Article
(ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DU 19 DÉCEMBRE 2017 – ADOPTÉ À L’UNANIMITÉ)
1. Dans le cadre de l’évaluation du Plan interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme (PILCRA) et de la préparation du suivant, le Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la Haine anti-LGBT (DILCRAH) a saisi la CNCDH, par lettre du 10 septembre 2017, d’une double mission d’évaluation et de propositions.
2. Conformément à ses textes constitutifs, aux « Principes de Paris » (1), et en tant que rapporteur national indépendant sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie depuis plus de vingt-cinq ans (2), la CNCDH entretient un dialogue privilégié avec les pouvoirs publics et les acteurs de la société civile engagés dans ce combat. A ce titre, elle suit de près l’action de la DILCRAH, dont elle avait préconisé la création, et avait accueilli favorablement l’adoption des deux premiers plans d’action triennaux (2012-2014 (3), 2015-2017 (4) ). Pour rappel, l’élaboration d’un plan national d’action répond à l’engagement pris par la France, devant le Conseil des droits de l’Homme (2008) et le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations unies – CERD (2010) (5), de rendre sa politique publique de lutte contre le racisme plus cohérente et plus conforme à la Déclaration adoptée par la Conférence mondiale contre le racisme qui s’est tenue à Durban en 2001 (6). La situation française en matière de racisme et de discriminations qui y sont liées fait encore l’objet de nombreuses préoccupations, comme l’illustre les dernières observations de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance du Conseil de l’Europe (ECRI) adressées à la France (7) ou encore la teneur des recommandations formulées par les Etats membres des Nations unies à la France dans le cadre de l’examen périodique universel (8).
3. Compte tenu du court délai imparti, la CNCDH n’a pas été en mesure de procéder à une large consultation de la société civile au-delà de ses propres membres comme elle avait pu le faire en 2012 à la demande du Délégué interministériel en vue de la préparation du premier plan d’action (9). La présente note repose sur les travaux existants de la CNCDH, ainsi que sur l’expertise de ses membres, représentants de la société civile et experts reconnus pour leurs compétences en matière de droits de l’homme. La mission d’évaluation en cours, confiée à l’Inspection générale de l’administration (IGA) et l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGEN), devrait compléter utilement cette note, notamment en apportant des éléments d’analyse plus précis quant au déploiement territorial du Plan. Par ailleurs, la CNCDH tient à préciser que le prochain rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, remis chaque année au Premier ministre le 21 mars, sera consacré au suivi des recommandations formulées dans les éditions précédentes (10). Le rapport annuel constitue en effet le principal outil d’analyse et d’orientation des politiques publiques en la matière.
4. Pour répondre précisément à la demande qui lui a été faite de « contribue[r] de manière significative à l’élaboration du prochain plan interministériel 2018 – 2020 « , la CNCDH s’attachera à identifier des pistes d’amélioration de l’action publique, sans bien entendu prétendre à l’exhaustivité. Par mesure de pragmatisme, et afin de ne pas être redondant avec la mission d’évaluation en cours, elle n’abordera les actions déployées dans le cadre du précédent Plan que dans la perspective d’enrichir le suivant, la CNCDH ayant déjà procédé à une analyse détaillée du Plan 2015 – 2017 dans l’édition 2015 de son rapport annuel.
I. Observations liminaires
5. Le plan national d’action, renouvelé à intervalles réguliers depuis 2012, contribue indéniablement à donner une impulsion forte et durable à l’action publique de lutte contre toutes les formes de racisme, et ce afin de promouvoir le « vivre » et le « faire » ensemble. La CNCDH a eu l’occasion à plusieurs reprises de souligner l’avancée que constituait le second Plan par rapport au précédent, tant par les moyens mobilisés (100 millions d’euros sur trois ans), que par son inscription dans une démarche proactive (quatre axes prioritaires – mobiliser, sanctionner, lutter contre les discours de haine sur Internet, éduquer et transmettre – et quarante actions ciblées) (11). Dans un contexte marqué par une dégradation de la cohésion sociale dans de nombreux pays d’Europe qui font face parallèlement à une montée des populismes, et alors que sont attisées de toute part la peur et la suspicion à l’égard de l’ » autre « , la CNCDH ne saurait que trop insister sur la nécessité de ne pas relâcher les efforts. En effet, la lutte contre le racisme, au-delà d’une simple question morale, reste une question politique, car le racisme est un renoncement aux valeurs républicaines et une menace pour la démocratie, et parce que ce combat doit s’accompagner d’actions qui rendent possible et construisent « l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion « . Le prochain plan triennal d’action devrait être l’occasion de montrer la pleine mesure de l’ambition gouvernementale sur ces questions. A cet égard, la CNCDH formulera plusieurs observations liminaires.
6. En premier lieu, la Commission recommande que le budget alloué à la mise en œuvre du prochain plan soit, si ce n’est augmenté, à tout le moins reconduit. Le maintien du budget de la DILCRAH pour l’année 2018, à hauteur d’environ 6,2 millions d’euros, est appréciable en période de restriction budgétaire. Toutefois, l’élargissement du champ d’intervention de cette dernière à la lutte contre les actes et agissements de haine et de discrimination envers les personnes lesbiennes, gays, bi et trans (LGBT) depuis le 22 décembre 2016 (12) n’a pas été assorti d’une hausse subséquente de ses moyens, ce qui est inquiétant eu égard à l’ampleur et à la diversité des tâches à accomplir. Parallèlement, elle ne peut que se faire l’écho des inquiétudes formulées par plusieurs partenaires de l’Etat (collectivités territoriales, acteurs de la société civile) dans la mise en œuvre des politiques publiques (dont le Plan) quant à la baisse importante et prévisible de leurs moyens.
7. En deuxième lieu, la nature même de la mission de la DILCRAH implique, pour obtenir des résultats tangibles, que son action s’inscrive dans une approche partenariale. Précisément, la plus-value d’une telle institution, en tant qu’interlocuteur privilégié, et du Plan, en tant qu’outil stratégique et programmatique, est leur propension à accroître la force de frappe de l’action antiraciste, en favorisant les échanges et les synergies entre les acteurs pertinents. A cet égard, le rattachement depuis novembre 2014 de la DILCRAH aux services du Premier Ministre (et non au seul ministre de l’Intérieur), préconisé par la CNCDH depuis sa création, a été unanimement salué comme un progrès. Qu’il s’agisse du PILCRA ou du Plan de mobilisation contre la haine et les discriminations anti-LGBT (13), il est primordial que l’ensemble des ministères s’investisse pleinement dans leur élaboration, leur mise en œuvre et leur suivi, tout comme dans toute politique publique dédiée à la lutte contre toutes les formes d’intolérance et de haine. Le réseau de correspondants de la DILCRAH dans l’ensemble des ministères et secrétariats d’Etat doit donc continuer à être mobilisé (14).
Par ailleurs, la CNCDH souhaite attirer l’attention de la DILCRAH sur la nécessité d’associer plus étroitement les acteurs de la société civile dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des politiques publiques de lutte contre le racisme, car c’est sur eux que repose une part conséquente de l’action de terrain. Le manque de consultation lors de la phase d’élaboration et de mise en œuvre du Plan 2015 – 2017, due à son élaboration dans l’urgence à la suite des attentats de janvier 2015, avait suscité des regrets parmi les membres de la CNCDH. Aussi note-t-elle avec satisfaction le souhait exprimé par le Délégué interministériel (15) de consulter les principaux acteurs de la société civile œuvrant dans la lutte contre le racisme (ONG, syndicats, personnalités qualifiées, etc.) pour construire le suivant. Cette étape est primordiale pour s’assurer, d’une part, de la pertinence du prochain plan d’action au regard des problématiques rencontrées sur le terrain et, d’autre part, de l’obtention de la plus large adhésion possible à la stratégie et à l’action interministérielles – prérequis à son effectivité. Outre cette consultation ponctuelle, des interactions plus régulières entre la DILCRAH et les acteurs de la société civile seraient souhaitables ; si ces derniers sont légitimement perçus comme de potentiels relais locaux susceptibles de distiller l’action gouvernementale sur le terrain (via l’octroi de subventions et le déploiement d’actions prioritaires), ils devraient également être appréhendés comme des ressources à mobiliser suivant une approche plus ascendante (dite « bottom-up « ). La CNCDH proposera à la DILCRAH, dans cette note, de nouvelles modalités de concertation avec les acteurs de la société civile.
8. En troisième lieu, le prochain Plan devrait s’inscrire dans la même philosophie que le précédent, en ciblant quelques axes prioritaires et des actions précises pour être le plus opérationnel possible. La démarche d’évaluation entreprise par la DILCRAH, qui avait manqué lors de la phase d’élaboration du second Plan, permettra opportunément d’orienter les mesures à développer pour accroître la pertinence et l’efficacité du prochain. Afin de faciliter un suivi régulier du Plan, il serait souhaitable de réfléchir, dès sa phase de construction, aux modalités pratiques de mise en œuvre des actions ciblées, en identifiant, pour chacune d’elle, la liste des opérateurs, les moyens (humains et matériels) nécessaires, un calendrier prévisionnel (notamment s’il s’agit de renforcer un dispositif préexistant) et, quand cela s’y prête, des critères d’évaluation. Les modalités de pilotage du Plan devraient reposer sur des échanges réguliers avec l’ensemble des acteurs concernés – notamment les pouvoirs publics, les acteurs de la société civile et la CNCDH, en tant que Rapporteur national indépendant sur ces questions (16).
Par ailleurs, il serait opportun de rappeler en introduction que le Plan ne vise pas à embrasser l’ensemble des champs de l’action publique relevant de près ou de loin du combat antiraciste, et que des choix ont dû être faits, en concertation avec l’ensemble des acteurs pertinents. Au-delà du Plan, la lutte contre le racisme et les discriminations qui y sont liées doit mobiliser l’ensemble des acteurs et irriguer les politiques publiques et, à ce titre, le champ d’action de la DILCRAH ne peut se limiter au PILCRA. Sans toujours nécessiter une intervention directe, d’autres questions qui ont une incidence certaine sur les fractures de la société dont les relents de xénophobie et de racisme sont un symptôme parmi les plus préoccupants prêtent à attention (débat sur la laïcité, question de l’immigration, de l’accueil des migrants et des réfugiés, etc.) (17).
La DILCRAH devrait être particulièrement attentive, en lien avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, aux constats et préconisations des instances européennes et internationales (à l’instar du CERD (18), de l’ECRI (19), de l’Union européenne – à travers par exemple le cadre de l’Union pour les stratégies nationales d’intégration des Roms), s’assurer de leur bonne transmission à ses partenaires, et en assurer un suivi régulier. A titre d’exemple, parmi les deux recommandations prioritaires dites de « suivi intermédiaire » que l’ECRI a adressé à la France en 2016, et qui exigent des réponses au plus tard deux ans après la publication du rapport, figure le traitement des demandes de domiciliation présentées par des personnes appartenant à des groupes vulnérables tels que les Roms (20), problème maintes fois mis en exergue par la CNCDH (21). Sur ce point très précis, il reviendrait à la DILCRAH, si ce n’est de se saisir elle-même de la question, d’alerter la DIHAL et ministère en charge du logement.
9. En quatrième et dernier lieu, il serait opportun de préciser, dans la présentation générale, les principes qui guident l’action publique. Précisément, les principes d’égalité et d’universalité qui animent la lutte contre le racisme doivent porter les mesures qui sont mises en œuvre en son nom, dans une approche globale et intégrée loin de toute « concurrence victimaire » et sans établir de hiérarchie d’aucune sorte entre les racismes. Pour autant, chaque manifestation de racisme nécessite néanmoins une attention spécifique et des réponses adaptées, en accordant une attention particulière au racisme « du quotidien « , qui se manifeste souvent sous des formes subtiles et voilées (22). La CNCDH promeut également le besoin de transversalité et de décloisonnement en la matière, ainsi que la nécessité de ne pas dissocier le racisme et la lutte contre les discriminations qui y sont liées, afin de mener une lutte globale, coordonnée et efficace. En ce sens, afin que son périmètre d’action soit clairement borné, le titre même du prochain plan d’action pourrait être modifié de manière à intégrer la lutte contre les discriminations à raison de l’origine réelle ou supposée, dans la mesure où l’action de lutte contre le racisme doit tendre à faire respecter le principe d’égalité entre les personnes discriminées. C’est d’ailleurs l’approche retenue par le Gouvernement pour le Plan de mobilisation contre la haine et les discriminations anti-LGBT. Dans ce cadre, il conviendrait d’accroître les moyens et les effectifs de la DILCRAH.
I. – Mobiliser la société, partout en France, pour prévenir et combattre le racisme sous toutes ses formes
10. Pour la CNCDH, la mobilisation de l’ensemble des forces vives de la nation, partout en France, pour favoriser la prise de conscience et l’engagement individuel et collectif dans ce combat, ainsi que l’ancrage territorial de l’action publique, doivent constituer un axe prioritaire du Plan d’action. C’est d’ailleurs la volonté de mise en mouvement autour de la lutte contre le racisme qui domine dans le dernier Plan, pour « prolonger le sursaut citoyen qui a fait suite aux attentats de janvier » (23). Le Plan 2018 – 2020 doit poursuivre et approfondir la dynamique engagée, en veillant tout particulièrement à agir sur les faiblesses observées dans la mise en œuvre du précédent.
A) Suivi des mesures du Plan 2015 -2017
11. Dans l’ensemble, il apparait que l’appel du Président de la République, qui a érigée la lutte contre le racisme et l’antisémitisme au rang de Grande Cause Nationale de l’année 2015, a été entendu et que le Plan a reçu un accueil plutôt favorable de la part de l’ensemble des acteurs de la lutte antiraciste. Plusieurs lacunes et/ou maladresses pourraient néanmoins être évitées par la suite.
1) Les campagnes de sensibilisation
12. Le Gouvernement est bien évidemment dans son rôle lorsqu’il mène des campagnes de sensibilisation sur des phénomènes sociaux qui nuisent au vivre-ensemble. Pour combattre le racisme et ses dérivés, il faut certes les dénoncer, mais aussi libérer la parole et ouvrir des discussions sur ces sujets aussi sensibles soient-ils. Néanmoins, compte tenu de la complexité du sujet abordé, les plus grandes précautions devraient être prises dans le choix de l’approche et du contenu pour atteindre les effets escomptés.
13. A cet égard, la CNCDH a vivement réagi à la campagne du Gouvernement #TousUnisContrelaHaine (24), lancée le 21 mars 2016 à l’occasion de la Semaine d’éducation contre le racisme et l’antisémitisme, dont le taux de pénétration a été significatif (presque trois quarts des Français l’auraient vu), tout comme les vives polémiques qu’elle a suscitées (25). Cette campagne révèle de la part de ses promoteurs (26) une méconnaissance dommageable et surprenante des manifestations contemporaines de racisme, dont la CNCDH s’attache pourtant tous les ans à préciser les contours (27).
14. Pour rappel, cette dernière se compose de six vidéos de 30 secondes montrant des scènes de vandalisme et des agressions physiques (28) avec, en fond sonore, des voix qui débitent des préjugés racistes (29) puis, pour finir, la formule suivante : « Le racisme, l’antisémitisme, les actes antimusulmans, ça commence par des mots, ça finit pas des crachats, des coups, du sang « . Le message ainsi véhiculé est que les préjugés racistes conduisent à des actes de violence, alors même que la CNCDH ne cesse de rappeler qu’il n’y a pas de lien systématique entre préjugés racistes et passages à l’acte et que l’évolution des opinions et celle des actes obéissent à des logiques distinctes (30). En outre, le choix de porter l’attention sur les manifestations les plus extrêmes du racisme est très réducteur, dans la mesure où le racisme ordinaire, du quotidien, se présente principalement sous des formes subtiles et voilées (préjugés, insultes, paroles humiliantes, méfiance, mise à l’écart, discriminations, etc.). De même, l’omission de certaines cibles privilégiées du racisme contemporain interroge ; les Roms, par exemple, n’y figurent pas alors qu’il s’agit du groupe qui est confronté au rejet le plus vif en France. A l’instar de la mise en scène problématique du racisme, l’approche retenue interroge au regard des objectifs visés. La campagne mise sur le choc émotionnel plutôt que sur la dimension didactique et interactive. Le spectateur n’est pas invité à se distancier des scènes de violence, le seul moment critique tenant dans la brève formule lancée à la fin du clip par un contradicteur » Mais vous êtes sérieux ? Vous croyez à ce que vous dites, là ? « . Une telle campagne apparait ainsi inefficace, si ce n’est contreproductive, d’autant plus qu’aucune issue, aucun recours possible à la violence, ne sont proposés. Par ailleurs, s’il s’agit d’interpeller les personnes qui ont des préjugés racistes, au-delà des quelques minoritaires qui ont commis des agressions physiques, alors il est fort probable qu’elles ne se soient pas sentis concernées.
15. A l’inverse, la campagne associative et digitale #DeboutContreLeRacisme est mieux construite, plus solide et percutante. Elle comporte plusieurs témoignages de personnes de tous âges et de toutes origines qui rapportent des propos racistes, ce afin de pointer la violence des mots. Menée par quatre associations antiracistes (LICRA, SOS Racisme, LDH, MRAP), avec le soutien du Gouvernement et le label « grande cause nationale « , cette campagne articulée autour d’une citation d’Alphonse de Lamartine – « Je suis de la couleur de ceux qu’on persécute » -, a bénéficié de nombreux relais médias du 28 novembre au 21 décembre 2015. Lancée sur Facebook, puis rendue accessible sur la plateforme participative
www.DeboutContreLeRacisme.org
, elle a permis d’atteindre des millions de personnes (31), en interpellant et en invitant les citoyens à agir. La dimension participative est importante dans la mesure où la lutte contre le racisme doit reposer sur les efforts de tous, et non des seuls spécialistes. Aussi, l’élaboration d’outils participatifs visant à proposer aux citoyens ordinaires des moyens de s’engager concrètement contre le racisme, et de s’approprier ainsi la philosophie du Plan d’action, doit être privilégiée.
La CNCDH recommande qu’une nouvelle campagne de sensibilisation grand public soit inscrite dans le Plan 2018-2020, en privilégiant la dimension participative, et en veillant à porter une attention accrue à la chaîne de préparation et de validation. A cet égard, il semble indispensable que soit associée à la phase d’élaboration a minima la DILCRAH, ainsi que son conseil scientifique composé de chercheurs et d’experts reconnus en matière de lutte contre le racisme. Il serait par ailleurs opportun de consulter les associations ainsi que des spécialistes en psychologie sociale et cognitive pour s’assurer de la pertinence et de l’efficacité de la campagne envisagée au regard des objectifs poursuivis et du public cible.
2) L’ancrage territorial des politiques de lutte contre le racisme
a) La refonte des politiques locales de citoyenneté
16. En la matière, le Plan 2015 – 2017 comporte plusieurs mesures complémentaires : installation d’une instance opérationnelle dans chaque département, adoption de plans territoriaux de lutte contre le racisme ou encore constitution de missions de citoyenneté auprès des préfets. Si cette refonte des politiques locales de citoyenneté est indispensable, à ce stade, le bilan apparait mitigé.
17. La CNCDH avait déjà formulé un certain nombre d’observations sur l’action 5 du Plan relative à l’institution, dans chaque département, des CORA (Comités opérationnels de lutte contre le racisme et l’antisémitisme). Cette ambition n’est pas nouvelle puisque les CORA ont remplacé les COPEC (Commission pour la promotion de l’égalité des chances et la citoyenneté), qui avait elles-mêmes succédé aux CODAC (Commission départementale d’accès à la citoyenneté), et les CODAC aux Cellules départementales de coordination de la lutte contre le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme. Partant du constat que les COPEC étaient des instances peu opérationnelles qui fonctionnaient de manière très inégale suivant les différents départements, l’objectif affiché de la réforme était de « recentrer les priorités » et de « rendre le pilotage beaucoup plus opérationnel « . Trois ans plus tard, si l’installation des CORA dans la quasi-totalité des départements de France doit être saluée – les derniers arrêtés préfectoraux instituant ces instances étant très récents (32) -, leur action semble encore très inégale sur le terrain. Il ressort que, dans certains territoires, surtout lorsqu’ils présentent des acteurs de terrain structurés, cette instance aurait permis de dynamiser l’action territoriale de lutte contre le racisme. Dans l’ensemble, toutefois, les remontées de terrain laissent apparaitre des structures encore peu opérantes, dont la mise en place a parfois été laborieuse ; elles restent souvent peu connues ou reconnues. Certains membres de la CNCDH ont fait part de leurs interrogations face à la composition de plusieurs d’entre elles (33) ; d’autres ont regretté, dans plusieurs départements, la faible inclusion des acteurs de la société civile (34) ; le côté « grande messe » de certaines réunions, qui ne se concentraient pas sur les aspects concrets, a également été relevé. A la lumière de ces retours de terrain, il apparait que les évolutions identifiées dans le processus de restructuration d’une partie des instances départementales vont à rebours des préconisations formulées par le rapport dit « Mechmache-Bacqué » (35), qui mettait en exergue les attentes des acteurs locaux (tissu associatif, professionnels, etc.), et plus largement de tous les citoyens, vis-à-vis des institutions, pour être davantage entendus et impliqués dans le processus de construction de l’action publique locale. Si le recentrage de l’instance décisionnelle autour d’un nombre réduit d’interlocuteurs s’entend dans la mesure où il vise à rendre son pilotage plus opérationnel, l’action 5 du Plan prévoyait que soit associé un comité d’orientation « largement ouvert aux partenaires publics, privés et associatifs (élus, associations, CESER, fédérations professionnelles, syndicats…) « . Une telle structuration, telle que mise en place par exemple dans l’Essonne, devrait permettre d’inscrire les politiques locales de citoyenneté dans une démarche véritablement partenariale (36).
18. Dans le même ordre d’idées, l’adoption de plans locaux de lutte contre le racisme et l’antisémitisme dans une douzaine de territoires (plans départementaux, communaux ou intercommunaux) doit évidemment être encouragée afin d’engager une action ciblée et coordonnée au plus près des territoires et des habitants. A ce jour, plusieurs membres de la CNCDH ont relevé le caractère flou et peu fédérateur de plusieurs plans locaux, l’absence de mise en œuvre effective et leur manque de visibilité. La réussite d’un plan local d’action repose sur l’appropriation qui en est faite par l’ensemble des parties prenantes (citoyens, tissu associatif, professionnels, élus, etc.) ; ces dernières devraient être consultées et impliquées tout au long du processus d’élaboration, de suivi et de mise en œuvre, à l’instar de ce que préconise le rapport dit « Mechmache-Bacqué « , et selon l’approche basée sur les droits de l’homme (37). A cet égard, il est également possible de s’inspirer des bonnes pratiques recensées par le Conseil de l’Europe dans plusieurs pays européens, à l’instar du Plan interculturel de Barcelone, qui place l’interaction au centre du Plan pour promouvoir le « vivre » et le « faire » ensemble (38).
19. En somme, l’action des CORA semble positive à certains égards et dans quelques territoires mais, globalement, ces instances doivent encore être consolidées pour être à la hauteur des attentes placées en elles. Elles jouent indubitablement un rôle précieux dans le cadre des opérations d’appels à projets auprès des ONG dans les territoires. Néanmoins, elles peinent encore à assurer une fonction de coordination entre les parties prenantes. La CNCDH ne peut, d’ailleurs, que souligner les difficultés d’articulation des actions 6 (institution des CORA) et 7 (constituer des missions citoyenneté auprès des préfets) du Plan. Contrairement à l’ambition portée par l’action 7 de « recréer une capacité d’impulsion et d’animation autour des préfets et de leurs collaborateurs « , les délégués des préfets semblent n’être que peu placés dans une situation d’animateurs des territoires ; ils sont plutôt les observateurs attentifs des initiatives développées par les acteurs locaux. En outre, il convient de s’assurer de l’articulation, indispensable, de l’action des CORA avec les mesures mises en œuvre dans le cadre de la politique de la ville (diagnostics territoriaux, formations, plans territoriaux de prévention des discriminations, soutien aux associations) (39). Il serait nécessaire de mieux définir le rôle respectif des acteurs impliqués, ainsi que leur articulation. A cet égard, il est regrettable que les acteurs territoriaux de la politique de la ville ne soient pas associés aux CORA, sinon par l’intermédiaire des maires (40). De même, il conviendrait de veiller à la bonne articulation des plans locaux de lutte contre le racisme avec les plans territoriaux de lutte contre les discriminations.
20. A l’évidence, ces observations doivent être placées dans le contexte de la restructuration récente de l’action publique locale, sa consolidation progressive étant susceptible de résoudre certains des difficultés identifiées. Si rien n’est figé, un accompagnement et un suivi renforcé de cette restructuration par la DILCRAH apparaissent nécessaires. S’il est regrettable que la refonte des politiques locales de lutte contre le racisme n’ait pas été précédée d’une évaluation précise de l’action des COPEC, la CNCDH ne peut saluer l’évaluation en cours des CORA qu’elle avait appelée de ses vœux. Si elle apporte des éléments assez précis, elle permettra de mieux cerner, une fois les points d’achoppement mis en évidence, les axes à développer pour améliorer l’efficacité du dispositif.
La consolidation de l’ancrage territorial des politiques de lutte contre le racisme devrait figurer dans le Plan 2018 – 2020, en veillant particulièrement à l’articulation des différents acteurs, en mutualisant le cas échéant les moyens humains et matériels investis. Un accompagnement et un suivi renforcé par la DILCRAH apparaissent nécessaires jusqu’à ce que les CORA deviennent des lieux d’échange, de diagnostic partagé, de mobilisation et d’engagement au confluent des actions de tous les acteurs engagés sur le terrain, institutionnels et non institutionnels. Dans un premier temps, il sera probablement nécessaire de cibler un nombre restreint de territoires dans lesquels devraient se concentrer en priorité les efforts de tous les acteurs. A terme, néanmoins, cette concentration des efforts, notamment sur les 1300 territoires de la géographie prioritaire de la politique de la ville, ne doit pas conduire à délaisser le reste du territoire qui n’est pas épargné, lui non plus, par le racisme, l’antisémitisme et les phénomènes de discrimination. Il est primordial que les acteurs de la société civile, dans leur diversité, soit parties prenantes de ce processus, à l’instar de ce que préconise le rapport dit « Mechmache-Bacqué « , et selon l’approche basée sur les droits de l’homme.
b) Le soutien aux acteurs de terrain
21. La déclinaison territoriale de l’action de la DILCRAH repose à ce jour principalement sur des partenariats noués au niveau national et des subventions octroyées aux acteurs de terrain. A l’échelle nationale, des partenariats ont été conclus avec des associations, lieux de mémoire et d’histoire et des établissements d’enseignement supérieur (41).
22. A l’échelon local, 218 projets ont été subventionnés dans 60 départements pour un montant total de 1,4 millions d’euros en 2016, chiffre qui devrait s’élever à 545 projets en 2017 pour un montant légèrement inférieur à 2 millions d’euros dans 89 départements à l’issue de la clôture budgétaire de l’année. Ces derniers, répartis de manière assez équitable en France hexagonale, ont été soutenus par le biais d’un appel à projets locaux dont le pilotage est assuré par les préfets (sélection des dossiers, gestion des subventions octroyées sur les fonds de la DILCRAH). La CNCDH constate avec satisfaction que des structures de taille diverse ont ainsi été subventionnées, non seulement les organisations aux moyens financiers et humains importants, mais également des structures plus modestes portant un projet local ciblé (42). Elle salue également le travail initié par la DILCRAH et son conseil scientifique en vue de préciser les critères et les modalités de sélection des dossiers dans le cadre de l’appel à projets, dans un souci de plus grande transparence (43). Il est regrettable, toutefois, que cet appel à projets n’ait pas porté davantage dans les territoires d’Outre-mer (notamment à Mayotte et en Guyane). Ceci peut peut-être s’expliquer par le fait qu’il n’ait pas été suffisamment relayé, ou encore par la faible densité, le manque de structuration et la fragilité du tissu associatif – surtout à Mayotte -, alors même qu’il joue dans ces territoires plus qu’ailleurs un rôle incontournable et reconnu de soutien aux pouvoirs publics (44). Les besoins sont par ailleurs bien réels, même si les phénomènes racistes souffrent d’une invisibilité statistique en raison du faible nombre de plaintes et de procédures judiciaires ouvertes en la matière (45), tendance qui s’inscrit dans un contexte plus général de difficultés d’accès à la justice, notamment à Mayotte et en Guyane (46). En la matière, l’action de la DILCRAH pourrait précisément participer à consolider les associations les plus fragiles qui œuvrent dans le champ de la lutte contre le racisme et la promotion du vivre-ensemble. Par ailleurs, il a été porté à l’attention de la CNCDH que les délais de constitution des dossiers de demande de financement étaient très courts au regard de la lourdeur des démarches à engager, vu que les montages impliquent en général plusieurs parties prenantes devant se coordonner (47).
La CNCDH encourage les pouvoirs publics à poursuivre et à renforcer le soutien apporté à l’action des acteurs de terrain, qui agissent au plus près des populations. A cet égard, elle constate avec satisfaction le lancement d’un nouvel appel à projets pour combattre le racisme et l’antisémitisme le 31 octobre 2017 pour l’année 2018 auprès des préfectures. La DILCRAH devrait porter une attention accrue aux projets portés dans les Outre-mer, en s’assurant notamment que l’appel à projets y est suffisamment relayé par les préfectures, voire au-delà (mission locale, hôtels de ville, etc.). Un délai suffisant devrait par ailleurs être laissé aux candidats pour constituer leur dossier de candidature, les montages impliquant en général plusieurs parties prenantes devant se coordonner.
23. Dans le cadre du soutien accordé aux acteurs de terrain, il convient de s’interroger sur le calendrier et les modalités d’attribution des subventions, qui prennent aujourd’hui de plus en plus souvent la forme d’appels à projets, à l’instar des fonds alloués par la DILCRAH. Ces questionnements s’inscrivent dans un contexte marqué par des inquiétudes légitimes quant à la fragilisation d