article L.1471-1 du code du travail,

en conséquence :

– dire que les demandes formées par Mme [R] au titre d’un prétendu préjudice moral sont irrecevables,

– dire que les conclusions de l’ESA du 21 décembre 2022 sur l’appel incident de Mme [R] sont recevables,

sur le bien-fondé du licenciement pour motif économique,

– constater la régularité de la procédure d’information et de consultation des délégués du personnel,

– constater l’existence de difficultés économiques au sein de l’ESA depuis 2012,

– constater la suppression du poste de travail de Mme [R] suite à son licenciement,

– dire que le licenciement de Mme [R] n’est pas nul,

– dire que le licenciement de Mme [R] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

en conséquence :

– débouter, Mme [R] de l’intégralité de ses demandes,

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour d’appel jugeait le licenciement de Mme [R] sans cause réelle et sérieuse :

– ramener les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 23.256 euros correspondant à 6 mois de salaire,

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour d’appel jugeait le licenciement de Mme [R] nul :

– ramener le montant de l’indemnité pour licenciement à 6 mois de salaire, soit 23.256 euros,

en tout état de cause,

– constater que Mme [R] ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un préjudice moral, ni dans son principe, ni dans son quantum,

– débouter, en conséquence, Mme [R] de sa demande de dommages et intérêts formulée à ce titre,

– dire en cas d’une éventuelle condamnation que les intérêts au taux légal courront à compter du prononcé du jugement,

– débouter Mme [R] de sa demande de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile qui est manifestement excessive et des dépens,

– condamner Mme [R] à verser à l’ESA la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [R] aux entiers dépens de l’instance.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 07 février 2023, Mme [R] demande à la cour de :

– dire que la moyenne des trois derniers mois de salaires est de 3876€,

à titre principal :

– confirmer le jugement en ce qu’il a jugé le licenciement nul,

– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’ESA à verser 30 000€ à titre de dommages intérêts pour licenciement nul avec intérêt au taux légal à compter de la saisine et anatocisme,

à titre subsidiaire :

– dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– condamner l’ESA à verser à Mme [R] 30 000€ à titre de dommages et intérêts avec intérêt au taux légal à compter de la saisine et anatocisme,

en tout état de cause :

– débouter l’ESA de son appel et de toutes ses demandes,

– infirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [R] de sa demande au titre du harcèlement moral et statuant à nouveau,

– dire et juger que l’ESA s’est rendue coupable de faits de harcèlement moral,

– condamner l’ESA à verser à Mme [R] les sommes suivantes :

10 000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêt au taux légal à compter de la saisine et anatocisme,

5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner l’ESA aux entiers dépens y compris d’exécution forcée.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 08 février 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 07 mars 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, L A COUR :

Sur l’exception d’irrecevabilité des écritures de l’association ESA du 21 décembre 2022 en réponse à l’appel incident de Mme [R]

Il n’est pas discuté qu’aux termes de ses écritures datées du 2 juillet 2021, Mme [R] a formé appel incident en ce qu’elle a été déboutée de sa demande au titre du harcèlement moral. Elle soutient dès lors que les écritures de l’association ESA qui n’a répliqué sur ce point qu’en date du 21 décembre 2022 sont irrecevables puisque hors délais.

L’association ESA réplique que dès le 6 avril 2021 elle avait conclu sur l’entier litige et que ses conclusions du 21 décembre 2022 qui avaient vocation à compléter ses écritures d’appel, ne sont pas irrecevables.

Aux termes de l’article 910 du code de procédure civile, l’intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de trois mois à compter de la notification qui lui en est faite pour remettre ses conclusions au greffe.

Il résulte en l’espèce de la lecture des écritures d’appel du 6 avril 2021 que l’appelante a anticipé l’appel incident puisqu’elle a conclu d’une part à l’irrecevabilité de la demande d’indemnité pour préjudice moral en invoquant la prescription des faits et d’autre part au débouté de la demande au fond au titre du harcèlement moral, ce qui a été repris et développé aux termes des écritures du 21 décembre 2022.

Il s’en déduit qu’aucune irrecevabilité n’est encourue puisque les premières conclusions signifiées ont anticipé sur l’appel incident et y ont donc déjà répondu. Ce moyen est par conséquent rejeté.

Sur la nullité du licenciement

A l’appui de la demande de la nullité du licenciement, Mme [R] invoque la discrimination syndicale dont elle a été l’objet en faisant valoir que même si elle n’était pas élue elle a été à l’origine de la création de la section syndicale SNEA CGT, de sorte que l’employeur ne peut soutenir avoir ignoré son appartenance syndicale et qu’elle a été particulièrement active dans la défense des salariés en assistant certains, visés par des mesures disciplinaires, ou en sollicitant l’organisation des élections professionnelles devant le tribunal d’instance en date du 2 avril 2014. Elle souligne par ailleurs que le licenciement est également nul du fait de la nullité qui entache la consultation des élus sur le projet de licenciement.

L’article L.1332-1 du code du travail dispose qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

L’article L.1134-1 du code du travail prévoit que lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 précité, qu’au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs à toute discrimination et que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Mme [R] dénonce les faits qu’elle considère comme discriminatoires suivants :

-la dispense d’activité à l’occasion de l’engagement de la procédure de licenciement économique qui est en réalité une sanction disciplinaire déguisée et sans lien avec la préoccupation économique affichée.

– le fait d’avoir le jour de la réception de la lettre de convocation à l’entretien préalable dû comme 6 autres salariés concernés remettre son badge, d’avoir été raccompagnée à la sortie de l’ESA et privée de sa boîte mail,

– son licenciement intervenu alors que 8 salariés sur 9 concernés étaient syndiqués ou actifs comme elle sur le plan syndical.

Elle ajoute que la discrimination syndicale a été reconnue par différentes juridictions tant administratives que pénales mais aussi par des décisions du conseil de prud’hommes de Paris concernant des salariés victimes du même licenciement dit économique qu’elle.

Il s’en déduit que la salariée présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale et il incombe à l’ESA de démontrer que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination syndicale.

En réplique l’ESA fait d’abord valoir que la prorogation des mandats des délégués du personnel jusqu’au 30 juin 2015 inclus, était régulière puisque procédant d’un accord entre l’employeur et le syndicat représentatif au sein de l’ESA, le syndicat SYNATPAU CFDT, dont les délégués se sont dès lors prononcés à bon droit sur le licenciement de Mme [R], étant précisé que l’éventuelle prorogation irrégulière des mandats ne serait pas une cause de nullité du licenciement dont les cas sont limitativement énumérés.

Elle soutient que dès lors que le licenciement économique est fondé, il repose sur une raison objective par principe étrangère à toute discrimination. Elle ajoute que ni le lien entre le licenciement et l’appartenance syndicale de Mme [R] ni même la preuve qu’elle avait connaissance de son implication syndicale n’ont été rapportés. Elle conteste l’engagement syndical de cette dernière estimant que l’existence de manquements de la part de l’ESA ne peut être déduite des instances pénales en cours du fait de la présomption d’innocence, rappelant en outre que seul M. [O] (qui a formé un pourvoi en cassation) a été condamné pour discrimination syndicale à l’égard de Mme [R] tandis qu’elle-même en qualité d’employeur de la salariée n’a pas été condamnée pénalement à ce titre, étant précisé que son directeur M. [H], qui la représente légalement, a été relaxé de ce chef. Elle invoque également la partialité de l’inspecteur du travail, rédacteur du PV notoirement affilié à la CGT. S’agissant de la dispense d’activité, elle répond que celle-ci n’a jamais été contestée, qu’elle relevait de son pouvoir de gestion et qu’elle s’inscrivait dans le cadre de la réorganisation de l’ESA visant à préserver Mme [R] dans la mesure où son poste était supprimé, ce qui lui a été au demeurant favorable dans la mesure où elle a pu cumuler un autre poste et percevoir une double rémunération. Elle précise enfin qu’après son départ, Mme [R] n’a pas été remplacée, preuve qu’elle a souhaité supprimer des postes administratifs considérés comme non essentiels et non en raison de son engagement, étant observé que d’autres salariées adhérentes de la CGT Culture n’ont pas été impactées par les licenciements.

La cour retient que malgré l’existence de difficultés économiques, au demeurant avérées au vu des documents comptables de l’ESA versés aux débats, établissant une baisse du chiffre d’affaires et des produits d’exploitation, mais aussi un résultat d’exploitation déficitaire et la dégradation de la trésorerie et du résultat net global entre entre 2012 et 2015, il convient contrairement à ce que soutient l’employeur de s’assurer toutefois de l’absence de motif discriminatoire ayant sous tendue la décision de licenciement de Mme [R].

L’exercice de la liberté syndicale est garanti par le code du travail et l’article L. 2141-5 du code du travail précise l’étendue de l’interdiction spécifique des discriminations syndicales en rappelant que l’employeur ne peut prendre en considération ni l’appartenance à un syndicat ni l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions.

Il est constant que Mme [R], bien que non titulaire d’un mandat syndical était adhérente et membre fondateur de la section syndicale CGT au sein de l’ESA dont l’identité des membres (dont Mme [R]) a été portée à la connaissance de la direction de l’ESA par un courrier non contesté daté du 24 septembre 2013. (Pièce 25-1, salariée). Il est également justifié que Mme [R] figure dans la requête du 2 avril 2014 de saisine du Tribunal d’instance du 14e arrondissement de Paris aux fins d’organisation des élections des membres du comité d’entreprise et des délégués du personnel au sein de l’ESA. (pièce 44 salariée) mais aussi sur le PV établi à l’issue de l’entretien préalable concernant M. [Z], responsable des services techniques et sécurité de l’ESA le 27 janvier 2014, qui s’est déroulé en présence de MM [O] et [H], respectivement directeur et Président de l’ESA. (pièce 61, salariée). Il s’en déduit que l’employeur ne peut soutenir avoir ignoré l’engagement syndical de Mme [R] et que celle-ci ne pourrait prétendre à une discrimination de ce chef.

La cour rappelle que l’employeur répond des faits de discrimination commis par ses employés dans le cadre de leurs fonctions, sans pouvoir invoquer comme en l’espèce, que seul M. [O] son directeur a été déclaré coupable par la cour d’appel de céans statuant au plan pénal de faits de discrimination à l’égard notamment de Mme [R], tandis que M. [H] en sa qualité de Président, a été relaxé.

Même si la dispense d’activité n’a pas été contestée par Mme [R], il n’en reste pas moins que celle-ci doublée d’un raccompagnement à la sortie et du blocage des boîtes mails, s’inscrit incontestablement dans une décision de mise à l’écart des salariés concernés alors même que leur éloignement ne relevait d’aucune urgence. Celle-ci bien que relevant du pouvoir de direction ne présente aucune justification, étant observé que si l’employeur ajoute que cette dispense concernait tous les salariés licenciés pour motif économique il ne l’établit pas. Enfin, si l’employeur se prévaut de la suppression du poste de Mme [R] en tant que poste administratif considéré comme non essentiel,en s’appuyant sur la note économique et accompagnement social soumise aux délégués du personnel dans le cadre du projet de réorganisation, la salariée se plaint d’avoir été dépossédée d’une partie de ses prérogatives au profit de Mme [C] qui aurait été chargée de la coordination du groupe relations internationales dès janvier 2014 (pièce 24-4, salariée) et la cour retient enfin à l’instar du premier juge, que même si l’ESA connaissait des difficultés économiques, il n’en reste pas moins que 8 salariés sur les 9 licenciés étaient des salariés syndicaux actifs et qu’il existe une concomitance plus que troublante du calendrier électoral avec la procédure de licenciement de Mme [R].

Il s’en déduit que l’employeur ne justifie pas que les décisions prises étaient étrangères à toute discrimination syndicale et que par confirmation du jugement déféré le licenciement prononcé dans ce contexte est nul. C’est à bon droit que le jugement déféré a alloué à la salariée une indemnité de 30.000 euros à ce titre. Il sera également confirmé sur ce point.

Sur la demande d’indemnité pour préjudice moral

Pour infirmation du jugement déféré, Mme [R] fait valoir que c’est à tort que les premiers juges n’ont pas examiné sa demande au titre du harcèlement moral qui n’était pas présentée à titre subsidiaire comme retenu par la décision.

L’ESA oppose tout d’abord la prescription des prétendus manquements qui lui sont reprochés dans l’exécution du contrat de travail de Mme [R] sur le fondement de l’article L.1471-1 du code du travail concernant les actions portant sur l’exécution du contrat de travail, en soutenant qu’en considération d’une saisine du conseil de prud’hommes en date du 12 mai 2016, elle ne peut invoquer des faits antérieurs au 12 mai 2014.

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, dans ses rédactions applicables en la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement ou présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La cour rappelle que la salariée fondant sa demande sur des faits de harcèlement moral, ce sont les règles concernant la prescription de l’action en réparation de harcèlement moral qui ont vocation à s’appliquer.

Or l’article 2224 du code civil énonce que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.Il s’en déduit qu’aucune prescription n’est encourue, les principaux faits dénoncés remontant à 2014.

Au titre du harcèlement moral dont elle prétend avoir été victime, Mme [R] invoque:

-avoir été dépossédée de ses fonctions au profit d’autres salariés recrutés pour exercer les tâches qui lui revenaient en vertu de son contrat de travail,

-avoir été mise à l’écart puisqu’il n’était plus répondu à ses courriels et placée devant le fait accompli ;

-avoir été maltraitée en public par le directeur qui en réunion a refusé de la saluer ou de lui adresser la parole mais aussi a élevé le ton à son égard et tenu des propos inappropriés ;

– n’avoir pas pu récupérer ses affaires personnelles ;

– que cette maltraitance a eu des conséquences sur sa santé et qu’elle a saisi le médecin du travail qui lui-même a sollicité une prise en charge par le médecin traitant.

Elle produit les pièces suivantes :

– le courrier d’alerte du syndicat ESA adressé à M. [O] directeur de l’ESA en date du 16 décembre 2013 s’interrogeant sur l’appel à candidature pour des postes de coordinateurs en vue de la réforme pédagogique de l’ESA notamment dans le domaine des relations internationales et sa redondance avec les responsabilités actuelles du personnel administratif et l’articulation prévue à l’avenir. (pièce 24-1)

– le courrier du syndicat ESA adressé à la déléguée du personnel de l’ESA en date du 1er avril 2014 (pièce 24-5 ) sollicitant le lancement d’une procédure de droit d’alerte concernant notamment Mme [R], dénonçant le comportement colérique et de terreur de M. [O] et la répétition de vexation à l’égard de Mme [R] (annulation de réunion au dernier moment, organisation de réunions en dehors des heures de travail, retards à ces réunions, appauvrissement de ses fonctions mise à l’écart du groupe de travail relations internationales) ;

– son signalement le 1er avril 2014 auprès de la médecin du travail de la dégradation de ses conditions de travail et de santé (crises d’angoisse et ruminations anxieuses) lequel a préconisé une prise en charge thérapeutique.(pièce 24-3, certificat médical) ;

-le compte-rendu de l’entretien de M. [Z] que Mme [R] a assisté suite à sa mise à pied conservatoire au cours duquel il est rapporté que M. [O] s’est emporté et a haussé le ton, au point que les salariés ont envisagé d’exercer leur droit de retrait le temps qu’il se calme. (pièce 61)

– le courriel par lequel elle a été contrainte après sa mise à l’écart subite de solliciter un créneau pour venir chercher ses affaires personnelles.(pièce 59).

La cour retient que Mme [R] présente des faits qui pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

En réplique l’employeur fait valoir que les lettres écrites par le syndicat SNEA CGT ne sont pas signées et qu’il n’est pas justifié qu’elles ont été adressées à leurs destinataires ou même que l’ESA en ait eu connaissance.Il souligne au demeurant qu’elles ne font pas état de faits précis et qu’un contentieux l’oppose à leur auteur (M. [B] secrétaire général, section ESA SNEA CGT-Culture à l’ESA). Il ajoute que le certificat médical produit ne fait que reprendre les dires de Mme [R] et que le médecin ne l’a pas saisi du cas de cette dernière.

La cour retient qu’il n’est pas établi que les lettres établies au nom de syndicat SNEA CGT-Culture n’auraient pas été envoyées à leurs destinataires et qu’il ne peut rien être déduit du fait qu’elles ne sont pas signées s’agissant de copies. Il en résulte différentes alertes tant sur le contenu et la pérennité du poste de Mme [R] dont il n’est pas contesté qu’elle a été écartée du groupe de travail relations internationales, qui était son domaine et non associée à certaines décisions faute de concertation et d’information des décisions de la direction, provoquant désorganisation, suppression de cours et communication erronée aux étudiants (pièce 37 salariée). Il n’est pas contesté que M. [O] pouvait être colérique et hausser le ton jusqu’à hurler sur ses collaborateurs, ce qui était de nature à les impressionner et que Mme [R] en a fait l’expérience en assistant un salarié à l’occasion d’un entretien préalable. Il est justifié que la dégradation de ses conditions de travail et de santé a été évoquée avec le médecin de travail en avril 2014 et que l’employeur ne peut prétendre ne jamais avoir été saisi de son cas, puisqu’il est justifié d’un courrier de ce dernier adressé à l’employeur le 22 avril 2015, faisant référence à une précédente missive datée du 30 septembre 2014, restée sans réponse, par laquelle il formulait une alerte sur l’état de « vos salariés» (sans distinction) et la nécessité d’évaluer les risques psychosociaux et organisationnels au sein de l’ESA, sans qu’il soit justifié qu’il y ait été donné suite.

La cour en déduit que l’ESA ne justifie pas que les faits dénoncés et les décisions prises sont étrangers à tout harcèlement moral, lequel est établi.

Par ajout de la décision, les premiers juges n’ayant pas statué sur ce point, il convient d’allouer à Mme [R] une somme de 3.000 euros à titre d’indemnité pour harcèlement moral que l’employeur n’a pas prévenu.

Sur les autres dispositions

La cour rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

Partie perdante l’ESA est condamnée aux dépens d’instance et d’appel, le jugement déféré étant confirmé sur ce point et à verser à Mme [R] la somme de 2.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

REJETTE l’exception d’irrecevabilité des écritures de l’association Ecole spéciale d’architecture (ESA) du 21 décembre 2022 sur la demande relative au préjudice moral.

CONFIRME le jugement déféré.

Et y ajoutant :

CONDAMNE l’association Ecole spéciale d’architecture (ESA) à payer à Mme [F] [R] une indemnité de 3.000 euros en réparation du préjudice moral lié au harcèlement moral.

RAPPELLE que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

CONDAMNE l’association Ecole spéciale d’architecture (ESA) à payer à Mme [F] [R] une somme de 2.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE l’association Ecole spéciale d’architecture (ESA) aux dépens d’appel.

La greffière, La présidente.

 


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