Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 7
ARRÊT DU 1ER FÉVRIER 2024
(n° 39, 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/05800 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCKGJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 août 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F19/02547
APPELANTES
SCP BTSG2, prise en la personne de Maître [S] [N], es qualité de mandataire liquidateur de la SCP [Z] [M]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Paul YON, avocat au barreau de PARIS, toque : C0347
INTIMÉE
Madame [C] [H] [D]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Edouard BLOCH, avocat au barreau de PARIS, toque : R179
PARTIE INTERVENTANTE
AGS CGEA IDF OUEST
[Adresse 2]
[Localité 6]
N’ayant pas constitué avocat ; signification de la déclaration d’appel remise à personne morale le 17 avril 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre
Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre
Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Alisson POISSON
ARRÊT :
– RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre et par Madame Alisson POISSON, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société civile professionnelle [Z] [M] (ci-après désignée la société [M]), titulaire d’un office notarial, comportait un associé (M. [M]) et trois notaires salariés parmi lesquels Mme [C] [H] épouse [D] engagée par contrat de travail en date du 8 septembre 2017. La société employait à titre habituel moins de onze salariés et était soumise à la convention collective du notariat.
Au titre de son contrat de travail, Mme [D] devait percevoir un salaire net mensuel d’un montant de 7.500 euros.
Par acte du 3 mai 2017, M. [M] a consenti au bénéfice de Mme [D] une promesse de cession portant sur 1.333 parts de la société [M], soit 33% des parts pour un prix de 213.280 euros. Cette promesse précisait qu’au cas où Mme [D] ‘ne pourrait être associée dans la sociétét civile professionnelle, il lui serait consenti un contrat de notaire salarié identique à celui de Me [Y] de telle sorte qu’elle ait droit à la totalité de la valeur ajoutée nette’.
Cette promesse a été renouvelée le 23 juin 2017, la cession de parts portant désormais sur 1.000 parts. Un avenant de prorogation a été signé par M. [M] et Mme [D] le 8 janvier 2018.
Par courrier du 13 mars 2018, le conseil de Mme [D] a sollicité de l’employeur la somme de 626.975 euros au titre de l’intéressement pour l’année 2017.
Par courrier du 16 mars 2018, la société [M] a refusé cette demande.
Le 11 avril 2018, M. [M] et Mme [D] ont signé un protocole transactionnel prévoyant:
– d’une part, une promesse de cession de 532 parts sociales représentant 13,33% du capital social avec effet au 1er janvier 2018 moyennant 85.120 euros, les actes de cession devant être signés dans les 15 jours de la signature du protocole transactionnel,
– d’autre part, le versement par la société [M] de la somme de 359.618 euros au profit de la salariée et au titre des primes 2017, le règlement devant intervenir pour moitié fin mai 2018 et pour le reste fin juin 2018.
Malgré la poursuite des négociations entre les parties, aucun acte de cession de parts sociales n’a été signé. En revanche, la société [M] a versé à la salariée la prime 2017 stipulée dans le protocole transactionnel.
Par courrier du 29 novembre 2018, Mme [D] a notifié à l’employeur sa démission à compter du 31 décembre 2018.
Par courrier du 21 décembre 2018, Mme [D] a saisi la chambre départementale des notaires d’une demande de médiation, notamment au titre des rémunérations variables dues pour l’année 2018.
En 2019, Mme [D] a rejoint la société civile professionnelle de notaire Durand Des Aulnois.
Lors d’une réunion du 7 février 2019, la société [M] et Mme [D] ont refusé la proposition faite par le président de la chambre des notaires au titre de la médiation sollicitée par la salariée.
En vertu d’une ordonnance du juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris en date du 12 mars 2019, Mme [D] a été autorisée à diligenter des saisies conservatoires de créances à l’égard de la société [M] à hauteur de la somme de 632.000 euros. Ces saisies ont été pratiquées au sein de quatre établissements bancaires à hauteur de la somme de 161.715,18 euros.
Le 27 mars 2019, Mme [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris afin que la société Bussière soit condamnée à lui verser diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
Par acte du 11 avril 2019, la société [M] a fait assigner Mme [D] à comparaître devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris afin de voir prononcer la rétractation de l’ordonnance du 12 mars 2019, ordonner la mainlevée des saisies conservatoires et obtenir une indemnité de procédure.
Par jugement du 11 juin 2019, le juge de l’exécution a débouté la société [M] et l’a condamnée au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par jugement du 19 août 2020, le conseil de prud’hommes a :
Jugé la démission de Mme [D] non équivoque,
Condamné la société Bussière à verser à Mme [D] les sommes suivantes :
– 182.000 euros à titre de complément de rémunération variable 2017,
– 440.000 euros à titre de complément de rémunération variable 2018,
Avec intérêts de droit à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et jusqu’au jour du paiement,
Rappelé qu’en vertu de l’article R. 1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de plein droit à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire et a fixé cette moyenne à la somme de 11.741,77 euros,
– 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Débouté Mme [D] du surplus de ses demandes,
Débouté la société [M] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamné la société [M] aux dépens.
Le 9 septembre 2020, la société [M] a interjeté appel du jugement du conseil de prud’hommes.
Par arrêt du 29 octobre 2020, la cour d’appel de Paris confirmé le jugement du 11 juin 2019 du juge de l’exécution et a condamné la société [M] au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par jugement du 15 avril 2021, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société [M] et a désigné la société BTSG en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 9 février 2023, le tribunal de commerce de Paris a converti la procédure de redressement judiciaire prononcée le 15 avril 2021 en procédure de liquidation judiciaire et a désigné la société BTSG en qualité de liquidateur.
Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 28 avril 2023, la société BTSG demande à la cour de :
Prendre acte de son intervention volontaire en qualité de liquidateur judiciaire de la société [M],
Confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes de Mme [D] relatives à la rupture de son contrat de travail (requalification de la démission, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dommages et intérêts pour préjudice moral),
Infirmer le jugement en ce qu’il a :
– condamné la société [M] à verser à Mme [D] les sommes suivantes : 182.000 euros à titre de complément de rémunération variable 2017, 440.000 euros à titre de complément de rémunération variable 2018 et 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté la société [M] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté la société [M] de ses demandes,
Et, statuant à nouveau :
Débouter Mme [D] de ses demandes au titre de la ‘rémunération’ 2017 et de la ‘rémunération’ 2018,
Condamner Mme [D] à lui verser la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance,
Débouter Mme [D] de toutes ses prétentions,
En cause d’appel :
Débouter Mme [D] de sa demande additionnelle de 173.266,01 euros au titre des prestations qu’elle prétend avoir effectuées au profit de la société [M],
Condamner Mme [D] à lui verser la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais d’appel,
Condamner Mme [D] aux dépens d’appel.
Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 3 mai 2023, Mme [D] demande à la cour de :
A titre principal, confirmer le jugement en ce qu’il :
– a reconnu ses créances sur la société [M] d’un montant de 182.000 euros à titre de complément de rémunération variable 2017 et de 440.000 euros à titre de rémunération variable 2018,
– lui a octroyé la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens de première instance par l’employeur,
Fixer ses créances pour les montants susvisés au passif de la liquidation judiciaire de la société [M],
A titre surabondant, dire et juger que la société [M] est débitrice envers elle d’une somme additionnelle de 173.266,01 euros (sauf à parfaire) à titre de complément de rémunération variable sur le chiffre d’affaires que la société [M] prétend devoir encaisser, postérieurement à son départ, au titre des diligences effectuées par elle en son sein sous réserve que la créance que la société [M] considère avoir sur la société Durand Des Aulnois soit confirmée,
Fixer cette créance additionnelle de 173.266,01 euros (sauf à parfaire) au passif de la liquidation de la société [M],
A titre incident, infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes relatives à la requalification de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau,
Dire et juger qu’elle été contrainte de démissionner de son emploi salarié au sein de la société [M] compte tenu des violations permanentes et répétées de cette dernière et de son associé unique, des obligations à leur charge envers elle (et notamment des obligations en termes de paiement de salaires et d’association),
Requalifier sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dire et juger que la société [M] est débitrice envers elle de la somme de 93.333,33 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Dire et juger que la société [M] est débitrice envers elle de la somme de 100.000 euros au titre du préjudice moral subi par elle,
Fixer ses créances susvisées d’un montant total de 193.333,33 euros au passif de la liquidation de la société [M],
Ordonner qu’il lui soit remis une attestation Pôle emploi et des bulletins de paie conformes sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
A toutes fins utiles,
Dire et juger que ces créances porteront intérêts au taux légal avec capitalisation à compter de la saisine de la juridiction des prud’hommes,
Fixer à la somme de 10.000 euros sa créance au titre de l’article 700 du code de procédure civile au passif de la liquidation judiciaire de la société [M],
Dire et Juger que la décision à intervenir sera opposable à l’AGS CGEA IDF Ouest,
Juger que les dépens seront recouvrés en frais privilégiés de la liquidation de la société [M],
Débouter la société [M] et son liquidateur de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions.
Par acte du 17 avril 2023, Mme [D] a fait assigner en intervention forcée l’AGS CGEA IDF Ouest (ci-après désignée l’AGS). Bien que citée à personne morale, l’AGS ne constituait pas avocat et ne se présentait pas à l’audience de plaidoirie du 16 novembre 2023.
Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.
L’instruction a été déclarée close le 27 septembre 2023.
MOTIFS :
Au préalable, il est rappelé qu’en application de l’article 954 du code de procédure civile, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motif.
Sur les demandes au titre de la rémunération variable :
* Sur l’existence d’une rémunération variable au titre du contrat de travail :
Le liquidateur de la société [M] soutient qu’aucune rémunération variable n’a été accordée à Mme [D] au titre du contrat de travail et que si un intéressement est prévu dans les contrats de promesse de cession de parts des 3 mai et 23 juin 2017, le versement de cet intéressement est conditionné au fait que Mme [D] fasse l’acquisition des parts sociales, ce qui n’a pu se faire par la faute de l’intimée, celle-ci n’ayant pas déposé le dossier d’agrément dans le délai fixé par les contrats de promesse. Le liquidateur soutient également qu’aucun intéressement n’est dû puisque les contrats de promesse sont caducs et qu’ils n’engagent pas la société [M], ceux-ci ayant été signés par M. [M] en son nom propre. Le liquidateur conclut enfin à l’absence d’intéressement puisqu’aucune décision de l’assemblée générale de la société n’a déterminé le montant de la valeur ajoutée à partager.
En défense, Mme [D] soutient en se fondant sur les contrats de promesse et sur le protocole transactionnel que l’employeur est redevable à son égard d’un intéressement au titre des années 2017 et 2018, qu’elle analyse en une rémunération variable annuelle fondée sur la chiffre d’affaires.
En premier lieu, comme il a été dit précédemment, le contrat de travail de Mme [D] versé aux débats prévoit seulement le versement d’une rémunération fixe au profit de cette dernière. Il s’en déduit que ce contrat ne peut servir de base juridique à la rémunération variable alléguée par la salariée.
En deuxième lieu, il ressort du :
– contrat de promesse de cession de parts sociales conclus entre M. [M] et Mme [D] le 3 mai 2017 qu’au ‘cas où pour quelque raison que ce soit, ne tenant pas à une faute imputable à la bénéficiaire, la présente promesse ne pourrait pas se réaliser et au cas où Me [H] ne pourrait pas être associée dans la SCP, il lui serait consenti un contrat de notaire salarié identique à celui de Me [Y] sus-nommée, de telle sorte que Me [H], tout comme Me [Y] et Me [M] aient droit à la totalité de la valeur ajoutée nette calculée conformément au dispositions qui précèdent (…)’,
– contrat de promesse de cession de parts sociales conclus entre M. [M] et Mme [D] le 23 juin 2017 que : ‘si pour quelque raison que ce soit, la tenue d’une assemblée ou la régularisation d’une modification statutaire s’avérait impossible et si, pour cette raison, la répartition des résultats devait se faire au prorata des participations de chacun au capital de la SCP, les cessions de parts prévues aux termes de l’acte signé ce jour seraient résolues au gré des cessionnaires et leur prix restitué à celles-ci. Me [H] et Me [Y] reprendraient leur statut de notaire salarié au sein de l’office avec un contrat de travail leur permettant de disposer sous forme de salaire, de la valeur ajoutée calculée comme ci-après’.
Comme le soutient le liquidateur, ces contrats de promesse ne lient pas la société puisqu’ils ont été conclus par M. [M] agissant en son nom propre comme propriétaire des parts sociales de la société et non comme dirigeant de ladite société. La cour constate, en outre, que les contrats de promesse ont été conclus avant la signature du contrat de travail le 8 septembre 2017 qui ne se s’y réfère nullement. Ainsi, l’engagement de verser un intéressement à la salariée dans le cadre d’une modification de son contrat de travail si celle-ci ne pouvait acquérir les parts cédées par M. [M] n’a pas été pris par la société employeur mais seulement par ce dernier. Par suite, cet engagement s’analyse en une promesse de porte-fort au sens de l’article 1204 du code civil qui dispose : ‘On peut se porter fort en promettant le fait d’un tiers. Le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts (…)’.
Il se déduit de ce qui précède que, comme l’affirme le liquidateur, les contrats de promesse ne peuvent servir de base juridique à la rémunération variable alléguée par la salariée.
En dernier lieu, l’article 3 du protocole transactionnel du 11 avril 2018 stipule :
‘La SCP [M] s’engage à attribuer à Mesdames [Y] et [H] la somme de 950.000 euros chargée (parts patronales et salariales comprises au titre des primes 2017 :
– soit pour Mme [Y] : 587.480 euros (parts patronales et salariales comprises),
– soit pour Mme [H] : 359.618,94 euros (parts patronales et salariales comprises),
Les règlements interviendront pour 50% avant fin mai 2018 et 50% avant fin juin 2018.
La SCP [M] s’engage à régler sans délai les notes de frais de Madame [H] (d’un montant d’environ 5.000 euros) et de Mme [Y] (d’un montant d’environ 5.000 euros), sur justificatifs.
En conséquence, Mmes [Y] et [H] se déclarent intégralement remplies de leurs arrêtés au 31 décembre 2017 acquis en leur qualité de salariées’.
Si l’employeur s’est engagé à verser des primes à la salariée au titre de l’année 2017 dans le cadre du protocole transactionnel, celui-ci ne prévoit nullement que ces primes s’analysent en une rémunération variable annuelle fondée sur le chiffre d’affaires comme le soutient Mme [D].
Il se déduit de ce qui précède que l’existence d’une rémunération variable au titre du contrat de travail de Mme [D] n’est nullement établie.
* Sur la rémunération variable au titre de l’année 2017 :
Comme il a été dit précédemment, d’une part, la prime versée par l’employeur au titre de l’année 2017 a uniquement pour fondement juridique le protocole transactionnel conclu le 11 avril 2018 et, d’autre part, le principe d’une rémunération variable annuelle due par l’employeur au profit de la salariée n’est pas établi.
Par suite, Mme [D] sera déboutée de sa demande de complément de rémunération variable au titre de l’année 2017.
* Sur la rémunération variable au titre de l’année 2018 :
Il ressort des développements précédents que le principe d’une rémunération variable due par l’employeur au profit de la salariée n’est pas établi.
Par suite, elle sera déboutée de sa demande pécuniaire au titre de l’année 2018 et le jugement sera infirmé en conséquence.
Sur la demande formée par la salariée ‘à titre surabondant’ :
Par acte du 4 mars 2020, la société [M] a assigné la société Durand Des Aulnois devant le tribunal judiciaire de Paris afin que cette dernière soit condamnée à lui verser des dommages-intérêts, notamment pour des actes de concurrence déloyale. Elle reproche à la société Durand Des Aulnois le recrutement de deux de ses notaires dont Mme [D] et la perte de leurs dossiers évaluée dans ses écritures à un chiffre d’affaires de 856.270,92 euros.
Pour la première fois en cause d’appel, Mme [D] sollicite dans ses dernières écritures et ‘à titre surabondant’ de dire et juger que la société [M] est débitrice envers elle d’une somme additionnelle de 173.266,01 euros (sauf à parfaire) à titre de complément de rémunération variable sur le chiffre d’affaires que la société [M] prétend devoir encaisser, postérieurement à son départ, au titre des diligences effectuées par elle en son sein sous réserve que la créance que la société [M] considère avoir sur la société Durand Des Aulnois soit confirmée.
En premier lieu, la demande de Mme [D] est conditionnée au fait que ‘la créance que la société [M] considère avoir sur la société Durand Des Aulnois soit confirmée’. Or, en l’état des éléments produits, aucune décision de justice définitive n’a été rendue dans le cadre du contentieux initié par la société [M] à l’encontre de la société Durand Des Aulnois.
En second lieu, il ressort des éléments produits que l’action en justice de la société [M] est liée à un détournement de clientèle au profit de la société Durand Des Aulnois. Par suite, Mme [D] ne peut solliciter de la société [M] une rémunération variable au titre du chiffre d’affaires réalisé au profit de la société Durand Des Aulnois.
Il se déduit de ce qui précède que Mme [D] sera déboutée de sa demande pécuniaire.
Sur la requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Mme [D] soutient qu’elle a été contrainte de démissionner en raison de manquements de l’employeur faisant obstacle à leur association et au paiement des rémunérations qui lui étaient dues. Elle sollicite ainsi la requalification de cette démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En défense, l’employeur conclut à la confirmation du jugement en ce qu’il a jugé non équivoque la démission de Mme [D].
Lorsque le salarié, comme c’est le cas en l’espèce, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de sa démission, remet en cause celle-ci, en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’une démission.
En l’espèce, il ressort des pièces versées aux débats que Mme [D] a remis le 29 novembre 2018 à l’employeur une lettre de démission pour les raisons suivantes : ‘En main ton projet de pacte d’associés daté du 25 novembre dernier, je constate qu’il extrêmement éloigné des dernières versions dont nous avions discuté ensemble, en ce compris les versions échangées en juillet dernier, ce qui n’a pas manqué de me surprendre. En outre, et au-delà même du texte du pacte que tu as bien voulu nous adresser, notre projet d’association, plus largement, m’apparaît aujourd’hui encore plus désequilibré.
En premier lieu, les perspectives qui m’étaient offertes de devenir à terme, majoritaire au sein de l’étude, ont disparu. Ainsi, non seulement tu ne prends aucun engagement quant au timing de la cession d’une partie de tes parts mais encore, tes formules te permettront de rester majoritaire avec [B].
En second lieu et surtout, l’équilibre économique et financier de nos accords, précaire mais réel avec une projection de chiffre d’affaires stable par rapport à 2017 et 2018, est aujourd’hui totalement inexistant, si l’on neutralise le chiffre d’affaires et les charges d'[I] et de son équipe.
Dans ce contexte, je ne vois pas où se trouve mon intérêt dans le projet alternatif sur lequel tu as travaillé depuis le départ (contraint) d'[I], qui sont bien trop éloignés de nos accords de départ.
Aussi, tu me vois à mon tour contrainte, mais c’est finalement peut-être ce qui était recherché depuis nos différends du printemps, de te présenter, par les présentes, ma démission. Celle-ci sera effective le 31 décembre 2018″.
Il ressort des éléments versés aux débats qu’après la conclusion d’un protocole transactionnel le 11 avril 2018 portant sur la cession des parts sociales de la société au profit de la salariée et sur le versement d’une prime au titre de l’année 2017, Mme [D] a saisi le 21 décembre 2018 (soit moins d’un mois après sa démission) la chambre départementale des notaires d’une demande de médiation portant notamment sur le versement d’une rémunération variable.
Il se déduit de ce qui précède qu’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque. Par suite, le courrier du 29 novembre 2018 s’analyse en une prise d’acte de rupture du contrat de travail.
* Sur le bien fondé de la prise d’acte :
Il résulte de la combinaison des articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail que la prise d’acte permet à la salariée de rompre le contrat de travail en cas de manquements suffisamment graves de l’employeur qui empêchent la poursuite du contrat. Il appartient à la salariée d’établir les faits qu’elle allègue à l’encontre de l’employeur. Lorsque la salariée prend acte de la rupture en raison de faits qu’elle reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul selon les circonstances, si les faits invoqués le justifient, soit d’une démission dans le cas contraire.
Dans ses dernières conclusions, Mme [D] reproche en premier lieu à l’employeur de n’avoir pas permis au projet d’association de se réaliser. Toutefois, ces faits se rapportent à l’acquisition du statut d’associée et sont donc étrangers à la relation contractuelle. Par suite, ils ne peuvent constituer un manquement de l’employeur à ses obligations au titre du contrat de travail.
En second lieu, Mme [D] reproche à l’employeur de ne pas lui avoir versé l’ensemble des rémunérations qui lui étaient dues au titre des années 2017 et 2018. Or, il ressort des développements précédents que ce manquement n’est pas établi.
Il se déduit de ce qui précède que la prise d’acte produit les effets d’une démission.
Par suite, Mme [D] sera déboutée de ses demandes pécuniaires au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages-intérêts pour préjudice moral, ceux-ci étant fondés sur les manquements reprochés par la salariée à l’employeur.
Sur les demandes accessoires :
Il ne sera pas fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des procédures de première instance et d’appel.
Les dépens de première instance et d’appel sont mis à la charge de Mme [D] qui succombe.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, en dernier ressort, par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe,
IINFIRME le jugement en ce qu’il a :
– condamné la société [Z] [M] à verser à Mme [C] [H] épouse [D] la somme de 182.000 euros à titre de complément de rémunération variable 2017 et de 440.000 euro à titre de complément de rémunération variable 2018,
– jugé la démission de Mme [C] [H] épouse [D] non équivoque,
– condamné la société [Z] [M] aux dépens et à une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que la lettre de démission du 7 novembre 2018 s’analyse en une prise d’acte produisant les effets d’une démission,
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des procédures de première instance et d’appel,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,
MET les dépens de première instance et d’appel à la charge de Mme [C] [H] épouse [D].
La greffière, La présidente.