Constitution du prêtLe 12 juin 2011, [L] [K] et [U] [T] ont signé une offre de prêt avec la Banque Populaire des Alpes, leur accordant un montant de 120.000 euros sur 25 ans, avec un taux fixe de 4,17% et un TEG de 5,41%. Analyse mathématiqueLe 31 juillet 2020, la société 2 CLM a réalisé une analyse mathématique à la demande des consorts [K]-[T]. Assignation en justiceLe 13 décembre 2021, les consorts [K]-[T] ont assigné la Banque Populaire des Alpes en déchéance du droit aux intérêts conventionnels, invoquant la stipulation de l’année lombarde. Demande de prescriptionLa Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes a demandé au juge de la mise en état de déclarer la demande des consorts [K]-[T] comme prescrite. Décision du juge de la mise en étatLe 20 décembre 2023, le juge a déclaré l’action des consorts [K]-[T] irrecevable pour cause de prescription, les a condamnés aux dépens, et a rejeté les autres demandes. Appel des consortsLe 30 janvier 2024, Mme [L] [K] et M. [U] [T] ont interjeté appel de cette décision. Clôture de l’instructionL’instruction de l’affaire a été clôturée le 4 juillet 2024. Prétentions des emprunteursDans leurs conclusions du 9 mars 2024, [L] [K] et [U] [T] demandent à la cour de les déclarer recevables et fondés dans leur appel, de constater l’utilisation de l’année lombarde par la banque, et de prononcer la déchéance des intérêts conventionnels. Arguments des emprunteursIls soutiennent que les règles de prescription doivent protéger les consommateurs, que la CJUE a établi que la prescription ne doit pas être automatique, et que la banque a manqué de transparence sur les modalités de calcul des intérêts. Prétentions de la BanqueDans ses conclusions du 8 avril 2024, la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes demande la confirmation de l’ordonnance du 20 décembre 2023 et le rejet des demandes des emprunteurs. Arguments de la BanqueLa banque fait valoir que le point de départ de la prescription est la date de signature du contrat, que les emprunteurs auraient dû connaître l’irrégularité à ce moment-là, et que la prescription de cinq ans était écoulée. Motifs de la décisionLe juge a rappelé que l’action en déchéance des intérêts est soumise à une prescription de cinq ans, et que les emprunteurs pouvaient déceler l’irrégularité à la lecture de l’offre de prêt. Confirmation de l’ordonnanceLa cour a confirmé l’ordonnance du 20 décembre 2023, déclarant l’action des consorts [K]-[T] comme prescrite et les condamnant aux dépens. Condamnation des emprunteursMme [L] [K] et M. [U] [T] ont été condamnés à payer à la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
C8
Minute :
délivrée le :
la SCP ANSELMETTI – LA ROCCA
la SELARL LX GRENOBLE-
CHAMBERY
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 24 OCTOBRE 2024
Appel d’une décision (N° RG 21/01193)
rendue par le Juge de la mise en état de [Localité 8]
en date du 20 décembre 2023
suivant déclaration d’appel du 30 janvier 2024
APPELANTS :
M. [U] [T]
né le [Date naissance 2] 1979 à [Localité 7] (05)
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 1]
Mme [L] [K]
née le [Date naissance 3] 1985 à [Localité 8] (05)
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 1]
représentés par Me Lionel LA ROCCA de la SCP ANSELMETTI – LA ROCCA, avocat au barreau des HAUTES-ALPES, substitué par Me ORIOT, avocat au barreau de GRENOBLE, postulants et par Me Aurélie ABBAL, avocat au barreau de MONTPELLIER,
INTIMÉE :
S.A. BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES Société anonyme Coopérative de Banque populaire à capital variable, régie par les articles L512-2 et suivants du CMF, venant aux droits de la BANQUE POPULAIRE DES ALPES, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités de droit,
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et par Me Sabin MATHIEUX, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE,
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente de Chambre,
M. [U] BRUNO, Conseiller,
Mme Raphaële FAIVRE, Conseillère,
DÉBATS :
A l’audience publique du 06 Septembre 2024, Mme FIGUET, Présidente, qui a fait rapport assisté de Alice RICHET, Greffière, a entendu les avocats en leurs conclusions, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile. Il en a été rendu compte à la Cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.
Suivant offre de prêt signé par [L] [K] et [U] [T] le 12 juin 2011, la Banque Populaire des Alpes leur a consenti un prêt à hauteur de 120.000 euros sur une durée de 25 ans (300 échéances au taux fixe de 4,17%) avec un TEG de 5,41%.
Le 31 juillet 2020, la société 2 CLM rendait une analyse mathématique à la demande des consorts [K]-[T].
Par acte du 13 décembre 2021, les consorts [K]-[T] ont assigné la Banque Populaire des Alpes en déchéance du droit aux intérêts conventionnels du fait de la stipulation de l’année lombarde.
La Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes a saisi le juge de la mise en état aux fins de voir déclarer prescrite la demande des consorts [K]-[T].
Par ordonnance du 20 décembre 2023, le juge de la mise en état a :
– déclaré irrecevable l’action introduite par [L] [K] et [U] [T] à l’encontre de la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes par acte d’huissier du 13 décembre 2021 pour cause de prescription,
– condamné [L] [K] et [U] [T] aux dépens,
– dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté les autres demandes.
Par déclaration du 30 janvier 2024, Mme [L] [K] et M. [U] [T] ont interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions.
La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée le 4 juillet 2024.
Prétentions et moyens de Mme [L] [K] et M. [U] [T]
Par conclusions remises le 9 mars 2024, ils demandent à la cour de :
– les dire recevables et bien fondés en leur appel dirigé contre l’ordonnance du juge de la mise en état du 20 décembre 2023,
– réformer l’ordonnance du 20 décembre 2023 en ce que le juge de la mise en état a déclaré les demandes prescrites,
Statuant à nouveau,
– constater que la banque a utilisé l’année lombarde pour le calcul des intérêts du prêt,
– constater que ce mode de calcul présente au consommateur un TEG faux avec une erreur de plus d’une décimale,
– prononcer la déchéance des intérêts conventionnels et faire application du taux d’intérêt légal depuis l’origine du prêt,
– condamner la banque au paiement du surplus d’intérêts payés par l’emprunteur,
En tout état de cause,
– condamner la banque à payer à Mme [L] [K] et M. [U] [T] la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la banque aux entiers dépens de l’instance.
Ils font valoir que :
– les règles gouvernant la prescription doivent être interprétée dans un sens qui permet de garantir la protection des consommateurs et l’effectivité des droits,
– dans sa décision du 5 mars 2020, la CJUE a clairement posé que le principe d’effectivité des sanctions consacré par le droit de l’Union interdit de retenir une prescription courte dont le point de départ serait fixé automatiquement au jour de la signature des documents contractuels,
– comme l’a formulé l’avocat général devant la CJUE, l’efficacité des sanctions et l’effectivité des droits des consommateurs de crédit interdisent d’opposer à ceux-ci une prescription dès lors que le prêt est en cours d’exécution au jour de la demande en justice,
– aucune prescription ne peut donc être acquise alors que le prêt litigieux est toujours en cours d’exécution,
– en tout état de cause, le point de départ de la prescription est le jour où l’emprunteur était en mesure de déceler par lui-même, à la lecture des actes, l’erreur affectant le taux effectif global,
– il est évident qu’un consommateur ou un non-professionnel ne dispose pas des compétences nécessaires pour apprécier si au jour de de la conclusion du contrat les termes de l’offre respectaient la réglementation applicable,
– n’ayant ni les compétences, ni l’expertise d’un professionnel du crédit, Mme [L] [K] et M. [U] [T] ne pouvaient déceler par eux-mêmes le vice dénoncé, les modalités de calcul des intérêts périodiques étant des notions réservées aux professionnels du crédit,
– s’agissant des modalités de calcul des intérêts, la banque a entretenu une opacité en s’abstenant d’expliciter dans l’offre non seulement qu’elle procéderait à une période de normalisation de la période mensuelle mais encore de spécifier quel rapport serait retenu pour cette normalisation: 30/360 ou 30,41666/365 alors que l’application du rapport 30/360 induit une majoration dissimulée des intérêts à l’occasion des échéances rompues, raison pour laquelle la seule présence d’une clause 360 est sanctionnée et doit l’être,
– aucune prescription ne peut donc être opposée lorsque le banquier n’a pas explicité les modalités de calcul des intérêts et la méthode de normalisation qu’il entend mettre en oeuvre,
– le moyen soulevé par la banque tirée d’une prétendue potestativité ne peut qu’étre écarté d’autant que la prescription est enfermée dans un délai de 20 ans,
– c’est bien la réalisation du rapport d’analyse mathématique qui a permis de mettre en évidence l’erreur affectant le TEG de l’offre et qui doit constituer le point de départ du délai de prescription,
– il résulte de l’expertise que le TEG est largement supérieur à celui affiché par la banque.
Prétentions et moyens de la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes
Dans ses conclusions remises le 8 avril 2024, elle demande à la cour de :
– confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 20 décembre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Gap,
– déclarer irrecevables et rejeter les demandes de Mme [L] [K] et M. [U] [T] tendant à voir :
* prononcer la déchéance des intérêts conventionnels et faire application du taux d’intérêt légal depuis l’origine du prêt,
* condamner la banque au paiement du surplus d’intérêts payés par l’emprunteur,
En conséquence,
– déclarer irrecevable l’action de Mme [L] [K] et M. [U] [T] à l’encontre de la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes comme étant prescrite,
– débouter Mme [L] [K] et M. [U] [T] de l’ensemble de leurs demandes,
– condamner Mme [L] [K] et M. [U] [T] à payer une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [L] [K] et M. [U] [T] aux dépens dont distraction au profit de la Selarl LX Grenoble-Chambery sur son affirmation de droit.
Elle fait observer que la cour doit statuer dans la limite de sa saisine, qu’elle n’est saisie que de la question de la recevabilité et de la prescription de l’action des consorts [K]-[T] et non pas de leurs demandes de déchéance des intérêts et du paiement du surplus des intérêts, qu’elle n’est en effet saisie que dans les limites du pouvoir du juge de la mise en état, que statuer sur le fond priverait purement et simplement les parties du double degré de juridiction, que les demandes des consorts [K]-[T] aux fins de prononcer la déchéance des intérêts conventionnels et de condamner la banque au paiement du surplus d’intérêts payés sont irrecevables.
Sur la prescription, elle fait valoir que :
– en cas d’action en déchéance du droit aux intérêts, le point de départ de la prescription est la date à laquelle le contrat de crédit est définitivement formé,
– en tout état de cause, dans l’hypothèse où le point de départ du délai devrait se situer au jour où les emprunteurs ont connu ou auraient dû connaître l’irrégularité alléguée, ce point de départ se situe en l’espèce également au jour de la signature du contrat de prêt,
– en effet, les consorts [K]-[T] invoquant pour justifier leur demande en déchéance des intérêts d’une irrégularité qui tiendrait au calcul du taux d’intérêt sur la base d’une année lombarde de 360 jours, la simple lecture de l’offre de prêt leur permettait de constater l’erreur alléguée puisqu’elle stipule que les intérêts seront calculés sur la base d’une année bancaire de 360 jours,
– dès lors, l’offre de prêt ayant été acceptée le 12 juin 2011, le délai de prescription était écoulé à la date de l’assignation délivrée le 13 décembre 2021,
– ni la loi, ni la jurisprudence ne prévoit que la prescription ne peut commencer à courir à l’encontre des consommateurs d’un contrat de crédit en cours d’exécution,
– le délai de 20 ans invoqué par les emprunteurs est un délai butoir au-delà duquel le délai de prescription ne peut être reporté mais le délai de prescription est bien de 5 ans,
– la Cour de cassation a jugé, en présence d’une clause de calcul des intérêts conventionnels similaire à celle aujourd’hui critiquée, que le point de départ du délai de prescription devait être fixé à la date de l’acte de prêt contenant une telle stipulation,
– les emprunteurs ne peuvent donc soutenir que le vice affectant les documents contractuels serait indécelable.
Pour le surplus des demandes et des moyens développés, il convient de se reporter aux dernières écritures des parties en application de l’article 455 du code de procédure civile.
Comme rappelé à juste titre par le juge de la mise en état, l’action en déchéance des intérêts est soumise, s’agissant de la prescription, à l’article 2224 du code civil disposant que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Lorsque la simple lecture de l’offre de prêt permet à l’emprunteur de déceler son irrégularité, le point de départ du délai de prescription de l’action en déchéance du droit aux intérêts se situe au jour de l’acceptation de l’offre, sans report possible tiré de la révélation postérieure d’autres irrégularités (Civ. 1re, 5 janv. 2022, no 20-16.350).
Le point de départ de la prescription n’est donc pas fixée automatiquement au jour de la signature des documents contractuels. Cette prescription court à compter du jour où l’emprunteur a connaissance de l’irrégularité affectant l’acte. Cette disposition ne prive donc pas les consommateurs de crédit de l’effectivité de leurs droits.
Les emprunteurs ne peuvent donc soutenir au motif de l’effectivité de leurs droits que la prescription ne peut courir tant que le contrat de crédit est en cours d’exécution alors que la connaissance de l’irrégularité leur permet d’agir sans attendre la fin du contrat.
Mme [L] [K] et M. [U] [T] reprochent à la banque d’avoir utilisé l’année lombarde pour calculer les intérêts du prêt au soutien de leur action en déchéance des intérêts.
Or en l’espèce, comme relevé par le premier juge, en page 12 de l’offre de prêt, il est stipulé: ‘Les intérêts seront calculés sur le montant du capital restant dû, au taux fixé aux conditions particulières sur la base d’une année bancaire de 360 jours, d’un semestre de 180 jours, d’un trimestre de 90 jours et d’un mois de 30 jours.’
Cette clause est parfaitement explicite puisqu’elle mentionne clairement la pratique de l’année lombarde.
Dès lors, les emprunteurs ont pu déceler à la simple lecture de l’offre de prêt l’irrégularité alléguée, à savoir la pratique de l’année lombarde, sans qu’il soit nécessaire pour eux de disposer de connaissances mathématiques ou de recourir à une expertise mathématique.
L’expertise qu’ils ont fait diligenter leur a permis de calculer l’éventuel trop versé mais ne leur a pas révélé la clause litigieuse qu’ils connaissaient depuis la signature de l’offre de prêt.
En conséquence, c’est à juste titre que le juge de la mise en état a retenu comme point de départ de la prescription le jour de la signature de l’offre, soit le 12 juin 2011, et en a déduit que l’action intentée par les consorts [K]-[T] contre la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes le 13 décembre 2021 était prescrite.
L’ordonnance du 20 décembre 2023 sera donc confirmée en toutes ses dispositions.
L’action étant prescrite, il n’y a pas lieu de statuer au fond sur la demande des consorts [K]-[T] de déchéance des intérêts et du paiement du surplus des intérêts d’autant que la présente cour ne peut statuer que dans les limites du pouvoir du juge de la mise en état et ne peut donc statuer au fond.
Mme [L] [K] et M. [U] [T] qui succombent dans leur appel seront condamnés aux entiers dépens d’appel et à payer à la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 20 décembre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Gap.
Ajoutant,
Condamne Mme [L] [K] et M. [U] [T] aux entiers dépens d’appel ;
Condamne Mme [L] [K] et M. [U] [T] à payer à la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
SIGNÉ par Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente et par Mme Alice RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente