Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 8
ARRÊT DU 19 SEPTEMBRE 2023
(n° / 2023, 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/07326 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDQBO
Décision déférée à la Cour : Sur renvoi après cassation d’un arrêt du 17 février 2021 (RG n° V19-15.182) d’un arrêt rendu le 13 novembre 2018 par la chambre 1 du pôle 2 de la cour d’appel de Paris (RG 17/12048) sur appel d’un jugement du 15 mai 2017 du Tribunal de Grande Instance de Paris ( RG 14/16114)
APPELANT
Maître [D] [T] , ès qualités,
Dont les bureaux sont situés [Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Bernard VATIER de l’AARPI VATIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R280,
Assisté de Me Bertrand DUCASSE, avocat au barreau de PARIS, toque : R280,
INTIMÉE
S.A.S. IMAERO INVEST, anciennement dénommée ‘HOLCO SAS’, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 438 656 670,
Dont le siège social est situé [Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP SCP GALLAND VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010,
Assistée de Me Vincent OLLIVIER de la SELEURL SELARL TERSEE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0846,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 905 et 1037-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 juin 2023, en audience publique, devant la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
Madame Constance LACHEZE, conseillère,
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Florence DUBOIS-STEVANT dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
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FAITS ET PROCÉDURE:
Par jugement du 19 juin 2001, le tribunal de commerce de Paris a ouvert le redressement judiciaire des entités de tête du groupe AOM Air Liberté et désigné notamment
Me [T] représentant des créanciers.
Par jugement du 27 juillet 2001, le tribunal a arrêté le plan de cession des sociétés du groupe au bénéfice de la société Holco, devenue Imaero invest ( » la société Imaero invest ») sous la condition de la régularisation d’une transaction, au plus tard le 31 juillet 2001, par laquelle des sociétés de l’actionnaire de référence, le groupe Swissair, dont les sociétés SAirGroup et SAirlines, devaient s’engager à contribuer au financement de la restructuration, de l’activité et de la reprise des actifs.
Ce protocole transactionnel a été signé les 31 juillet et 1er août 2001 puis homologué par le tribunal le 1er août 2001. Il prévoit l’engagement des sociétés SAirGroup et SAirlines à faire bénéficier le repreneur d’une contribution financière d’un montant global et forfaitaire de 1,25 milliard de francs et la prise en charge du traitement des billets émis par la société AOM Minerve et non utilisés à concurrence d’un montant maximum forfaitaire de 200 millions de francs.
Par jugement rectificatif du 13 septembre 2001, le tribunal a accordé à la société Imaero invest la faculté de se substituer toute entité créée pour les besoins de la reprise. La société Imaero invest a ainsi créé, sous la forme de filiales, le 21 décembre 2001, la société d’exploitation AOM Air Liberté ( » la société Air Lib « ), pour reprendre l’activité principale de transport aérien représentant 86 % des salariés, et d’autres sociétés, pour reprendre les activités accessoires.
Entre-temps, les sociétés SAirGroup et SAirlines ont réglé à la société Imaero invest les trois premières échéances (13 août, 31 août et 3 septembre 2001) de la contribution volontaire prévue à la transaction pour un montant total de 1,05 milliard de francs avant d’être mises, au début du mois d’octobre 2001, sous un régime du sursis concordataire provisoire de droit suisse.
Le groupe Swissair a été démantelé et l’activité aérienne transférée sur une filiale, la société Crossair. La société Swiss International Airlines ( » la société Swiss « ) a été créée en 2002 et a pris la suite de l’activité aérienne du groupe Swissair. En réponse à une action judiciaire initiée contre elle en janvier 2001 devant le tribunal de commerce de Paris, la société Swiss a contesté être tenue de verser le solde de la contribution financière (200 millions de francs).
Le 9 janvier 2002, l’Etat français a consenti un prêt à la société Air Lib qui s’est engagée à affecter à son remboursement toutes les sommes à recevoir en exécution du protocole des 31 juillet et 1er août 2001 et à nantir son fonds de commerce au profit de l’Etat en garantie du remboursement du prêt. L’Etat a également obtenu le nantissement à son profit, par la société Imaero invest, des créances détenues par elle sur l’ensemble des sociétés du groupe Swissair au titre du protocole des 31 juillet et 1er août 2001.
Par jugement du 17 février 2003, confirmé par un arrêt du 4 avril 2003, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société Air Lib et désigné notamment Me [T] liquidateur. L’Etat a déclaré sa créance à hauteur de 32.147.271,69 euros.
La société Air Lib et la société Imaero invest ont chacune déclaré la même créance au passif de chacune des sociétés SAirGroup et SAirlines pour un montant de 54.231.646,51 francs suisses résultant de l’inexécution partielle du protocole des 31 juillet et 1er août 2001. La créance a été dans les deux cas colloquée au seul bénéfice de la société Imaero invest, la déclaration de créance de la société Air Lib ayant été rejetée. Me [T] ès qualités a contesté en vain cette collocation devant les juridictions fédérales suisses.
Des poursuites pénales ont été engagées contre M. [I], alors dirigeant de la société Imaero invest, concernant les sommes versées avant l’ouverture de la procédure collective par les sociétés SAirGroup et SAirlines. Par arrêt correctionnel du 27 février 2009 de la cour d’appel de Paris, il a été déclaré coupable d’abus de confiance et condamné à payer aux liquidateurs de la société Air Lib la somme de 14.140.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Le 14 juin 2004, la société Imaero invest et les liquidateurs de la société Air Lib, d’une part, et la société Swiss, d’autre part, en présence de l’Etat français, ont conclu une transaction aux termes de laquelle la société Swiss s’est engagée à verser à titre transactionnel, global, forfaitaire, exclusif et définitif la somme de 20 millions d’euros entre les mains de l’Etat en sa qualité de créancier nanti, afin d’éteindre toute créance que les sociétés Imaero invest et/ou Air Lib prétendaient détenir, à quelque titre que ce soit, y compris notamment, mais de manière non limitative, au titre du protocole des 31 juillet et 1er août 2001, ainsi qu’à couvrir toutes autres obligations de quelque nature que ce soit dont les sociétés Imaero invest et Air Lib s’estimeraient être créancières.
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Le 5 juin 2012, Me [T] ès qualités a assigné les sociétés Imaero invest, SAirGroup et SAirlines et leurs liquidateurs, et l’Etat français devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de dire que les dividendes concordataires à percevoir au titre du protocole des 31 juillet et 1er août 2001 devaient lui être versés par les liquidateurs des sociétés SAirGroup et Sairlines, que le nantissement consenti par la société Imaero invest à l’Etat en garantie du prêt du 9 janvier 2012 était nul et de condamner l’Etat à lui verser la somme de 20 millions d’euros au titre des fonds déjà perçus.
En réplique, la société Imaero invest a soulevé diverses fins de non-recevoir, dont la prescription, et demandé la condamnation des sociétés SAirGroup et SAirlines à lui verser le solde des sommes dues en exécution du protocole et la condamnation de Me [T] ès qualités au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive.
L’Etat a également soulevé diverses fins de non-recevoir et a demandé au tribunal de dire que les dividendes concordataires devaient lui revenir en sa qualité de créancier nanti et qu’il devait percevoir le solde de sa créance et de condamner Me [T] ès qualités au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Les sociétés SAirGroup et SAirlines n’ont pas constitué avocat.
Par jugement du 15 mai 2017, le tribunal a :
– déclaré prescrite l’action engagée par Me [T] ès qualités à l’encontre de l’agent judiciaire de l’Etat,
– déclaré prescrite l’action engagée par Me [T] ès qualités à l’encontre de la société Imaero invest,
– dit que les dividendes concordataires devaient revenir à l’Etat en sa qualité de créancier nanti à hauteur de 12.147.271,69 euros,
– dit en conséquence que si des fonds étaient disponibles, les sociétés SAirLines et SAirGroup, en liquidation concordataire, devront verser directement à l’agent judiciaire de l’Etat le montant des dividendes concordataires dus au titre de la créance de la société Imaero invest à concurrence de 12.147.271,69 euros,
– dit que, dans la limite de l’admission de la créance de la société Imaero invest, le solde des sommes restant disponibles au titre des dividendes concordataires pourra être versé à la société Imaero invest,
– rejeté les autres demandes,
– condamné Me [T] ès qualités à verser à l’agent judiciaire de l’Etat la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Me [T] ès qualités à verser à Imaero invest la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Me [T] ès qualités aux dépens avec droit de recouvrement direct.
Me [T] ès qualités a fait appel de ce jugement et, par arrêt du 13 novembre 2018, la cour d’appel de Paris a :
– confirmé le jugement en ce qu’il a :
– déclaré prescrite l’action engagée par Me [T] ès qualités à l’encontre de l’agent judiciaire de l’Etat,
– dit que les dividendes concordataires devaient revenir à l’Etat en sa qualité de créancier nanti à hauteur de 12.147.271,69 euros,
– dit en conséquence que si des fonds étaient disponibles, les sociétés SAirLines et SairGroup, en liquidation concordataire, devront verser directement à l’agent judiciaire de l’Etat le montant des dividendes concordataires dus au titre de la créance de la société Holco, devenue Imaero invest, à concurrence de 12.147.271,69 euros,
– dit que, dans la limite de l’admission de la créance de la société Imaero invest, le solde des sommes restant disponibles au titre des dividendes concordataires pourra être versé à la société Imaero invest,
– l’a infirmé pour le surplus et statuant à nouveau :
– déclaré recevable l’action engagée par Me [T] ès qualités à l’encontre de la société Imaero invest,
– condamné la société Imaero invest à reverser immédiatement à Me [T] ès qualités le solde des sommes restant disponibles au titre des dividendes concordataires qu’elle recevra au titre de la disposition ci-dessus,
– condamné Me [T] ès qualités à verser à l’agent judiciaire de l’Etat la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles en première instance et la somme de 10.000 euros pour ses frais irrépétibles en appel,
– dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en faveur ou à l’encontre de la société Imaero invest, au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel,
– dit que chaque partie conservera à sa charge les dépens qu’elle a exposés en première instance et en appel.
La société Imaero invest a formé un pourvoi contre cet arrêt et, par arrêt du 17 février 2021, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il déclare recevable l’action engagée par Me [T] ès qualités et condamne la société Imaero invest, à lui reverser immédiatement le solde des sommes restant disponibles au titre des dividendes concordataires qu’elle recevra au titre de la disposition ci-dessus, et a renvoyé l’affaire et les parties devant la cour d’appel de Paris autrement composée.
Par acte du 12 avril 2021, Me [T] ès qualités a saisi la cour de renvoi en appelant dans la cause la seule société Imaero invest.
Par dernières conclusions n° 3 déposées au greffe et notifiées par RPVA le 13 avril 2023, Me [T] ès qualités demande à la cour :
– à titre liminaire, de surseoir à statuer dans l’attente de l’issue de l’enquête préliminaire ouverte sous le numéro parquet 22185000422 par une décision définitive ;
– d’infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande en reversement des sommes versées par le liquidateur des sociétés SAirLines et SAirGroup ;
– de juger que la société Imaearo invest est tenue de reverser à la liquidation judiciaire de la société Air Lib l’ensemble des sommes qui lui seront remises au titre des dividendes concordataires en exécution du protocole d’accord du 31 juillet 2001 ;
– de désigner tel mandataire qu’il plaira à la cour de nommer aux fins de représenter la société Imaero invest auprès des liquidateurs des sociétés SAirLines et SAirGroup avec mission de se faire remettre l’ensemble des sommes dues en vertu du protocole d’accord du 31 juillet 2001 et de les reverser à la liquidation judiciaire de la société Air Lib ;
– de condamner la société Imaero invest au paiement de la somme de 150.000 euros en réparation du préjudice causé du fait de son refus d’exécuter les obligations par elle prises dans le cadre du plan de redressement du groupe AOM-TAT-Air Liberté et dans le cadre de la substitution de la société Air Lib dans les obligations auxquelles elle est tenue ;
– de débouter la société Imaero invest de l’ensemble de ses demandes et de son appel incident ;
– de condamner la société Imaero invest au paiement de la somme de 100.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 17 avril 2023, la société Imaero invest demande à la cour :
– d’écarter des débats les pièces 72 et 73 communiquées le 13 avril 2023 par Me [T];
– de rejeter la demande de sursis à statuer ;
– de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a déclaré irrecevables les prétentions de
Me [T] ès qualités ;
– de confirmer (et en tout état de cause juger définitives) les dispositions du jugement déféré par lesquelles les premiers juges ont :
– dit que les dividendes concordataires doivent revenir à l’Etat en sa qualité de créancier nanti à hauteur de 12.141.271,69 euros,
– dit en conséquence, que si des fonds sont disponibles, la société SAirLines et la société SAirGroup devront verser directement à l’agent judiciaire de l’Etat français le montant des dividendes concordataires dues au titre de la créance de la société Imaero invest, à concurrence de 12.147.271,69 euros,
– dit que, dans la limite de l’admission de la créance de la société Imaero invest, le solde des sommes restant disponibles au titre des dividendes concordataires pourra être versé à la société Imaero invest ;
– de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné Me [T] ès qualités à lui verser une somme de 30.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais de procédure de première instance ;
– de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné Me [T] ès qualités à supporter les dépens de première instance ;
– en tout état de cause, de rejeter les demandes de Me [T] ès qualités ;
– ajoutant au jugement, de condamner Me [T] ès qualités à lui payer une somme de 1.102.000 euros pour appel abusif, avec intérêt au taux légal et capitalisation par année en cours, une somme de 40.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de procédure d’appel, aux dépens de la présente procédure comme ceux de la décision cassée avec droit de recouvrement direct.
SUR CE,
Compte tenu de l’étendue de la cassation, la cour d’appel de renvoi est saisie du chef du jugement ayant déclaré prescrite l’action engagée par Me [T] ès qualités à l’encontre de la société Imaero invest et, le cas échéant, de la demande Me [T] ès qualités en reversement à son profit des sommes versées à la société Imaero invest par les liquidateurs des sociétés SAirLines et SAirGroup au titre de sa créance résultant du protocole d’accord des 31 juillet et 1er août 2001.
La cour de céans n’étant pas saisie des autres chefs du jugement non atteints par la cassation, elle n’a pas à statuer, dans le sens de la confirmation comme le demande la société Imaero invest, sur les dispositions du jugement qui ont dit que les dividendes concordataires devaient revenir à l’Etat en sa qualité de créancier nanti à hauteur de 12.147.271,69 euros, que si des fonds étaient disponibles, les sociétés SAirLines et SairGroup, en liquidation concordataire, devront verser directement à l’agent judiciaire de l’Etat le montant des dividendes concordataires dus au titre de la créance de la société Imaero invest, à concurrence de 12.147.271,69 euros, et que, dans la limite de l’admission de la créance de la société Imaero invest, le solde des sommes restant disponibles au titre des dividendes concordataires pourra être versé à la société Imaero invest.
Etant irrévocablement jugé que les dividendes concordataires doivent être versés en premier lieu à l’Etat français et, pour le surplus des dividendes disponibles, à la société Imaero invest dans les limites des créances admises, l’action de Me [T] ès qualités tend à voir condamner la société Imaero invest à lui reverser les sommes ainsi perçues et ce, en exécution du protocole des 31 juillet et 1er août 2001.
1. Sur la demande de rejet des débats des pièces n° 72 et 73 communiquées par
Me [T] ès qualités
Cette demande ayant trait à des pièces produites par Me [T] ès qualités à l’appui de sa demande de sursis à statuer sera examinée en premier lieu.
Les pièces litigieuses sont constituées d’échanges de courriels, confidentiels selon la société Imaero invest, entre le cabinet de Me Vatier, conseil de Me [T] ès qualités, et son propre conseil suisse et d’un projet inabouti d’une convention de séquestre qui faisait l’objet de discussions entre ces conseils. La société Imaerao invest soutient qu’étant couvertes par le secret professionnel, ainsi que le prévoit l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, ces pièces doivent être écartées des débats.
Me [T] ès qualités ne réplique pas sur ce point.
L’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction applicable en la cause, dispose qu’ » en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, (‘) les correspondances échangées (‘) entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention » officielle » (‘) plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel « .
La pièce 72 est constituée d’échanges de courriels entre les conseils de Me [T] ès qualités et de la société Imaero invest dont seuls ceux des 23 février et 8 mars 2022 portent la mention » mail officiel « . La confidentialité attachée aux courriels dépourvus de cette dernière mention n’est pas contestée par Me [T] ès qualités.
Quant à la pièce 73, elle est constituée d’un document joint à l’un de ces courriels confidentiels. Son propre caractère confidentiel n’est pas non plus contesté par
Me [T] ès qualités.
Ces correspondances et pièce échangées par les conseils des parties au présent litige, dépourvues de caractère officiel, sont couvertes par le secret professionnel et doivent, à ce titre, être écartées des débats. Il sera donc fait droit à la demande de la société Imaero invest.
2. Sur la demande de sursis à statuer
Me [T] ès qualités sollicite un sursis à statuer dans l’attente d’une décision définitive relative à une enquête préliminaire en cours pour abus de confiance.
Il expose que, dans le cadre des négociations avec les liquidateurs suisses en vue de la conclusion d’une convention de séquestre des fonds concordataires litigieux, il a eu connaissance de ce que » la créance affectée à la société AOM Air liberté [la société Air Lib] a fait l’objet de cessions au bénéfice de trois cabinets d’avocats, conseils de la société Imaero invest « . Il soutient que, comme il a été définitivement jugé que la créance revenait à la société Air Lib et que tout acte de disposition de cette créance est susceptible de constituer un abus de confiance, que ces cessions de créance constituent des actes de disposition susceptibles de recevoir la qualification d’abus de confiance et de priver la liquidation judiciaire de la société Air Lib de recevoir les sommes qui lui reviennent et que le sort de la procédure pénale aura pour conséquence de priver d’objet la présente instance. Il précise avoir eu connaissance récemment de l’existence de cette enquête préliminaire pour abus de confiance concernant le détournement de cette créance issue du protocole d’accord des 31 juillet et 1er août 2001.
La société Imaerao invest s’oppose au sursis à statuer demandé arguant que le résultat de l’enquête préliminaire invoquée sera sans incidence sur la présente instance dès lors que la Cour de cassation a déjà rejeté l’argumentation selon laquelle les décisions pénales rendues contre son ancien dirigeant pouvaient avoir une incidence sur le litige objet de la présente procédure, que l’abus de confiance allégué est infondé, les fonds litigieux étant encore en Suisse et étant sa propriété, et que l’aboutissement d’une enquête préliminaire n’est pas susceptible de modifier les termes du litige, la cour étant saisie de la seule question de la prescription de l’action engagée par Me [T] ès qualités et un éventuel abus de confiance commis en 2022 par ses conseils étant insusceptible d’exercer une influence sur la question de la prescription de l’action engagée en 2012. Elle ajoute que Me [T] ès qualités n’a pas eu récemment connaissance de l’existence d’une enquête préliminaire puisqu’il en est lui-même à l’origine par sa saisine du parquet de Créteil courant juin 2022.
La cour est saisie de la recevabilité de l’action engagée en 2012 par Me [T] ès qualités tendant à obtenir le paiement par les sociétés SAirLines et SairGroup, en liquidation concordataire, du solde de la contribution qu’elles s’étaient engagées à verser en vertu d’un protocole des 31 juillet et 1er août 2001, directement des mains des liquidateurs suisses ou des mains de la société Imaero invest, en tant que bénéficiaire de dividendes concordataires, et du bien-fondé de sa demande formée en dernier lieu à l’encontre de la seule société Imaero invest en exécution de ce protocole conclu en 2001. La commission par la société Imaero invest d’un abus de confiance postérieurement à l’arrêt de la Cour de cassation du 17 février 2021, à la supposée établie, est donc sans influence sur la solution du litige qui dépend en premier lieu de l’appréciation des règles de prescription applicables en la cause – Me [T] ès qualités ne soutenant pas que les actes d’enquête pénale auraient un quelconque effet sur la prescription de son action – et, sur le fond, de l’appréciation des termes du protocole des 31 juillet et 1er août 2001 quant aux obligations de la société Imaero invest, anciennement Holco, qui ne saurait dépendre d’un délit commis vingt ans plus tard, ce que Me [T] ès qualités ne soutient au demeurant pas non plus.
La seule circonstance, alléguée par Me [T] ès qualités, qu’une décision pénale relative au délit dénoncé rendrait sans objet sa propre demande en paiement formée dans la présente instance n’établit pas qu’il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de surseoir à statuer alors même que la partie adverse s’y oppose et que l’enquête pénale est sans influence sur l’appréciation de la demande de Me [T] ès qualités.
La demande sera donc rejetée.
3. Sur la prescription de l’action de Me [T] ès qualités en reversement par la société Imaero invest des sommes versées par le liquidateur des sociétés SAirLines et SairGroup
Sur l’absence de critique du jugement :
La société Imaerao invest soutient d’abord que Me [T] ès qualités ne critique pas le jugement sur la prescription de telle sorte que la prescription s’impose à Me [T] ès qualités. Elle fait valoir, d’une part, que Me [T] ès qualités demande à la cour l’infirmation du jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable sa demande en reversement – par la société Imaero invest – des sommes versées par les liquidateurs suisses, alors que l’action ne visait pas à demander un tel reversement mais à ce que les sommes à payer par les liquidateurs suisses soient versées directement à Me [T] ès qualités, et que, d’autre part, les dispositions du jugement rejetant cette demande de versement des liquidateurs suisses entre les mains de Me [T] ès qualités sont définitives car non critiquées en appel.
Me [T] ès qualités réplique que l’objet du litige porte sur l’exécution de la stipulation pour autrui comprise dans le protocole des 31 juillet et 1er août 2001, que l’affectation de la créance au bénéfice de la société Air Lib n’est pas contestable ni contestée et que le versement des dividendes concordataires tel que prévu par le jugement dont appel n’a pas pour effet d’affranchir la société Imaero invest de son obligation de reversement à la liquidation judiciaire de la société Air Lib.
L’action de Me [T] ès qualités a été engagée à l’encontre de la société Imaero invest et des liquidateurs suisses des sociétés SAirLines et SAirGroup afin de faire valoir les droits de la société Air Lib sur la contribution financière ayant conditionné le plan de cession que ces deux sociétés s’étaient engagées à verser. Les demandes en paiement formées successivement par Me [T] ès qualités, à l’égard des liquidateurs suisses en première instance et à l’égard de la société Imaero invest devant la cour de renvoi, ont le même objet qui est de faire reconnaître les droits de la société Air Lib sur cette contribution financière et d’en obtenir le paiement complet entre les mains du détenteur des sommes qui lui reviennent à ce titre. La prescription constatée par le tribunal atteint cette action, quelles que soient les demandes formées par Me [T] ès qualités pour faire valoir les droits objets de cette action. Il s’ensuit qu’en demandant l’infirmation du jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable sa demande en reversement des sommes versées par le liquidateur des sociétés SAirLines et SAirGroup, Me [T] ès qualités a saisi la cour d’une critique du jugement ayant déclaré prescrite son action engagée à l’encontre de la société Imaero invest et que la disposition ainsi critiquée n’est pas définitive.
Sur la prescription :
Me [T] ès qualités soutient en premier lieu que son droit à la perception des sommes dues par les sociétés SAirLines et SAirGroup en vertu du protocole est un droit définitivement acquis par l’autorité de la chose jugée de l’arrêt correctionnel du 27 février 2009 dès lors que cet arrêt a dit que si les fonds devaient être versés à la société Imaero invest, la décision du tribunal de commerce du 27 juillet 2001 et la commune intention des parties exprimée dans le protocole homologué le 1er août 2001 étaient que la contribution de Swissair soit affectée à un usage déterminé et que la remise des fonds à la société Imaero invest était bien à titre précaire, que cet arrêt rendu par une juridiction pénale a autorité de la chose jugée quant aux faits sur lesquels il a statué, que la société Air Lib dispose d’une créance à l’égard de la société Imaero invest ayant pour source le protocole, le jugement d’arrêté du plan de cession et le jugement qui a autorisé la substitution de la société Air Lib, que ce protocole comprend une stipulation pour autrui, la société Imaero invest étant le promettant, la société Air Lib le futur tiers bénéficiaire et les sociétés SAirLines et SAirGroup les stipulants. Il ajoute que l’autorité de la chose jugée de l’arrêt du 27 février 2009 implique que le non reversement des sommes restant à percevoir constituerait un nouvel abus de confiance.
Me [T] ès qualités soutient en second lieu que la prescription n’a pas couru faisant valoir que la créance de la société Air Lib sur la société Imaero invest est une créance à terme, car exigible lorsque la société Imaero invest a elle-même encaissé les fonds correspondants, et que la prescription à l’égard d’une telle créance ne court pas tant que ce terme n’est pas échu.
La société Imaerao invest réplique que la demande de Me [T] ès qualités est prescrite, le délai de prescription ayant commencé à courir le 21 décembre 2001 et aucun acte ne l’ayant interrompu, que la prescription ne dépend pas de la procédure pénale invoquée, la valeur à reconnaître à l’arrêt du 27 février 2009 étant indifférente à la question de la prescription et n’étant ni allégué ni démontré que l’action pénale a pu interrompre la prescription, qu’enfin Me [T] ès qualités ne peut prétendre avoir une créance à terme.
Comme il a été précédemment dit Me [T] ès qualités entend faire valoir les droits de la société Air Lib sur la contribution financière ayant conditionné le plan de cession que les deux sociétés SAirLines et SAirGroup s’étaient engagées à verser et en obtenir le paiement complet.
Me [T] ès qualités soutient que ces droits sont définitivement acquis par l’autorité de la chose jugée de l’arrêt correctionnel du 27 février 2009 sans toutefois tirer de conséquences de ces allégations quant à la prescription de l’action qu’il a engagée à l’encontre de la société Imaero invest. Il se borne en effet à rappeler les motifs de cet arrêt et à invoquer l’autorité de la chose jugée sans soutenir que cet arrêt est susceptible de constituer le point de départ du délai de prescription ou un acte interruptif de ce même délai de prescription. En outre la circonstance que la juridiction correctionnelle a dit que les fonds versés à la société Imaero invest devaient être affectés à un usage déterminé, au profit de la société Air Lib notamment, et que ces fonds lui étaient ainsi remis à titre précaire, fait dont Me [T] ès qualités déduit que les droits de la société Air Lib sur ces fonds sont acquis, est sans aucun effet sur l’appréciation du cours de la prescription applicable à l’action civile engagée à l’encontre de la société Imaero invest précisément pour les récupérer.
Me [T] ès qualités fait valoir, en page 9 de ses écritures, que la créance dont il recherche le paiement a pour source le protocole des 31 juillet et 1er août 2001 conclu entre les sociétés du groupe AOM Air liberté, la société Imaero invest, alors dénommée Holco, et les sociétés SAirLines et SAirGroup, le jugement qui a arrêté le plan de cession et qui a fait de ce protocole une condition essentielle du plan de cession et le jugement qui a autorisé la substitution de la société Air Lib pour reprendre l’activité de transporteur aérien.
Aux termes du protocole, auquel la société Imaero invest, alors dénommée Holco, est partie en ce qu’elle agit tant pour elle-même que pour le compte des personnes morales qu’elle se substituerait, pour l’exécution de tout ou partie du plan de cession, pour lesquelles elle se porte fort, les sociétés SAirLines et SAirGroup consentent à la société Imaero invest, désignée comme » le repreneur « , une contribution financière » au plan de cession « .
Il résulte de ces termes que ces dispositions ne constituent pas une stipulation pour autrui.
En outre, dès lors que le protocole prévoit le paiement de la contribution au seul
» repreneur » et que Me [T] ès qualités revendique ses droits sur cette contribution en raison de la substitution de la société Air Lib à la société Imaero invest, alors dénommée Holco, pour reprendre l’activité de transporteur aérien, elle n’est pas une créance dont le terme est l’encaissement par la société Imaero invest des sommes dues par les sociétés SAirLines et SAirGroup à ce titre comme le soutient Me [T] ès qualités.
La créance constituée de cette contribution est en revanche une créance à terme en ce qu’un premier paiement devait, selon le protocole, intervenir le lendemain de la réalisation de la dernière des conditions suspensives et le solde selon un échéancier, la dernière échéance étant le 31 décembre 2001.
Il est constant que seules les trois premières échéances ont été acquittées et qu’aucune des autres, arrivées à terme, ne l’ont été de sorte que l’entièreté du solde de la contribution était exigible au plus tard le 31 décembre 2001.
Dès la date de sa constitution et de sa substitution immédiate à la société Imaero invest dans le bénéfice du plan de cession des sociétés du groupe AOM Air liberté, le 21 décembre 2001, la société Air Lib a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer ses droits sur la contribution financière ayant conditionné le plan de cession, que ces droits soient exercés à l’encontre des sociétés SAirLines et SAirGroup, débitrices de la contribution, ou de la société Imaero invest. La prescription a dès lors couru à compter du 21 décembre 2001 sur la partie alors échue de la contribution. La créance constituée de la dernière échéance de la contribution étant exigible le 31 décembre 2001 la prescription a couru à compter de cette dernière date sur cette dernière partie de la contribution.
En application des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008, les dispositions qui réduisent la durée de la prescription, comme en l’espèce où la durée de la prescription est passée de dix ans en application de l’article L.110-4 du code de commerce à cinq ans en application de l’article 2224 du code civil, s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
Ainsi, le point de départ de la prescription étant fixé en l’espèce aux 21 et 31 décembre 2001 selon les termes successifs de la créance, l’action devait être engagée avant respectivement les 21 et 31 décembre 2011, aucun acte interruptif du cours de la prescription n’étant allégué devant la cour de renvoi et la durée totale de la prescription ne pouvant pas excéder la durée de dix ans prévue par l’article L.110-4 du code de commerce.
Il s’ensuit que l’action de Me [T] ès qualités ayant été engagée à l’encontre de la société Imaero invest par assignation du 5 juin 2012 est prescrite. Le jugement sera donc confirmé.
4. Sur les autres demandes
Me [T] ès qualités demande réparation du préjudice causé par la société Imaero invest du fait de son refus d’exécuter les obligations prises dans le cadre du plan de redressement du groupe Aom Air Liberté et dans le cadre de la substitution de la société Air Lib dans les obligations auxquelles elle est tenue.
Mais l’issue du litige, impliquant, compte tenu de la prescription de l’action engagée par
Me [T] ès qualités, l’impossibilité pour la cour d’apprécier l’existence des obligations, alléguées, de la société Imaero invest vis-à-vis de la société Air Lib et, par suite, l’attitude de la société Imaero invest dans son refus persistant de reverser les dividendes concordataires reçus dans le cadre de la liquidation des sociétés SAirLines et SAirGroup, commande de débouter Me [T] ès qualités de cette demande.
La société Imaerao invest demande la condamnation de Me [T] ès qualités en paiement de dommages et intérêts pour saisine abusive de la cour de renvoi.
Toutefois il est loisible aux parties de soumettre à la cour de renvoi de nouveaux moyens à l’appui de leurs prétentions objet de la cassation et, en l’espèce, Me [T] ès qualités n’a pas commis d’abus en saisissant la cour de renvoi pour faire usage de cette faculté et ce, quand bien même ces moyens n’ont pas emporté la conviction de la cour de renvoi. En outre, les enjeux financiers étant importants, la persistance de Me [T] ès qualités à tenter de recouvrer un actif dans l’intérêt collectif des créanciers de la société Air Lib ne saurait être tenue pour relever d’une intention malicieuse. Il s’ensuit que la demande de la société Imaero invest sera rejetée.
L’issue du litige commande d’ordonner l’emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective de la société Air Lib qui ne peut dès lors prétendre à une indemnité au titre de ses frais irrépétibles. Tant l’équité que la situation économique de la société Air Lib, en liquidation judiciaire, justifient de débouter la société Imaero invest de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour statuant par arrêt contradictoire, dans les limites de la cassation,
Vu le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 15 mai 2017,
Vu l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 13 novembre 2018,
Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 17 février 2021,
Ecarte des débats les pièces n° 72 et 73 communiquées par Me [T] ès qualités ;
Déboute Me [T] ès qualités de sa demande de sursis à statuer ;
Confirme le jugement en ce qu’il a déclaré prescrite l’action engagée par Me [T] ès qualités à l’encontre de la société Imaero invest et a condamné Me [T] ès qualités aux dépens ;
L’infirme en ce qu’il a condamné Me [T] ès qualités à verser à la société Imaero invest la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau de ce seul chef infirmé,
Déboute la société Imaero invest de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
Y ajoutant,
Déboute Me [T] ès qualités et la société Imaero invest de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
Ordonne l’emploi des dépens d’appel et d’instance devant la cour de renvoi après cassation en frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la société AOM Air Liberté et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT