Pratiques anticoncurrentielles : compétence juridictionnelle sur les demandes incidentes
Pratiques anticoncurrentielles : compétence juridictionnelle sur les demandes incidentes

Spécialisation des juridictions en matière de pratiques restrictives de concurrence

Depuis le décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009, relatif à la spécialisation des juridictions en matière de pratiques restrictives de concurrence, les articles D 442-3 et D 442-4 du code de commerce attribuent compétence exclusive, selon les cas, au tribunal de commerce de Bordeaux et au tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire de Bordeaux, pour statuer en la matière et ces deux juridictions sont également spécialement désignées en matière de pratiques anticoncurrentielles, respectivement par les articles R 420-3 et R 420-4 du même code.

Compétence de la Cour d’appel de Paris

Ainsi, s’agissant d’un appel formé contre un jugement rendu par la juridiction civile de premier degré spécialement désignée par les textes précités, la cour d’appel de Paris est seule compétente pour en connaître en application des articles L 420-7, D 442-4 et R 420-5 du code de commerce, même si l’appel ne porte que sur la compétence juridictionnelle et même si le fond du débat est relatif aux certificats d’obtention végétale.

Prorogation de compétence sur les demandes incidentes

Par ailleurs, l’article 51 du code de procédure civile ne prorogeant la compétence du tribunal judiciaire qu’à l’égard des demandes incidentes qui ne relèvent pas de la compétence exclusive d’une autre juridiction, la compétence du tribunal judiciaire de Bordeaux retenue en matière de contrefaçon en application des articles L 716-5 et R 716-5 du code de la propriété intellectuelle et de l’article D 211-6-1 du code de l’organisation judiciaire et la compétence corrélative de la cour d’appel de Bordeaux pour statuer sur l’appel du jugement statuant en cette matière, ne permettent pas d’étendre la compétence de la cour de ce siège à l’examen de l’appel du jugement entrepris en ce qu’il statue en matière de pratiques anticoncurrentielles.


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE BORDEAUX 

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 17 MAI 2022

RP

N° RG 21/04394 –��N° Portalis DBVJ-V-B7F-MH6A

SA SOFRUILEG

c/

Société X Y Z A

Nature de la décision : IRRECEVABILITE DE L’APPEL

JONCTION AVEC DOSSIER RG 21/03263

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 20 mai 2021 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 16/12699) suivant déclaration d’appel du 7 juin 2021 (RG : 21/03263) suivie d’une assignation à jour fixe en date du 27 juillet 2021 (RG : 21/04394)

APPELANTE et demanderesse sur assignation à jour fixe :

SA SOFRUILEG, immatriculée au RCS de DAX sous le n° 393 787 452, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis […]

LAURÈNE D’AMIENS, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître TURCHET substituant Maître Suzie MAILLOT de la SELAFA PWC SOCIETE D’AVOCATS, avocats plaidants au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE et défenderesse sur assignation à jour fixe :

Société X Y Z A, prise en la personne de son gérant, M. E F G DE X Y, domicilié en cette qualité au siége social sis […]

représentée par Maître Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître BRUXELLE substituant Maître Benoît TONIN de la SELAS FIDAL, avocats plaidants au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 05 avril 2022 en audience publique, devant la cour composée de :

Roland POTEE, président,

Vincent BRAUD, conseiller,

Bérengère VALLEE, conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Par acte du 7 décembre 2016, la société Sofruileg, spécialisée dans la recherche, le développement et la protection d’obtention végétale, a assigné la société X Y Z A, société de droit portugais, au visa des articles 1134 et 1147 anciens du code civil en paiement de diverses sommes au motif d’une rupture, selon prise d’acte le 30 juin 2016, de deux contrats signés les 7 et 8 janvier 2013 ayant pour objet la concession de sous licence de certificat d’obtention végétale pour l’approvisionnement exclusif de marque portant respectivement sur 580 plans et 650 greffons.

Par ordonnance du 10 avril 2018, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Bordeaux a déclaré compétente la juridiction bordelaise pour traiter le litige et a rejeté en conséquence la demande formée par la société X Y aux fins de sursis à statuer dans l’attente de la décision à venir du tribunal judiciaire de Porto (Portugal), dans l’instance opposant les parties.

Par jugement du 20 mai 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux :

– s’est déclaré compétent pour statuer sur la demande de la société anonyme Sofruileg tendant à voir condamner la société Souza Y Z A au paiement d’une indemnité de 100.000

€ au titre d’actes de contrefaçon,

– s’est déclaré incompétent pour statuer sur le surplus, au profit du tribunal de commerce de Bordeaux,

– dit qu’à l’expiration du délai d’appel, le greffe transmettra le dossier et la copie de la décision au greffe du tribunal de commerce de Bordeaux,

– rappelé que l’instance est suspendue devant le présent tribunal jusqu’à l’expiration du délai d’appel et, en cas d’appel, jusqu’à ce que la cour d’appel ait rendue sa décision,

– dit qu’à l’expiration du délai d’appel, l’affaire sera rappelée à l’audience pour statuer sur la demande de la société Sofruileg tendant à voir condamner la société Souza Y Z A au paiement de la somme de 5.000 € ( en réalité 100.000 € ) au titre d’actes de contrefaçon, sauf à ce qu’une partie fasse connaître l’existence d’un appel, l’affaire étant alors rappelée à l’audience lorsque la partie la plus diligente aura fait connaître la décision rendue par la cour d’appel,

– dit que le greffe procédera à la notification du présent jugement par lettre recommandée avec demande d’avis de réception aux parties ainsi qu’à leurs avocats,

– réservé les dépens.

La société Sofruileg a relevé appel de ce jugement par déclaration du 7 juin 2021 et a sollicité, par requête du même jour, la fixation d’une audience à jour fixe.

Autorisée par ordonnance du 7 juin 2021, la société Sofruileg a fait assigner la société X Y Z A par acte du 27 juillet 2021.

Par arrêt avant-dire droit du 25 janvier 2022, la cour d’appel de Bordeaux a :

– ordonné la réouverture des débats et invité les parties à conclure sur l’incompétence de la cour d’appel de Bordeaux au profit de la cour d’appel de Paris pour connaître de l’appel formé à l’égard du jugement entrepris en ce qu’il statue en matière de pratiques anticoncurrentielles,

– renvoyé l’affaire à l’audience collégiale du mardi 5 avril 2022 avec clôture le 22 mars 2022.

Par conclusions déposées le 29 mars 2022, la société Sofruileg demande à la cour de :

– rabattre l’ordonnance de clôture rendue le 22 mars 2022 et prononcer une nouvelle clôture le 5 avril 2022.

– à défaut déclarer irrecevables les conclusions communiquées par X Y Z A le 21 mars 2022,

– juger la société Sofruileg recevable et bien fondé en son appel,

– se déclarer compétente pour connaître de l’appel formé par la société Sofruileg,

Y faisant droit,

– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 20 mai 2021 en ce qu’il :

* se déclare incompétent pour statuer sur le surplus, au profit du tribunal de commerce de Bordeaux,

* dit qu’à l’expiration du délai d’appel, le greffe transmettra le dossier et la copie de la décision au greffe du tribunal de commerce de Bordeaux,

* rappelle que l’instance est suspendue devant le présent tribunal jusqu’à l’expiration du délai d’appel et, en cas d’appel, jusqu’à ce que la cour d’appel ait rendu sa décision,

* dit qu’à l’expiration du délai d’appel, l’affaire sera rappelée à l’audience pour statuer sur la demande de la société anonyme Sofruileg tendant à voir condamner la société X Y Z A au paiement de la somme de 5 000 euros au titre d’actes de contrefaçon, sauf à ce qu’une partie fasse connaître l’existence d’un appel, l’affaire étant alors rappelée à l’audience lorsque la partie la plus diligente aura fait connaître la décision rendue par la cour d’appel,

* réserve les dépens.

Statuant à nouveau,

– déclarer la société X Y Z A irrecevable en son exception d’incompétence,

– déclarer le tribunal judiciaire compétent pour statuer sur les demandes suivantes :

– constater la résiliation des contrats en date 7 janvier 2013 et du 8 janvier 2013 aux torts de la société X Y Z A ;

– constater que la société X Y Z A a contrefait les certificats d’obtention végétale n°30080 et n°24925 en application de l’article L623-25 du code de la propriété intellectuelle

– condamner la société X Y Z A à payer à la société Sofruileg la somme de 100.000, 00 € au titre des actes de contrefaçon, la somme de 250.000 € et celle de 70.500 € correspondant à ses inexécutions contractuelles de l’année 2016, la somme de 250.000 € et celle de 70.500 € correspondant à ses inexécutions contractuelles de l’année 2017;

– condamner la société X Y Z A, sous astreinte de 3000 € par jour de retard à compter du jugement à intervenir :

* à procéder à ses frais à la destruction et à l’arrachage de l’ensemble des greffons, plants et arbres faisant l’objet des deux Contrats,

* à défaut d’exécution dans un délai d’un mois à compter du jugement à intervenir, autoriser la société Sofruileg ou toute personne qu’elle se substituerait à procéder à l’arrachage et à la destruction de ces plants ou arbres et ce, aux frais de la société X Y Z A et au besoin avec l’assistance de la force publique.

* à restituer à la société Sofruileg l’ensemble du matériel et autres outils de support de communication qui lui ont été mis à disposition dans le cadre des contrats.

– condamner la société X Y Z A à payer la somme de 5.000 € pour résistance abusive,

– condamner la société X Y Z A à payer la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 4 avril 2022, la société X Y Z A demande à la cour de :

A titre principal:

– déclarer irrecevable le recours formé par la société Sofruileg contre le jugement entrepris;

Si la cour devait se déclarer compétente :

– confirmer le jugement sauf en ce qu’il a réservé les dépens,

En toute hypothèse:

– condamner la société Sofruileg à payer à la société X Y Z la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Sofruileg aux entiers dépens de première instance et d’appel.

L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 5 avril 2022 et la clôture de l’instruction au 22 mars 2022.

A la demande des parties, l’ordonnance de clôture a été révoquée et la clôture fixée au jour de l’audience de plaidoirie pour permettre l’admission des dernières conclusions des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il est rappelé que le jugement entrepris n’est pas critiqué en ce qu’il déclare le tribunal judiciaire de Bordeaux compétent pour statuer sur la demande de la société Sofruileg tendant à voir condamner la société Souza Y Z A au paiement d’une indemnité au titre d’actes de contrefaçon et que l’appel ne porte ainsi que sur la décision d’incompétence du tribunal judiciaire pour statuer sur le surplus, au profit du tribunal de commerce de Bordeaux.

L’appelante fait valoir que:

– aux termes de la jurisprudence de la cour de cassation « seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions de premier degré spécialement désignées sont portés devant la cour d’appel de Paris, de sorte qu’il appartient aux autres cours d’appel de connaître de tous les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions situées dans leur ressort qui ne sont pas désignées ».

– la cour d’appel de Bordeaux est donc compétente, puisque ce n’est pas la juridiction spécialisée constituée par le tribunal de commerce de Bordeaux qui a statué, mais bien le tribunal judiciaire de Bordeaux, saisi pour sa compétence en matière d’obtentions végétales, ce qui relève du fond du débat devant la cour.

– l’article D 442-3 du code de commerce, dans sa version applicable au présent litige, retient la compétence exclusive du tribunal de commerce avec une compétence de la cour d’appel de Paris pour connaître de l’appel des décisions rendues.

– l’assignation devant le tribunal judiciaire date du 7 décembre 2016, soit avant la réforme opérée par le décret n°2021-211du 24 février 2021 qui, en son article 4, a donné compétence au tribunal judiciaire au lieu du tribunal de commerce.

-le tribunal judiciaire saisi sous l’empire de l’ancien texte n’est donc pas la juridiction spécialisée qu’est le tribunal de commerce et l’appel est soumis aux règles de compétence de droit commun.

Toutefois, comme le relève l’intimée, depuis le décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009, relatif à la spécialisation des juridictions en matière de pratiques restrictives de concurrence, les articles D 442-3 et D 442-4 du code de commerce attribuent compétence exclusive, selon les cas, au tribunal de commerce de Bordeaux et au tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire de Bordeaux, pour statuer en la matière et ces deux juridictions sont également spécialement désignées en matière de pratiques anticoncurrentielles, respectivement par les articles R 420-3 et R 420-4 du même code.

Ainsi, s’agissant d’un appel formé contre un jugement rendu par la juridiction civile de premier degré spécialement désignée par les textes précités, la cour d’appel de Paris est seule compétente pour en connaître en application des articles L 420-7, D 442-4 et R 420-5 du code de commerce, même si l’appel ne porte que sur la compétence juridictionnelle et même si le fond du débat est relatif aux certificats d’obtention végétale.

Par ailleurs, l’article 51 du code de procédure civile ne prorogeant la compétence du tribunal judiciaire qu’à l’égard des demandes incidentes qui ne relèvent pas de la compétence exclusive d’une autre juridiction, la compétence du tribunal judiciaire de Bordeaux retenue en matière de contrefaçon en application des articles L 716-5 et R 716-5 du code de la propriété intellectuelle et de l’article D 211-6-1 du code de l’organisation judiciaire et la compétence corrélative de la cour d’appel de Bordeaux pour statuer sur l’appel du jugement statuant en cette matière, ne permettent pas d’étendre la compétence de la cour de ce siège à l’examen de l’appel du jugement entrepris en ce qu’il statue en matière de pratiques anticoncurrentielles.

L’appel de la société Sofruileg sera en conséquence déclaré irrecevable et l’appelante versera une indemnité de 3.000 € à l’intimée au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’appelante supportera par ailleurs les seuls dépens de la procédure d’appel, ceux de première instance demeurant réservés.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Déclare l’appel irrecevable;

Condamne la société Sofruileg à payer à la société X Y Z A la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Condamne la société Sofruileg aux dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


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