N° RG 23/00055 – N° Portalis DBV2-V-B7H-JN7I
COUR D’APPEL DE ROUEN
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
DU 13 DECEMBRE 2023
DÉCISION CONCERNÉE :
Décision rendue par le tribunal de commerce de Bernay en date du 25 mai 2023
DEMANDEUR :
Monsieur [I] [L]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représenté par Me Vincent BEUX-PRERE, avocat au barreau de Rouen plaidant par Me Rosalie SODALO
DÉFENDERESSE :
Madame [J] [C]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Jean-Michel EUDE de la SCP DOUCERAIN-EUDE-SEBIRE, avocat au barreau de l’Eure
DÉBATS :
En salle des référés, à l’audience publique du 15 novembre 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 13 décembre 2023, devant Edwige WITTRANT, présidente de chambre à la cour d’appel de Rouen, spécialement désignée par ordonnance de la première présidente de ladite cour pour la suppléer dans les fonctions qui lui sont attribuées,
Assistée de Catherine CHEVALIER, greffier,
DÉCISION :
Contradictoire
Prononcée publiquement le 13 décembre 2023, par mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
signée par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
*****
Mme [J] [C] a créé la Sas One Tribe Experience en juillet 2014 avec
M. [G]. En juin 2020, la cession des actions de M. [G] à son associée est régularisée par acte sous seing privé.
M. [L], également exploitant d’un club sportif et commercial de la marque d’équipement sportif Matrix, a pris contact avec Mme [C] le 10 décembre 2021 afin de lui acheter ses actions.
Le 8 juillet 2022, M. [L] et Mme [C] signent les documents de cession des actions. Il est également prévu entre M. [L] et Mme [C] que cette dernière soit salariée au sein de la Sas One Tribe Experience, désormais présidée par M. [L].
En définitive, les relations entre les parties vont se dégrader : M. [L] ne paiera pas le solde du prix de vente des actions et ne consentira pas à Mme [C] le contrat de travail prévu.
Par acte d’huissier du 1er décembre 2022, Mme [C] a fait assigner
M. [L] devant le tribunal de commerce compétent afin d’obtenir le paiement des sommes dues et des indemnisations pour les préjudicies subis.
Par jugement contradictoire du 25 mai 2023, le tribunal de commerce de Bernay a :
– dit n’y avoir lieu à réouverture des débats ;
– reçu Mme [C] en ses demandes, les déclarant partiellement fondées ;
– condamné M. [L] à payer à Mme [C] la somme de 78 000 euros représentant le solde du prix de vente des actions ;
– condamné M. [L] à faire procéder à la levée de l’engagement de caution de Mme [C] sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, débutant 15 jours après la signification du présent jugement ;
– condamné M. [L] à payer à Mme [C] la somme de 6 800 euros à titre de dommages-intérêts, pour non-régularisation du contrat de travail promis ;
– condamné M. [L] à payer à Mme [C] la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et financier ;
– dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit ;
– débouté les parties de leurs autres ou plus amples demandes ;
– condamné M. [L] aux dépens, ceux visés à l’article 701 du code de procédure civile étant liquidés à la somme de 60,22 euros et à payer à Mme [C] de 5 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe le 10 juillet 2023, M. [L] a formé appel du jugement.
Par assignation en référé délivrée le 4 août 2023, puis par dernières conclusions notifiées le 7 novembre 2023, M. [L] demande à la juridiction, au visa de l’article 514-3 du code de procédure civile, afin de :
– rejeter toutes les demandes de Mme [C] ;
– juger que l’exécution provisoire ordonnée par le jugement rendu au profit de Mme [C] est arrêtée jusqu’à la date à laquelle il sera statué sur l’appel qu’il a interjeté ;
en conséquence,
– juger que le natissement provisoire des parts sociales de la société Home Fitness, sa première société, est arrêté,
– dire que les frais du référé seront joints aux dépens de la procédure d’appel.
Au titre des moyens sérieux d’annulation ou de réformation du jugement, il estime en premier lieu que le principe du contradictoire n’a pas été respecté par la décision entreprise dès lors qu’il n’a pas pu faire valoir ses arguments lors de l’audience de plaidoiries du 23 mars 2023. Il indique également qu’il n’a pas été en mesure de contracter un crédit ou de bénéficier d’un découvert autorisé car il était contraint de suivre un plan d’apurement qui l’obligeait à rembourser mensuellement le découvert accordé initialement à Mme [C] pour l’entreprise du fait de la défaillance de cette dernière dans le cadre d’un découvert exceptionnel qui lui avait été octroyé.
En outre, des conséquences manifestement excessives existent du fait de la situation financière fragile de M. [L], arguant en outre, des arrêts maladie réguliers de sa femme. Il avance les différentes charges mensuelles qui lui incombent de régler : 1 380 euros de loyer, 1 153,07 euros pour les seuls crédits, 5 382 euros au titre des impôts. Le couple a également contracté un prêt auprès des membres de la famille à hauteur de 12 000 euros. Il doit également s’acquitter de 400 euros par mois de frais d’avocat, de 300 euros de garde de leur fille et d’autres charges de la vie courante qu’il évalue en définitive à la somme de 3 535 euros.
M. [L] fait également état des difficultés financières de la société rachetée, la société One Tribe Experience ayant abouti à une liquidation judiciaire par jugement du 20 septembre 2023 et de celles de sa première société, la société Home Fitness alors que Mme [C] a bloqué toute perspective de vente partielle de ses parts pour financer le rachat des siennes en notifiant par acte du commissaire de justice du 3 juillet 2023 un nantissement sur ces mêmes parts.
Il affirme être dans l’impossibilité d’exécuter le jugement dans de telles conditions.
Par conclusions notifiées le 14 novembre 2023, Mme [C] demande à la juridiction de :
– débouter M. [L] de sa demande ;
– condamner M. [L] à lui payer une indemnité de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [L] aux dépens du référé.
Mme [C] conteste l’existence d’un moyen sérieux de réformation du jugement de première instance. Le non-respect allégué par M. [L] du principe du contradictoire en faisant état de la mise en état qui a été observée devant le tribunal de commerce de Bernay n’est pas caractérisé.
Elle défend le bien-fondé de sa demande en condamnation de M. [L] au titre du prix de cession non versé au regard du protocole de cession des actions ainsi que celle tendant à la levée des engagements de la caution. De plus, la promesse de
M. [L] quant au contrat de travail s’analyse en une promesse de porte-fort qu’il n’a pas respecté.
Elle souligne l’importance de ses préjudices et notamment moraux en raison des difficultés financières qu’elle a dû assumer alors qu’elle s’est retrouvée, à défaut de la perception du prix de vente des parts sociales, sans ressources, avec des enfants à charge.
Au titre des conséquences manifestement excessives, Mme [C] rapporte plusieurs éléments tendant à contredire M. [L] sur ce point : ce dernier se révèle être dirigeant de plusieurs autres sociétés sur lesquelles il ne communique pas. En outre, l’absence de détail des revenus allégués ne permet pas de connaître la réalité de leur montant. M. [L] loue en particulier une maison dans le sud de la France et aurait contracté un prêt de 35 089,11 euros alors qu’il avait indiqué qu’il ne disposait pas de ressources suffisantes pour en obtenir un dans l’intérêt de la société rachetée.
Les autres charges présentées par M. [L] relèvent en réalité du patrimoine de sa société située à [Localité 4]. Elle précise qu’une enquête pénale est en cours pour abus de biens sociaux s’agissant de la société dont elle a vendu les parts.
En outre, elle souligne qu’il est en mesure de régler les sommes découlant des condamnations en ce qu’il a pu indiquer qu’il disposait d’ores et déjà de 31 000 euros pour récupérer les dernières parts avant fin août 2023.
Elle considère encore que la déclaration d’appel est irrecevable au motif que
M. [L] n’a pas sollicité la réformation du jugement dans l’acte.
L’affaire a été plaidée à l’audience du 15 novembre 2023.
MOTIFS
Sur l’arrêt de l’exécution provisoire
L’article 514-3 du code de procédure civile dispose qu’en cas d’appel, le premier président peut être saisi afin d’arrêter l’exécution provisoire de la décision lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives
La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d’observations sur l’exécution provisoire n’est recevable que si, outre l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation, l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.
La recevabilité de la demande n’est pas discutée par les parties.
Le montant des condamnations prononcées contre M. [L] s’élève en principal à la somme de 104 800 euros, dont 78 000 euros au titre des parts sociales dont le paiement devaient s’effectuer de façon échelonnée, mensuellement, du 1er juillet 2022 au 1er décembre 2022, la cession la plus importante devant intervenir pour son paiement le dernier mois à hauteur de 65 400 euros. M. [L] n’a payé que la première échéance.
M. [L], marié et père d’un enfant, ne produit pas les pièces permettant d’apprécier de façon sérieuse et complète sa situation financière.
Ainsi, concernant ses ressources, il ne produit pas les pièces comptables ni de la société Home Fitness ni de la société One Tribe Expérience alors qu’en tant que dirigeant de ces sociétés, il peut exercer des choix sur sa rémunération et la distribution des dividendes :
– la société One Tribe Experience fait l’objet d’un jugement de liquidation judiciaire du tribunal de commerce de Lisieux le 20 septembre 2023 mais M. [L] ne communique aucun élément sur la santé financière de la société lors de l’achat des parts sociales ;
– il verse des documents partiels concernant la société Home Fitness (factures d’un intervenant de novembre/décembre 2022 – loyers – TVA due – devis concernant des équipements) mais ne verse aucun compte de résultats, aucun bilan afin de permettre à la juridiction d’apprécier la situation économique de l’entreprise.
Ses ressources se sont élevées en 2022 à la somme de 41 366 euros en qualité de gérant de société sans que les revenus actuels, fin 2023, ne soient justifiés.
Les ressources de son épouse ne sont pas mieux justifiées fin 2023 : elle était en arrêt de travail de fin mars à juillet 2023 mais aucune information contemporaine n’est apportée. Le relevé de l’assurance maladie porte la mention d’une activité salariée et d’une activité de travailleur indépendant dont la nature n’est pas précisée par
M. [L].
Quant aux charges du couple, il convient d’observer qu’alors que M. [L] était dirigeant de la société One Tribe Experience implantée à [Localité 5] (14) depuis l’été 2022 et que sa première société Home Fitness est encore localisée à [Localité 4] (27), les époux se sont domiciliés à [Localité 1] dans le département de l’Hérault depuis le début de l’année, sans explication spécifique.
A l’exception des charges courantes, et d’un prêt personnel consenti en 2022 par un établissement bancaire à hauteur de 20 000 euros et en 2023 à hauteur de 4 500 euros, M. [L] ne démontre pas qu’il supporte des charges spécifiques l’empêchant de bénéficier d’un emprunt, éventuellement pour partie de la somme due.
Mme [C] communique des informations publiées sur les réseaux sociaux au cours de l’année 2023 présentant une activité particulièrement favorable de la société Home Fitness et un train de vie agréable de M. [L] dans le sud de la France.
Ainsi, M. [L] ne démontre pas que l’exécution de la décision entreprise emporterait des conséquences manifestement excessives pour lui. La demande d’arrêt de l’exécution provisoire sera rejetée sans qu’il y ait lieu d’exmaniner la seconde condition cumulative tirée de l’existence de moyens sérieux d’annulation ou de réformation de la décision.
Sur les frais de procédure
M. [L] succombe à l’instance et sera condamné aux dépens de l’instance.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, il sera condamné à payer à Mme [C] la somme de 2 000 euros pour ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
statuant par ordonnance contradictoire, mise à disposition au greffe,
Rejette la demande d’arrêt de l’exécution provisoire du jugement du 25 mai 2023 rendu par le tribunal de commerce de Bernay ;
Condamne M. [I] [L] à payer à Mme [J] [C] la somme de
2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [I] [L] aux dépens.
Le greffier, La présidente de chambre,