AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois mai mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller JORDA, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DINTILHAC ;
Statuant sur les pourvois formés par :
– Y… Guy,
– Z… Dominique, contre l’arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, 5ème chambre, du 19 août 1993, qui les a condamnés, le premier, pour publicité de nature à induire en erreur, à 6 mois d’emprisonnement assortis du sursis et 50 000 francs d’amende, le second, pour escroquerie, à 1 an d’emprisonnement assorti du sursis et 200 000 francs d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I – Sur le pourvoi de Dominique Z… :
Attendu qu’aucun moyen n’est produit à l’appui du pourvoi ;
II – Sur le pourvoi de Guy Y… ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de la loi du 27 décembre 1973, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré Guy Y… coupable de publicité mensongère ;
« aux motifs que la simple imprudence ou négligence suffit à caractériser l’infraction de publicité mensongère ;
que Guy Y… ne pouvait ignorer que la publicité contenait des allégations et présentations fausses dans la mesure où il attestait avoir personnellement expérimenté la méthode des « chiffres millionnaires » qui lui aurait fait réaliser des gains importants ;
qu’il ne peut se retrancher derrière sa croyance en la numérologie alors qu’il ne s’est pas assuré que c’était cette technique qui était utilisée, bien qu’il lui appartînt de s’assurer personnellement de la conformité entre ce qui était promis, à savoir une prestation personnalisée tenant compte de paramètres précis et ce qui était réalisé, une incontestable duperie fondée sur l’esprit de lucre ;
que même s’il n’a pas expressément autorisé la publication de certaines annonces faisant référence à un montant précis de gains, il n’a néanmoins émis aucune contestation pendant plus d’une année ;
« alors, d’une part, qu’il résulte des motifs de l’arrêt attaqué que les seules annonces publicitaires pour lesquelles il est avéré que Guy Y… ait donné son accord étaient libellées comme suit : « A tous les jeux, moi je gagne. Je veux faire de vous un gros gagnant.
Tentez, vous aussi de gagner grâce à vos chiffres millionnaires personnels » ;
que ces allégations ne sont pas de nature à induire le lecteur moyennement avisé en erreur dès lors que bien que faisant référence à la numérologie, elles laissent la part de l’aléa propre à tout jeu de hasard et ne peuvent induire la certitude d’un gain ;
qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les dispositions des textes susvisés ;
« alors, d’autre part, que, pour reprocher à Guy Y… la publication d’autres annonces qui proposaient un montant précis de gains et précisaient qu’en cas d’échec, le consommateur pourrait demander le remboursement de la somme initialement versée, l’arrêt attaqué, qui se borne à constater qu’il n’aurait émis aucune contestation pendant plus d’une année sans même rechercher s’il avait eu connaissance de ces annonces dont il est constaté qu’elles n’avaient pas été soumises à son agrément, n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
« alors, enfin, et en tout état de cause, que la tromperie doit porter sur une qualité substantielle du bien proposé ;
que la simple inexactitude relative aux conditions dans lesquelles des chiffres porte-bonheur destinés à être utilisés dans des loteries ou jeux de hasard auraient été déterminés à partir d’une méthode de numérologie n’est pas constitutive du délit de publicité mensongère dès l’instant où cette détermination présente, en toute hypothèse, un caractère aléatoire et est indifférente au service proposé fondé essentiellement sur le hasard ;
qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a donc pas légalement justifié sa décision » ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 44 de la loi du 27 décembre 1973, 112-1 et 121-3 (nouveaux) du Code pénal, 339 de la loi du 16 décembre 1992, 8 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, 9, 10 et 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, ensemble excès de pouvoir et violation des droits de la défense ;
« en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré Guy Y… coupable de publicité mensongère ;
« aux motifs que la simple imprudence ou négligence suffit à caractériser l’infraction de publicité mensongère ;
que Guy Y… ne peut se retrancher derrière sa croyance en la numérologie alors qu’il ne s’est pas assuré que c’était cette technique qui était utilisée, et qu’il lui appartenait de s’assurer personnellement de la conformité entre ce qui était promis, à savoir une prestation personnalisée tenant compte de paramètres précis et ce qui était réalisé, une incontestable duperie fondée sur l’esprit de lucre ;
« alors, d’une part, que l’auteur du message publicitaire doit, en connaissance de cause, articuler des allégations susceptibles d’induire le public en erreur sur la nature du bien vendu ;
que l’arrêt attaqué qui ne caractérise pas la conscience, chez Guy Y…, d’avoir permis l’utilisation de sa notoriété dans le cadre d’une opération menée dans l’intention de tromper le lecteur, n’a pas légalement justifié la décision de condamnation pour le délit de publicité mensongère ;
« alors, d’autre part, et en tout état de cause, que l’article 121-3 (nouveau) du Code pénal selon lequel il n’y a point de crime ou délit sans intention de le commettre est immédiatement applicable, en application des dispositions de l’article 112-1, dernier alinéa, du même Code, aux faits commis avant son entrée en vigueur et non encore définitivement jugés ;
qu’il ne saurait dérogé à ce principe par l’application de l’article 339 de la loi d’adaptation du 16 décembre 1992 selon lequel « tous les délits non intentionnels réprimés par des textes antérieurs à l’entrée en vigueur de cette loi demeurent constitués notamment en cas d’imprudence et de négligence, même lorsque la loi ne le prévoit pas expressément » ;
que ces dispositions étant contraires au principe de la rétroactivité in mitius selon lequel la loi pénale plus douce s’applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non définitivement jugés lors de sa promulgation, elles procèdent donc d’une violation des dispositions de l’article 15-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et des principes généraux du droit, en ce qu’ils touchent notamment aux droits de la défense ;
que, de ce fait, l’article 121-3 (nouveau) du Code pénal étant immédiatement applicable, la décision de condamnation reposant sur les prétendues négligences ou imprudences commises par Guy Y… méconnaît l’ensemble des textes et principes susvisés ;
« alors, enfin, que, dans ses écritures, Guy Y… faisait valoir qu’il n’avait eu de liens contractuels qu’avec la société IES, à laquelle il avait concédé l’utilisation de sa notoriété en vue de la commercialisation de chiffres déterminés selon les principes de la numérologie et, qu’à cet effet, il avait donné son autorisation pour la publication de documents publicitaires assurant une prestation personnalisée fondée sur ces principes ;
qu’en reprochant à Guy Y… de ne pas s’être assuré de ce que les chiffres communiqués aux consommateurs étaient bien déterminés selon les principes de la numérologie, tout en relevant, par ailleurs, que les annonces litigieuses avaient été établies par la société SALIS -société avec laquelle il n’avait eu aucun contact- ce qui lui interdisait pratiquement de vérifier, à supposer qu’il ait eu connaissance desdites annonces, la conformité des prestations offertes à celles effectivement réalisées, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision » ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu’il ressort de l’arrêt attaqué que la société SOLIS, sous-traitant de la société IES, a, avec l’accord du présentateur Guy Y…, qui leur avait concédé le droit de se servir de son nom et de sa notoriété, proposé dans des annonces publicitaires une méthode permettant, grâce à des « chiffres millionnaires » individuels « devant être déterminés suivant une formule personnalisée fondée sur l’astrologie », de gagner, à l’exemple de Guy Y…, « à tous les jeux » ;
qu’en réalité les chiffres attribués dépendaient, non de la date de naissance des consommateurs, mais de la date d’arrivée de leurs bulletins, ou résultaient du hasard ;
que Guy Y… est poursuivi pour publicité de nature à induire en erreur ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de ce délit, les juges du second degré, après avoir retenu le caractère trompeur de la publicité litigieuse, énoncent qu’en matière de publicité de nature à induire en erreur, « la simple imprudence ou négligence suffit à caractériser l’infraction » ;
qu’ils ajoutent que Guy Y… n’a pas vérifié « la conformité entre ce qui était promis, à savoir une prestation personnalisée et ce qui était réalisé » ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, exemptes d’insuffisance ou de contradiction et caractérisant en tous ses éléments constitutifs, y compris la négligence du prévenu, le délit reproché à celui-ci, la cour d’appel, qui a répondu aux conclusions dont elle était saisie, a, abstraction faite de motifs surabondants, justifié sa décision ;
Qu’il s’ensuit que les moyens ne sont pas fondés ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Simon conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Jorda conseiller rapporteur, MM. Carlioz, Aldebert, Grapinet conseillers de la chambre, Mmes X…, Verdun conseillers référendaires, M. Dintilhac avocat général, Mme Arnoult greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
1