Monsieur et Madame [W] ont contracté des prêts auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges (CRCAM) pour l’acquisition d’un bien immobilier, avec des revenus en francs suisses. Ils ont accepté deux offres de prêt en mai 2005, mais ont cessé de rembourser en février 2022. La CRCAM a prononcé la déchéance du terme des prêts en juillet 2022 et a engagé une procédure d’adjudication pour récupérer les biens hypothéqués. En avril 2023, les époux [W] ont assigné la CRCAM, arguant d’un manque d’information sur les risques de change et demandant la nullité de certaines clauses des contrats de prêt. La CRCAM a contesté la demande, invoquant la prescription. Le juge a déclaré l’action en responsabilité irrecevable pour cause de prescription et a renvoyé la procédure à une audience ultérieure.
|
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Tribunal judiciaire
de Strasbourg
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 7]
1ère Ch. Civile Cab. 4
Tél [XXXXXXXX01]
N° de minute : 24/
N° RG 23/04075 – N° Portalis DB2E-W-B7H-L3F7
COPIE A :
CE JOUR
Me Anaëlle GRUNEBAUM
Me Gilles OSTER
Le greffier
du JUGE DE LA MISE EN ETAT DES CAUSES
du 14 Octobre 2024
DEMANDEURS :
Monsieur [R] [W]
né le [Date naissance 5] 1977 à [Localité 9]
[Adresse 6]
[Localité 8]
représenté par Me Anaëlle GRUNEBAUM, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat postulant, vestiaire : 109, Me David DANA, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant,
Madame [M] [V] épouse [W]
née le [Date naissance 2] 1979 à [Localité 9]
[Adresse 6]
[Localité 8]
représentée par Me Anaëlle GRUNEBAUM, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat postulant, vestiaire : 109, Me David DANA, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant,
DEFENDERESSE :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES, immatriculée au RCS de STRASBOURG sous le n° 437.642.531. agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, actuellement [Adresse 3] à [Localité 7]
[Adresse 4] à [Localité 7]
[Localité 7]
représentée par Me Gilles OSTER, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant, vestiaire : 53
Monsieur et Madame [W] ont contacté la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges (CRCAM) afin d’emprunter de l’argent pour acquérir un bien immobilier.
Leurs revenus étant libellés en francs suisses, une offre de prêt numéroté n° 132114 portant sur la contre-valeur en francs suisses de la somme de 235.000 euros, soit la somme de 361.994,02 francs suisses, et une offre de prêt numéroté n°132123, portant sur la contre-valeur en francs suisses de la somme de 25.000 euros, soit 38.510 francs suisses, d’une durée de 25 ans, à taux variable indexé sur le Libor CHF 3 mois leur ont été adressées les 27 avril et 03 mai 2005.
Ces offres de prêt ont été acceptées les 17 mai 2005 et le paiement des échéances de remboursement a été honoré jusqu’en février 2022.
Suivant lettre recommandée en date du 11 juillet 2022 la CRCAM AV a prononcé la déchéance du terme des prêts consentis et un commandement de payer valant saisie leur a été signifié le 26 septembre 2022, le solde restant dû étant de 170.956,95 euros au titre du prêt n°132114 et 16.035,45 euros au titre du prêt n°132123.
Par requête en date du 04 octobre 2022, la CRCAM AV a sollicité l’adjudication forcée des biens affectés à titre hypothécaire et suivant ordonnance du 17 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Mulhouse a ordonné l’exécution forcée par voie d’adjudication du bien immobilier acquis à l’aide des prêts.
Estimant n’avoir pas été suffisamment informés des conséquences économiques du risque de change sur leurs obligations financières, suivant acte introductif d’instance signifié le 27 avril 2023, Monsieur [R] [W] et Madame [M] [V] épouse [W] ont fait assigner la société coopérative à capital et personnel variables CREDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES devant la chambre civile du Tribunal Judiciaire de Strasbourg en sollicitant de voir constater le caractère abusif de certaines clauses des prêts et subsidiairement en recherchant la responsabilité de la banque pour manquement à ses obligations précontractuelles d’information et de mise en garde.
Aux termes de leurs conclusions d’assignations ils demandent au tribunal, sur le fondement des articles L. 212-1 du code de la consommation, et 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, de :
A titre principal :
* constater le caractère abusif de la clause « Remboursement » relative aux modalités de remboursement du crédit, « Disposition particulière relative au risque de change », « Coût total du crédit » objet des prêts n°63004151404 et n°63004151604 ;
* constater que les contrats ne peuvent subsister amputés des clauses abusives et que les parties doivent être replacées dans la situation qui aurait été la leur si les clauses jugées abusives n’avaient pas existé ;
en conséquence,
* condamner Monsieur et Madame [W] à rembourser la contre valeur en euros du capital emprunté au titre du contrat des prêts n°63004151404 et n°63004151604, soit les sommes de 235.000 euros et 25.000 euros ;
* condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges à restituer à Monsieur et Madame [W] les amortissements, les intérêts, les commissions perçues ainsi que les primes d’assurance emprunteur, au titre des prêts n°63004151404 et n°63004151604 ;
A titre subsidiaire :
* condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges à verser à Monsieur et Madame [W] les sommes de 131.272,62 euros et 13.965,98 euros pour les prêts n°63004151404 et n°63004151604 à titre de dommages et intérêts en réparation de leur perte de chance de ne pas conclure les contrats de prêt litigieux ;
* ordonner la compensation des créances réciproques ;
* ordonner l’application des intérêts au taux légal à compter de l’assignation ;
En tout état de cause :
* condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges à payer à Monsieur et Madame [W] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article
700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
Suivant conclusions notifiées le 09 novembre 2023, le CREDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES a saisi le juge de la mise en état afin de lui demander de déclarer irrecevable la demande en responsabilité pour défaut d’information et de mise en garde par l’effet de la prescription et de condamner le défendeur aux entiers frais et dépens de la procédure d’incident, et ce, sur le fondement des dispositions des articles 122 et 789 du Code de Procédure Civile ainsi que L.110-4 ancien et nouveau du code de commerce.
Par des conclusions en réplique, notifiées le 12 janvier 2024, Monsieur et Madame [W] demandent au juge de la mise en état de :
* juger recevable l’action en responsabilité de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges pour manquement à son obligation d’information ;
* débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles, fins et prétentions ;
* condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges à leur payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
h N° RG 23/04075 – N° Portalis DB2E-W-B7H-L3F7
L’incident a été appelé à l’audience du 09 septembre 2024.
Il est admis par les deux parties que c’est le délai de prescription de l’article L.110-4 ancien du code de commerce qui a vocation à s’appliquer, ce délai étant de cinq ans.
Le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité pour manquement à l’obligation d’information et de mise en garde se situe au jour où le risque s’est réalisé, en l’espèce, s’agissant de prêts en devise, au moment où le taux de change devient durablement défavorable à l’emprunteur, et donc au jour où les époux [W] ont pu ou auraient dû concrètement se rendre compte que la variation du taux de change allait considérablement obérer leur obligation de remboursement.
En l’espèce, Monsieur et Madame [W] étaient en mesure de se rendre compte dès la première échéance payée de la volatilité du cours des changes dans la mesure où ils percevaient leurs revenus en francs suisses, sur un compte ouvert en Suisse et qu’ils disposaient également d’un compte bancaire en euro, ouvert en France, sur lequel ils transféraient régulièrement des fonds.
Pour cette même raison, ils ont nécessairement pu constater concrètement dès 2009 le décrochage de l’euro, la persistance de sa régression tout au long de l’année 2010 et la dégradation profonde en 2011.
Ils n’ont pas pu ignorer ces informations qui impactaient le change de leurs revenus et partant le coût des prêts, le montant des échéances et du capital.
Le risque inhérent au taux de change s’est réalisé au plus tard en 2011 et c’est donc à compter de cette date que Monsieur et Madame [W] pouvaient agir contre la banque en responsabilité pour lui reprocher de ne pas les avoir informés sur ce risque, pour ne pas les avoir mis en garde.
Le point de départ du délai de prescription doit ainsi être fixé au plus tard en 2011.
Dès lors, l’assignation ayant été signifiée en avril 2023, le délai pour agir était déjà largement expiré.
Cette action sera en conséquence déclarée irrecevable comme prescrite.
Le sort des dépens de l’incident suivra celui de la procédure au fond.
Nous, Isabelle ROCCHI, Juge de la mise en état, assistée de Audrey TESSIER, Greffier,
DECLARONS IRRECEVABLE comme prescrite l’action en responsabilité dirigée contre le CREDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES pour manquement aux obligations précontractuelles d’information et de mise en garde, par l’effet de la prescription ;
DISONS que le sort des dépens de l’incident suivra celui de la procédure au fond ;
INVITONS le conseil de la défenderesse à déposer des conclusions au fond au plus tard pour le 06 décembre 2024, 12 heures ;
RENVOYONS la procédure à l’audience de mise en état du :
LUNDI 09 DECEMBRE 2024
Le Greffier Le Juge de la mise en état
Audrey TESSIER Isabelle ROCCHI