COUR D’APPEL
D’ANGERS
CHAMBRE A – CIVILE
YW/IM
ARRET N°
AFFAIRE N° RG 19/00043 – N° Portalis DBVP-V-B7D-EN6W
Jugement du 03 Décembre 2018
Tribunal de Grande Instance d’ANGERS
n° d’inscription au RG de première instance : 14/04066
ARRÊT DU 13 DECEMBRE 2022
APPELANT :
Monsieur [N] [C]
né le [Date naissance 3] 1941 à [Localité 15]
[Adresse 7]
[Localité 11]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/000109 du 15/01/2019 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de ANGERS)
Représenté par Me Jean BROUIN de la SCP AVOCATS DEFENSE ET CONSEIL, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 314076
INTIMES :
CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL ANGERS SAUMUROISE agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 9]
[Localité 11]
Représentée par Me José MORTREAU substituant Me Etienne DE MASCUREAU de la SCP ACR AVOCATS, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 71190017
CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE – PAYS DE LOIRE prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 5]
[Localité 10]
Représentée par Me Inès RUBINEL, en qualité d’administratrice provisoire de Me Benoît GEORGE associé de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, avocat postulant au barreau d’ANGERS, et Me Guillaume LENGLART, avocat plaidant au barreau de NANTES
CRCAM DE L’ANJOU ET DU MAINE représentée par son Président du Conseil d’Administration domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 13]
[Localité 12]
Représentée par Me Patrick BARRET de la SELARL BARRET PATRICK & ASSOCIES, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 150520
Madame [B] [D] épouse [I]
née le [Date naissance 8] 1971 à [Localité 11]
[Adresse 6]
[Localité 14]
Maître [U] [O] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SCI MDB et de la SCI du 16 REPUBLIQUE
[Adresse 2]
[Localité 11]
Assignés, n’ayant pas constitué avocat
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue publiquement, à l’audience du 20 Septembre 2022 à 14 H 00, M. WOLFF, conseiller ayant été préalablement entendu en son rapport, devant la Cour composée de :
Mme MULLER, conseillère faisant fonction de présidente
M. WOLFF, conseiller
Mme ELYAHYIOUI, vice-présidente placée
qui en ont délibéré
Greffière lors des débats : Mme LEVEUF
ARRET : par défaut
Prononcé publiquement le 13 décembre 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MULLER, conseillère faisant fonction de Présidente et par Christine LEVEUF, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par jugement du 26 juin 2015, le tribunal correctionnel d’Angers a définitivement jugé que M. [N] [C] avait été victime de l’escroquerie suivante, commise par M. [L] [I].
En vue du placement des sommes correspondantes, M. [C] a remis à M. [I], alors cogérant avec M. [K] [M] de la société Financière Foch, spécialisée dans les conseils de gestion, deux chèques datés du 4 novembre 2009 et tirés sur la Caisse de crédit mutuel Angers Saumuroise (le Crédit mutuel). Ces chèques, d’un montant de 140’000 euros pour l’un et de 29’000 euros pour l’autre, mentionnaient tous les deux comme bénéficiaire : «’République’». M. [I] a ensuite modifié ces mentions, en y adjoignant respectivement les termes «’MDB’» et «’SCI’». Ainsi, le chèque de 140’000 euros a finalement été encaissé sur un compte ouvert dans les livres de la Caisse d’épargne et de prévoyance Bretagne ‘ Pays-de-Loire (la Caisse d’épargne) au nom de la société civile immobilière MDB (la SCI MDB), dont M. [I] était associé et dont la gérante était Mme [B] [D] épouse [I], et celui de 29’000 euros l’a été sur un compte ouvert dans les livres de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de l’Anjou et du Maine (le Crédit agricole) au nom de la société civile immobilière du 16 République (la SCI du 16 République), dont M. [I] était alors le gérant.
La SCI MDB et la SCI du 16 République ont depuis été placées en liquidation judiciaire, avec comme liquidateur Me [U] [O].
M. [C] a fait assigner en responsabilité devant le tribunal de grande instance d’Angers :
la SCI MDB, Mme [I], Me [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SCI du 16 République, M. [M] et la Caisse régionale de crédit mutuel d’Anjou par acte d’huissier de justice du 31 octobre 2014 ;
le Crédit mutuel, la Caisse d’épargne et le Crédit agricole par acte d’huissier de justice du 29 septembre 2015 ;
Me [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SCI MDB et de la SCI du 16 République, par acte d’huissier de justice du 10 mars 2017.
M. [C] s’est vu accorder l’aide juridictionnelle totale, dont il bénéficie toujours aujourd’hui.
Par un premier jugement du 3 décembre 2018, ce tribunal, statuant en réalité sur les seules demandes indemnitaires formées par M. [C] à l’encontre de la Caisse régionale de crédit mutuel d’Anjou, du Crédit mutuel, de la Caisse d’épargne et du Crédit agricole, a’:
rejeté ces demandes ;
rejeté les demandes faites par les parties sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamné M. [C] aux dépens.
Par déclaration du 8 janvier 2019, intimant le Crédit mutuel, la Caisse d’épargne et le Crédit agricole, M. [C] a relevé appel de ce jugement en ce qu’il a’:
rejeté sa demande de condamnation in solidum du Crédit mutuel, de la Caisse d’épargne, du Crédit agricole, de Mme [I] et de M. [M] à lui verser les sommes de’:
169’000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance’;
15’000 euros sur le fondement de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
rejeté sa demande de condamnation des mêmes aux dépens.
Par un second jugement du 4 juin 2019, le même tribunal, réparant l’omission de statuer sur les demandes formées par M. [C] à l’encontre de Me [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SCI MDB et de la SCI du 16 République, de Mme [I] et de M. [M], a ensuite’:
rejeté ces demandes ;
rejeté les demandes faites par les parties sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
laissé les dépens à la charge du Trésor public.
Par déclaration du 11 juillet 2019 signifiée à Mme [I] et à Me [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SCI MDB et de la SCI du 16 République, par dépôt de l’acte en l’étude de l’huissier de justice, M. [C] a relevé appel de ce jugement et du précédent, en ce qu’ils ont rejeté ses demandes tendant à voir’:
condamner Mme [I] à lui verser la somme de 169’000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance et capitalisation de ceux-ci ;
fixer sa créance à l’encontre de la liquidation de la SCI MDB à la somme de 140’000 euros’;
fixer sa créance à l’encontre de la liquidation de la SCI du 16 République à la somme de 29’000 euros’;
condamner Mme [I] aux dépens et à lui verser la somme de 15’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La Caisse d’épargne a formé un appel incident par conclusions notifiées par voie électronique le 17 mai 2019.
Mme [I] et Me [O] n’ont pas constitué avocat.
Les deux instances d’appel (nos 19/00043 et 19/01418) ont été jointes le 26 novembre 2021, et la clôture de l’instruction est intervenue le 31 août 2022.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans des dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 juillet 2019, M. [C] demande à la cour :
d’infirmer le jugement du 3 décembre 2018, sauf en ce qu’il l’a déclaré recevable en sa demande ;
de condamner in solidum le Crédit mutuel, la Caisse d’épargne et le Crédit agricole à lui verser les sommes de’:
169’000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance et capitalisation de ceux-ci’;
15’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
de condamner in solidum le Crédit mutuel, la Caisse d’épargne et le Crédit agricole à verser à Me [V] [X] la somme de 15’000 euros sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
de condamner in solidum le Crédit mutuel, la Caisse d’épargne et le Crédit agricole aux dépens, qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Dans des dernières conclusions signifiées le 13 août 2019 à Me [O] et le 5 septembre 2019 à Mme [I], tous les deux par dépôt de l’acte en l’étude de l’huissier de justice, M. [C] demande également à la cour :
d’infirmer les jugements des 3 décembre 2018 et 4 juin 2019, sauf pour le premier en ce qu’il l’a déclaré recevable en sa demande ;
de condamner Mme [I] à lui verser la somme de 140’000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance et capitalisation de ceux-ci’;
de fixer sa créance à l’encontre de la liquidation de la SCI MDB à la somme de 140’000 euros’;
de fixer sa créance à l’encontre de la liquidation de la SCI du 16 République à la somme de 29’000 euros’;
de condamner in solidum Mme [I] et Me [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire des deux SCI, à lui verser la somme de 15’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
de condamner in solidum Mme [I] et Me [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SCI MDB et de la SCI du 16 République, à verser à Me [V] [X] la somme de 15’000 euros sur le fondement de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique’;
de condamner in solidum Mme [I] et Me [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SCI MDB et de la SCI du 16 République, aux dépens de première instance et d’appel, qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
M. [C] soutient que’:
La prescription qui lui est opposée n’a commencé à courir qu’en février 2011, date à laquelle il a été informé que les chèques avaient été détournés. Ayant agi moins de cinq ans plus tard, il n’était donc pas prescrit selon l’article 2224 du code civil.
En tant que dépositaire des fonds et en application de l’article 1937 du code civil, le Crédit mutuel était tenu à son égard d’une obligation de résultat de restituer ces fonds conformément à l’ordre qu’il lui avait donné. En ne le faisant pas, le Crédit mutuel a engagé sa responsabilité.
Tous les établissements bancaires étaient soumis plus généralement à une obligation de vérification de la régularité formelle des chèques, et ont commis une faute en ne refusant pas leur paiement alors que les mentions ajoutées par M. [I] étaient décelables par un banquier normalement diligent.
Le fait d’avoir libellé les chèques à l’ordre de République ne constituait pas un comportement fautif de sa part.
Mme [I] a commis une faute grave de gestion, incompatible avec l’exercice normal des fonctions de gérant, en laissant la SCI MDB profiter des sommes détournées.
La SCI MDB et la SCI du 16 République sont engagées sur le fondement de la répétition de l’indu.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 juin 2022, le Crédit mutuel demande à la cour’:
à titre principal, de juger que l’action de M. [C] est prescrite ou de la rejeter’;
subsidiairement, de condamner la Caisse d’épargne et le Crédit agricole à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre’;
en tout état de cause, de condamner M. [C] ou, à défaut, la Caisse d’épargne et le Crédit agricole aux dépens de première instance et d’appel, qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile, et à lui verser la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le Crédit mutuel soutient que’:
La prescription de l’action de M. [C] a commencé à courir le 16 novembre 2009, date de l’encaissement des chèques litigieux, ou à tout le moins en décembre 2009, date à laquelle M. [C] a eu connaissance que cet encaissement avait été fait au profit de la SCI MDB et de la SCI 16 du République. Cette prescription était donc acquise le 29 septembre 2015 lorsqu’il l’a assigné.
Son obligation de contrôle et de surveillance se limitait à celle d’une banque tirée, c’est-à-dire à l’examen de la régularité formelle et extérieure des opérations. Or l’apparence des chèques était à cet égard régulière, sans aucune anomalie grossière. Il était tenu pour le reste d’une obligation de non-ingérence.
M. [C] a commis une faute exonératoire de responsabilité, en ne faisant ni les vérifications que la situation imposait, ni opposition.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 juin 2022, la Caisse d’épargne demande à la cour’:
à titre principal, d’infirmer le jugement du 3 décembre 2018 en ce qu’il a écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription, et de juger l’action de M. [C] prescrite’;
subsidiairement, de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes de M. [C]’;
plus subsidiairement, de juger qu’elle ne peut être condamnée in solidum à hauteur de 169’000 euros’;
encore plus subsidiairement, de condamner le Crédit mutuel à la garantir de toute condamnation’;
en tout état de cause, de condamner in solidum M. [C] et le Crédit mutuel aux dépens de première instance et d’appel, qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile, et à lui verser la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La Caisse d’épargne soutient que’:
L’action de M. [C] est prescrite pour les mêmes raisons que celles avancées par le Crédit mutuel.
Le chèque qui la concerne ne présentait aucune anomalie décelable de nature à engager sa responsabilité.
M. [C] a été imprudent en régularisant le chèque litigieux, puis s’est désintéressé du sort de celui-ci alors qu’il se devait de vérifier l’identité de la personne morale qui l’avait encaissé, commettant ainsi une faute exonératoire de responsabilité.
S’il est jugé que le chèque comportait une anomalie décelable aisément, la responsabilité du Crédit mutuel est engagée en premier lieu, et du fait que celui-ci a manqué à son obligation de vigilance en ne se renseignant pas sur la finalité de l’opération et sur l’identité du bénéficiaire réel.
Dans ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 21 mai 2019, le Crédit agricole demande à la cour’:
à titre principal, de juger que l’action de M. [C] est prescrite ou de rejeter les prétentions de celui-ci’;
subsidiairement, de condamner le Crédit mutuel à la garantir de toute condamnation’;
en tout état de cause, de condamner in solidum M. [C] et le Crédit mutuel aux dépens, qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile, et à lui verser la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le Crédit agricole soutient que’:
L’action de M. [C] est prescrite pour les mêmes raisons que celles avancées par le Crédit mutuel.
Sa responsabilité, en tant que banquier présentateur, ne peut être engagée que si les anomalies des chèques étaient apparentes et aisément décelables par un examen sommaire fait par un employé normalement diligent, ce qui n’est pas prouvé en l’espèce.
M. [C] a commis une faute exonératoire de responsabilité en émettant un chèque d’un montant de 29’000 euros sans s’inquiéter de l’identité de son bénéficiaire.
En tant que banque tirée et dépositaire des fonds, la responsabilité du Crédit mutuel est, en toute hypothèse, pleinement engagée en premier lieu.
MOTIVATION
1. Sur les demandes de restitution formées à l’encontre de la SCI MDB et de la SCI du 16 République
Aux termes de l’article 1376 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige, celui, même non fautif, qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s’oblige à le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu.
En l’espèce, il est constant que les chèques litigieux ont été encaissés sur des comptes ouverts aux noms de la SCI MDB et de la SCI du 16 République, alors que les sommes correspondantes ne leur étaient absolument pas dues par M. [C].
Chaque SCI est donc tenue de restituer à M. [C] la somme qu’elle a indûment reçue ‘ 140 000 euros pour la SCI MDB et 29 000 euros pour la SCI du 16 République, qui seront fixés aux passifs de leurs liquidations judiciaires ‘, et le jugement du 4 juin 2019 sera infirmé sur ce point.
2. Sur les responsabilités des banques
2.1. Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
Selon l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Il en résulte qu’en matière de responsabilité, la prescription de l’action court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance. Ainsi, le point de départ du délai de prescription se situe au jour où la victime a ou peut avoir une connaissance précise non seulement du dommage, mais aussi de sa cause.
En l’espèce, M. [C] recherche la responsabilité des banques intimées du fait du paiement et de l’encaissement des chèques falsifiés litigieux. La prescription correspondante n’a donc pu commencer à courir qu’à compter du jour où M. [C] a connu ou aurait dû connaître ce caractère falsifié.
Cette connaissance ne pouvait être acquise en novembre 2009 du seul fait de l’encaissement des chèques, lequel était la suite normale de leur émission et n’était pas de nature à renseigner M. [C] sur l’identité réelle des bénéficiaires.
Elle ne pouvait l’être davantage en décembre 2009, moment où, selon la plainte que M. [C] a déposée auprès de la police le 6 mars 2012 (sa pièce n° 6), il a reçu, pour chacune des sommes concernées, un ‘ »tat Individuel de Souscription daté du 23/12/09 signé par le gérant de MDB attestant notamment [qu’il avait] souscrit à une augmentation de créance de 6,50 % […] en application de la loi DUTREIL , et citant divers articles du code général des impôts. En effet, le caractère apparemment officiel de la formulation, l’absence de précision sur la nature exacte de ‘ MDB , l’utilisation des termes ‘ souscription et ‘ créance , qui peuvent faire penser à un placement financier, la mention d’un taux similaire au taux d’intérêt que M. [I] aurait annoncé, et l’évocation de la loi dite Dutreil, connue comme un régime de défiscalisation, pouvaient légitimement tromper un particulier tel M. [C] et ne pas éveiller ses soupçons, voire même le rassurer sur la réalité du placement quelques semaines seulement après la remise des chèques à M. [I].
Ainsi, ce n’est qu’au début de l’année 2011, c’est-à-dire à l’échéance annuelle du placement promis frauduleusement à M. [C], lorsque les intérêts auraient dû être comptabilisés, que celui-ci était en mesure de se rendre compte de l’escroquerie dont il avait été victime et d’agir en responsabilité contre les différents intervenants.
La prescription de cette action n’était donc pas arrivée à son terme lorsque M. [C] a fait assigner les banques intimées moins de cinq ans plus tard le 29 septembre 2015.
En conséquence, le premier juge doit être approuvé en ce qu’il a écarté cette prescription. Néanmoins, il n’en a pas tiré toutes les conséquences dans le dispositif de son jugement du 3 décembre 2018. M. [C] sera donc explicitement déclaré recevable en sa demande.
2.2 Sur les fautes
Selon les copies qui sont versées aux débats (pièces n° 1 du Crédit agricole et n° 2 de M. [C]), les bénéficiaires apparaissent sur les chèques falsifiés litigieux de la manière suivante.
Chèque de 140’000 euros encaissé par la Caisse d’épargne :
Chèque de 29 000 euros encaissé par le Crédit agricole :
2.2.1. Sur la faute du Crédit mutuel
S’il résulte effectivement de l’article 1937 du code civil que le banquier, même s’il n’a lui-même commis aucune faute, n’est pas libéré envers le client qui lui a confié des fonds quand il se défait de ces derniers sur présentation d’un faux ordre de paiement revêtu dès l’origine d’une fausse signature et n’ayant eu à aucun moment la qualité légale de chèque, cette règle ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce où la signature figurant sur les chèques litigieux est bien celle de M. [C].
Pour le reste, il est constant qu’une banque tirée n’est tenue de vérifier que la régularité formelle du titre qui lui est présenté. Ainsi, en cas de chèque falsifié, elle n’engage sa responsabilité que lorsqu’elle paye un chèque affecté d’une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, c’est-à-dire d’une anomalie décelable par un employé de banque normalement diligent. À cet égard, la juxtaposition du nom de deux bénéficiaires sur un chèque, même si elle résulte d’une falsification, ne constitue pas, en elle-même, une anomalie apparente. Ainsi, lors de la remise d’un chèque portant une telle mention par l’un des deux bénéficiaires pour encaissement à son seul profit, la banque tirée, qui verse la provision entre les mains de la banque présentatrice à charge pour celle-ci d’en créditer le montant sur le compte du ou des bénéficiaires du chèque, n’est tenue ni de vérifier auprès du tireur, en l’absence d’anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, la sincérité de la mention ni de s’assurer du consentement de l’autre bénéficiaire (Com., 27 novembre 2019, pourvois nos 18-12.427, 18-11.439).
En l’espèce, il ressort de l’examen des chèques litigieux qu’ils ne sont affectés, s’agissant de la mention du bénéficiaire, d’aucune anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle.
En effet, les ajouts effectués par M. [I] l’ont été sans véritable surcharge ni rature, dans un espace adapté à leur taille, et en utilisant un graphisme semblable à celui du terme République adjacent. Ainsi, ces ajouts s’insèrent dans la formule de chèque sans attirer particulièrement l’attention et sans apparaître comme des anomalies.
En outre, l’émission simultanée d’un chèque au profit de MDB/République et d’un autre en faveur de SCI République ne constitue pas une anomalie intellectuelle, compte tenu du nombre des chèques en cause, qui n’étaient que deux, et de leurs montants, importants mais pas extraordinaires.
En conséquence, il ne peut être reproché au Crédit mutuel d’avoir payé les chèques litigieux, et le jugement du 3 décembre 2018 sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande indemnitaire formée par M. [C] à l’encontre de l’établissement. L’absence de faute du Crédit mutuel empêche également toute garantie de sa part.
2.2.2. Sur la faute de la Caisse d’épargne
Une banque présentatrice est tenue elle aussi de vérifier la régularité formelle du chèque, mais, première banque à intervenir chronologiquement lors de l’encaissement du titre et seule à être en relation avec son porteur, ses obligations vont au-delà de cette simple vérification. Ainsi, elle ne peut procéder à l’encaissement du chèque qu’au profit du bénéficiaire qui y est désigné ou de l’endossataire, et doit en conséquence contrôler la correspondance entre son nom et celui du titulaire du compte. Enfin, en cas de juxtaposition du nom de deux bénéficiaires sur un chèque, et même si ce dernier n’est affecté d’aucune anomalie apparente, la banque présentatrice est tenue, lors de la remise du chèque par l’un des bénéficiaires pour encaissement à son seul profit, de s’assurer du consentement de l’autre, sauf circonstances particulières lui permettant de tenir un tel consentement pour acquis (Com., 27 novembre 2019, pourvois nos 18-12.427, 18-11.439).
Ces vérifications ne sont, par principe, pas contraire au devoir de non-immixtion du banquier.
En l’espèce, le bénéficiaire mentionné sur le chèque que la Caisse d’épargne a encaissé au profit de la SCI MDB était ‘ MDB/République . En typographie française, une telle barre oblique est principalement employée comme signe de séparation ou d’opposition, notamment pour indiquer un choix entre deux possibilités. L’expression litigieuse devait d’autant plus être lue de cette manière qu’à l’issue des débats, il ne peut être fait aucun lien entre les termes MDB et République (la société MDB était domiciliée [Adresse 1], selon la pièce n° 8 de M. [C]). À cet égard, si, reprenant la motivation du premier juge, la Caisse d’épargne fait valoir que la mention MDB ajoutée à République pouvait identifier un seul bénéficiaire, après indication d’un autre élément sans importance, telle une enseigne, elle n’explique pas en quoi, en l’espèce, le terme République pouvait constituer un tel élément sans importance s’agissant de la SCI MDB, société civile immobilière.
Ainsi, avant de présenter et d’encaisser le chèque litigieux, d’un montant conséquent de 140 000 euros, au profit de la SCI MDB, la Caisse d’épargne était tenue à tout le moins de s’assurer de la raison d’être de la mention République, et notamment que celle-ci ne correspondait pas à un second bénéficiaire, qui aurait pu légitimement revendiquer lui aussi le paiement du chèque. Or elle ne justifie pas l’avoir fait. Cette vérification aurait pourtant permis aisément de révéler la fraude et d’empêcher sa réalisation au préjudice de M. [C].
Une telle abstention est constitutive d’une faute de la part de la Caisse d’épargne, engageant sa responsabilité délictuelle à l’égard de M. [C] sur le fondement de l’article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige.
Le jugement du 3 décembre 2018 sera donc infirmé en ce qu’il a écarté cette responsabilité.
2.2.3. Sur la faute du Crédit agricole
Le bénéficiaire mentionné sur le chèque que le Crédit agricole a encaissé au profit de la SCI du 16 République était ‘ République .
Tenu de contrôler la correspondance entre le nom du bénéficiaire du chèque et celui du titulaire du compte sur lequel son encaissement était demandé, le Crédit agricole était donc tenu de s’assurer que République correspondait bien en l’espèce à la SCI du 16 République, et ce, d’autant plus que le terme République est très utilisé à travers la France pour désigner des rues, avenues, boulevards, places, autres espaces et entités diverses, et qu’il ne pouvait être limité a priori à la désignation de la seule SCI du 16 République, domiciliée, selon le jugement du tribunal correctionnel d’Angers du 26 juin 2015, [Adresse 4].
Or le Crédit agricole ne justifie pas avoir réalisé ce contrôle, qui aurait pourtant permis lui aussi de révéler aisément la fraude et d’empêcher sa réalisation au préjudice de M. [C].
Par cette abstention, le Crédit agricole a commis une faute et engagé sa responsabilité délictuelle à l’égard de M. [C].
Le jugement du 3 décembre 2018 sera donc là encore infirmé en ce qu’il a écarté cette responsabilité.
2.3. Sur les préjudices
Les préjudices à la réalisation desquels les fautes de la Caisse d’épargne et du Crédit agricole ont concouru correspondent tout au plus à la partie irrécouvrable des créances qui seront fixées aux passifs de la SCI MDB pour la première banque, et de la SCI du 16 République pour la seconde, sans que chacune de ces banques ne puisse être tenue in solidum avec l’autre au titre du chèque qu’elle n’a pas personnellement encaissé.
Conformément à l’article 1231-7 du code civil, auquel il n’y a pas lieu de déroger, les sommes concernées ne produiront des intérêts qu’à compter du présent arrêt.
3. Sur la responsabilité de Mme [I]
Si l’article 1850 du code civil dispose que chaque gérant d’une société civile est responsable individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion, il est constant que cette responsabilité ne peut être engagée à l’égard des tiers que si le gérant a commis une faute détachable de ses fonctions et qui lui soit imputable personnellement.
En l’espèce, M. [C] reproche à Mme [I] de ne pas l’avoir averti et d’avoir laissé la SCI MDB profiter de la somme qui a été détournée vers son compte.
Outre que ces éléments sont insuffisants pour caractériser une faute détachable des fonctions de gérant et imputable personnellement à Mme [I], il ressort du jugement correctionnel qui a condamné M. [I] pour escroquerie et qui est la seule pièce utile produite par M. [C], que M. [I] a expliqué durant ses gardes à vue qu’il gérait de fait la SCI MDB au quotidien et qu’il tenait sa comptabilité. Selon ce même jugement, l’enquête a révélé en outre que l’encaissement du chèque émis par M. [C] n’avait pas été porté par M. [I] dans la comptabilité de la SCI MDB. Cela est de nature à exclure toute faute imputable personnellement à Mme [I]. D’ailleurs, celle-ci n’a pas été inquiétée après son audition du 13 juin 2012.
Dans ces conditions, la responsabilité de Mme [I] ne peut être engagée.
Le jugement du 4 juin 2019 sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté la demande indemnitaire formée par M. [C] à l’encontre de celle-ci.
4. Sur la responsabilité de M. [C] et ses conséquences
Il est constant que toute faute, même légère ou involontaire, de la victime, qui a contribué à la réalisation de son préjudice est de nature à exonérer partiellement les autres auteurs du dommage de leur responsabilité. Cette faute de la victime est appréciée in abstracto, par référence au comportement d’une personne normalement diligente, prudente et soucieuse de veiller à sa propre sécurité.
En l’espèce, le dommage a consisté en l’encaissement, au profit de la SCI MDB et de la SCI du 16 République, de chèques falsifiés tirés sur le compte de M. [C]. Celui-ci limite d’ailleurs son préjudice aux montants de ces chèques. Il a déjà été dit en outre que M. [C] n’avait été en mesure de se rendre compte de l’escroquerie dont il avait été victime qu’au début de l’année 2011.
Seul le comportement de M. [C] antérieur ou concomitant à l’encaissement des chèques doit donc être pris en compte, celui postérieur étant sans incidence sur la réalisation du dommage et le préjudice.
À cet égard, M. [C] a lui-même indiqué lors de sa plainte, au sujet de l’entrevue qu’il avait eue avec M. [I] et à la suite de laquelle il lui avait remis les chèques d’un montant total de 169 000 euros pris sur ses économies : ‘ Il a alors annoté devant moi sur une feuille blanche des montants et des taux. […] Lors de cet entretien, M. [I] m’a avisé qu’il allait quitter la FINANCIÈRE FOCH à la fin de l’année pour gérer une agence immobilière et que c’était M. [M] qui allait s’occuper de mes placements.
Ainsi, M. [I] s’est défait d’une partie conséquente de ses économies au regard de simples annotations effectuées par M. [I] sur une feuille blanche, sans exiger aucun autre document, notamment contractuel, qui lui aurait permis d’identifier et de sécuriser son placement. Il l’a fait alors même que M. [I] l’avait informé qu’il ne le reverrait plus et qu’il aurait affaire pour la suite à un autre interlocuteur, et qu’en conséquence sa relation avec la société Financière Foch ne pouvait plus reposer sur la seule confiance qu’il faisait à M. [I]. Il s’agit là d’un manque de précaution et de prudence qui est d’autant plus blâmable que les sommes en jeu étaient très importantes.
Ce manquement constitue ainsi une faute de nature à exonérer partiellement la Caisse d’épargne et le Crédit agricole de leurs propres responsabilités.
Le caractère non négligeable de cette faute et l’importance jouée néanmoins par celles des banques dans la réalisation du préjudice conduisent à imputer à M. [C] une part de responsabilité de 20 %.
L’obligation à réparation de la Caisse d’épargne sera donc limitée à 112 000 euros (140 000 – 140 000 x 20/100), et celle du Crédit agricole à 23 200 euros (29 000 x 29 000 x 20/100).
5. Sur les frais du procès
La Caisse d’épargne et le Crédit agricole perdent le procès à titre principal.
Les jugements des 3 janvier 2018 et 4 juin 2019 seront donc infirmés en ce qui concerne la charge des dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile.
La Caisse d’épargne et le Crédit agricole seront condamnés à tous les dépens, tant de première instance que d’appel, lesquels seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
En application de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, ils seront également condamnés à verser la somme de 5000 euros à l’avocat de M. [C], et ce, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens. La demande faite parallèlement par M. [C] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile sera quant à elle rejetée.
Ces condamnations seront prononcées in solidum, dès lors que les manquements de la Caisse d’épargne et du Crédit agricole sont tous les deux à l’origine du procès.
Les autres demandes faites sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
PAR CES MOTIFS,
La Cour :
INFIRME le jugement du 3 décembre 2018, sauf en ce qu’il a rejeté les demandes formées par M. [N] [C] à l’encontre de la Caisse de crédit mutuel Angers Saumuroise ;
INFIRME le jugement du 4 juin 2019, sauf en ce qu’il a rejeté les demandes formées par M. [N] [C] à l’encontre Mme [B] [D] épouse [I] ;
Y ajoutant :
Déclare M. [N] [C] recevable en sa demande ;
Statuant à nouveau :
Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société civile immobilière MDB la somme de 140 000 euros indûment perçue et due à M. [N] [C] à titre de remboursement ;
Condamne la société Caisse d’épargne et de prévoyance Bretagne ‘ Pays-de-Loire à verser à M. [N] [C] la partie irrécouvrable de cette créance, dans la limite de 112 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société civile immobilière du 16 République la somme de 29 000 euros indûment perçue et due à M. [N] [C] à titre de remboursement ;
Condamne la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de l’Anjou et du Maine à verser à M. [N] [C] la partie irrécouvrable de cette créance, dans la limite de 23 200 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Y ajoutant :
Condamne in solidum la Caisse d’épargne et de prévoyance Bretagne ‘ Pays-de-Loire et la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de l’Anjou et du Maine aux dépens, qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum la Caisse d’épargne et de prévoyance Bretagne ‘ Pays-de-Loire et la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de l’Anjou et du Maine à verser à Me [V] [X] la somme de 5’000 euros sur le fondement de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Rejette les autres demandes des parties.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
C. LEVEUF C. MULLER