Présentateur : 19 octobre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/00667

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Présentateur : 19 octobre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/00667
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République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 19/10/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 22/00667 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UDDH

Jugement n° 2020022824 rendu le 18 janvier 2022 par le tribunal de commerce de Lille Métropole

APPELANTE

SARL JMP Automobiles agissant par ses représentants légaux

ayant son siège social, [Adresse 2]

représentée par Me Benoît de Berny, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉE

SA Caisse d’Epargne et de Prévoyance Hauts-de-France prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège venant aux droits et obligations de la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Nord France Europe par voie de fusion/absorption à effet du 1er mai 2017

ayant son siège social, [Adresse 1]

représentée par Me Eric Delfly, avocat constitué, substitué à l’audience par Me Jacques-Eric Martinot, avocats au barreau de Lille

DÉBATS à l’audience publique du 14 juin 2023 tenue par Pauline Mimiague magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Dominique Gilles, président de chambre

Pauline Mimiague, conseiller

Clotilde Vanhove, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 7 juin 2023

****

EXPOSÉ DU LITIGE

La société JMP Automobile détenait un compte dans les livres de la banque Caisse d’épargne et de prévoyance Hauts-de-France (ci-après ‘la Caisse d’épargne’).

Au mois de juin 2020 il a été procédé à la remise de deux chèques pour un montant cumulé de 42 860 euros dans une agence de la banque située à Mayotte et le 17 juin 2020 le montant des chèques a été porté au crédit du compte bancaire de la société JMP Automobiles.

Les 21 et 23 juillet 2020, les deux chèques ont été contrepassés par la banque avec la mention ‘chèques impayés’.

La société JMP Automobiles, expliquant qu’une personne s’était manifestée auprès d’elle comme étant le réel bénéficiaire des chèques et qu’elle avait procédé, le 1er juillet 2020, avant la contrepassation des chèques, au virement de la somme sur le compte d’un tiers, et s’estimant victime d’une escroquerie, s’est adressée à la banque pour solliciter le remboursement de ces sommes. Elle a déposé plainte à la gendarmerie de [Localité 3] le 25 juillet pour escroquerie

Devant le refus de la banque, la société JMP Automobiles l’a assignée le 7 octobre 2020 devant le tribunal de commerce de Lille Métropole aux fins de voir engager sa responsabilité et la voir condamner au paiement de la somme de 42 860 euros.

Par jugement contradictoire du 18 janvier 2022, le tribunal a :

– débouté la société JMP Automobiles de l’ensemble de ses demandes,

– condamné la société JMP Automobiles à payer à la Caisse d’épargne la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire

– condamné la société JMP Automobiles aux entiers dépens de l’instance, taxés et liquidés à la somme de 73,24 euros en ce qui concerne les frais de greffe.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 9 février 2022 la société JMP Automobiles a relevé appel du jugement en ce qu’il l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée au paiement d’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 22 mai 2023, la société JMP Automobiles demande à la cour de :

– déclarer l’appel recevable et bien fondé,

– infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

– déclarer la Caisse d’épargne responsable de son préjudice,

– condamner la Caisse d’épargne à lui payer la somme de 42 860 euros avec les intérêts depuis la perte de l’argent, soit le 23 juillet 2020,

– la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros pour résistance abusive,

– la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux frais et dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 11 mai 2023 la Caisse d’épargne demande à la cour de :

à titre principal :

– confirmer le jugement,

– débouter la société JMP Automobiles de l’ensemble de ses demandes,

à titre subsidiaire :

– la condamner à la somme limitée et maximale de 8 572 euros,

en tout état de cause :

– débouter la société JMP Automobiles de l’ensemble de ses demandes,

– la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– la condamner aux entiers frais et dépens d’instance et d’appel.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens.

La clôture de l’instruction est intervenue le 07 juin 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoiries du 14 juin suivant.

MOTIFS

Sur la demande principale

Le tribunal a débouté la société JMP Automobiles de ses demandes au motif qu’elle avait fait preuve de négligence en procédant au remboursement du bénéficiaire des chèques avant l’expiration du délai de quinze jours ouvrés suivant l’encaissement d’un chèque prévu dans la convention de compte courant signée par les parties pour permettre à la banque de procéder aux vérifications nécessaires pour contrôler la régularité de l’opération et sans avoir prévenu la banque de la suspicion d’une fraude.

Il ressort des pièces versées aux débats que :

– le 17 juin 2020 est inscrit au crédit du compte la somme de 42 680 euros, l’opération est enregistrée sous la dénomination : ‘remise de chèque 0011089 du 15/06/2020’ ; au regard de la copie des chèques, ceux-ci, datés du 4 mars 2020, ont émis par la société Ingenierie Beton Système, ayant une adresse à Mayotte, et établis à l’ordre de ‘JMP Automobiles’,

– le 1er juillet 2020 est enregistrée au débit un ‘virement SEPA par internet’ du même montant, selon le relevé d’opération l’ordre de virement a été fait au bénéfice de ‘Soualimania’,

– le 21 juillet 2020 est inscrit au débit la somme de 32 545 euros, l’intitulé de l’opération est : ‘chèque impayé n° 9207876’,

– le 23 juillet 2020 est inscrit au débit la somme de 10 315 euros, l’opération est intitulée : ‘chèque impayé n° 9207877’,

– par lettre des 5 et 10 août 2020 la banque a informé la société JMP Automobiles du motif du rejet des chèque, à savoir ‘signature non conforme’ et il lui a transmis le récépissé d’un dépôt de plainte par la société IBS en date du 18 juillet 2020 à la gendarmerie de Mayotte pour des faits de ‘vol dans un local d’habitation ou un lieu d’entrepôt – période du 01/03/2020 au 01/04/2020’ et ‘usage de chèque contrefait ou falsifié -période du 01/03/2020 au 15/06/2020’.

En premier lieu, la société JMP Automobiles invoque les dispositions contractuelles (article 6.3.2 des conditions générales de la banque) qui stipulent, selon elle, qu’est définitive toute remise au crédit après un délai de quinzaine, délai qui se compte en jours calendaires, et non en jours ouvrés, et qui court à compter de la date de la remise à l’encaissement et non de l’inscription au crédit du compte, et soutient qu’en conséquence la banque ne pouvait à l’issue du délai de 15 jours, sauf avis de suspicion, contrepasser les chèques sans l’autorisation du titulaire du compte.

L’article 6.3.2 (a) des conditions générales de la banque relatif à la remise de chèque à l’encaissement dispose que ‘en principe, le montant du chèque remis à l’encaissement est disponible dès que l’écriture de crédit apparaît sur le compte du Client, ce qui constitue une avance’. Il est ensuite prévu que la banque peut refuser de faire cette avance pour divers motifs et dans cette hypothèse qu’ ‘elle devra, pendant une période allant jusqu’à 15 jours ouvrés à compter de la date d’encaissement du chèque (ci-après ‘délai d’encaissement’ ou ‘délai d’indisponibilité’), effectuer toutes les vérifications nécessaires pour contrôler la régularité de l’opération’, qu’ ‘au plus tard à l’issue du délai de 15 jours, le compte du Client sera crédité du montant du chèque si les vérifications effectuées par la banque ont permis de s’assurer de la régularité de l’opération.’, et que ‘si à l’issue du délai de 15 jours, toute suspicion de fraude ou d’infraction n’est pas levée, la banque pourra prolonger ce délai dans la limite de 60 jours à compter de l’encaissement après en avoir informé le client par tout moyen.’

Ces dispositions instaurent la possibilité pour la banque de différer l’avance qui résulte de l’inscription au crédit du compte, mais il ne résulte pas de ces disposions qu’à l’issue d’un délai de 15 jours à compter de la date d’encaissement du chèque, la banque n’est plus en droit de contrepasser le chèque inscrit au crédit du compte. Il est d’ailleurs spécifiquement prévu à l’article 6.3.2, après les mentions rappelées ci-dessus, que ‘si un chèque revient impayé après avoir été porté au crédit du compte du Client, la Banque se réserve la faculté d’en porter le montant au débit de ce dernier, immédiatement et sans information préalable’.

Il ne saurait donc être reproché à la banque d’avoir contrepassé les chèques après l’expiration d’un délai de 15 jours suivant la mise à l’encaissement des chèques.

En second lieu, la société JMP Automobiles soutient que la banque a commis des fautes en sa qualité de banquier présentateur. Elle lui reproche d’avoir manqué à ses devoirs des articles L. 131-8 et L. 131-9 du code monétaire et financier qui lui imposent de vérifier si l’endos correspond à la signature du titulaire du compte bénéficiaire et la suite des endossements, et que, tenue à un devoir de veiller à la régularité des opérations, elle devait vérifier la régularité de l’endos. Soutenant en outre que la banque est tenue à une obligation d’alerte, la société JMP Automobiles considère qu’il lui appartenait de détecter la fraude, ‘évidente’ selon la banque elle-même, en recevant le chèque et d’en stopper la circulation en amont, avant de créditer le compte. La banque lui oppose qu’elle n’a commis aucune faute en exécutant les ordres de virements, que les chèques ne comportaient aucune anomalie apparente l’obligeant à déroger à son devoir de non-ingérence, l’endos apposé sur le titre pouvant consister en la simple apposition du nom de la société bénéficiaire, celle-ci n’étant pas titulaire d’une signature manuscrite personnelle.

Si le banquier est tenu à un devoir de non ingérence dans les affaires de son client, il a l’obligation de vérifier la régularité formelle du chèque ainsi que de vérifier si l’identité du remettant coïncide avec celle du bénéficiaire. Ainsi, quand il accepte de prendre un chèque à l’encaissement le banquier récepteur, chargé de l’encaissement d’un chèque, est tenu de vérifier la régularité apparente de l’endos apposé sur le titre.

Or en l’espèce, les deux chèques litigieux sont émis à l’ordre de ‘JMP Automobiles’ et il est mentionné au dos du chèque ‘JMP Auto’ or si cette mention paraît concorder avec le bénéficiaire du chèque, force est de constater qu’aucune signature n’est apposée de sorte que la banque ne pouvait vérifier la conformité de la signature de l’endosseur avec celle du bénéficiaire, le fait que celui-ci soit une société n’empêche pas l’apposition d’une signature par une personne ayant le pouvoir de la représenter. La cour relève en outre que l’article 6.3.2 des conditions générales de la banque prvoient que ‘dans tous les cas, il est nécessaire que le Client endosse le chèque, c’est-à-dire qu’il signe et porte au dos du chèque le numéro du compte à créditer’. De plus, les circonstances particulières de remise du chèque, à savoir dans une agence située à Mayotte alors que la société JMP Automobiles n’y exerce aucune activité et a son siège social dans le département du Nord, devaient conduire la banque à plus de vérification, même si les chèques ne présentaient, s’agissant des autres mentions, aucune anomalie apparente. Il en résulte que la banque a commis une faute engageant sa responsabilité à l’égard de la société JMP Automobiles.

La faute de la banque est à l’origine du préjudice subi par la société JMP Automobiles et constitué par la perte des fonds qu’elle a ensuite restitués à la personne se déclarant réellement bénéficiaire après avoir constaté que des sommes qui ne lui revenaient pas avaient été portées au crédit de son compte.

La société JMP Automobiles, en acceptant de procéder au remboursement sur simple demande d’un individu, se présentant comme le bénéficiaire du chèque, sans procéder à aucune vérification auprès de sa banque, alors même que la contrepassation était encore possible, a commis une négligence ayant contribué à son préjudice, étant précisé que la cour ne tire aucune conséquence à cet égard d’une précédente procédure ayant opposé les parties sur des paiements par carte bancaire dénoncés comme frauduleux par la société JMP Automobiles et manifestement sans lien avec la présente fraude.

La cour retient, au regard de l’importance de la faute de la banque, un partage de responsabilité à hauteur de 80 % pour la banque et de 20 % de la société JMP Automobiles.

En conséquence, il convient d’infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société JMP Automobiles de ses demandes et de condamner la banque à lui payer la somme de 34 288 euros avec intérêt au taux légal à compter du 24 juillet 2020, date de la mise en demeure adressée à la banque par l’assureur de la société JMP Automobiles.

Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive

Il n’est ni allégué ni justifié d’un préjudice distinct qui ne serait réparé par l’octroi des sommes allouées ci-dessus.

La demande sera en conséquence rejetée.

Sur les demandes accessoires

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, il y a lieu d’infirmer le jugement s’agissant des condamnations prononcées à titre accessoire contre la société JMP Automobiles, de mettre les dépens de première instance et d’appel à la charge de la Caisse d’épargne et d’allouer à l’appelante la somme de 3 000 euros à titre d’indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;

statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Caisse d’épargne et de prévoyance Hauts-de-France à payer à la société JMP Automobiles la somme de 34 288 euros avec intérêts au taux légal à compter du 24 juillet 2020 ;

Déboute la société JMP Automobiles de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Condamne la société Caisse d’épargne et de prévoyance Hauts-de-France aux dépens de première instance et d’appel ;

Condamne la société Caisse d’épargne et de prévoyance Hauts-de-France à payer à la société JMP Automobiles la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le greffier

Valérie Roelofs

Le président

Dominique Gilles

 


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