COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 63B
DU 25 JUILLET 2023
N° RG 21/00276
N° Portalis DBV3-V-B7F-UIKS
AFFAIRE :
[E] [M]
C/
Société SIL EUROPE
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 Décembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de PONTOISE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 18/04434
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-la SELEURL MINAULT TERIITEHAU,
-Me Claire QUETAND- FINET,
-la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dont le délibéré a été prorogé le 13 juin 2023, les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :
Maître [E] [M]
né le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 15] ([Localité 6])
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 13]
[Localité 11]
représentée par Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 – N° du dossier 20210017
Me Yves-marie LE CORFF de l’ASSOCIATION FABRE GUEUGNOT, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : R044
APPELANT
****************
Société SIL EUROPE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 8]
[Localité 4]
représentée par Me Claire QUETAND-FINET, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 678
Me Nicolas LISIMACHIO, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : P0114
S.A.S. EMINENCE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
[Adresse 14]
[Adresse 12]
[Localité 5]
représentée par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – N° du dossier 2165581
INTIMÉES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 20 Mars 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente et Madame Sixtine DU CREST, Conseiller chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Pascale CARIOU, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
La Société Internationale de Lingerie (ci-après la « SIL ») est une société ayant pour activités la fabrication et la commercialisation de lingerie pour le compte de grandes marques.
A la suite d’une première procédure collective, elle a été reprise en 2003 par la société Finathem laquelle a ensuite cédé le capital de la SIL à la société SIL Europe, société de droit luxembourgeois, ayant une activité de société holding, qui en est devenu l’actionnaire majoritaire.
Malgré une forte progression de son activité, la SIL a enregistré d’importantes pertes courant 2008 et s’est retrouvée contrainte de procéder à une déclaration de cessation des paiements.
Par jugement du 29 décembre 2008, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la SIL et a désigné la société civile professionnelle (SCP) Becheret, Thiery, Senegal, [M] en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 24 mars 2009, la société SIL Europe a déclaré une créance de 8 900 000 euros au passif de la SIL correspondant à son compte courant d’associé au sein de celle-ci.
L’état du passif a été déposé le 22 mars 2010 et la créance de la société SIL Europe a été admise dans sa totalité au passif de la SIL.
Par jugement du 14 juin 2017, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actifs de la SIL.
Déplorant de n’avoir perçu aucune somme dans le cadre de cette liquidation, la société SIL Europe s’est rapprochée de M. [M], liquidateur judiciaire de la SIL, pour connaître les raisons de son exclusion de la répartition du produit des réalisations des actifs de la SIL. Ce dernier a alors invoqué l’existence d’un protocole d’accord conclu en 2009 avec la société Eminence.
Par lettre du 19 octobre 2017 puis par sommation de communiquer du 2 février 2018, le conseil de la société SIL Europe a contesté l’exclusion de sa cliente de la répartition du boni de liquidation et a mis en demeure M. [M] de lui produire la répartition précise des sommes correspondant à l’actif recouvré, ainsi que ses explications éventuelles sur l’exclusion de la société SIL Europe de la répartition.
M. [M] n’a donné aucune suite à ces demandes.
Par acte d’huissier de justice du 22 mars 2018, la société SIL Europe a assigné M. [M] devant le tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) de Pontoise aux fins de mise en ‘uvre de sa responsabilité civile professionnelle et de le voir condamner à lui verser la somme de 1 651 484 euros en réparation de ses fautes commises outre la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par un jugement contradictoire rendu le 1er décembre 2020, le tribunal judiciaire de Pontoise a :
Déclaré recevable l’action de la société SIL Europe,
Condamné M. [M] à payer à la société SIL Europe les sommes suivantes :
1 651 484 euros au titre des répartitions chirographaires ;
4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamné M. [M] à payer à la société Eminence la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Débouté M. [M] de sa demande de garantie ;
Condamné M. [M] aux entiers dépens.
M. [M] a interjeté appel de ce jugement le 15 janvier 2021 à l’encontre de la société SIL Europe et la société Eminence.
Par une ordonnance d’incident rendue le 9 décembre 2021, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Versailles a :
Débouté M. [M] de ses demandes de communication de pièces,
Condamné M. [M] à payer à la société SIL Europe et à la société Eminence la somme de 1 000 euros chacune, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Dit qu’il sera statué sur les dépens de l’incident dans le cadre de l’instance au fond.
Par dernières conclusions notifiées le 13 février 2023, M. [M] demande à la cour de :
Le recevoir en son appel,
L’y déclarer bien fondé,
Réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Pontoise le 1er décembre 2020 en toutes ses dispositions,
Dire irrecevable au visa de l’article L. 622-20 et L. 643-11 du code de commerce l’action telle que formée par la société SIL Europe,
Avant-dire droit,
Faire injonction à la société SIL Europe de verser aux débats :
toutes pièces permettant d’établir qui ont été propriétaires des parts sociales composant son capital social, précédemment détenues par la société Eminium, entre la dissolution de cette dernière et l’année 2017,
Vu les articles 138 et suivants du code de procédure civile,
Ordonner à M. [V] [C], demeurant professionnellement [Adresse 9], M. [X] [J], demeurant [Adresse 7], M. [L] [D], demeurant [Adresse 3], à titre personnel et en leur qualité d’administrateurs de la société SIL Europe, de verser aux débats :
toutes pièces permettant d’établir qui ont été propriétaires des parts sociales composant son capital social, précédemment détenues par la société Eminium, entre la dissolution de cette dernière et l’année 2017 ;
Ordonner à M. [X] [J], à titre personnel et comme ayant été administrateur
de la société Holding Property Services, de verser aux débats :
les comptes de la liquidation amiable de la société Eminium et notamment toutes pièces justifiant de l’attribution des actions propriété de la société Holding Property Services dans le capital de la société Eminium ;
Ordonner à M. [V] [C], à titre personnel et en sa qualité d’ancien président du conseil d’administration de la SA Signes, liquidateur amiable de la société Holding Property Services, de verser aux débats :
les comptes de la liquidation amiable de la société Holding Property Services, et notamment toutes pièces justifiant du transfert de propriété des actions détenues dans le capital de la société Finathem et/ou Finathem Europe ;
Ordonner à M. [X] [J], à titre personnel et en sa qualité d’administrateur de
la société Finathem, à M. [V] [C], et à M. [L] [D], à titre personnel et en leur qualité de membres du conseil de surveillance, de verser aux débats :
toutes pièces permettant d’établir qui ont été propriétaires des actions qui étaient détenues par la société Holding Property Services, dans le capital social de la société Finathem et/ou Finathem Europe ;
Ordonner que la remise de ces documents se fera sous astreinte de 100 euros par jour de retard, un mois à compter de la signification à partie de l’arrêt à intervenir ;
A titre subsidiaire,
La débouter de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause,
Débouter la société SIL Europe de sa demande en paiement d’intérêts à compter du 14 juin 2017 ;
Constater que la société SIL Europe fait partie du groupe de sociétés de la société Eminence dans les termes des articles L233-1 et suivants du code de commerce ;
Vu l’engagement de portefort pris par la société Eminence,
La condamner à relever et garantir indemne Me [E] [M] de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre et au bénéfice de la société SIL Europe ;
En conséquence,
Condamner la société Eminence à payer à Me [E] [M] la somme de 1 651 484 euros, outre celle de 4 000 euros ;
Condamner toute partie contestante à payer à Me [E] [M] la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
La condamner aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés au profit de la SELARL Minault Teriitehau agissant par Me Stéphanie Teriitehau, avocat, et ce conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 12 janvier 2023, la société Eminence demande à la cour, au fondement des articles L. 233-1 et suivants du code de commerce, et des articles 562 et 964 du code de procédure civile, de :
Débouter Me [M] de sa demande avant dire-droit ;
Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Pontoise en ce qu’il a débouté Me [M] de toutes ses demandes à l’encontre d’Eminence ;
En tout état de cause :
Condamner Me [M] à verser à Eminence la somme de 7 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner Me [M] aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 13 février 2023, la société SIL Europe demande à la cour, au fondement des articles 47, 916 du code de procédure civile, et des articles L. 622-20, L. 643-8 et L. 643-11, R. 662-3 du code de commerce, des articles 1240 et 1241 du code civil, de :
Sur le rejet de la demande avant dire-droit de Me [M] :
Débouter Me [M] de sa demande avant dire-droit.
Sur la confirmation du jugement s’agissant de la recevabilité de son action :
Confirmer le jugement en ce qu’il a dit son action recevable,
Débouter Me [M] de toutes ses prétentions, fins et conclusions.
Sur la confirmation du jugement s’agissant de la responsabilité civile de Me [M] :
Confirmer le jugement en ce qu’il a dit que Me [M] a commis une faute en l’excluant de la répartition du boni de liquidation de SIL,
Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné Me [M] à lui payer la somme de 1 651 484 euros à titre de dommages et intérêts,
Et statuant à nouveau, la cour assortira cette somme d’un intérêt de retard égal à l’intérêt légal à compter du jour de la clôture de la liquidation judiciaire de la SIL, soit le 14 juin 2017,
– Débouter Me [M] de toutes ses prétentions, fins et conclusions.
En tout état de cause,
Condamner Me [M] à lui payer la somme de 22 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner Me [M] aux entiers dépens.
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 16 février 2023.
SUR CE, LA COUR,
Sur les limites de l’appel
Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d’appel se présente dans les mêmes termes qu’en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges.
Sur la recevabilité de l’action, qui est préalable
Moyens des parties
Poursuivant l’infirmation du jugement en ce qu’il a considéré que l’action de la société SIL Europe était recevable, M. [M] demande à la cour, au fondement de l’article L. 622-20 du code de commerce, de déclarer l’action de cette dernière irrecevable au motif que la société SIL Europe n’est pas intervenue à l’instance par le biais d’un mandataire ad hoc, alors qu’elle remet en cause la répartition et que son action concerne donc l’ensemble des créanciers chirographaires.
Poursuivant la confirmation du jugement, la société SIL Europe demande à la cour de déclarer son action recevable aux motifs que son action n’est pas engagée dans l’intérêt collectif des créanciers, mais dans son intérêt personnel, et qu’elle vise à obtenir réparation du préjudice qu’elle est seule à avoir subi en raison d’une faute qui ne porte que sur son droit de créance. Elle en déduit que son action n’entre pas dans le champ d’application de l’article L. 622-20 du code de commerce.
La société Eminence n’a pas conclu sur ce point.
Appréciation de la cour
L’article L. 622-20, alinéa 1, du code de commerce dispose que le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers. Toutefois, en cas de carence du mandataire judiciaire, tout créancier nommé contrôleur peut agir dans cet intérêt dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat.
En l’espèce, ainsi que l’a, à juste titre, constaté le tribunal, l’action diligentée par la société SIL Europe vise à mettre en ‘uvre la responsabilité civile professionnelle de M. [M], liquidateur judiciaire de la SIL, et à obtenir l’indemnisation d’un préjudice qui lui est personnel (constitué par le remboursement partiel de sa créance de 8 900 000 euros). Elle intervient donc dans son propre intérêt, et non dans l’intérêt collectif des créanciers. L’indemnisation qu’elle réclame, si elle était accordée, serait mise à la charge de M. [M] et non à la charge du boni de liquidation. Son action est donc sans incidence sur la répartition entre les créanciers chirographaires déjà intervenue.
Dès lors, l’article L. 622-20 du code de commerce n’a pas à s’appliquer en l’espèce, le moyen soulevé par M. [M] est inopérant et le jugement sera confirmé en ce qu’il a déclaré recevable l’action de la société SIL Europe.
Sur les demandes de communication de pièces
Moyens des parties
Poursuivant l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a condamné à indemniser la société SIL Europe, M. [M] demande à la cour la communication, sous astreinte, des pièces suivantes :
« toutes pièces permettant d’établir qui ont été propriétaires des parts sociales composant son capital social, précédemment détenues par la société Eminium, entre la dissolution de cette dernière et l’année 2017 »,
Ordonner à M. [V] [C], M. [X] [J] et à M. [L] [D], à titre personnel et en leur qualité d’administrateurs de la société SIL Europe, de verser aux débats « toutes pièces permettant d’établir qui ont été propriétaires des parts sociales composant son capital social, précédemment détenues par la société Eminium, entre la dissolution de cette dernière et l’année 2017 » ;
Ordonner à M. [X] [J], à titre personnel et comme ayant été administrateur de la société Holding Property Services, de verser aux débats « les comptes de la liquidation amiable de la société Eminium et notamment toutes pièces justifiant de l’attribution des actions propriété de la société Holding Property Services dans le capital de la société Eminium » ;
Ordonner à M. [V] [C], à titre personnel et en sa qualité d’ancien président du conseil d’administration de la SA Signes, liquidateur amiable de la société Holding Property Services, de verser aux débats « les comptes de la liquidation amiable de la société Holding Property Services, et notamment toutes pièces justifiant du transfert de propriété des actions détenues dans le capital de la société Finathem et/ou Finathem Europe » ;
Ordonner à M. [X] [J], à titre personnel et en sa qualité d’administrateur de la société Finathem, à M. [V] [C], et à M. [L] [D], à titre personnel et en leur qualité de membres du conseil de surveillance, de verser aux débats « toutes pièces permettant d’établir qui ont été propriétaires des actions qui étaient détenues par la société Holding Property Services, dans le capital social de la société Finathem et/ou Finathem Europe ».
Il fait valoir que des liens capitalistiques existent entre les sociétés mères de la société Eminence [les sociétés Finathem et Finathem Europe, la société Eminium (dont la dissolution anticipée a été décidée le 19 octobre 2004 et le liquidateur amiable désigné a été la société Signes) et la société SA Holding Property Services] et la société SIL Europe. Il soutient que seule la société Eminence est une société de production, et que les autres sociétés, financières, ayant leur siège au Luxembourg ou aux Iles Vierges britanniques, n’ont vocation qu’à faire « remonter » les bénéfices de la société Eminence et de les faire ainsi échapper à l’impôt. Il précise que la société SIL Europe n’est pas une société de production mais a pour objet social la prise de participations dans des sociétés de droit français ou luxembourgeois.
A l’appui de sa demande de communication de pièces, M. [M] considère qu’il importe de savoir quelle structure, quelles personnes physiques ou morales, sont devenues propriétaires du capital social que la société Eminium, dissoute en 2004, détenait dans la société SIL Europe.
Il admet que l’ordonnance du conseiller de la mise en état, qui a rejeté cette demande de communication de pièces, n’est susceptible de recours qu’avec l’arrêt au fond, mais indique que rien ne lui interdit de former cette demande devant la cour, statuant au fond.
Poursuivant la confirmation du jugement en ce qu’il a rejeté cette demande de communication de pièces, la société SIL Europe demande à la cour, au fondement de l’article 916 du code de procédure civile, de rejeter cette demande formée par l’appelant.
Elle fait valoir que M. [M] tente de contourner l’ordonnance du conseiller de la mise en état, qui a rejeté sa demande, ordonnance qui n’est susceptible d’aucun recours indépendamment de l’arrêt sur le fond.
Elle ajoute qu’en tout état de cause, les documents réclamés sont indifférents à la solution du litige puisqu’elle n’est pas signataire du protocole et n’y est même pas mentionnée, que la société Eminence conteste faire partie, avec elle, d’un même groupe de sociétés, et qu’à supposer que le protocole et l’engagement de porte fort s’applique, elle demeurerait, en tout état de cause, libre d’accepter d’être subordonnée aux autres créanciers.
La société Eminence sollicite également le rejet de cette demande. Elle fait valoir que la société SIL Europe n’est pas une de ses filiales, et que l’existence de dirigeants ou administrateurs communs ne démontre pas, à elle seule, des liens capitalistiques susceptibles de caractériser un groupe de sociétés.
Appréciation de la cour
En l’espèce, après le placement en liquidation judiciaire de la SIL le 29 décembre 2018, a été négocié un protocole d’accord entre M. [M], liquidateur judiciaire de la SIL, et la société Eminence qui détenait à l’encontre de la SIL la créance la plus importante à hauteur de 13 915 203,30 euros correspondant à un crédit fournisseur. Ce protocole, non daté mais postérieur au 29 décembre 2008 (date du placement en liquidation de la SIL), a été signé par M. [M], ès qualités, et par la société Eminence (pièce 1 de l’appelant).
Ce protocole stipule, en son article 1, que la société Eminence rachète des créances détenues sur ses filiales par la SIL pour un montant global de 500 000 euros et qu’en outre, « la société Eminence se porte fort de ce que les sociétés appartenant au groupe Eminence et ayant ou devant procéder à des déclarations de créances s’engagent à être subordonnées à tout autre créancier dans le cadre de la répartition des sommes devant revenir aux créanciers à l’issue de la procédure de liquidation judiciaire. Il s’agit notamment des sociétés suivantes : LIABEL, DISTRIBEM, FLORIAN DISTRIBUTION, EMINENCE BENELUX, EMINTER et AVS ».
En contrepartie, à l’article 2, « M. [M], ès qualités, s’engage (‘) à renoncer à toute action judiciaire ou autrement de nature indemnitaire ou de quelque nature que ce soit à l’encontre de la société Eminence ou de ses dirigeants à quelque titre que ce soit, ainsi qu’à l’une quelconque des sociétés appartenant au groupe Eminence y compris la société mère, à savoir Finathem Europe, ou contre tout actionnaire personne physique ou morale de Finathem Europe, en raison de la procédure de liquidation judiciaire de SIL ».
La demande de communication de pièces formée par M. [M] est motivée par le souhait de démontrer un lien capitalistique entre la société Eminence (ou la société Finathem Europe, société mère de la société Eminence qui en détient le capital à 100%) et la société SIL Europe, afin de tenter d’établir que ces deux sociétés font partie d’un même groupe et que, par conséquent, la société Eminence s’est portée fort pour la société SIL Europe de ce que cette dernière accepterait d’être subordonnée aux autres créanciers. L’application de cet engagement de porte fort à la société SIL Europe exonèrerait ainsi M. [M] de sa responsabilité ou permettrait un appel en garantie.
Si la demande de communication de pièces formée par M. [M] a déjà fait l’objet d’un refus du conseiller de la mise en état, il demeure possible, avant-dire droit, de réitérer sa demande devant la cour.
Force est cependant de constater que cette demande, qui porte sur « toutes pièces permettant d’établir qui ont été les propriétaires des parts sociales » des sociétés SIL Europe et Finathem après la dissolution de la société Eminium en 2004, ainsi que sur les comptes de liquidation amiable des sociétés Eminium et Holding Property Services, est trop vague pour permettre une détermination des pièces visées, et concerne, de plus, des sociétés tiers à la procédure, de surcroît dissoutes depuis plusieurs années (sociétés Eminium et Holding Property Services).
Par ailleurs, M. [M] échoue à démontrer en quoi ces pièces sont utiles à la solution du litige.
Certes, la société SIL Europe n’apporte aucun élément sur l’identification des propriétaires de ses parts sociales. Toutefois, le fait que le capital social de la société SIL Europe, anciennement détenu par la société Eminium plusieurs années avant la signature du protocole, soit passé entre les mains de personnes physiques, exerçant aussi par ailleurs, des mandats sociaux dans d’autres sociétés possédant des participations soit dans la société Finathem Europe, société-mère de la société Eminence, soit dans la société Eminence elle-même, ne suffit pas à démontrer que les sociétés SIL Europe et Eminence appartiennent à un même groupe de sociétés, et ce d’autant que la société SIL Europe a pour objet social « la prise de participations de toute nature et sous toute forme que ce soit et la détention de ces participations dans toutes entreprises luxembourgeoises et/ou étrangères, l’administration, la gestion et la mise en valeur de ces participations ainsi que le financement direct ou indirect des entreprises dans lesquelles elle participe ou qui font partie de son groupe « (pièce 4 de l’appelant).
Il résulte de ces éléments que c’est à bon droit que le tribunal a rejeté cette demande de sorte que le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la faute de M. [M]
Moyens des parties
Poursuivant l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a condamné à indemniser la société SIL Europe, M. [M] demande à la cour, au fondement de l’article 1240 du code civil, de débouter cette dernière de ses demandes au motif qu’il n’a commis aucune faute. Il invoque le protocole d’accord signé entre la société Eminence et la SIL après le prononcé de la liquidation judiciaire de cette-dernière, et la répartition des actions de la société SIL Europe et des sociétés mères de la société Eminence (les sociétés Finathem et Finathem Europe, la société Eminium, dont la dissolution anticipée a été décidée le 19 octobre 2004 et le liquidateur amiable désigné a été la société Signes, et la société SA Holding Property Services) pour conclure que la société SIL Europe appartient au « groupe Eminence » et que, par conséquent, le protocole lui est applicable. Il en déduit que la société Eminence s’est portée fort pour elle de ce qu’elle s’engageait à être subordonnée aux autres créanciers, de sorte qu’aucune répartition n’était due à la société SIL Europe.
Plus spécialement, sur l’existence d’un groupe de sociétés auquel appartiendrait la société SIL Europe et la société Eminence, il soutient que les parts sociales de la SIL appartenait pour 69,8% à la société SIL Europe et pour 30,2% à la société Eminence. Il fait valoir que des liens capitalistiques, par l’intermédiaire de personnes physiques dirigeantes, existent entre ces deux sociétés :
Les trois administrateurs de la société Finathem Europe (actionnaire unique de la société Eminence) sont M. [C], M. [D] et M. [B] ;
M. [C] est propriétaire d’une part de la société SIL Europe et en a été le gérant ;
M. [D] est le gérant statutaire de la société SIL Europe ;
M. [C] a également été administrateur de la société Eminium, laquelle a été actionnaire principal (à 99,9%) de la société SIL Europe ;
M. [B] est ou a été administrateur de la société SIL Europe, administrateur de la société Finathem Europe et, depuis 2007, président de la société Eminence.
Il ajoute que les sièges sociaux des sociétés SIL Europe et Finathem Europe sont situés à la même adresse [Adresse 10].
Il en déduit que des liens capitalistiques unissent ces diverses structures commerciales de droit français et de droit luxembourgeois, que la société Eminence et la société SIL Europe sont dirigées par les mêmes personnes physiques et qu’elles appartiennent donc, selon lui, à un même groupe de sociétés.
Poursuivant la confirmation du jugement, la société SIL Europe, au fondement de l’article 1240 du code civil et de l’article L. 643-8 du code de commerce (relatif à la répartition entre créanciers chirographaires), considère que M. [M] a commis une faute en l’excluant de la répartition du boni de liquidation alors que sa créance avait été admise, et en ne répondant pas à ses multiples demandes et sommation de communiquer.
Elle fait valoir que sa créance à hauteur de 8 900 000 euros apparaît expressément dans l’état des situations en cours établi par M. [M] le 29 juin 2017 (pièce 3 société SIL Europe).
Elle soutient qu’elle n’était ni signataire ni mentionnée dans le protocole, et qu’elle ne fait pas partie du groupe Eminence. Elle ajoute qu’à supposer qu’elle ait été une filiale du « groupe Eminence », ce qu’elle conteste, elle serait demeurée parfaitement libre d’accepter ou pas d’être subordonnée aux autres créanciers et que cela n’aurait donc pas autorisé M. [M] à l’exclure du boni de liquidation. Elle en déduit que les moyens développés par M. [M] visant à lui rendre applicable le protocole sont inopérants.
Elle souligne que rien dans le protocole, ou dans les échanges entre les parties, ne permettait à M. [M] de sérieusement « estimer » qu’elle n’aurait pas droit à percevoir le règlement d’une partie de sa créance, et ce, alors même qu’elle est le second créancier le plus important de la SIL.
Enfin, pour dénoncer l’inertie de M. [M] à lui répondre, elle indique qu’elle a souhaité provoquer la clôture des opérations de liquidation de la SIL, pensant que la clôture conditionnait la distribution de l’actif et qu’aucune information au cours de la procédure de liquidation ne lui permettait de comprendre qu’elle serait exclue d’une répartition.
Elle en déduit que M. [M] a commis une faute en l’excluant de la répartition du boni de liquidation et en ne répondant pas à ses sollicitations.
La société Eminence ne conclut pas sur ce point.
Appréciation de la cour
L’article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il s’ensuit que pour mettre en ‘uvre la responsabilité civile professionnelle du liquidateur judiciaire, celui qui se prétend lésé doit démontrer l’existence d’une faute et d’un préjudice directement causé par cette faute.
Selon l’article 1204 du code civil, on peut se porter fort en promettant le fait d’un tiers.
Le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts.
Lorsque le porte-fort a pour objet la ratification d’un engagement, celui-ci est rétroactivement validé à la date à laquelle le porte-fort a été souscrit.
En outre, un groupe de sociétés peut être défini comme étant constitué par un ensemble de plusieurs sociétés qui, bien que conservant leur autonomie juridique propre, sont unies entre elles par des relations qui confèrent à l’une d’entre elles, la société mère, un pouvoir de contrôle sur les autres et lui permet de centraliser un pouvoir de décision.
Par ailleurs, l’article L. 233-1 du code de commerce dispose que lorsqu’une société possède plus de la moitié du capital d’une autre société, la seconde est considérée comme filiale de la première.
L’article L. 233-2 du même code précise que lorsqu’une société possède dans une autre société une fraction du capital comprise entre 10 et 50 %, la première est considérée comme ayant une participation dans la seconde.
Selon l’article L. 233-3 du même code,
« I.- Toute personne, physique ou morale, est considérée, pour l’application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre :
1° Lorsqu’elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ;
2° Lorsqu’elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d’un accord conclu avec d’autres associés ou actionnaires et qui n’est pas contraire à l’intérêt de la société ;
3° Lorsqu’elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ;
4° Lorsqu’elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de cette société.
II.- Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu’elle dispose directement ou indirectement, d’une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu’aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne.
III.- Pour l’application des mêmes sections du présent chapitre, deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu’elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale. »
En l’espèce, pour déterminer si M. [M] a commis une faute en excluant la société SIL Europe de la répartition du boni de liquidation, il convient de vérifier si cette dernière appartient au même groupe de sociétés que la société Eminence et si l’article 1 du protocole lui est applicable.
En premier lieu, la cour constate que dans ses conclusions du 8 mars 2011 produites devant le conseil de prud’hommes, M. [M] indique que la Société industrielle de lingerie a été reprise en 2003 (dans le cadre d’une procédure de redressement judiciaire) par la société Eminence, puis en 2004 par la SIL (société internationale de lingerie, société objet du présent litige), laquelle appartenait, à hauteur de 69,8% à la société SIL Europe au moment de son dépôt de bilan et a ensuite été liquidée (pièce 4 de la société Eminence : conclusions de M. [M] pages 7 et 15).
Contrairement à ce que prétendent les intimés, M. [M] ne s’est jamais prévalu dans ces conclusions de l’absence de tout lien entre la SIL et la société SIL EUROPE ; il s’est prévalu de l’absence de tout lien capitalistique, au moment de la procédure de liquidation judiciaire, entre la SIL et la société Eminence (et ce pour des raisons sociales dans un conflit opposant la SIL à ses salariés).
Dans ses conclusions notifiées le 13 février 2023 dans le cadre de la présente instance, M. [M] fait valoir que la SIL a appartenu à la société SIL Europe à hauteur de 69,8% de son capital et à la société Eminence à hauteur de 30,2% de son capital (page 10).
Il résulte de ces éléments, pour le moins confus, qu’en réalité la prise de participation de la société Eminence dans le capital de la SIL, en 2003, a précédé celle de de la société SIL Europe en 2004, de sorte qu’au moment du prononcé de la liquidation judiciaire de la SIL (le 29 décembre 2008) et de la signature du protocole, la société Eminence n’était plus propriétaire de parts sociales de la SIL.
Etant une société de production, la société Eminence a néanmoins conservé des relations commerciales avec la SIL et, au moment de la liquidation de cette dernière, détenait une créance fournisseur à hauteur de 13,9 millions d’euros (soit la créance principale si un passif vérifié de plus de 27 millions d’euros).
Le protocole (pièce 1 de l’appelant) précise en introduction que M. [M], désigné liquidateur judiciaire de la SIL, a souhaité obtenir des informations sur certains flux financiers et sur le rôle de la société Eminence dans la gestion de la SIL.
C’est dans ce contexte qu’a été négocié et signé le protocole.
La société SIL Europe n’est ni partie ni signataire du protocole, lequel a été signé entre M. [M], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SIL, et la société Eminence. Elle est mentionnée dans l’introduction du protocole comme détenant la deuxième créance la plus importante à l’encontre de la SIL (8 900 000 euros), mais elle n’est pas citée dans les articles détaillant les engagements réciproques des parties ni dans la liste des filiales de la société Finathem Europe (dont fait partie la société Eminence). A aucun moment, la société SIL Europe n’est présentée comme étant une filiale ou un actionnaire de la société Eminence ou de la société Finathem Europe ou comme faisant partie du « groupe Eminence » (pièce 1 de l’appelant).
Par ailleurs, il n’est pas démontré de lien financier ou de lien comptable entre les sociétés SIL Europe et Eminence (ou Finathem Europe). Les comptes consolidés de la société Finathem Europe (société-mère de la société Eminence) ne font pas référence à la société SIL Europe alors même que ces comptes sont présentés selon la méthode de l’intégration globale de toutes les filiales du groupe. Sont donc intégrés aux comptes consolidés la société Finathem, sa filiale la société Eminence et six autres filiales, lesquelles sont d’ailleurs expressément listées dans le protocole. La société SIL Europe n’apparaît pas dans ces comptes consolidés et ne fait pas partie des filiales listées dans le protocole (pièces 1, 2 et 3 de la société Eminence : rapport du commissaire aux comptes pour les années 2007 à 2009).
Il en résulte que l’adverbe « notamment » précédant l’énumération des filiales de la société Finathem Europe dans le protocole n’a pas la portée que M. [M] lui prête et ne peut être interprété comme supposant qu’une autre société pourrait être filiale de la société Finathem Europe à ce moment-là.
Au surplus, il aurait été totalement surprenant que, dans l’hypothèse où la société SIL Europe aurait appartenu au « groupe Eminence », elle eut été oubliée du protocole alors même qu’elle détenait sur la SIL la deuxième créance la plus importante (presque 9 millions d’euros sur un passif vérifié total de plus de 27 millions d’euros).
Par ailleurs, M. [M] insiste sur le fait que M. [C], M. [J] et M. [D] sont membres du comité de surveillance de la société Eminence, administrateurs de la société Finathem Europe et, parallèlement, administrateurs de la société SIL Europe. La présence de trois dirigeants ou administrateurs communs, en l’absence de toute participation ou lien capitalistique entre les sociétés, ne suffit pas à démontrer, à elle-seule, des liens de participation et/ou de contrôle susceptibles de caractériser un groupe de sociétés.
Ainsi, M. [M] ne démontre pas un régime d’intégration fiscale entre la société SIL Europe et la société Eminence, ni le fait qu’elles seraient soumises à l’obligation d’établir et de publier des comptes consolidés, ou aux obligations d’information en matière de prises de participations.
Par conséquent, il échoue à démontrer que la société SIL Europe fait partie du « groupe Eminence » et serait concernée par l’engagement de porte fort prévu au protocole.
Il a donc commis une faute en excluant de la répartition du boni de liquidation la société SIL Europe, alors même que la créance de cette dernière avait été admise au passif et apparaissait d’ailleurs dans l’état des situations en cours établi par M. [M] le 29 juin 2017 (pièce 3 de la société SIL Europe).
En outre, il est parfaitement établi par la société SIL Europe que M. [M] n’a pas répondu à ses nombreuses sollicitations et sommation de communiquer pendant plusieurs mois, et que la société SIL Europe a dû elle-même déposer une requête aux fins de clôture de la procédure (pièces 4 et 15 à 20 de SIL Europe).
Il résulte dès lors de l’ensemble de ces éléments, que le jugement doit être confirmé en ce qu’il a considéré que M. [M] avait commis une faute en excluant de la répartition du boni de liquidation la société SIL Europe et en ne donnant aucune suite à ses sollicitations.
Sur le préjudice et le lien de causalité
Moyens des parties
Poursuivant la confirmation du jugement en ce qu’il a condamné M. [M] à lui verser 1 651 484 euros au titre des répartitions chirographaires, la société SIL Europe demande à la cour, au fondement de l’article 1240 du code civil, de lui allouer la même somme à titre de dommages et intérêts, et de l’assortir d’un intérêt de retard au taux légal à compter du jour de la clôture de la liquidation judiciaire de la SIL le 14 juin 2017.
Elle précise que le boni de liquidation s’est élevé à 3 771 310,27 euros (d’après la requête aux fins de fixation du montant de sa rémunération de M. [M], qui s’est élevée à 1 348 821 euros) et qu’il a été réparti comme suit : 625 172,48 euros aux créanciers super privilégiés, 1 045 996,26 euros aux créanciers privilégiés et 2 162 894,93 répartis entre les créanciers chirographaires.
Considérant que le passif représenté par les créanciers chirographaires, déduction faite de la créance de la société Eminence (13 915 203,30 euros), s’est élevé à 11 656 021,78 euros, elle estime qu’elle aurait dû recevoir, comme chaque créancier chirographaire, dans le cadre de la répartition :
(100 x 2 162 894,93) / 11 656 021 = 18,56% de sa créance.
Elle évalue donc le montant de son préjudice à :
8 900 000 x 18,56% = 1 651 484 euros.
M. [M] conteste que la société SIL Europe ait découvert incidemment qu’elle avait été exclue de la répartition, et reprend les énonciations du jugement de clôture du 14 juin 2017 qui mentionne la « requête de la société SIL Europe ». Il soutient qu’elle a nécessairement eu connaissance du rapport de clôture du 12 mai 2017 qui prévoyait le paiement des créanciers super privilégiés et privilégiés et une répartition pour les créanciers chirographaires. Il ajoute que la société SIL Europe n’a pas formé tierce-opposition au jugement de clôture et n’est intervenue que postérieurement, de sorte qu’elle est exclusivement à l’origine de son préjudice.
Il précise en outre que les intérêts au taux légal ne pourraient courir, en cas de condamnation, qu’à compter de la décision constitutive de droit.
Appréciation de la cour
Il résulte directement de la faute de M. [M] un préjudice personnel et certain pour la société SIL Europe constitué par le manque à gagner de ce qu’elle aurait dû percevoir dans le cadre de la répartition entre créanciers chirographaires.
Il ressort du rapport de clôture du 12 mai 2017 et du jugement de clôture de la liquidation judiciaire de la SIL du 14 juin 2017 qu’elle a été prononcée sur requête de M. [M] et sur requête de la société SIL Europe, les parties ayant été dûment convoquées (pièces 7 et 8 société SIL Europe). La société SIL Europe n’était donc pas tiers à la procédure, et le recours de la tierce opposition ne lui était donc pas ouvert. Et en tout état de cause, à supposer qu’elle eut obtenu l’infirmation du jugement ayant prononcé la clôture, l’actif était insuffisant à la désintéresser au moins partiellement puisque le boni de liquidation avait déjà été réparti entre les créanciers chirographaires. Il n’est donc pas établi que la société SIL Europe a contribué à l’aggravation de son préjudice. Au contraire, cette dernière démontre avoir relancé à plusieurs reprises le liquidateur judiciaire dès le 25 novembre 2016 pour obtenir la clôture de la procédure et la répartition du boni de liquidation (pièces 10,15 à 22 de la société SIL Europe), sans obtenir de réponse et a finalement été exclue de la répartition.
La société SIL Europe justifie également avoir interrogé M. [M] sur le sort d’un solde de plus de trois millions d’euros restant après répartition entre les créanciers et paiement de la rémunération de M. [M] (soit 1,3 millions d’euros environ) (pièces 24 et 25 société SIL Europe), ce à quoi M. [M] n’apporte aucune explication.
C’est par conséquent à bon droit que les premiers juges ont condamné M. [M] à indemniser la société SIL Europe à hauteur de 1 651 484 euros (correspondant à ce qu’elle aurait dû percevoir si elle avait été inclue dans la répartition), cette somme n’étant au demeurant pas contestée par l’appelant.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement, soit à compter du 1er décembre 2020, date de la décision ayant reconnu la responsabilité de M. [M]. La demande de la société SIL Europe visant à décompter les intérêts à compter de la clôture le 14 juin 2017, sera rejetée.
Sur l’appel en garantie
Moyens des parties
Poursuivant l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté sa demande d’appel en garantie, M. [M] demande à la cour, au fondement des articles L. 233-1 et suivants du code de commerce et de l’engagement de porte fort prévu au protocole d’accord, de condamner la société Eminence à le relever et garantir indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre et au bénéfice de la société SIL Europe.
Il fait valoir que, si la société SIL Europe n’est pas stricto sensu une filiale de la société Eminence, la société Eminence ne peut disconvenir être elle-même une filiale de la société Finathem, elle-même filiale de la société Property Service, elle-même filiale de la société Holding Property Service, laquelle a pour filiale la société SIL Europe. Il en déduit que la société Eminence fait partie d’un groupe de sociétés incluant la société SIL Europe et qu’il appartient donc à la société Eminence de remplir son engagement de porte fort.
Répliquant à la partie adverse, il considère que la présentation des comptes de la société Eminence n’est pas de nature à établir que la société SIL Europe ne fait pas partie d’un même groupe.
Au fondement de l’article L. 233-1 du code de commerce, il indique qu’il existe entre la société Eminence et la société SIL Europe, à travers les sociétés holding dirigées par un faible nombre de personnes physiques, un contrôle d’ensemble et une unité de décision ainsi qu’une stratégie commune impulsée par la société mère. S’appuyant sur les mandats sociaux exercés par M. [C], il soutient que M. [C], en sa qualité de représentant de la société Finathem Europe, a le pouvoir de désigner le dirigeant de la société Eminence et que parallèlement, au moment de la régularisation du protocole litigieux, il signera, en sa qualité d’administrateur, les déclarations de créances de la société SIL Europe. Il en déduit qu’il serait fondé à solliciter la condamnation de la société Eminence à le relever et garantir indemne de toute condamnation.
Poursuivant la confirmation du jugement sur ce point, la société Eminence demande à la cour de débouter M. [M] de sa demande d’appel en garantie.
Elle fait valoir que les écritures de l’appelant ne comportent aucune critique du jugement, que lors de la procédure de liquidation judiciaire, M. [M] ne lui a jamais demandé de se porter fort de la créance de la société SIL Europe, qu’il ne l’a jamais mise en demeure de le faire et qu’il ne l’a attraite à la présente procédure que le 23 juillet 2019 (pièce 5 société Eminence), seize mois après l’assignation de la société SIL Europe. Elle considère donc que cet appel en garantie est artificiel et dilatoire.
Elle soutient que la société SIL Europe ne fait pas partie du « groupe Eminence », qu’elle n’est pas mentionnée comme une filiale dans les comptes consolidées de la société Finathem Europe, société mère de la société Eminence, alors même que les comptes sont présentés selon la méthode de l’intégration globale de toutes les filiales du groupe (soit la société Finathem, sa filiale la société Eminence et six autres filiales expressément listées dans le protocole).
Elle estime que l’adverbe « notamment » précédant l’énumération des filiales dans le protocole n’est qu’une maladresse de plume.
En outre, elle insiste sur le fait que l’existence de dirigeants ou administrateurs communs ne démontrent aucunement, à elle-seule, des liens capitalistiques susceptibles de caractériser un groupe de sociétés.
Par ailleurs, elle fait valoir que dans le cadre de l’instance prud’homale entre la SIL, alors en liquidation judiciaire, et ses salariés, M. [M] s’est prévalu de l’absence de tout lien entre la SIL et la société SIL Europe (sic).
Elle souligne enfin qu’à supposer que la société SIL Europe ait fait partie du « groupe Eminence » – ce qu’elle conteste ‘ il n’est absolument pas sérieux de l’avoir oubliée dans le protocole, alors qu’elle était le deuxième créancier le plus important de la SIL. Elle en déduit que l’argumentaire de M. [M], visant à tout prix à voir appliquer l’engagement de porte fort à la société SIL Europe, est empreint de mauvaise foi et, à tout le moins, dénué de sérieux.
Elle demande donc la confirmation du rejet de l’appel en garantie.
La société SIL Europe ne développe aucun moyen de fait ni de droit sur cette demande.
Appréciation de la cour
Il résulte de ce qui a été précédemment développé que la société SIL Europe n’est pas une filiale de la société Eminence et qu’elles ne sont liées par aucune prise de participation. Le fait que des personnes physiques similaires y exercent des mandats sociaux ne suffit pas à établir une unité de décision en amont ni le contrôle d’une société sur l’autre.
Dès lors, la société Eminence n’était aucunement tenue, au fondement du protocole, par son engagement de porte fort à l’égard de la société SIL Europe.
Au surplus, il est pour le moins surprenant qu’alors que M. [M] considère que la société Eminence s’est portée fort au nom de la société SIL Europe de ce que cette dernière accepterait d’être subordonnée aux autres créanciers, il ait attendu seize mois après l’assignation de la société SIL Europe pour faire intervenir la société Eminence à l’instance, et qu’à aucun moment avant cette date, il ne l’a mise en demeure d’exécuter l’engagement allégué.
C’est donc à bon droit que le tribunal a rejeté la demande d’appel en garantie présentée par M. [M]. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Moyens des parties
La société SIL Europe ne demande ni la confirmation ni l’infirmation du jugement sur les frais irrépétibles et les dépens, mais demande, à hauteur d’appel, que lui soient versés 22 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamnation de M. [M] aux entiers dépens (pièce 32).
La société Eminence demande la confirmation du jugement en ce qu’il a condamné M. [M] à lui verser 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il l’a condamné aux dépens. Elle demande, à hauteur d’appel, le versement de 7500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamnation de M. [M] aux entiers dépens.
M. [M] demande l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a condamné à verser 4000 euros à la société SIL Europe et 2000 euros à la société Eminence au titre de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il l’a condamné aux dépens.
Appréciation de la cour
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement en ce qu’il a statué sur les frais irrépétibles et les dépens.
Partie perdante, M. [M] sera condamné aux dépens d’appel.
L’équité commande en outre de le condamner à verser 6000 euros à la société SIL Europe et 3000 euros à la société Eminence au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
PRÉCISE que la condamnation de M. [M] à verser 1 651 484 euros à la société SIL Europe sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er décembre 2020 ;
REJETTE la demande de la société SIL Europe tendant à faire courir les intérêts à compter du 14 juin 2017 ;
CONDAMNE M. [M] à verser 6000 euros à la société SIL Europe et 3000 euros à la société Eminence au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
CONDAMNE M. [M] aux dépens d’appel ;
REJETTE toutes autres demandes.
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
– signé par Madame Sixtine DU CREST, conseiller pour la présidente empêchée et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Conseiller,