Présentateur : 22 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04537

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Présentateur : 22 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04537

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRET DU 22 JUIN 2022

(n° , 21 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04537 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBTQH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Février 2020 -Tribunal de Grande Instance de paris RG n° 17/10553

APPELANTE

S.A. SOCIETE GENERALE

prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège, 29 Boulevard Haussmann

75009 Paris

Représentée par Me Anne ROULLIER de la SELEURL ROULLIER JEANCOURT-GALIGNANI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : W05

INTIMES

Monsieur [X] [BX]

né le 15 Décembre 1961 à Villeneuve-Saint-Georges (94),

26, rue Le Brun

75013 PARIS

Madame [D] [K]

née le 02 Juillet 1980 à Saint-Etienne (42)

46, boulevard Exelmans,

75016 PARIS

Madame [O] [G]

née le 26 Février 1972 à NICE 06

4, boulevard Julien Potin

92200 Neuilly-sur-Seine

Madame [T] [H]

née le 13 Juin 1975 à PARIS 75

142, rue de Courcelles

75008 PARIS

Madame [F] [S]

née le 01 Juillet 1969 à LILLE 59

6bis, rue Lavoisier

75008 PARIS

Monsieur [M] [E]

né le 19 Août 1966 à Amsterdam (Pays-Bas)

11, rue Clauzel

75009 PARIS

Monsieur [W] [P]

né le 20 Juillet 1972 à ANNECY 74

2bis, rue de Marnes

92380 Garches

Monsieur [A] [C]

né le 19 Avril 1952 à PARIS 75

Avenue Louise, 438

B1050 Bruxelles, Belgique

Madame [J] [B]

née le 27 Janvier 1970 à PARIS 75

26, rue Le Brun

75013 PARIS

Madame [V] [U]

née le 02 Février 1961 à PARIS 75

3, avenue Carnot

78290 Croissy-sur-Seine

Représentés par Me Virginie DOMAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C2440,avocat postulant

ayant pour avocat plaidant Me Mauricia COURREGE, avocat au Barreau de Paris subsitutée par Me Aurélie GIRAULT

SA HSBC CONTINENTAL EUROPE

anciennement dénommée HSBC FRANCE

Prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège en cette qualité.

103 avenue des Champs Elysées

75008 PARIS / FRANCE

Représentée par Me Francis MARTIN de la SELARL CABINET SABBAH & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0466

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 09 Mai 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Marc BAILLY, Président de chambre

Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère

Mme Pascale LIEGEOIS, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Pascale LIEGEOIS, Conseillère dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Anaïs DECEBAL

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marc BAILLY, Président de chambre et par Anaïs DECEBAL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*

* *

L’AARPI [BX] & associés, cabinet d’avocats d’affaires, a été victime de faits de contrefaçons et falsifications de chèques par l’une de ses employées, Mme [Z] [I], épouse [KT] entre septembre 2015 et novembre 2016, laquelle a falsifié 106 chèques, pour un montant total de 305 257,91 euros encaissés sur le compte de son beau-frère, M. [FR] [KT], ouvert dans les livres de la Société générale.

Mme [Z] [I], épouse [KT] a fabriqué de fausses factures au nom d’une étude d’huissier de justice, la SCP [R] [L] puis, une fois le chèque établi par l’office manager, les a signé en imitant la signature de l’associé en charge du dossier dont elle avait indiqué les références sur la fausse facture après avoir, au préalable, dissimulé ses détournements en envoyant à l’office manager une photocopie d’un photomontage du chèque supportant la signature de l’associé, cette fois scannée par ses soins, découpée et scotchée sur le chèque pour pouvoir ensuite être enlevée. Les chèques ont été encaissés par son beau-frère après qu’elle ait rajouté le nom de famille [KT] sur leur ordre.

Suite à la plainte déposée par le cabinet d’avocats [BX] & associés le 18 novembre 2016, le tribunal correctionnel de Paris, par jugement en date du 12 mars 2018, a pénalement condamné Mme [Z] [I], épouse [KT], et M. [FR] [KT] et les a condamnés solidairement, sur intérêts civils, à payer au Cabinet [BX] la somme de

195 265,72 euros, correspondant au montant des chèques n’ayant pas été recrédités par la société HSBC Continental europe anciennement dénommée HSBC France.

Par acte d’huissier de justice en date du 29 juin 2017, M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés ont assigné la SA HSBC Continental Europe, anciennement dénommée SA HSBC France dépositaire des fonds, devant le tribunal judiciaire de Paris. Le 20 avril 2018, ils ont assigné en intervention forcée la Société générale, banquier présentateur.

Par jugement contradictoire en date du 7 février 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

-condamné la Société Générale à payer à M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés, la somme de 193 265,72 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 7 février 2020,

-a débouté les parties du surplus de leurs demandes,

-condamné la Société générale à payer à M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés, la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens,

-rejeté la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile de la société HSBC,

ce, aux motifs que :

-concernant la responsabilité de la société HSBC, en présence d’une faute exclusive de Mme [Z] [I], épouse [KT], préposée du déposant, constituée par ses agissements délictuels, et en l’absence de négligence de la société HSBC, les chèques litigieux n’étant affectés d’aucune anomalie apparente, les paiements effectués par cette dernière ne peuvent engager sa responsabilité objective en tant que dépositaire qui, dans ces conditions, n’est pas tenue de restituer les fonds au déposant en application de l’article 1937 du code civile, et n’a pas engagé sa responsabilité sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil ;

-concernant la responsabilité de la Société Générale, en s’abstenant d’effectuer toute vérification sérieuse sur l’origine des sommes importantes qui étaient déposées sur le compte courant de M. [FR] [KT], la Société générale a engagé sa responsabilité, dont elle ne peut s’exonérer en soulevant la responsabilité des demandeurs en leur qualité de commettant ou en arguant l’existence de fautes commises par ces derniers, ces moyens étant inopérants dans le cadre de sa responsabilité fondée sur le devoir de vigilance ;

****

Par déclaration d’appel en date du 2 mars 2020, la Société Générale a formé appel de ce jugement en critiquant chacun de ses chefs.

Par déclaration d’appel en date du 24 mars 2020, M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés, ont formé appel de ce jugement à l’encontre de la Société Générale et de la société HSBC.

Par ordonnance du 5 octobre 2020, ces deux affaires ont été jointes.

Le 25 janvier 2022, le magistrat chargé de la mise en état a rendu une ordonnance ordonnant la production par la Société Générale des relevés du compte n°3003 04131 000502258996 ouvert à l’agence de la Société Générale de Champigny-sur-Marne au bénéfice de M. [FR] [KT] le 8 octobre 2008 pour la période du mois de mai 2013 au mois de mai 2015, ainsi que le jugement rendu le 20 mars 2018 (RG n°17/05685) par le tribunal judiciaire de Créteil entre M. [FR] [KT] et la Société Générale, a dit que ces pièces seront communiquées par la Société Générale dans un délai d’un mois à compter du 25 janvier 2020, sous peine d’astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l’expiration de ce délai et ce, pour un délai de 3 mois, a condamné la Société Générale aux dépens de l’incident ainsi qu’à verser à M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés, la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives en date du 30 mars 2022, la Société générale demande à la Cour de :

INFIRMER le jugement dont appel en ce qu’il a condamné la Société Générale à payer à M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés, la somme de 193 265,72 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 7 février 2020 ;

En conséquence,

DEBOUTER M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés, de l’ensemble de leurs demandes de voir la Société Générale condamnée à leur payer la somme de 193 265,72 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 février 2020 ;

Subsidiairement, si la responsabilité de la Société Générale était retenue :

CONDAMNER M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés, à assumer le préjudice subi par eux ;

CONDAMNER la société HSBC Continental Europe à participer à hauteur de 70% à la réparation du préjudice subi par M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés ;

Y ajoutant :

CONDAMNER solidairement M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés, à payer à la Société Générale une somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Les CONDAMNER solidairement aux entiers dépens tant d’appel que de première instance ;

faisant valoir pour l’essentiel que :

S’agissant de l’absence de responsabilité de la Société Générale, et plus précisément sur l’inexistence d’anomalies matérielles décelables. La falsification des chèques dont la copie a été produite n’est ni apparente, ni grossière, et ne pouvait attirer l’attention du préposé de la Société Générale. A ce titre, les membres de l’AARPI [BX] & associés avaient tout d’abord limité leur action à la banque tirée, assignée en 2017 pour avoir payé des chèques assortis d’une fausse signature. Ainsi, si le tribunal a, à bon droit, considéré que les chèques litigieux n’étaient affectés d’aucune anomalie matérielle détectable, et n’a retenu ni la responsabilité de la banque tirée, ni celle de la banque présentatrice à ce titre, le tribunal aurait cependant dû débouter les membres de l’AARPI [BX] & associés de leur demande dirigée contre la Société Générale, et ne pas retenir la responsabilité de cette dernière sur un prétendu manquement à un devoir de vigilance.

S’agissant de l’absence de responsabilité de la Société Générale, et plus précisément sur le défaut d’incidence d’éventuelles anomalies intellectuelles. L’examen apporté au fonctionnement du compte de son client par la banque est subordonné à la constatation préalable d’une anomalie justifiant que la banque soit amenée à déroger au principe de non-ingérence dans les affaires de son client. En l’espèce, aucune anomalie indépendante du fonctionnement du compte n’a été décelée, et dès lors l’AARPI [BX] & associés est infondée à solliciter la confirmation du jugement dont appel au motif erroné que la banque serait tenue à une « obligation générale de surveillance » qui, portant sur le seul fonctionnement des comptes de ses clients, serait indépendante de tout indice de malversations possibles et ne serait pas limitée par son devoir de non-ingérence. Les arrêts cités par les membres de l’AARPI [BX] & associés présentent des particularités (le titulaire du compte était une société de droit irlandais, des mouvements fréquents vers des comptes ouverts en Suisse et aux Bahamas’) qui ne sont pas réunies en l’espèce.

Par ailleurs, aucun devoir général de contrôle et de surveillance incombant au banquier ne saurait être tiré des dispositions de l’article L. 561-6 du code monétaire et financier, ces dispositions visant à prévenir l’utilisation du réseau bancaire et financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, afin d’assurer la stabilité et l’intégrité du système financier en général, ne tendant ainsi pas à la protection d’intérêts privés. Ainsi, en l’absence de falsifications apparentes sur les chèques remis à l’encaissement par M. [FR] [KT], la Société Générale n’avait pas à se préoccuper de l’origine et de la destination des fonds qui lui étaient remis en compte.

En tout état de cause, la démonstration par les membres de l’AARPI [BX] & associés selon laquelle les remises importantes de fonds auraient été suivies le jour même de retraits d’espèces successifs et rapprochés, ou d’achats conséquents, est inopérante, dès lors que d’une part M. [FR] [KT] aurait été en droit de refuser de répondre en opposant à la Société Générale son obligation de non-ingérence, et que d’autre part le compte de ce dernier présentait une provision suffisante lors de l’inscription des opérations débitrices consécutives aux encaissements litigieux, et affichait toujours par la suite un solde créditeur.

La Cour infirmera le jugement dont appel en ce qu’il a retenu la responsabilité de la Société Générale pour non-respect de son obligation de vigilance à laquelle celle-ci n’a pas été défaillante, puisqu’aucun élément de l’espèce ne pouvait justifier une quelconque surveillance du compte de son client et une entorse à son devoir de non-immixtion.

S’agissant de la responsabilité de l’AARPI [BX] & associés, et plus précisément en tant que commettant. La Société Générale est fondée à opposer à l’AARPI [BX] & associés sa responsabilité de commettant et de lui demander répondre des agissements dommageables de sa salariée qui a agi dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail, en profitant des moyens mis à sa disposition au sein du cabinet, peu important qu’elle ait pu agir dès 5 heures du matin. Ainsi, c’est conformément aux missions lui incombant que Mme [Z] [I], épouse [KT], demandait à l’office manager un chèque sur le fondement d’une facture reçue ou annoncée, procédait à des montages sur son lieu de travail pour créer l’illusion qu’elle aurait soumis le chèque à la signature d’un associé, effaçait la saisie du chèque opérée par l’office manager dans le logiciel auquel elle avait accès, et imitait ensuite la signature de l’associé. Bien que Mme [Z] [I], épouse [KT], n’ai pas eu accès au logiciel de comptabilité, celle-ci avait donc la faculté d’utiliser le logiciel pour procéder aux facturations qui relevaient de son champ de compétence.

La Cour observera que le jugement dont appel a fait une juste analyse des faits en relevant une faute exclusive du préposé pour exonérer la société HSBC, banque tirée, de toute responsabilité envers l’AARPI [BX] & associés, commettant, mais que le tribunal n’a pas tiré toutes les conséquences de cette constatation en refusant à la Société Générale de faire valoir la faute exclusive de Mme [Z] [I], épouse [KT], dont l’AARPI [BX] & associés doit seule répondre, exonérant la banque de toute responsabilité.

S’agissant de la responsabilité de l’AARPI [BX] & associés, et plus précisément de par son comportement fautif. Tout d’abord, concernant la faute de la victime, les associés de l’AARPI [BX] & associés se retranchent derrière les termes du jugement correctionnel qui n’a, selon ces derniers, « retenu aucune faute civile à l’encontre [des associés de l’AARPI [BX] & associés] et n’a en conséquence prononcé, alors qu’il pouvait le faire, aucun partage de responsabilité ». Ceux-ci prétendent que dès lors que la responsabilité civile de la victime peut être constatée par la juridiction pénale pour avoir concouru par ses fautes à la production du dommage (Cass. Crim. 19 mars 2014, n°12-87.416), le défaut de mise en cause de leur responsabilité par le tribunal correctionnel établirait l’absence de toute faute civile qui pourrait lui être imputée. Cependant, c’est parce que la responsabilité de l’AARPI [BX] & associés n’a jamais été engagée devant le tribunal correctionnel, que celui-ci ne s’est pas prononcé sur le comportement fautif des appelants, ce qui n’exclut pas pour autant l’existence d’une faute. Par ailleurs, le fait que les appelants exercent leurs activités sous la forme d’une AARPI n’impose pas à la Société Générale d’individualiser chaque faute pour chaque associé, la nature individuelle de la responsabilité des membres d’une AARPI étant limitée aux seuls actes professionnels accomplis par l’avocat à l’égard de ses clients, de même que Mme [Z] [I], épouse [KT], était la préposée de l’AARPI [BX] & associés, et non d’un seul de ses membres.

Ensuite, concernant l’absence de précaution lors de l’embauche, si l’associé en charge du recrutement de Mme [Z] [I], épouse [KT], avait pris la peine d’appeler ses précédents employeurs, ces derniers auraient pu l’informer que celle-ci avait falsifié de nombreux documents au sein du cabinet Weil Gotshal & Manges, qui s’était séparé d’elle moins d’une année auparavant, et que celle-ci n’avait jamais remboursé le montant des sommes détournées. Cette vérification était d’autant plus justifiée que Mme [Z] [I], épouse [KT], était dans le cadre de ses fonctions en charge de la facturation, ainsi qu’amenée à solliciter des règlements par chèques dont l’établissement n’était soumis à aucun contrôle préalable.

Enfin, concernant l’absence de précaution dans le processus de règlement des factures, celui-ci n’imposait pas qu’une demande d’émission de chèque fût obligatoirement accompagnée de la facture correspondante, comme confirmé par les assistantes juridiques du cabinet, ou par la comparaison des dates d’émission des chèques et des dates d’établissement des factures [Pièce SG n°19]. Par ailleurs, de nombreuses anomalies auraient dû alerter les membres de l’AARPI [BX] & associés, telles le montant particulièrement conséquent des honoraires sans devis préalable, l’identité des actes demandés, le montant toujours nul des factures, le défaut de mention de la référence du dossier au sein du cabinet, ainsi que le manque de cohérence entre le numéro de SIRET de la prétendue étude et son numéro de TVA intracommunautaire. De plus, l’AARPI [BX] & associés a fait preuve d’un comportement négligent en ne décelant les comptes fournisseurs suspects qu’à la fin de l’année 2016, alors que le rapprochement comptable effectué à la fin de l’année 2015 aurait dû aboutir aux mêmes conclusions, d’autant que la « SCP [R] » apparait dans les documents comptables de l’AARPI [BX] & associés en qualité d’avocat.

Ainsi, comme l’a reconnu le tribunal, la cause exclusive du dommage est la faute de Mme [Z] [I], épouse [KT], préposée de l’AARPI [BX] & associés, dont la responsabilité engagée de plein droit a permis au tribunal d’exonérer la société HSBC de son obligation de restituer les fonds remis sur présentation des chèques assortis de fausses signatures, agissements qui n’ont été possibles qu’en raison des manquements fautifs des membres de l’AARPI [BX] & associés qui ont contribué à la réalisation de leur préjudice qui trouve son origine dans leur négligence et leur carence.

S’agissant du partage de responsabilité avec la société HSBC. Si la Cour relevait l’existence d’anomalies apparentes et retenait la responsabilité de la Société Générale dans le dommage subi par l’AARPI [BX] & associés, déduction faite de la part de responsabilité incombant à ce dernier, la part de responsabilité mise à la charge de la banque présentatrice sera partagée avec la banque tirée, la société HSBC, à hauteur de 70% pour celle-ci qui s’st dessaisie de fonds au regard de faux chèques ne comportant pas la signature du tireur et qui n’aurait pas décelé d’éventuelles anomalies.

Aux termes de leurs dernières conclusions en date du 4 avril 2022, M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés, demandent à la Cour de :

Vu les articles 1147 (ancien) et 1231-1 (nouveau) et 1937 du code civil ;

Vu les articles 1382 et 1383 (anciens) et 1240 et 1241 (nouveaux) du même code ;

Vu les articles L. 131-38 et L. 561-6 du code monétaire et financier ;

Vu les pièces communiquées ;

A titre principal :

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la Société Générale à payer aux concluants la somme de 193 265,72 euros en réparation de leur préjudice, outre intérêts au taux légal à compter du jugement ;

INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a dit et jugé que la responsabilité de la société HSBC n’était pas engagée, et a débouté les concluants de leur demande tendant à voir celle-ci condamnée in solidum avec la Société Générale à leur verser la somme de 193 265,72 euros en réparation de leur préjudice, outre intérêts au taux légal, et en ce qu’il les a déboutés de leurs demandes tendant à voir condamnée la société HSBC à leur payer la somme de 2 000 euros en réparation de leur préjudice, outre 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, in solidum avec la Société Générale ;

Statuant à nouveau,

CONDAMNER la société HSBC, in solidum avec la Société Générale, à payer aux concluants la somme de 193 265,72 euros en réparation de leur préjudice, outre intérêts au taux légal à compter de la réception par la société HSBC France, le 10 mars 2017, de la mise en demeure de restituer et jusqu’à complet paiement ;

CONDAMNER la société HSBC à payer aux concluants la somme de 2 000 euros en réparation de leur préjudice, outre intérêts au taux légal à compter du 10 mars 2017 et jusqu’à complet paiement ;

CONDAMNER la société HSBC et la Société Générale à verser chacune la somme de

15 000 euros aux concluants pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la société HSBC et la Société Générale aux entiers frais et dépens ;

A titre subsidiaire :

CONFIRMER le jugement entrepris en l’ensemble de ses dispositions ;

Y ajoutant,

CONDAMNER la Société Générale à payer aux concluants la somme de 15 000 euros pour les frais exposés en cause d’appel en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

faisant valoir pour l’essentiel que :

S’agissant des manquements de la Société Générale, et plus précisément sur l’irrecevabilité à opposer à l’AARPI [BX] & associés une responsabilité de plein droit du commettant du fait de son préposé. En l’espèce, la Société Générale n’a subi aucun dommage du fait des agissements de Mme [Z] [I], épouse [KT], et ne peut donc invoquer la responsabilité de plein droit de l’ancien article 1384, alinéa 5 du code civil, qui serait exonératoire de sa propre responsabilité, laquelle est engagée en qualité de banque présentatrice sur le fondement de la faute. Les arrêts cités par la Société Générale sont inapplicables à l’espèce, soit parce que rendus au bénéfice d’une banque tirée, soit parce que rendus avant l’arrêt de principe de l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation du 19 mai 1988 (n°87-82.654).

Par ailleurs, si Mme [Z] [I], épouse [KT], était bien la préposée de l’AARPI [BX] & associés, il n’entrait pas dans le cadre de ses fonctions ni d’établir les chèques, ni de les faire entrer en comptabilité. Ainsi, aucune participation, facilitation ou acceptation des agissements de Mme [Z] [I], épouse [KT], ni aucune faute quelconque de surveillance ne saurait être reprochée à l’AARPI [BX] & associés, qui est la première victime des agissements de sa salariée, celle-ci ayant clairement agi en dehors de ses fonctions, sans autorisation, pour son propre compte, et à des fins étrangères à ses attributions, tout comme hors de son temps de travail.

La Cour confirmera le jugement en ce qu’il a retenu que la responsabilité du commettant du fait de son préposé ne pouvait être opposée par la Société Générale aux membres de l’AARPI [BX] et associés.

S’agissant des manquements de la Société Générale, et plus précisément sur le manquement de la Société Générale à ses obligations de banquier présentateur. Plusieurs éléments auraient dû attirer l’attention de la Société Générale dès l’automne 2015, qui aurait pu stopper les agissements frauduleux de Mme [Z] [I], épouse [KT]. Tout d’abord, certains chèques comportent des surcharges aisément décelables puisque le nom de famille « [KT] » a été manifestement surajouté sur la barre tracée par le tireur après le nom du bénéficiaire, alors que l’adjonction était manifeste et parfaitement visible, et son caractère anormal flagrant. Ensuite, le prénom du titulaire du compte figure sur le chèque de manière atypique puisque, sur la totalité des chèques, il est mentionné « [R] [L] », « [R] [L] » ou « [FR] » en lieu et place de « [FR] ». Enfin, certains chèques présentent des surcharges avant la mention du nom du bénéficiaire, ayant été libellés à l’ordre de la « SCP [R] [L] », la mention « SCP » ayant pu être transformée en « SCR » ou en « SUR », mentions singulières ne signifiant rien et qui auraient dû alerter la Société Générale, banque du bénéficiaire, qui connait l’identité de ce dernier et doit vérifier que le nom figurant sur le chèque, courant ou non, corresponde bien à celui du titulaire du compte.

La Cour constatera que, contrairement à ce qui a été retenu par le tribunal, ces chèques présentaient bien des anomalies matérielles apparentes, et que la Société Générale a manqué à ses obligations de vigilance en sa qualité de banque présentatrice.

S’agissant des manquements de la Société Générale, et plus précisément sur le manquement de la Société Générale à ses obligations de teneur de compte. Le fonctionnement anormal du compte peut constituer à lui seul une anomalie apparente susceptible d’engager la responsabilité du banquier, teneur de compte (Cass. Com. 22 novembre 2011, n°10-30101). Ainsi, à supposer qu’il n’y ait pas d’indice de falsification des chèques, le banquier reste tenu d’une obligation de vigilance appréciée notamment, selon la jurisprudence [JP en pages 20-21 des conclusions V&A], au regard du fonctionnement habituel du compte et des habitudes antérieures du client. En l’espèce, il s’agit de l’encaissement de plus de 100 chèques sur un an, et pour des montants significatifs.

En outre, en vertu des dispositions de l’article L. 561-6 du code monétaire et financier, le banquier doit, pendant la durée de la relation d’affaires, exercer sur celle-ci « une vigilance constante » et pratiquer « un examen attentif des opérations effectuées en veillant à ce qu’elles soient cohérentes avec la connaissance actualisée qu’elles ont de leur client ». Si ces dispositions ont été créées à l’origine dans un objectif de prévention de l’utilisation du système bancaire et financer aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, celles-ci sont aujourd’hui générales et s’appliquent sans restriction à tous les établissements bancaires et à tous les comptes.

Ensuite, le devoir de non-ingérence trouve sa limite dans le devoir de surveillance, et en l’espèce non seulement les chèques remis par M. [FR] [KT] présentaient des falsifications apparentes, mais de nombreux mouvements inhabituels étaient en outre entre enregistrés sur ce compte dès le mois de novembre 2015, d’autant plus manifeste que tous ces chèques avaient le même émetteur et qu’ils ont fait rapidement l’objet de remises groupées, et souvent à des dates rapprochées. Au demeurant, le crédit du compte était quasi exclusivement alimenté par les chèques frauduleux, et les remises étaient systématiquement suivies de retraits d’espèces importants, de dépenses et de virements très significatifs. Par ailleurs, sur cette période, une somme de 68 638 euros a été virée à Mme [Z] [I], épouse [KT]. De plus, la réponse de la Société Générale a été de se borner à prendre acte des besoins anormaux de retraits de son client, comptable dont les salaires étaient très limités, en lui remettant des cartes bleues permettant des retraits et montants de dépenses plus importants. Ainsi, l’exploitation strictement commerciale de la fraude par la Société Générale ne saurait permettre à cette dernière de se prévaloir sérieusement du principe de non-immixtion. Enfin, la Société Générale a bien interrogé son client, ce dernier lui ayant remis un faux contrat de travail au sein de l’AARPI [BX] & associés, un salarié ne recevant cependant pas entre 3 et 19 chèques par mois de son employeur.

En conséquence, comme l’a relevé le tribunal, la Société Générale a commis une faute dans l’exercice de son obligation de vigilance, qui a causé aux membres de l’AARPI [BX] & associés un préjudice s’élevant à la somme de 193 265,72 euros, correspondant aux chèques encaissés par M. [FR] [KT] sur son compte à la Société Générale, et qui n’ont toujours pas été recrédités sur le compte des membres de l’AARPI [BX] & associés.

La Cour confirmera la condamnation de la Société Générale à réparer le préjudice qui résulte de son manquement à ses obligations de teneur de compte pour les membres de l’AARPI [BX] & associés, soit la somme de 193 265,72 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement.

S’agissant de la responsabilité de la société HSBC, et plus précisément sur ses obligations au titre de l’article 1937 du code civil. Tout d’abord, concernant l’obligation de restitution à laquelle est tenue la société HSBC envers l’AARPI [BX] & associés en vertu des dispositions de l’article 1937 du code civil, il s’agit d’une obligation de résultat. Ainsi, l’action engagée n’est pas à titre principal, contrairement à ce que prétend la société HSBC, une action responsabilité de la banque en raison des prétendues imitations de signatures d’une associée de l’AARPI [BX] & associés et du caractère complété de l’ordre du bénéficiaire des chèques en cause, mais une action aux fins d’exécution de son obligation de résultat par la banque. De même, la société HSBC ne saurait soutenir que c’est seulement si l’absence de faute du titulaire du compte ou de son préposé est démontrée que celle-ci ne serait pas libérée envers le client qui lui a confié les fonds, sans inverser la charge de la preuve.

Ensuite, concernant les arguments opposés par la société HSBC devant le tribunal judiciaire de Paris, celui tiré de la contestation du caractère faux dès l’origine du chèque n’est pas sérieux en ce que l’enquête pénale a établi que les factures émises ne correspondaient à aucune prestation réalisée pour l’AARPI [BX] & associés, et que Mme [Z] [I], épouse [KT], a expressément indiqué, lors de ses auditions réalisées sous le régime de la garde à vue, qu’elle avait créé de toutes pièces des factures et apposé une fausse signature sur les chèques libellés à l’ordre de la « SCP [R] [L] ». S’agissant de l’argument tiré de la prétendue absence de préjudice susceptible de devoir être indemnisé dès lors que Mme [Z] [I], épouse [KT], avait été condamnée à régler à l’AARPI [BX] & associés une certaine somme au titre de dommages et intérêts, celui-ci n’est pas non plus sérieux, la victime étant libre d’agir, dans les limites de la prescription de son action, aussi longtemps qu’elle n’a pas effectivement reçu réparation, et la condamnation d’un responsable du dommage ne prive pas celle-ci d’intérêt à agir contre les tiers au titre du même dommage, l’AARPI [BX] & associés n’ayant par ailleurs pas reçu la moindre somme de la part des prévenus.

Enfin, concernant l’absence d’obligation de la société HSBC au motif que le dommage serait la cause d’une faute exclusive de la préposée, le tribunal a écarté à tort toute obligation de la société HSBC au titre de l’article 1937 du code civil au seul motif que Mme [Z] [I], épouse [KT], était bien la préposée de l’AARPI [BX] & associés, et que « c’est bien sa faute exclusive, constituée par ses agissements délictuels, qui est la cause du dommage ». En l’espèce, la responsabilité de l’AARPI [BX] & associés en sa qualité de commettant ne peut être retenue dans la mesure où les concluants, victimes d’une fraude élaborée, n’ont commis aucune faute de surveillance et où Mme [Z] [I], épouse [KT], a clairement agi en de ses fonctions, hors de son temps de travail, sans autorisation et pour son propre compte, à des fins étrangères à ses attributions [Pièces V&A n°31, 34 et 35].

La Cour infirmera le jugement dont appel sur ce point.

S’agissant de la responsabilité de la société HSBC, et subsidiairement sur sa responsabilité au titre de l’article 1231-1 du code civil. L’obligation de vérification tirée de l’article L. 131-38 du code monétaire et financier repose aussi bien sur le banquier tiré que sur le banquier présentateur, le tiré étant donc tenu de relever les anomalies apparentes d’un chèque qui lui est présenté, et devant assumer les conséquences du risque pris en s’abstenant. En l’espèce, la société HSBC aurait dû être interpellée par le fait que l’ordre du bénéficiaire sur plusieurs chèques a manifestement été modifié ou complété dans des conditions ne pouvant qu’alerter un banquier normalement diligent, notamment du fait que le nom de famille « [KT] » chevauche ou se superpose avec la barre tracée par le tireur après le nom du bénéficiaire, et que plusieurs chèques ont été libellés à l’ordre de la « SCP [R] [L] », avec des mentions telles que « SUR » ou « SCR », ne signifiant rien, qui ont été ajoutées ou modifiées avant le nom du bénéficiaire initialement inscrit.

Si la Cour estimait que la société HSBC n’était pas tenue au titre de son obligation de restitution, elle constatera que celle-ci a, en tout état de cause, commis une faute en ne vérifiant pas de manière suffisamment diligente les chèques litigieux, et jugera que la responsabilité de celle-ci est engagée à l’égard de l’AARPI [BX] & associés sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil.

S’agissant de l’existence d’une prétendue faute commise par l’AARPI [BX] & associés, et plus précisément sur l’absence de faute civile retenue par le tribunal correctionnel de Paris dans son jugement du 12 mars 2018. La société HSBC et la Société Générale soutiennent à titre subsidiaire que les membres de l’AARPI [BX] & associés auraient eu un comportement fautif qui les exonérerait totalement de leur responsabilité. Cependant, le juge pénal n’a pas retenu de faute civile à l’encontre de ceux-ci, et n’a en conséquence prononcé aucun partage de responsabilité, alors qu’il pouvait le faire (Cass. Crim. 19 mars 2014, n°12-87.416). Au demeurant, l’existence d’une faute n’est pas démontrée, et les arrêts auxquels la société HSBC et la Société Générale font référence ne sont pas applicables à l’espèce, visant des hypothèses d’absence totale de contrôle comptable ou de particulière imprudence concernant les moyens de paiement. En l’espèce, l’AARPI [BX] & associés avait mis en place un processus de paiement prudent et diligent, et la fraude de Mme [Z] [I], épouse [KT], était quant à elle extrêmement sophistiquée et astucieuse, comme relevé par le tribunal, ce qui exclut toute faute du titulaire du compte (Cass. Com. 16 novembre 1999, n°96-15.152).

S’agissant de l’existence d’une prétendue faute commise par l’AARPI [BX] & associés, et plus précisément sur la prétendue absence de précautions lors de l’embauche. Une enquête n’est pas nécessaire à chaque embauche de poste d’assistante dont l’adaptation au profil est appréciée sur la base de son CV, évaluée lors d’un entretien puis testée au cours de la période d’essai. En outre, Mme [Z] [I], épouse [KT], n’était pas en charge et responsable de la gestion de la facturation des dossiers, mais saisissait simplement des données dans le logiciel afin de préparer la facturation au client.

S’agissant de l’existence d’une prétendue faute commise par l’AARPI [BX] & associés, et plus précisément sur l’accès au logiciel de facturation des temps par la préposée. Il est classique que les assistantes des avocats s’occupent de préparer leur facturation, qu’elles aient pour cela accès au logiciel de facturation, et que les avocats valident ensuite les factures et frais sur la base des données renseignées. Cependant, Mme [Z] [I], épouse [KT], n’était pas en charge de l’enregistrement des factures de comptabilité et n’avait pas accès au logiciel comptable du cabinet.

S’agissant de l’existence d’une prétendue faute commise par l’AARPI [BX] & associés, et plus précisément sur la prétendue absence de contrôle préalable ou a posteriori des fausses factures. Ces griefs sont injustifiés car il ressort tant des pièces communiquées que de la procédure pénale que Mme [Z] [I], épouse [KT], établissait une fausse facture qu’elle transmettait à l’office manager de l’AARPI [BX] & associés en même temps que la copie du chèque signé et, dans les cas où la facture n’était pas transmise immédiatement, ce qui arrive lorsqu’un huissier missionné en urgence sollicite une provision mais n’adresse sa facture qu’une fois l’acte dressé, l’office manager à qui avaient préalablement été indiqués le nom du dossier et le montant des frais relançait alors Mme [Z] [I], épouse [KT], qui les lui adressait sans difficulté. Par ailleurs, il est fréquent que les demandes de provisions ne soient pas formulées par écrit, et la circonstance que le chèque soit émis dans 48 heures avant ou après la facture constatant qu’il l’avait été en provision est indifférente.

En outre, les coûts associés à ces différents actes ne présentaient à première vue rien de surprenant, et la mention d’un reste dû nul non plus dans la mesure où la facture est le plus souvent postérieure et indique que le montant a d’ores et déjà été réglé à titre provisionnel. Par ailleurs, il est banal que les huissiers sollicitent et obtiennent le paiement de provisions, puis établissent des factures sans avoir dressé au préalable des factures de provision.

Enfin, le caractère fictif de l’étude d’huissiers n’a rien d’évident, et ce n’est qu’à la suite de l’analyse détaillée du compte fournisseur et à différentes investigations complémentaires que Maître [X] [BX] a découvert que cette étude n’existait pas.

S’agissant de l’existence d’une prétendue faute commise par l’AARPI [BX] & associés, et plus précisément sur la prétendue absence de précautions lors des vérifications comptables. L’AARPI [BX] & associés est un cabinet d’avocats d’affaires de taille importante, ses relevés de compte sont mensuellement pointés par un cabinet d’experts comptables en charge d’une mission d’enregistrements comptables, de rapprochement bancaire et de présentation des comptes de l’AARPI pour les exercices de 2015 et 2016. Ce dernier est le seul à pouvoir entrer dans le logiciel comptable, comptant environ 25 000 écritures par an, et Mme [Z] [I], épouse [KT], n’y avait pas accès. Ainsi, il est inexact d’affirmer que l’AARPI [BX] & associés aurait été défaillante dans la tenue et la surveillance de sa comptabilité, tout comme il faux d’affirmer que les membres de l’AARPI [BX] & associés auraient eu un comportement négligent à l’occasion de la clôture de l’exercice comptable de 2015 et lors de l’établissement des déclarations fiscales, la fraude étant indétectable par l’expert-comptable lors du rapprochement comptable de novembre 2015, seuls deux faux chèques justifiés par des factures et totalisant 6 364,34 euros ayant été débités du compte aux mois de septembre et octobre 2015. Par ailleurs, la vérification du numéro de SIRET n’est ni obligatoire, ni d’usage.

La Cour confirmera le jugement dont appel en ce qu’il a condamné la Société Générale à payer aux membres de l’AARPI [BX] & associés la somme de 193 265,72 euros avec intérêt au taux légal à compter du jugement, et l’infirmera en ce qu’il a dit et jugé que la responsabilité de la société HSBC n’était pas engagée.

S’agissant de l’article 700 du code de procédure civile. La Cour condamnera la société HSBC et la Société Générale à payer aux concluants la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance et en appel. A titre subsidiaire, la Cour confirmera le jugement entrepris en l’ensemble de ses dispositions et condamnera la Société Générale à payer aux concluants la somme de 15 000 euros pour les frais exposés en cause d’appel, en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 4 mars 2022, la société HSBC Europe Continental anciennement dénommée HSBC France demande à la Cour de :

Vu les articles 1144 (ancien), 1231-1 et 1937 du code civil ;

Vu les articles 1384 alinéa 5 et 1382 (anciens) du code civil, devenus les articles 1242 alinéa 5 et 1240 du code civil ;

Vu l’article L. 131-38 du code monétaire et financier ;

Vu les pièces communiquées aux débats ;

RECEVOIR la société HSBC en ses demandes, l’y déclarer bien fondée, et débouter tant les membres de l’AARPI [BX] & associés que la Société Générale de toutes leurs demandes, fins et prétentions formulées contre la société HSBC ;

Ce faisant,

CONFIRMER le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 7 février 2020 en ce qu’il a débouté sur le fondement des dispositions de l’article 1384 alinéa 5 (ancien) du code civil, du chef de la responsabilité du commettant des faits de son préposé, M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés, de toutes leurs demandes et prétentions formulées à l’encontre de la société HSBC ;

Y ajoutant,

DIRE ET JUGER mal fondés M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés, en application des dispositions de l’article 1382 (ancien) du code civil, devenu l’article 1240 du code civil, au regard des fautes commises ; en conséquence,

Les DEBOUTER de toutes leurs demandes, fins et prétentions formulées à l’égard de la société HSBC ;

Subsidiairement :

DECLARER mal fondées les prétentions formulées par la Société Générale à l’encontre de la société HSBC ; en conséquence,

L’en DEBOUTER ;

Plus subsidiairement, si la responsabilité de la société HSBC venait à être retenue :

DIRE ET JUGER que dans le rapport de la Société Générale, banque présentatrice et de la société HSBC, banque tirée, la société HSBC ne saurait être tenue au-delà de 20% des sommes réclamées par les membres de l’AARPI [BX] & associés ;

En tout état de cause :

CONDAMNER solidairement M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés, à payer à la société HSBC la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Les CONDAMNER solidairement aux entiers dépens, tant d’appel que de première instance ;

faisant valoir pour l’essentiel que :

S’agissant de la responsabilité de l’AARPI [BX] & associés, exonératoire de toute responsabilité de la société HSBC en application de l’article 1242 alinéa 5 du code civil, et plus précisément sur la faute exclusive du préposé. Mme [Z] [I], épouse [KT], était salariée de l’AARPI [BX] & associés au moment des faits litigieux intervenus au cours de la période du 28 septembre 2015 au 18 novembre 2016, dans le cadre d’un CDI signé le 20 juillet 2015, en qualité d’assistante, disposant expressément que celle-ci serait responsable de la facturation des associés de l’AARPI [BX] & associés. En conséquence, c’est dans le cadre de ses fonctions que Mme [Z] [I], épouse [KT], a pu détourner les chèques que l’AARPI [BX] & associés lui avait remis, dans la mesure où il est établi que les agissements de celle-ci ont eu lieu au sein du cabinet, durant ses heures de travail, à l’occasion des fonctions pour lesquelles elle était employée, et avec les moyens laissés à sa disposition par le cabinet. Ainsi, comme l’a jugé le tribunal, Mme [Z] [I], épouse [KT], était bien préposée de l’AARPI [BX] & associés, et c’est la faute exclusive de celle-ci, constituée par ses agissements délictuels, qui est la cause du dommage.

S’agissant de la responsabilité de l’AARPI [BX] & associés, exonératoire de toute responsabilité de la société HSBC en application de l’article 1242 alinéa 5 du code civil, et plus précisément sur l’absence de faute de la société HSBC. Les associés de l’AARPI [BX] & associés, à défaut de pouvoir démontrer une anomalie matérielle apparente qui affecterait les chèques objets du litige, tentent de se prévaloir à l’encontre de celle-ci d’une prétendue anomalie intellectuelle manifeste. Cependant, la banque tirée n’avait pas et ne pouvait pas contrôler la cohérence de la dénomination du bénéficiaire et, partant, la société HSBC ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir décelé que la dénomination du bénéficiaire comportait à tort les lettres « SCP », « SCR » ou même « SUR », alors qu’il n’est pas rare que les dénominations sociales soient composées d’abréviation, et qu’en conséquence nul ne saurait y voir une anomalie apparente en soi pouvant engager la responsabilité de la société HSBC. Ainsi, comme l’a jugé le tribunal, la société HSBC, banque tirée, n’a commis aucune négligence au regard des chèques litigieux.

S’agissant de la responsabilité de l’AARPI [BX] & associés, exonératoire de toute responsabilité de la société HSBC en application de l’article 1240 du code civil, et plus précisément sur l’absence de précaution lors de l’embauche. Contrairement à ce qu’a estimé le tribunal, l’absence de vérification et de renseignements pris auprès de précédents employeurs avant l’embauche d’une assistante caractérise une faute de l’AARPI [BX] & associés, cette précaution étant élémentaire et d’usage entre confrères, d’autant que les fonctions de Mme [Z] [I], épouse [KT], devaient notamment la conduire à avoir connaissance de documents confidentiels, et à gérer la facturation du cabinet. Ainsi, le fait les dernières expériences de Mme [Z] [I], épouse [KT], au sein des cabinets White & Case et Jones Day aient été de très courte durée, de novembre 2014 à mai 2015, aurait dû inciter l’AARPI [BX] & associés à prendre contact avec le cabinet Weil Gotshal & Manges chez qui celle-ci avait été assistante juridique de septembre 2011 à octobre 2014, qui lui aurait indiqué que celle-ci avait détourné des fonds au sein de ce dernier cabinet.

S’agissant de la responsabilité de l’AARPI [BX] & associés, exonératoire de toute responsabilité de la société HSBC en application de l’article 1240 du code civil, et plus précisément sur l’absence de précaution dans le suivi du règlement des factures. Tout d’abord, Mme [Z] [I], épouse [KT], pouvait accéder sans contrôle au logiciel de gestion des temps et de facturation, pour entrer des données, notamment d’imputation de frais à un client ou à un dossier particulier, alors que celle-ci était nouvellement embauchée et n’avait pas la qualité de gestionnaire.

De plus, Mme [Z] [I], épouse [KT], avait accès aux formules de chèques lors de leur établissement et de leur signature, sans contrôle préalable ou a posteriori, lesdits chèques étant remis directement une fois complétés des montants et de l’ordre que celle-ci indiquait à l’office manager.

En outre, les chèques litigieux ont été remis à Mme [Z] [I], épouse [KT], sans aucun justificatif susceptible de justifier l’émission desdits chèques, cette faille dans le contrôle des factures étant reconnue par l’AARPI [BX] & associés, qui précise que les chèques étaient remis aux assistantes sur le fondement d’une facture « reçue ou annoncée».

Enfin, la faute de l’AARPI [BX] & associés résulte de son absence de vérification des factures à l’origine des chèques litigieux, la plupart étant postérieures aux chèques, et certaines ne pouvant justifier un paiement dans la mesure où elles mentionnaient un restant dû nul. Par ailleurs, un cabinet d’avocats doit nécessairement connaitre l’identité de ses huissiers correspondants, et ne saurait en conséquence avaliser pendant 14 mois 146 chèques représentant un montant total de 350 531,89 euros pour une étude inconnue et en définitive fictive, alors qu’une simple vérification de numéro de SIRET indiqué sur la facture aurait permis de vérifier que la « SCP [R] » n’existait pas.

S’agissant de la responsabilité de l’AARPI [BX] & associés, exonératoire de toute responsabilité de la société HSBC en application de l’article 1240 du code civil, et plus précisément sur l’absence de surveillance des relevés bancaires, et des rapprochements bancaires dans le cadre d’une vérification comptable et d’un contrôle a posteriori. Tout d’abord, il appartenait aux associés de l’AARPI [BX] & associés d’effectuer les diligences normales dans l’évolution du compte bancaire du cabinet et, en particulier, de vérifier régulièrement ses relevés de compte, d’effectuer des rapprochements bancaires et de réagir rapidement en cas d’anomalie, les faits reprochés à Mme [Z] [I], épouse [KT], le détournement durant 14 mois de 146 chèques faux pour un montant supérieur à 350 000 euros.

En outre, l’AARPI [BX] & associés ne justifie d’aucune vérification comptable durant 14 mois, la fraude alléguée ayant été découverte à la suite de certains rapprochements comptables effectués en fin d’année 2016 alors qu’un premier rapprochement comptable effectué à l’approche de la fin de l’exercice comptable devait avoir lieu en novembre 2015 et, de ce seul chef, la société HSBC doit a minima être exonéré de tous les chèques postérieurs au mois de novembre 2015, soit 63 chèques sur les 66 listés par les membres de l’AARPI [BX] & associés dans leur pièce n°28, pour un montant total de 186 201,38 euros.

Enfin, il appartenait à l’AARPI [BX] & associés d’effectuer des vérifications particulières concernant l’étude d’huissiers « SCP [R] », laquelle était inconnue des avocats du cabinet jusqu’à l’arrivée en 2015 de Mme [Z] [I], épouse [KT], qui était la seule à y avoir recours, qui figurait en qualité d’avocat sur la déclaration d’état d’honoraire payé, et qui émettait des factures pour des sommes en dehors du tarif règlementé des huissiers.

La faute du titulaire du compte étant de nature à exonérer la banque dès lors qu’elle est considérée comme à l’origine de la création de son propre dommage, la Cour déboutera les membres de l’AARPI [BX] & associés de toutes leurs prétentions formulées à l’encontre de la société HSBC.

S’agissant des prétentions de la Société Générale formulées à l’encontre de la société HSBC, et plus précisément sur la responsabilité totale et finale de la banque présentatrice. L’ensemble des 66 chèques objets du litige sont tous, pour la période du 28 septembre 2015 au 8 septembre 2016, inférieurs à la somme de 5 000 euros, et sont en conséquence non circulants. Ainsi, le rôle de la Société Générale, banque présentatrice, étant d’autant plus déterminant, et il lui appartenait, s’il existait une irrégularité manifeste du chèque, de ne pas le présenter à l’encaissement et de procéder à son rejet dès ce stade. En conséquence, la Société Générale doit assurer la responsabilité entière et finale du préjudice invoqué par les associés de l’AARPI [BX] & associés.

S’agissant des prétentions de la Société Générale formulées à l’encontre de la société HSBC, et plus subsidiairement sur la responsabilité partagée des banques. La société HSBC, banque tirée, n’était pas en mesure de vérifier la régularité des chèques non circulants, et ce contrairement à la Société Générale, banque présentatrice, qui est la première à pouvoir déceler les anomalies apparentes.

Si la Cour venait à retenir la responsabilité in solidum et finale des banques dans le préjudice invoqué par les membres de l’AARPI [BX] & associés du fait de l’anomalie apparente des chèques litigieux, la Cour retiendra un partage de responsabilité à hauteur de 20% à la charge de la société HSBC, et à hauteur de 80% à la charge de la Société Générale.

S’agissant de l’article 700 du code de procédure civile. La Cour condamnera les membres de l’AARPI [BX] & associés à payer à la société HSBC la somme de 10 0000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 19 avril 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

En vertu de l’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 et de l’article 1937 du code civil, le banquier n’est, en principe, pas libéré envers le client qui lui a confié des fonds quand il se défait de ces derniers sur présentation d’un faux ordre de paiement revêtu dès l’origine d’une fausse signature.

En revanche, si l’établissement de ce faux ordre de paiement a été rendu possible à la suite d’une faute du titulaire du compte, ou de l’un de ses préposés, le banquier n’est tenu envers lui que s’il a lui-même commis une négligence et ce, seulement pour la part de responsabilité en découlant.

Par ailleurs, en application de l’article L.131- 38 du code monétaire et financier, la banque tirée comme la banque présentatrice du chèque est tenue de vérifier de la régularité formelle du chèque et en s’abstenant de le faire, elle prend un risque dont elle doit assumer les conséquences.

Sur la responsabilité de la société HSBC Continental Europe, banque tirée

Il est établi que les 106 chèques litigieux tirés sur le compte de l’AARPI [BX] & associés ouvert auprès de la société HSBC Continental Europe et encaissés sur le compte ouvert au nom de M. [FR] [KT] dans les livres de la Société générale pour un montant total de 305 257 euros, entre septembre 2015 et novembre 2016 sont revêtus de fausses signatures qui ont été apposées, non par les personnes habilitées à signer les chèques au sein du cabinet d’avocat [BX] & associés, mais par une préposée, assistante juridique bilingue, Mme [Z] [I] épouse [KT] qui a reconnu avoir détourné ces fonds.

Une partie de ces chèques a été recréditée ou n’a pas été débitée sur le compte de l’AARPI [BX] & associés de sorte que celle-ci recherche la responsabilité civile des banques au titre de soixante six chèques d’un montant total de 195 265,72 euros mais dont elle demande le paiement à hauteur de 193 265,72 euros seulement.

Il aparaît donc que la société HSBC Continental Europe, banque tirée, qui s’est dessaisie des fonds sur présentation de faux ordres de paiement, ne peut s’exonérer de sa responsabilité qu’en démontrant que les paiements litigieux ont pour cause exclusive ou partielle un fait imputable à sa cliente.

A ce titre, il convient de relever que les membres du cabinet d’avocats [BX] & associés ne démontrent ni même ne reprochent à la banque tirée de ne pas avoir décelé une anomalie apparente affectant les fausses signatures réalisées par Mme [Z] [I] épouse [KT] sur les chèques litigieux laquelle a reconnu dans le cadre de l’enquête pénale avoir imitée, de sa main, celle de plusieurs avocats associés et en particulier celle de Mme [J] [B].

Concernant le mode opératoire de la fraude, Mme [Z] [I] épouse [KT] a expliqué qu’étant chargée de la facturation des avocats associés avec lesquels elle travaillait, elle demandait à Mme [N] [Y], office manager ou responsable administrative au sein du cabinet d’avocats détentrice des formules de chèques, d’établir des chèques à l’ordre d’une fausse étude d’huissier de justice qu’elle avait dénommée SCP [R] [L], en les justifiant par de fausses factures d’honoraires qu’elle confectionnait sur son ordinateur, pour ensuite modifier cet ordre, au retour des chèques entre ses mains, en y ajoutant le nom de famille [KT] et les signer en imitant la signature d’un associé après avoir dans un premier temps renvoyé à Mme [Y] une photocopie du chèque supportant la signature de l’associé apposée, cette fois, à l’aide d’un photomontage d’une signature scannée de celui-ci pour justifier auprès de cette dernière de la sortie comptable de ce chèque.

Il ressort de la photocopie recto verso des chèques litigieux versées aux débats que Mme [Z] [I] épouse [KT] a été amenée à transformer sur 7 de ces chèques dont l’ordre était précédé de la mention SCP, le P en R et en rajoutant à la suite de [R] [L] le nom de famille [KT], afin qu’ils puissent être encaissés par son beau-frère avec un bénéficiaire alors désigné comme étant SUR ou SCR suivi de [R] [L] ou [R] [L] [KT].

A ce titre,le fait que le nom du bénéficiaire indiqué sur 7 des chèques litigieux comme étant [R] [L] [KT] ou [R] [L] [KT] soit précédé de ces mentions SCR ou SUR ne constituait pas une anomalie apparente décelable par la société HSBC Continental Europe, cette mention SCR ou SUR ne constituant pas une surcharge ou un grattage et n’étant pas susceptible d’attirer l’attention de la banque tirée qui ne connait pas l’identité exacte du bénéficiaire du chèque, client d’une autre banque, en l’occurrence de la Société générale.

En revanche, il apparaît que le premier faux chèque litigieux établi par Mme [Z] [I] épouse [KT], le 28 septembre 2015, d’un montant de 3 192,17 euros mentionnant comme bénéficiaire [R] [L] [KT] présente une autre particularité en ce que le patronyme de [KT] est collé à la mention [L] et que ses trois dernières lettres de ce nom, à savoir le U, le E et le T sont clairement barrées par le début du trait fait par le rédacteur de l’ordre du chèque légèrement au-dessus de la ligne de la formule de chèque prévue pour y désigner le bénéficiaire.

Or, un tel biffage partiel d’une partie du nom du bénéficiaire du chèque constitue une anomalie apparente de nature à attirer l’attention d’un employé de banque normalement diligent sur l’existence d’une fraude par falsification de l’ordre du chèque alors même que l’usage très répandu pour le rédacteur d’un chèque de tracer, à la suite du nom du bénéficiaire qu’il appose, un tel trait a justement pour but d’éviter que des ajouts postérieurs ne soient faits à son insu concernant celui-ci.

Le fait que ce chèque soit d’un montant de moins de 5 000 euros et partant, non circulant, ne saurait exonérer la banque tirée de son obligation de vérification de sa régularité formelle du chèque, les accords entre les banques conduisant ainsi à ce qu’elle ne soit pas en mesure d’exercer son contrôle formel du chèque étant pris à ses risques et périls.

La société HSBC Continental Europe a donc manifestement manqué à son obligation de vigilance en acceptant le paiement de ce chèque alors même que le nom de [KT] avait été manifestement rajouté sur son ordre en chevauchant clairement et partiellement le trait pourtant tracé par le tireur et elle a donc engagé sa responsabilité contractuelle à ce titre à l’égard de ses clients, les associés du Cabinet [BX] & associés.

Sur la responsabilité de la Société générale, banque présentatrice

Le banquier présentateur, qui doit vérifier la régularité formelle des chèques, ne peut procéder à leur encaissement qu’au profit des bénéficiaires désignés sur les titres ou des endossataires et il doit contrôler la correspondance entre le nom du bénéficiaire et celui du titulaire du compte.

En l’espèce, l’examen des chèques litigieux permet de relever que sur 7 d’entre eux, établis les 9 octobre 2015, 22 octobre 2015, 8 décembre 2015, 6 janvier 2016, 1er mars 2016 et 10 juin 2016 pour des montants de 3 182,17 euros, 2 700 euros, 2 600 euros, 2 700 euros, 2 700 euros, 3 000 euros et 3 000 euros le nom du bénéficiaire, à savoir, [R] [L] [KT], est précédé de la mention SUR ou SCR.

Outre que cette mention est dépourvue de sens, elle ne correspond pas, en tout état de cause, au nom comme à l’intitulé, du compte bancaire de son client, à savoir « M. [FR] [KT] ».

Or, cette anomalie dans la désignation du bénéficiaire du chèque, si elle n’est pas decelable par la banque tirée, ne peut en revanche échapper au banquier présentateur teneur du compte de celui-ci.

De même, il n’a pu échapper à la Société générale, laquelle a eu en sa possession l’original du chèque du 28 septembre 2015, que le nom de [KT] était collé au prénom de son client et qu’il était en partie rédigé par dessus le trait pourtant tiré par le rédacteur de l’ordre du chèque.

Pour ne pas avoir relever ces anomalies apparentes décelables par un employé de banque normalement attentif, la Société générale, a manqué à ses obligations.

En revanche, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir relevé un fonctionnement anormal du compte de M. [FR] [KT] à compter du mois de septembre 2015 et jusqu’en novembre 2016 tenant au fait que sont client avait encaissé de nombreux chèques d’un montant de l’ordre de 3 000 euros pendant cette période, pour un montant total de près de 305 000 euros, accompagnés de retraits ou virements de fonds importants alors même qu’elle n’a pas à s’immiscer dans les affaires de son client, la production d’un faux contrat de travail de M. [FR] [KT] à sa banque, établi par Mme [Z] [I] épouse [KT], pour justifier de revenus plus importants ayant été, au regard des auditions des mis en cause par les services de police, motivée par le rejet de 29 chèques falsifiés en septembre 2016 et octobre 2016, en raison d’anomalies les affectant.

Enfin, aucun devoir général de contrôle et de surveillance incombant au banquier ne peut être tiré des dispositions de l’article L. 561-6 du code monétaire et financier, ces dispositions visant à prévenir l’utilisation du réseau bancaire et financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme et d’autres infractions, afin d’assurer la stabilité et l’intégrité du système financier en général, lesquelles ne tendent pas à assurer la protection d’intérêts privés.

Sur la faute du client ou de l’un de ses préposés

Il ne saurait être reproché à l’AARPI [BX] & associés de ne pas s’être rapprochée des anciens employeurs de Mme [Z] [I] épouse [KT] aux fins de vérifier sa probité lors de son recrutement alors même qu’aucun élément ne lui permettait d’en douter, au vu de son parcours professionnel tel que résultant de son curriculum vitae.

En revanche, il ressort des pièces produites que l’organisation mise en place par le cabinet d’avocats [BX] & associés ne permettait pas un contrôle suffisant tant de la facturation confiée aux assistantes juridiques que des mouvements opérés en comptabilité et sur les comptes bancaires quand bien même Mme [Z] [I] épouse [KT] avait mis en place un système de fraude subtil à l’insu de ses employeurs.

En effet, si une telle fraude a pu perdurer 14 mois sans être détectée alors même qu’elle a porté sur le détournement d’une somme de plus de 300 000 euros c’est que la création d’un faux fournisseur par Mme [Z] [I] épouse [KT] tenant à une étude d’huissier de justice [FR], totalement inexistante, facturant néanmoins plusieurs milliers d’euros par mois n’a attiré l’attention de personne, notamment de l’office manager chargée pourtant d’établir chaque mois plusieurs chèques à l’ordre de cette étude et en particulier 7 chèques d’un montant de l’ordre 3 000 euros chacun en avril 2016, 11 chèques de montants du même ordre en juin 2016, 19 chèques de 3 000 euros chacun en juillet 2016, pas plus que ce poste de dépense n’a fait l’objet de recoupements ou de vérification en cours d’exercice et avant la fin de l’année 2016, en raison d’une comptabilité externalisée.

Dans ces conditions, s’il ne peut être retenu que la faute de la préposée du cabinet d’avocats [BX] & associés, Mme [Z] [I] éposue [KT], est exclusivement à l’origine du dommage subi par celui-ci, les banques ayant elles-même commis des manquements à leurs obligations, il n’en reste pas moins que le défaut de contrôle de sa préposée et de surveillance de sa comptabilité a largement concouru à sa persistance dans le temps.

Sur le partage de responsabilité et le préjudice

La faute retenue à l’encontre de la société HSBC Continental Europe, si elle se limite à une anomalie matérielle affectant un seul chèque d’un montant de 3 182,17 euros établi le 28 septembre 2015 porte néanmoins sur l’un des premiers chèques falsifiés par Mme [Z] [I] épouse [KT] de sorte que ce manquement a également retardé la détection rapide de la fraude.

Il en va de même de la faute retenue à l’encontre de la Société générale qui porte, en outre, sur 7 chèques affectés d’anomalies apparentes qu’elle a présentés à l’encaissement entre le mois d’octobre 2015 et le mois de juin 2016, pour un montant total de 19 882,17 euros.

Néanmoins, compte tenu de la propre négligence retenue à l’encontre du cabinet d’avocats [BX] & associés, la part de responsabilité respective de la banque tirée, la société HSBC Continental Europe anciennement dénommée HSBC France, et de la banque présentatrice, la Société générale, dans la survenance du dommage doit être fixée à 10 % et 20 %.

Alors qu’il n’est pas contesté que le dommage subi au titre des 65 chèques contrefaits et falsifiés est de 195 265,72 euros comme l’établit la pièce n°28 produite par les associés du cabinet [BX] & associés, lesquels ne demandent néanmoins réparation que de la somme de 193 265,72 euros à la Société générale, il convient de condamner la société HSBC Continental Europe anciennement dénommée HSBC France à leur payer la somme de

19 526,58 euros (10 % x 195 265,82) et la Société générale à leur payer la somme de

38 653,16 euros (20 % x 193 265,82).

Les fautes des deux banques ayant concouru à la réalisation du même dommage, il convient de les condamner in solidum au paiement de ces sommes mais dans la limite de 19 526,58 euros pour la société HSBC Continental Europe.

La sommes dues par la banque tirée produiront intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 mars 2017 et celles due par la banque présentatrice à compter de la décision de condamnation de première instance, soit du 7 février 2020.

Par conséquent, le jugement entrepris est infirmé en ce qu’il a débouté les associés de l’AARPI [BX] & associés de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de la société HSBC Continental Europe anciennement dénommée HSBC France et en ce qu’il a condamné la Société générale à leur payer la somme de 193 265,82 euros, la société HSBC Continental Europe anciennement dénommée HSBC France étant condamnée à leur payer la somme de 19 526,58 euros et la Société générale celle de 38 653,16 euros.

Le jugement entrepris est également infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.

La société HSBC Continental Europe anciennement dénommée HSBC France et la Société générale, qui succombent en appel, supporteront les dépens de première instance et d’appel ainsi que leurs frais irrépétibles.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, il est inéquitable de laisser à la charge des associés de l’AARPI [BX] & associés les frais non compris dans les dépens exposés en appel et il convient de condamner chacune des banques à leur payer la somme de 3 000 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il retient la responsabilité civile de la Société générale,

Statuant à nouveau,

DIT la société HSBC Continental Europe anciennement dénommée HSBC France a engagé sa responsabilité civile à hauteur de 10 % du dommage subi par M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés,

DIT la Société générale a engagé sa responsabilité civile à hauteur de 20 % du dommage subi par M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés,

CONDAMNE la société HSBC Continental Europe anciennement dénommée HSBC France à payer à M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés la somme de 19 526,57 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 mars 2017,

CONDAMNE la Société générale à payer à M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés la somme de 38 653,16 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 février 2020,

DIT que les condamnations ci-dessus prononcées sont dues in solidum par la Société générale et la société HSBC Continental Europe mais dans la limite de la somme de

19 526,57 euros par cette dernière,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société HSBC Continental Europe et la Société générale aux dépens d’appel,

CONDAMNE la société HSBC Continental Europe et la Société générale, chacune à payer une somme de 3 000 euros à M. [X] [BX], Mme [T] [H], Mme [D] [K], Mme [O] [G], Mme [F] [S], M. [M] [E], M. [W] [P], M. [A] [C], Mme [J] [B] et Mme [V] [U], membres de l’AARPI [BX] & associés la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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