Prescription et responsabilité contractuelle : détermination des délais et des obligations des parties dans un litige entre entrepreneur et sous-traitant.

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Prescription et responsabilité contractuelle : détermination des délais et des obligations des parties dans un litige entre entrepreneur et sous-traitant.

Le Service Départemental d’Incendie et de Secours des Pyrénées-Atlantiques a confié à la société Cirrus un marché pour l’extension d’un centre de secours, incluant des travaux de bardage sous-traités à CM Bois & Habitat. Après la réception des travaux avec réserves, des retenues ont été effectuées sur les paiements dus à Cirrus. Un expert a été désigné pour évaluer les responsabilités, concluant que Cirrus et CM Bois & Habitat étaient chacun responsables à 40 % des désordres. Le tribunal administratif a condamné Cirrus à payer une somme au SDIS, mais la Cour administrative d’appel a réformé cette décision en augmentant le montant dû. Cirrus a ensuite assigné CM Bois & Habitat et son assureur en paiement des sommes retenues. Le tribunal judiciaire a condamné CM Bois & Habitat et MAAF Assurances à verser à Cirrus une somme, mais celles-ci ont interjeté appel. La cour d’appel a confirmé en partie le jugement, condamnant CM Bois & Habitat et MAAF Assurances à payer à Cirrus la somme correspondant à leur part de responsabilité ainsi que des frais.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 septembre 2024
Cour d’appel de Montpellier
RG
20/00695
ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

3e chambre civile

ARRET DU 12 SEPTEMBRE 2024

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 20/00695 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OQDC

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 08 JANVIER 2020

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MONTPELLIER

N° RG 18/04200

APPELANTES :

SARL CM BOIS & HABITAT prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés ès qualités au siège

[Adresse 7]

[Localité 1]

et

SA MAAF ASSURANCES prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités au siège

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentées par Me Christophe BEAUREGARD de la SCP CALAUDI-BEAUREGARD-CALAUDI, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué sur l’audience par Me Emily APOLLIS, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

SAS CIRRUS

RCS de Montpellier sous le numéro 404 442 444, prise en la personne de son Président en exercice domicilié ès qualités au siège social sis

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Arnaud LAURENT de la SCP SVA, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué sur l’audience par Me Nicolas JONQUET, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 23 Avril 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 mai 2024,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Gilles SAINATI, président de chambre chargé du rapport et Mme Emmanuelle WATTRAINT, conseillère.

Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Gilles SAINATI, président de chambre

M. Thierry CARLIER, conseiller

Mme Emmanuelle WATTRAINT, conseillère

Greffier lors des débats : Mme Sabine MICHEL

ARRET :

– contradictoire ;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par M. Gilles SAINATI, président de chambre, et par Mme Sabine MICHEL, Greffière.

*

* *

 EXPOSE DU LITIGE :

Par un acte d’engagement du 30 mars 2007, le Service Départemental d’Incendie et de Secours des Pyrénées-Atlantiques (SDIS) a confié à la société Cirrus un marché de travaux portant sur l’extension du centre de secours principal d'[Localité 5].

Par contrats des 3 mars et 22 mai 2008, les travaux portant sur l’exécution des bardages bois en extérieur ont été confiés à la société Cirrus pour un montant total de 59 392,32 euros hors taxes.

Par contrat du 21 mai 2008, la société Cirrus a sous-traité à la société CM Bois & Habitat les travaux de bardage.

Le 12 décembre 2008 la réception de l’ouvrage est intervenue avec réserves, celles-ci portant notamment sur les bardages.

Le 13 mai 2009, la société Cirrus a notifié le décompte final à la société d’équipement des Pyrénées-Atlantiques, mandataire du maître de l’ouvrage, pour la mettre en demeure de lui notifier le décompte général définitif.

Le SDIS a retenu une partie des sommes dues à la société Cirrus.

Le 22 septembre 2011, le tribunal administratif de Pau a condamné le maître de l’ouvrage à verser une provision de 80 231,71 euros.

Le 26 décembre 2011, la société Cirrus a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier aux fins de désignation d’un expert judiciaire pour déterminer le préjudice subi résultant des retenues par le SDIS sur le paiement du solde du marché de travaux.

Par ordonnance du 2 avril 2012, le juge des référés a désigné Monsieur [P] pour réaliser l’expertise.

Par ordonnance du 28 novembre 2012, les opérations d’expertises ont été rendues opposables à la société CM Bois & Habitat.

Le 30 août 2013, l’expert Monsieur [P] a déposé son rapport. Celui-ci considère notamment que, concernant le désordre relatif au bardage :

– La société Cirrus, constructeur, est responsable à hauteur de 40 % ;

– La société CM Bois & Habitat, sous-traitant, est responsable à hauteur de 40% ;

– La société Ingecobat, maître d »uvre, est responsable à hauteur de 15 % ;

– La société Anco Atlantique, contrôleur technique, est responsable à hauteur de 5 %.

Par jugement du 10 juillet 2015, le Tribunal administratif de Pau a:

-condamné la société Cirrus à payer au SDIS la somme de 94 738,68 euros au titre du solde du marché ;

-condamné le maître d »uvre Ingecobat et le contrôleur technique Anco Atlantique à garantir la société Cirrus d’une partie de cette condamnation.

Par arrêt du 4 juillet 2017, suite à l’ appel interjeté par la société Cirrus, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a réformé le jugement rendu par le Tribunal administratif de Pau en portant la condamnation à la somme de 197 884,29 euros.

Suite à cet arrêt, la société Cirrus a été destinataire d’un titre de recette d’un montant de 197 884,29 euros étant entendu que le solde du marché avait fait l’objet d’une retenue de 156 738,49 euros pour la réfection des désordres affectant le bardage :

– 65 780 euros toutes taxes comprises déjà inclus dans le décompte général du 31 janvier 2012 ;

– 90 958,49 euros toutes taxes comprises au titre de la condamnation prononcée par la Cour administrative d’appel de Bordeaux.

Par exploits d’huissier du 27 juillet 2018, la Société Cirrus a assigné la Société CM Bois & Habitat et son assureur la SA MAAF Assurances en paiement avec exécution provisoire et condamnation comprenant 40 % des frais d’expertise, au visa des articles 1147 ancien du code civil et L. 214-3 du code des assurances, à la somme principale de 62 695,40 euros outre les dépens et 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 8 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Montpellier, au visa des articles L. 124-3 du code des assurances, 1147 ancien et 2224 du code civil, 515, 696 et 700 du code de procédure civile, a :

– reçu la Société Cirrus de ses demandes ;

– condamné la SARL CM Bois & Habitat et la SA MAAF Assurances à payer à la SAS Cirrus avec intérêts au taux légal à compter de ce jour la somme de :

o 36 383,40 euros ;

o 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

– rejeté toute autre demande ;

– ordonné l’exécution provisoire.

Par déclaration d’appel enregistrée au greffe le 5 février 2020, la SARL CM Bois & Habitat et la SA MAAF Assurances ont interjeté appel du jugement rendu le 8 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Montpellier en ce qu’il a :

– reçu la SAS Cirrus en ses demandes ;

– les a considérées comme non affectées de prescription au titre des dispositions de l’article 2224, 1147 (ancienne rédaction) du code civil

– débouté les sociétés CM Bois & Habitat et la compagnie MAAF Assurances de leurs demandes tendant au débouté des prétentions adverses y compris au regard de la responsabilité décennale.

Dans leurs dernières conclusions enregistrées au greffe le 30 septembre 2020, la SARL CM Bois & Habitat et son assureur la SA MAAF Assurances demandent à la cour d’appel de :

– réformer la décision dont appel ;

– débouter la société Cirrus de son action pour cause de prescription ;

– débouter la société Cirrus de l’ensemble de ses réclamations qui seront dites aussi abusives qu’infondées ;

– condamner la société Cirrus aux entiers dépens ainsi qu’au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions enregistrées au greffe le 3 juillet 2020, la SAS Cirrus demande à la cour d’appel de :

– dire l’appel régulier mais non fondé ;

Statuant à nouveau sur la prescription extinctive, au visa des articles 2241 et 2239 du code civil de :

– constater l’interruption à l’égard du sous-traitant du fait de la mise en cause à l’expertise ;

– constater la mise en cause de l’assureur à l’expertise puis la direction du procès par celui-ci tant pour son compte que pour son assuré ;

– constater la suspension du délai de prescription jusqu’au dépôt du rapport par l’expert, soit jusqu’au 4 septembre 2013 ;

– constater que le délai de 5 ans arrivait ainsi à terme le 4 septembre 2018 et que l’assignation au fond délivrée le 1er aout 2018 tant à l’encontre de la société CM Bois & Habitat qu’à l’encontre de son assureur, est bien interruptive de prescription ;

– retenir de ce seul fait la recevabilité de la demande formée.

Au visa des articles 2224 et 2233 2° du code civil, de :

– constater que la société Cirrus ne pouvait former son recours en garantie contre son sous-traitant que dans la mesure où sa propre dette à l’égard du maître d’ouvrage était liquidée et devenue exigible, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation relative au point de départ d’un délai extinctif de prescription;

– constater que seul l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Bordeaux permettait de connaître la liquidation des droits au bénéfice du SDIS des Pyrénées Atlantiques et constituait ainsi seul le point de départ du délai de prescription de l’action à engager contre le sous-traitant au titre de l’appel en garantie ;

– constater que cette action a été initiée moins d’un an après l’arrêt rendu ;

– retenir encore la recevabilité de la demande formée ;

Au regard des polices d’assurances concédées par la société MAAF Assurance à son assuré la société CM Bois & Habitat :

– constater la réalité des désordres dénoncés, comme leur imputabilité au moins pour partie aux prestations du sous-traitant;

– dire et juger la responsabilité contractuelle engagée en l’état de la violation de son obligation de résultat ;

– dire et juger son assureur responsabilité civile solidairement tenu par application de la police 12044962Z couvrant l’ensemble des risques professionnels de la société CM Bois & Habitat conformément à l’attestation d’assurance produite et faute de justifier d’une non garantie ou d’une exclusion opposable ;

– dire et juger ainsi son assureur solidairement tenu ;

– condamner en conséquence et par application des deux polices la société CM Bois & Habitat solidairement avec son assureur la société MAAF Assurance au paiement de la somme de 62 695,40 euros à la société Cirrus en lien avec l’action récursoire formée par celle-ci suite à sa propre condamnation conformément au rapport de l’expert au bénéfice du maître d’ouvrage ;

– condamner en outre solidairement la société CM Bois & Habitat et son assureur la société MAAF Assurance à payer à la société Cirrus Entreprise la somme de 6 000 € au titre des frais irrépétibles, comme aux entiers dépens de l’instance de premier degré comme d’appel, en ce compris les frais d’expertise à hauteur de 40 %.

MOTIFS DE L’ARRÊT :

Sur la prescription :

Aux termes de l’article 2224 du code civil ‘ Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou auraient dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ‘.

En l’espèce, il n’est pas contesté que la prescription applicable est quinquennale s’agissant d’un recours contractuel de droit commun formé par l’entrepreneur principal, la société Cirrus, à l’encontre de son sous-traitant, la SARL CM Bois & Habitat.

Il convient donc, pour déterminer le point de départ du délai de prescription, de rechercher le jour où la société Cirrus a connu, dans toute leur étendue et leur ampleur, les désordres portant sur le bardage imputables à son sous-traitant.

Contrairement à ce qu’à retenu le premier juge, la date de la réception des ouvrages ne peut constituer le point de départ du délai de prescription, la réserve concernant le bardage mentionnant simplement que les lames de bardages noires sont refusées par le maître de l’ouvrage en attente d’un rendez-vous fournisseur, ce qui ne permettait pas à la société Cirrus de connaître la nature et l’ampleur des désordres en vue d’exercer un recours à l’encontre de son sous-traitant.

En revanche, à la date du dépôt du rapport de l’expert judiciaire, soit le 30 août 2013, la société Cirrus était en mesure de connaître d’une part la nature et l’ampleur des désordres affectant les lames de bardages sur les 4 façades du bâtiment central (lames noircies localement, déformées et fissures) résultant notamment d’une absence de ventilation, d’autre part l’imputabilité pour partie de ces désordres à son sous-traitant, la SARL CM Bois & Habitat, étant rappelé que les opérations d’expertise avaient été rendues communes et opposables à cette dernière par une ordonnance du tribunal administratif de Pau du 28 novembre 2012.

Par conséquent, à partir du 30 août 2013, la société Cirrus disposait de tous les éléments pour exercer un recours à l’encontre de son sous-traitant, le point de départ du délai quinquennal devant en conséquence être fixé à la date du dépôt du rapport d’expertise judiciaire, soit le 30 août 2013.

La société Cirrus a fait assigner la SARL CM Bois & Habitat et son assureur la SA Maaf Assurances par exploits d’huissiers du 27 juillet 2018, soit avant l’expiration du terme de la prescription fixé le 30 août 2018.

La fin de non recevoir tirée de la prescription sera donc rejetée.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef, par substitution de motifs.

Sur le fond :

Sur la responsabilité contractuelle de la société CM Bois & Habitat :

Il est constant que le sous-traitant est contractuellement tenu d’une obligation de résultat à l’égard de l’entrepreneur principal qui l’a chargé de l’exécution de travaux.

En l’espèce, l’expert judiciaire retient, s’agissant du bardage, une responsabilité partagée entre la société Cirrus et son sous-traitant, la SARL CM Bois & Habitat, à laquelle il impute une part de responsabilité à hauteur de 40 %, soit une somme de 62 695,40 euros.

Sur la garantie de la Maaf :

En l’espèce, il résulte d’une attestation d’assurance valable du 01 octobre 2007 au 31 décembre 2008 que la SARL CM Bois & Habitat est titulaire d’un contrat multirisque professionnelle pour tous dommages survenus après livraison de biens et/ou réception de travaux, avec un plafond de 1 524 491 euros par année d’assurance.

Par conséquent, la Maaf sera condamnée à garantir son assurée, la SARL CM Bois & Habitat des condamnations prononcées à l’encontre de cette dernière.

Il convient en conséquence de condamner in solidum la SARL CM Bois & Habitat et la SA Maaf Assurances à payer à la SAS Cirrus la somme de 62 695,40 euros correspondant à la part de responsabilité imputée par l’expert judiciaire au sous-traitant.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement sauf en ce qu’il a condamné la SARL CM Bois & Habitat et la SA MAAF Assurances à payer à la SAS Cirrus avec intérêts au taux légal à compter de ce jour la somme de 36 383,40 euros ;

Statuant à nouveau,

Condamne in solidum la SARL CM Bois & Habitat et la SA Maaf Assurances à payer à la SAS Cirrus la somme de 62 695,40 euros correspondant à la part de responsabilité imputée par l’expert judiciaire au sous-traitant ;

Condamne in solidum la SARL CM Bois & Habitat et la SA Maaf Assurances à payer à la SAS Cirrus la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, pour ses frais engagés en appel ;

Condamne in solidum la SARL CM Bois & Habitat et la SA Maaf Assurances aux entiers dépens d’appel, comprenant les frais d’expertise judiciaire à hauteur de 40 %.

Le greffier, Le président,


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