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Les photographies de modèles de produits déposés bénéficient d’une protection maximale. En effet, le titulaire d’un modèle, dont l’image a été reproduite dans une affiche publicitaire (même si elle n’a pas pour objet de commercialiser le produit incorporant le modèle mais un produit différent) peut agir sur le fondement de l’ article L. 513-4 du code de la propriété intellectuelle pour faire cesser cette utilisation, si les conditions sont remplies.
En effet, la liste des actes pouvant constituer une contrefaçon énoncée à l’article L. 513-4 du code de la propriété intellectuelle n’est pas limitative au regard de l’article 12 de la drective 98/71/CE qu’elle transpose.
En l’espèce, il ressort de captures d’écran datées des 2 et 4 mai 2022 effectuées sur la page internet www.larmoireatissus.net ainsi que du procès-verbal de constat dressé le 4 mai 2022 par Me [K], commissaire de justice au Vésinet, qu’est commercialisée par la société L’Armoire à Tissus une boîte intitulée “boîte à sac Georges” puis “boîte à sac de voyage”, comportant, selon les termes de l’annonce, le matériel nécessaire à la confection d’un “sac Georges” puis d’un “sac de voyage”.
Ces publications commerciales sont assorties d’une photograhie:
La société L’Armoire à Tissus ne conteste pas qu’il s’agit d’une photographie d’un sac qu’elle a cousu sur le modèle du “sac Georges” pour représenter le rendu fini de la boîte vendue. Le sac illustré reproduit en effet les caractéristiques précitées du modèle: il est doté d’un empiècement en son fond, présente deux anses suffisamment longues pour permettre le porté à l’épaule, a, sur l’un des côtés, entre les deux parties de l’anse, une poche extérieure fermée par une fermeture à glissière et le sac est fermé par une fermeture à glissière.
Il produit donc sur l’observateur averti, amateur de loisirs créatifs et de couture et suffisamment vigilant, une impression visuelle d’ensemble identique.
Cette photographie utilisée à fins promotionnelles pour vendre certaines “boîtes à sac Georges” puis “boîtes à sac de voyage” commercialisées par la société L’Armoire à Tissus, sur son site internet et sur facebook, constitue une contrefaçon du modèle de Mme [Y].
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Le :
Expédition exécutoire délivrée à: Me LAPÔTRE #DV
Copie certifiée conforme délivrée à : Me CAHEN #E1194
■
3ème chambre
1ère section
N° RG 22/08127
N° Portalis 352J-W-B7G-CXGDP
N° MINUTE :
Assignation du :
17 juin 2022
JUGEMENT
rendu le 28 mars 2024
DEMANDERESSES
Madame [I] [Y]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Société [I]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentées par Me Marine LAPÔTRE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #DV
DÉFENDERESSE
S.A.S. L’ARMOIRE À TISSUS
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Murielle-Isabelle CAHEN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1194
Décision du 28 mars 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 22/08127
N° Portalis 352J-W-B7G-CXGDP
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère Vice-Présidente Adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,
assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière,
DÉBATS
A l’audience du 15 janvier 2024 tenue en audience publique devant Madame Anne-Claire LE BRAS et Madame Elodie GUENNEC, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seules l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
Avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 28 mars 2024 par mise à disposition au greffe.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [I] [Y] est une créatrice de patrons de couture permettant la réalisation d’accessoires, commercialisés sur internet sous le pseudonyme [I], notamment le sac “Georges” exploité via un blog internet https://[06].com/ et sur divers réseaux sociaux. Le sac “Georges” a été enregistré par Mme [Y] à titre de dessin et modèle, auprès de l’INPI, sous le numéro 20203935 le 3 septembre 2020 :
La société [I], exploitée par Mme [Y], a pour activité la vente à distance sur catalogue spécialisé, via le site internet https://www.[05].com/. Elle dispose également de pages sur les réseaux sociaux Instagram,Youtube, Pinterest et Facebook.
La société l’Armoire à Tissus exerce une activité de vente à distance sur catalogue spécialisé, via son site https://www.larmoireatissus.net/ et commercialise des boîtes à sac de voyage.
Mme [Y] soutient que depuis le mois de mai 2022, la société L’Armoire à tissus commercialise une boîte, dénommée “La boîte à sac Georges”, contenant des coupons de tissus ainsi que du fil, qui représenterait le dessin et modèle du sac “Georges” ainsi que d’autres “boîtes à surprise”, qui permettraient de réaliser ce même modèle. Les termes “Sac Georges” et “[I]” seraient d’ailleurs repris sur la campagne de promotion de la société L’Armoire à Tissus, ce qu’elle dénonce.
Considérant que ces faits d’exploitation de son dessin et modèle, ainsi que du patron de ce sac et des dénominations “Sac Georges” et “[I]” contreviennent à ses droits antérieurs, Mme [Y] a mis en demeure la société L’Armoire à tissus, les 6 et 12 avril 2022, de cesser ces agissements. Les différents échanges ayant suivi n’ont pas permis d’arriver à un compromis entre les parties.
De nouveaux agissements ont été dénoncés par Mme [Y] et la société [I], notamment la commercialisation d’un modèle de sac “Mademoiselle G” et du patron correspondant qui ressembleraient également au modèle protégé.
Le 17 juin 2022, Mme [Y] et la société [I] ont donc fait assigner la société L’Armoire à tissus en contrefaçon de dessin et modèle et en concurrence déloyale devant le présent tribunal, afin de faire cesser ces actes et obtenir réparation du préjudice subi.
Dans leurs dernières conclusions du 15 mars 2023, Mme [Y] et la société [I] demandent au tribunal, au visa des articles L. 513-4 , L. 521-1, L. 521-7 et L. 521-8 du code de la propriété intellectuelle, des articles 1240 et suivants du code civil, de : Ecarter des débats les pièces n°4, 5 et 6 de la société défenderesse, Les déclarer recevables et bien fondées en leurs demandes, Dire et juger qu’en commercialisant les « boîtes à surprises » contenant le patron du “sac Georges” et des “ boîtes à sac Georges” reproduisant le dessin et modèle de “sac Georges” la société L’Armoire à tissus a commis des actes de contrefaçon du dessin et modèle: Reconnaître que le modèle de sac “Mademoiselle G” de la société défenderesse constitue une reproduction illicite du dessin et modèle du “sac Georges”; Dire et juger qu’en commercialisant le patron du sac “Mademoiselle G” et les boîtes à sac “Le Mademoiselle G” contenant le patron du sac “Mademoiselle G” reproduisant le dessin et modèle de “sac Georges”, la société défenderesse a commis des actes de contrefaçon du dessin et modèle; Dire et juger qu’en utilisant les termes “sac Georges” et/ou “[I]” par quelque moyen que ce soit (et notamment dans des mots-clés dits hashtags), et en commercialisant les boîtes litigieuses, la société défenderesse a commis des actes de concurrence déloyale; Dire et juger qu’en commercialisant le patron du sac “Mademoiselle G” et les boîtes à sac “Le Mademoiselle G” contenant le patron du sac “Mademoiselle G”, la société défenderesse a commis des actes de concurrence déloyale;
Interdire à la société défenderesse d’utiliser sous quelque forme que ce soit le dessin et modèle de “sac Georges” enregistré sous le numéro 20203935, sous astreinte; La condamner à leur verser: – la somme provisionnelle de 20 800 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon commis à leur encontre;
– la somme de 55 000 euros en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
Débouter la société défenderesse de ses demandes, Ordonner la publication du jugement à intervenir dans deux journaux et/ou revues, de leur choix et aux frais de la société L’Armoire à tissus, le tout dans la limite d’une somme de 3.000 euros par insertion et ce, à titre de dommages et intérêts complémentaires, Ordonner la publication du jugement à intervenir sur la page d’accueil du site internet de la société L’Armoire à tissus disponible à l’adresse suivante https://www.larmoireatissus.net/ sur un espace égal à un quart de l’écran, pendant une durée de deux mois à compter de la signification du jugement à intervenir et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, La condamner aux entiers dépens et à leur verser la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions du 23 janvier 2023, la société l’Armoire à tissus, demande au tribunal, au visa des articles L. 513-4, L. 521-1, L. 521-7 et L. 521-8 du code de la propriété intellectuelle, ainsi que des articles 1240 du code civil, de : Débouter les demanderesses de toutes leurs demandes; Les condamner in solidum au paiement d’une somme de 25.000 euros au titre du préjudice subi; Ordonner la publication du jugement sur le compte Facebook du défendeur sous astreinte, Dire que cette publication devra être effectuée en haut de la page sur le compte Facebook de la société [I] en dehors de tout encart publicitaire et sans autre mention ajoutée de quelque nature que ce soit, dans un encadré occupant toute la largeur et un tiers de la hauteur de la «page-écran», en caractère gras taille 14 et police “Times New Roman”, le titre devant être reproduit en caractères gras majuscules de taille 16; Les condamner in solidum aux dépens et au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile; Dire que si par extraordinaire, le tribunal faisait droit aux demandes indemnitaires formulées par les demanderesses, le défendeur sollicite que l’exécution provisoire soit écartée.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2023.
MOTIFS
Sur la demande de rejet des pièces 4, 5 et 6 versées par la société L’Armoire à Tissus
Moyens des parties
Mme [Y] et la société [I] soutiennent que les pièces 4, 5 et 6 produites par la défenderesse sont des copies d’écran insuffisamment datées ou ne comportant pas mention du site internet d’où elles sont extraites avec suffisamment de précision. Elles considèrent en outre que les données présentées dans le tableau de la pièce 6 ne sont pas attestées par un expert comptable ou un commissaire aux comptes. Elles demandent à ce qu’elles soient écartées des débats.
Rappelant que la preuve d’un fait juridique est libre, la société L’Armoire à Tissus estime que les pièces critiquées sont nécessaires à démontrer le bien fondé de ses propos et que leur intégrité n’est pas criticable dans la mesure où les captures d’écran comportent bien la date, l’heure et la provenance des écrits qu’elles contiennent. Elle s’oppose à ce que ces pièces soient écartées des débats.
Appréciation du tribunal
Il est constant que la capture d’écran d’un site internet n’est pas, par principe, dépourvue de force probante. Il appartient au tribunal de l’apprécier, dans le cadre de l’examen des moyens soulevés par les parties et il n’est pas justifier de les écarter d’emblée des débats. Cette demande sera donc rejetée.
Sur la contrefaçon de dessin et modèle français
Sur la caractérisation de la contrefaçon
Moyens des parties
Mme [Y] et la société [I] rappellent que Mme [Y] est titulaire d’un dessin et modèle et énonce la combinaison de ses caractéristiques.
Elles estiment qu’en commercialisant depuis le 3 mai 2022 sur son site internet “la boîte à sac Georges” représentant non seulement le modèle enregistré mais l’appellation “Sac Georges”, la société L’Armoire à Tissus a commis un acte de contrefaçon de son modèle. Elle considère que la société défenderesse ne justifie pas qu’il ne s’agissait que d’une opération de courte durée.
Elles ajoutent que la société L’Armoire à Tissus commercialise des “boîtes surprises” qui contiennent des éléments nécessaires à la fabrication d’une création surprise chaque mois, dont l’une concernerait le “Sac Georges”, ainsi qu’en témoignent les informations mises en ligne et l’image du contenu des boîtes. Elles soutiennent que ces boîtes contiennent le patron de couture et que la société L’Armoire à Tissus a utilisé la photographie d’un sac Georges pour en faire la promotion. Elles soulignent que la mention “patron non inclus” a été rajoutée seulement après la première mise en demeure, ce qui témoigne de la mauvaise foi de la défenderesse.
Elles reprochent enfin à la société L’Armoire à Tissus la commercialisation d’un patron de sac de voyage sous le nom “Mademoiselle G” ainsi que des boîtes contenant les fournitures permettant sa confection, qui reprennent les caractéristiques du modèle de sac Georges. Elle considère que la partie supérieure légèrement arrondie du sac est une différence mineure, les ressemblances étant suffisantes pour caractériser un risque de confusion dans l’esprit du public.
Elle note que la photographie du sac versée comme antériorité par la défenderesse est celui d’une créatrice qui dispose d’une licence.
La société L’Armoire à Tissus conclut à l’absence de contrefaçon du modèle français.
Elle soutient avoir utilisé de bonne foi l’appellation “sac Georges” qui n’est pas protégée. Par ailleurs, si elle commercialise, dans ses boîtes, le tissu pour la réalisation du modèle de sac, elle se défend d’avoir commercialisé le patron. Elle admet avoir cousu un modèle de sac Georges et l’avoir photographié pour représenter le rendu final des boîtes vendues et avoir utilisé cette photo pour certaines de ses boîtes. Quant à “la boîte à sac Georges”, elle précise que c’est une opération commerciale pour la fête des mères entre le 3 et le 29 mai 2022, qui n’a occasionné que trois ventes.
Elle ajoute que pour l’illustration des boîtes surprises, il n’y a ni mention du sac Georges, ni utilisation du modèle. Elle conteste avoir jamais vendu le patron litigieux dans ce cadre. Elle précise avoir, au stade pré-contentieux, accepté la requête de Mme [Y] qui était uniquement de rediriger les clients vers son site pour commercialiser le patron de couture.
Elle conteste le fait que le sac “Mademoiselle G” soit une contrefaçon du modèle. Elle se défend de toute référence à Georges et estime que la demanderesse n’expose pas quelles sont les similitudes entre les deux sacs qui permettraient au tribunal d’apprécier l’existence de ressemblances. Elle ajoute que les caractéristiques revendiquées sont communes à une majorité de sacs (une fermeture à glissière, des anses…) et met en exergue les nombreuses différences parmi lesquelles l’absence de poche à glissière sur le devant du sac et la forme différente, arrondie de son sommet. Elle conclut qu’il ne s’agit nullement d’une déclinaison du sac Georges.
Appréciation du tribunal
L’article L. 513-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que sont interdits, à défaut du consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation, le transbordement, l’utilisation ou la détention à ces fins, d’un produit incorporant le dessin ou modèle.
Cette disposition, issue de la loi n°2014-315 du 11 mars 2014, transpose en droit français l’article 12 de la directive 98/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles qui dispose en son 1. que l’enregistrement d’un dessin ou modèle confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser et d’interdire à tout tiers n’ayant pas son consentement de l’utiliser. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit aux fins précitées.
L’article L. 513-5 du même code dispose que la protection conférée par l’enregistrement d’un dessin ou modèle s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente.
Il convient de rappeler que la contrefaçon d’un modèle s’apprécie au regard des caractéristiques protégées telles que déterminées par les seules reproductions graphiques ou photographiques contenues dans le certificat d’enregistrement. Elle s’apprécie par rapport aux ressemblances et non par rapport aux différences.
L’observateur averti se définit comme doté, non d’une attention moyenne, mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré.
Enfin, l’article L. 521-1 du code de la propriété intellectuelle dispose, en son alinéa 1, que toute atteinte portée aux droits du propriétaire d’un dessin ou modèle, tels qu’ils sont définis aux articles L. 513-4 à L. 513-8, constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.
En l’espèce, Mme [I] [Y] est titulaire du modèle français enregistré auprès de l’INPI sous le numéro 20203935, déposé le 3 septembre 2020 et publié le 16 octobre de la même année. La société [I] n’est pas titulaire de ce modèle et ne justifie pas être licenciée exclusive.
Ainsi que l’indique Mme [Y], il s’agit d’un sac présentant un empiècement en son fond, comportant deux types de anses, deux anses suffisamment longues permettant de le porter à l’épaule et une anse d’une plus grande taille, s’attachant sur ses tranches, afin notamment de permettre un porté en bandoulière. Il a, sur l’un des côtés entre les deux parties de l’anse, une poche extérieure avec une fermeture à glissière. Le sac est fermé par une fermeture à glissière et comporte plusieurs poches et compartiments à l’intérieur.
La société L’Armoire à Tissus ne conteste pas la validité de ce modèle; si elle produit la photographie d’un autre sac disponible sur internet, cette citation n’est pas pertinente s’agissant de la création d’une société se déclarant sous licence de la demanderesse. Elle n’en tire en tout état de cause aucune conséquence juridique.
Or, il ressort de captures d’écran datées des 2 et 4 mai 2022 effectuées sur la page internet www.larmoireatissus.net ainsi que du procès-verbal de constat dressé le 4 mai 2022 par Me [K], commissaire de justice au Vésinet, qu’est commercialisée par la société L’Armoire à Tissus une boîte intitulée “boîte à sac Georges” puis “boîte à sac de voyage”, comportant, selon les termes de l’annonce, le matériel nécessaire à la confection d’un “sac Georges” puis d’un “sac de voyage”.
Ces publications commerciales sont assorties d’une photograhie:
Il importe, à titre liminaire, de rappeler que le titulaire d’un modèle, dont l’image a été reproduite dans une affiche publicitaire (même si elle n’a pas pour objet de commercialiser le produit incorporant le modèle mais un produit différent) peut agir sur le fondement de l’ article L. 513-4 du code de la propriété intellectuelle pour faire cesser cette utilisation, si les conditions sont remplies.
En effet, la liste des actes pouvant constituer une contrefaçon énoncée à l’article L. 513-4 du code de la propriété intellectuelle n’est pas limitative au regard de l’article 12 de la drective 98/71/CE qu’elle transpose.
En l’espèce, la société L’Armoire à Tissus ne conteste pas qu’il s’agit d’une photographie d’un sac qu’elle a cousu sur le modèle du “sac Georges” pour représenter le rendu fini de la boîte vendue. Le sac illustré reproduit en effet les caractéristiques précitées du modèle: il est doté d’un empiècement en son fond, présente deux anses suffisamment longues pour permettre le porté à l’épaule, a, sur l’un des côtés, entre les deux parties de l’anse, une poche extérieure fermée par une fermeture à glissière et le sac est fermé par une fermeture à glissière. Il produit donc sur l’observateur averti, amateur de loisirs créatifs et de couture et suffisamment vigilant, une impression visuelle d’ensemble identique. Cette photographie utilisée à fins promotionnelles pour vendre certaines “boîtes à sac Georges” puis “boîtes à sac de voyage” commercialisées par la société L’Armoire à Tissus, sur son site internet et sur facebook, constitue une contrefaçon du modèle de Mme [Y].
En revanche, la demanderesse ne démontre pas suffisamment, au moyen des pièces versées aux débats, le contenu de ces boîtes et ne prouve pas, en particulier, que la société L’Armoire à Tissus vend, à cette occasion, le patron reproduisant le modèle, permettant de confectionner le sac. Or, le demandeur à la contrefaçon supporte la charge de la preuve. Si la mention “patron non inclus” a été rajoutée après les premiers échanges pré-contentieux entre les parties, force est de constater que les publications produites, même antérieures, sous forme de captures d’écran ou dans le cadre d’un procès-verbal de constat de commissaire de justice, permettent seulement d’établir que ces boîtes contiennent la matière première nécessaire à la confection du sac désigné.
L’énumération du contenu des boîtes “sac Georges” ou “sac de voyage” figurant sur les annonces, ne comporte pas le patron de couture, la seule mention “tout pour la création d’un sac Georges” n’étant pas suffisante pour établir la présence du patron et encore moins son contenu. Il ressort au contraire des quelques éléments produits à ce sujet, en particulier d’échanges avec des clients potentiels sur la page facebook de l’Armoire à Tissus trois et cinq jours avant l’établissement du procès-verbal de constat de commissaire de justice du 5 avril 2022, soit avant la mise en demeure, qu’il est répondu que le patron de couture n’est pas dans la boîte et qu’il est renvoyé à la boutique de la société [I] pour se le procurer.
Le fait de commercialiser des coupons de tissus (une découpe de tissu jacquard, de la doublure en popeline de coton, du simili cuir) et des articles de mercerie ne saurait constituer une contrefaçon de modèle, en l’absence de preuve de la vente du patron de couture, pas davantage que l’usage du nom “sac Georges” qui n’est pas protégé par le titre de propriété industrielle.
S’agissant des “boîtes à surprise” commercialisées, aucune photographie du modèle de Mme [Y] n’y figure, ni d’ailleurs la référence expresse au “Sac Georges”. Si une publication mentionne que les boîtes à surprise comprennent un patron, sans que ce dernier ne soit produit, et qu’un rapprochement entre deux photographies permet de supposer qu’un des boîtes à surprise commercialisée pourrait être composée du nécessaire pour confectionner ledit “sac Georges”, la démonstration est insuffisante pour que soit caractérisée une contrefaçon de modèle. La demande ne peut donc prospérer sur ce point.
Il ressort enfin de captures d’écran du site internet de la société L’Armoire à Tissus produites, dont la réalité n’est pas discutée, que cette dernière commercialise un patron de sac de voyage intitulé “Mademoiselle G” ainsi représenté, ainsi qu’une boîte contenant le nécessaire pour le confectionner:
Il importe de rappeler que plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est grande, moins des différences mineures entre les dessins ou modèles comparés suffisent à produire une impression globale différente sur l’observateur averti. À l’inverse, plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est restreinte, plus les différences mineures entre les dessins ou modèles comparés suffisent à produire une impression globale différente sur l’utilisateur averti.
Or, en l’espèce, si le sac comporte un empiècement en son fond et deux types d’anses, le haut du sac est très arrondi, les anses ne sont pas cousues jusqu’en bas du sac et il est dépourvu de poche sur le côté si bien que l’utilisateur averti a une impression visuelle d’ensemble différente. La contrefaçon du modèle n’est pas établie.
Par conséquent, seule l’utilisation du modèle à titre de photographie sur l’annonce de vente du kit du “sac Georges”, puis “Sac de Voyage” précitée, est constitutif de contrefaçon du modèle de Mme [Y].
Sur la réparation de la contrefaçon
Moyens des parties
Mme [Y] et la société [I] estiment subir un préjudice commercial résultant des conséquences économiques négatives de la contrefaçon puisqu’outre la commercialisation du patron, la société l’Armoire à Tissus a utilisé des photographies représentant le sac Georges pour promouvoir des produits qu’elle commercialise. Elles en retirent un manque à gagner, n’ayant pu réaliser les ventes. Faute pour la société défenderesse de produire des documents certifiés par expert comptable, elles demandent la somme de 800 euros. Elles invoquent un préjudice moral compte-tenu de l’atteinte portée à la valeur des actifs et à la notoriété alors que les kits sont vendus au rabais dans d’importantes quantités. Elles dénoncent des actes graves réalisés en connaissance de cause et demandent la somme de 5000 euros.
Elles sollicitent encore l’indemnisation du préjudice subi du fait des bénéfices réalisés par le contrefacteur, qui n’a pas eu à faire les investissements humains et financiers pour proposer ses produits. Elle a ainsi tiré profit des investissements intellectuels, matériels et promotionnels. Elles notent que son site a connu un nombre beaucoup plus important de visites et estiment leur préjudice à 15.000 euros.
La société L’Armoire à Tissus conteste tout manque à gagner dans la mesure où Mme [Y] bénéficie, selon elle, des retombées positives de ses boîtes à sac. Elle qualifie la demande d’indemnités de Mme [Y] de déraisonnable et conteste tout préjudice d’image alors que sa réputation est irréprochable. Dans la mesure où elle renvoie les clients à son patron de couture, elle a nécessairement fait des bénéfices.
Appréciation du tribunal
L’article L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle dispose que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.
L’article L. 521-8 du même code dispose qu’en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants, les matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée.La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu’elle désigne, selon les modalités qu’elle précise.
Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais du contrefacteur.
En l’espèce, à titre liminaire, il sera interdit à la société L’Armoire à Tissus d’utiliser la représentation du modèle enregistré par Mme [Y] sous le n°20203935 dans les conditions prévues au dispositif de la décision.
En outre, à défaut de démontrer que la société L’Armoire à Tissus commercialise le patron de couture du “sac Georges”, Mme [Y] ne justifie pas de l’existence d’un manque à gagner, dans la mesure où elle ne commercialise pas elle-même ou via sa société, le matériel de couture nécessaire pour confectionner le sac.
En revanche, elle se prévaut à raison d’un bénéfice indu réalisé par la société L’Armoire à Tissus, qui a utilisé une représentation du modèle dont elle est titulaire pour commercialiser sa boîte à couture “sac Georges” ou “sac de voyage”. Il est acquis que la boîte à sac Georges commercialisée à l’occasion de la fête des mères, pour laquelle a été utilisée la photographie du sac, est vendue 55 euros (le prix étant remisé à 39 euros). La défenderesse reconnaît avoir vendu trois boîtes à 39 euros et produit des factures, sans verser d’élément comptable probant permettant d’établir qu’elle n’a réalisé que ces trois ventes. Elle déclare dans ses écritures une marge de 10 euros par boîte environ, sans davantage l’étayer. La fête des mères est en revanche bien mentionnée sur l’offre. S’agissant des investissements intellectuels, matériels et promotionnels que Mme [Y] dit avoir mis en oeuvre, aucune pièce n’est versée aux débats pour apprécier les frais exposés.
Elle justifie encore d’un préjudice moral caractérisé par l’atteinte portée à la valeur de ses actifs; la vente des produits au rabais comme l’atteinte à sa notoriété ne sont en revanche pas établies.
Au regard de l’ensemble de ces considérations, le préjudice résultant de la contrefaçon de son modèle sera indemnisé à hauteur de la somme provisionnelle de 300 euros que la société L’Armoire à Tissus sera condamnée à payer à Mme [Y]. La demande de la société [I] qui n’est pas titulaire du modèle sera rejetée sur ce point.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire
Sur la caractérisation des actes anti-concurrentiels
Moyens de parties
Rappelant l’existence d’un partenariat noué avec la société Joelle tissus pour la commercialisation de kits de fournitures pour la réalisation des “sacs Georges”, Mme [Y] et la société [I] considèrent qu’en utilisant leur savoir-faire, leur notoriété et leurs créations pour commercialiser les boîtes précitées, la société L’Armoire à Tissus s’est rendue responsable d’actes de concurrence déloyale et parasitaire.
Elles soulignent que pour assurer le succès de ses produits, la société L’Armoire à Tissus a promu ses boîtes sur les réseaux sociaux en utilisant la mention “Sac Georges” et “[I]” et utilisé les mots-clés (hashtag) afférents lui permettant ainsi d’augmenter la visibilité de ses publications et de tirer profit de sa forte notoriété, de sa renommée dans l’univers des loisirs créatifs et d’augmenter l’audience de son site. Elles qualifient cela d’acte de parasitisme, étant souligné que les mots-clés n’ont pas servi uniquement pour vendre le nécessaire pour faire le sac Georges, mais également à attirer la clientèle vers d’autres créations. Elles citent également le “sac à sac ” contenant “tout pour la création d’un Cabas de [I]”. Elles dénoncent encore la création d’une page Facebook par l’une de ses “revendeuses ambulantes”.
Elles concluent que la société défenderesse a usé de stratagèmes pour tirer profit des efforts, investissements, savoir-faire et notoriété du sac Georges. Elles ajoutent que la démarche consistant à utiliser le terme “Mademoiselle G” est aussi parasitaire, s’agissant de la première lettre de Georges. Elles considèrent qu’il y a un risque de confusion avec le sac Georges dont il constitue une déclinaison, à bas coût. Elles ajoutent que les mentions du site internet ne respectent pas les obligations légales.
La société L’Armoire à Tissus indique avoir mentionné Mme [Y] non pour faire de la publicité mais pour la citer comme créatrice du patron. Elle indique avoir pensé être en bons termes avec elle, puisqu’elle avait plusieurs fois cité son nom dans ses publications. Elle soutient au contraire que les mots-clés utilisés sur les réseaux sociaux ont donné de la visibilité supplémentaire aux demanderesses. Elle relève qu’elles n’ont pas fait le choix de les protéger à titre de marque et précise que la page Facebook incriminée a été ouverte par un tiers. Elle se défend d’être à l’origine de sa création.
Elle conteste tout risque de confusion entre les produits vendus par les parties, le concept de boîte voyage n’étant pas comparable avec les produits des demanderesses. Elle se prévaut de ses propres investissements, soulignant qu’elle a imaginé les boîtes à sac, qu’elle les a mises en conditionnement, a créé un marketing autour de son savoir-faire. Rappelant n’avoir jamais commercialisé le patron, elle estime n’avoir commis aucune faute ni agissement parasitaire.
Elle soutient que le prix de vente n’est pas un argument entendable, qu’elle n’a enregistré aucun bénéfice ou surplus de commandes pendant la période incriminée et qu’il est erroné de dire qu’elle bénéficierait d’une augmentation de la fréquence de consultation de son site internet. Elle se veut transparente et communique le nombre de boîtes portant la mention “sac georges” vendues ainsi que ses bénéfices. Elle conteste avoir cherché la notoriété de la société [I], se prévaut de ses propres investissements créatifs, de promotion et de publicité et revendique une réputation irréprochable. Elle soutient ne jamais avoir laissé croire à la clientèle qu’elle était liée à Mme [Y].
Appréciation du tribunal
Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce, ce qui implique qu’un signe ou un produit qui ne fait pas l’objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l’absence de faute, laquelle peut être constituée par la création d’un risque de confusion sur l’origine du produit dans l’esprit de la clientèle, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce.
L’appréciation de cette faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté de l’usage, l’originalité et la notoriété de la prestation copiée (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 10 juillet 2018, n°16-23.694).
La concurrence déloyale exige la preuve d’une faute relevant de faits distincts de ceux allégués au titre de la contrefaçon (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 16 déc. 2008, n°07-17.092).
La caractérisation d’une situation de concurrence directe ou effective entre des sociétés n’est pas une condition de l’action en concurrence déloyale qui exige seulement l’existence de faits fautifs générateurs d’un préjudice (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 12 février 2008, n°06-17.501).
Le parasitisme, qui n’exige pas de risque de confusion, consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 10 juillet 2018, n°16-23.694).Décision du 28 mars 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 22/08127
N° Portalis 352J-W-B7G-CXGDP
En l’espèce, il doit être d’emblée rappelé que les demanderesses ne peuvent se prévaloir, à titre d’actes qu’elles qualifient d’anticoncurrentiels, de faits qui ne sont pas distincts de ceux allégués au titre de la contrefaçon, s’agissant en particulier du sac “Mademoiselle G”, pour les motifs rappelés au §51.
Il est établi par les pièces versées aux débats, en particulier les procès-verbaux de constat de commissaire de justice, que la société L’Armoire à Tissus a utilisé les termes “la boîte à sac Georges” ou “type Georges” et “[I]” pour désigner directement des produits qu’elle commercialise sur son site internet et les pages de ses réseaux sociaux, en particulier des boîtes contenant des coupons de tissus et de la mercerie nécessaires pour confectionner un sac, ou à travers des mots-clés permettant de référencer un contenu commerçant publié (exemple: “tout pour coudre un sac Georges de #vinydiy”).
Or, il est justifié par les demanderesses que le “sac Georges” en particulier est connu sous cette dénomination dans l’univers du loisir créatif de la couture, en particulier sur les réseaux sociaux: Ainsi le “#sacgeorges” compte-t-il 7188 publications sur instagram et 1000 suivis sur facebook, et le #sacgeorgesvinydiy reçoit-il 2.439 publications sur instagram.
En faisant ainsi volontairement référence, dans l’intitulé de ses produits ou des mots-clés utilisés pour les référencer, à la société demanderesse et à l’un de ses produits phares, elle s’attire une clientèle et augmente sa visibilité sur internet, peu important que certains consommateurs puissent aussi découvrir par ce biais les créations des demanderesses. Elle entretient ainsi une une confusion, dans l’esprit du consommateur, sur un lien existant entre elle et les demanderesses dans le sillage desquelles elle se place pour profiter de leur notoriété, peu important qu’elle ait, elle aussi, exposé des frais pour développer sa boîte de couture. La concurrence déloyale dt parasitaire est ainsi démontrée.
Il n’est pas démontré en revanche que la page créée sur le réseau social Facebook dédié aux “boîtes à sac Georges” soit le fait de la société L’Armoire à Tissus, les demanderesses admettant que cette page aurait été créée par une “revendeuse ambulante” de L’Armoire à Tissus, dont le statut n’est pas précisé. Quant à l’utilisation du nom “Mademoiselle G” pour désigner un sac dont il a été souligné qu’il est différent du sac Georges, elle est bien distincte et n’emporte aucun risque de confusion. Enfin, elle n’explique pas en quoi l’absence d’actualisation de l’adresse du siège social de la société sur le Kbis constituerait un acte de concurrence déloyale.
Sur la réparation
Moyens des parties
Mme [Y] et la société [I] demandent réparation pour le risque de confusion créé en reproduisant les éléments susvisés et pour le profit tiré de ses investissements. Elles notent encore que le trafic sur le site de la défenderesse a augmenté en conséquence pendant la période en litige et qu’elle a échappé au risque financier inhérent au lancement et à la pérennisation d’une activité commerciale. Ses agissements ont fait croire que le site internet L’Armoire à tissus était lié à elles ce qui leur occasionne un préjudice car elles soutiennent que les retours des consommateurs la concernant ne sont pas toujours positifs, ce qui nuit à leur image. Elles contestent tout partenariat noué avec la défenderesse et demandent une réparation forfaitaire.
La société L’armoire à Tissus conteste les préjudices invoqués et souligne l’absence de situation de concurrence.
Appréciation du tribunal
En matière de responsabilité pour concurrence déloyale, la chambre commerciale retient qu’il s’infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d’un acte de concurrence déloyale (Cass., Com., 22 octobre 1985, pourvoi n° 83-15.096, Bull. 1985, IV, n° 245 ; Cass., Com., 27 mai 2008, pourvoi n° 07-14.442, Bull. IV, n° 105 ; Cass., 1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 17-14.582 ; Cass., Com., 28 septembre 2010, pourvoi n° 09-69.272 ; Cass., Com., 11 janvier 2017, pourvoi n° 15-18.669).
“Cette jurisprudence, qui énonce une présomption de préjudice, sans pour autant dispenser le demandeur de démontrer l’étendue de celui-ci, répond à la nécessité de permettre aux juges une moindre exigence probatoire, lorsque le préjudice est particulièrement difficile à démontrer. En effet, si les effets préjudiciables de pratiques tendant à détourner ou s’approprier la clientèle ou à désorganiser l’entreprise du concurrent peuvent être assez aisément démontrés, en ce qu’elles induisent des conséquences économiques négatives pour la victime, soit un manque à gagner et une perte subie, y compris sous l’angle d’une perte de chance, tel n’est pas le cas de ceux des pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d’un concurrent, ou à s’affranchir d’une réglementation, dont le respect a nécessairement un coût, tous actes qui, en ce qu’ils permettent à l’auteur des pratiques de s’épargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu. Lorsque tel est le cas, il y a lieu d’admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectés par ces actes” (Cass., Com., 12 février 2020, pourvoi n° 17-31.614).
Les demanderesses font état d’importants investissements pour la création de la société [I], celle du sac Georges et de son patron de couture. Au-delà de l’investissement humain et des efforts déployés, incontestables sur le principe, elles font référence à l’investissement financier sans toutefois rapporter d’élément sur ce point.
Elles justifient en revanche, par la production d’une copie d’écran du site “similarweb”, que la fréquentation du site internet de l’Armoire à Tissus a ainsi augmenté entre avril et mai 2022 et que le canal marketing numérique qui génère du trafic sur ce site est, à hauteur de plus de 60%, constitué par les réseaux sociaux. L’avantage concurrentiel est établi même s’il doit, au regard des schémas produits par la défenderesse lissés sur une année, être nuancés.
En revanche, la communication de plusieurs retours négatifs de consommateurs n’est pas suffisante pour caractériser une atteinte à son image par l’association qui en résulte.
Le préjudice sera réparé par l’allocation d’une somme de 1.500 euros.
Les préjudices tant sur le fondement de la contrefaçon que de la concurrence déloyale apparaissent intégralement réparés par l’allocation de dommages-intérêts et le prononcé d’une mesure d’interdiction. Il n’y a pas lieu de prononcer une mesure de publication judiciaire.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et la demande de publication
La société L’Armoire à Tissus sollicite la condamnation des demanderesses à lui payer la somme de 25.000 euros en réparation d’un préjudice qu’elle aurait subi sans davantage de développement. Les demanderesses prospèrent en une partie de leur demande; aucun abus dans l’exercice de leurs droits occasionnant un préjudice à la société L’Armoire à Tissus n’est caractérisé.
La demande de dommages-intérêts sera rejetée.
Il n’y a pas d’avantage lieu de faire droit à sa demande de publication judiciaire du jugement.
Sur les demandes annexes
Succombant à titre principal, la société L’Armoire à Tissus sera condamnée aux dépens de l’instance qui seront recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
Supportant les dépens, elle sera condamnée à payer à Mme [Y] et à la société [I] la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
L’exécution provisoire est de droit et aucune circonstance ne justifie de l’écarter.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL,
DÉBOUTE M. [Y] et la société [I] de leur demande tendant à ce que les pièces 4, 5 et 6 produites par la société L’Armoire à Tissus soient écartées des débats;
FAIT INTERDICTION à la société L’Armoire à Tissus d’utiliser la représentation du modèle enregistré sous le n°20203935 dont est titulaire Mme [Y], pour commercialiser ses produits, sous astreinte de 300 euros par infraction constatée dans un délai de quinze jours après la signification de la présente décision courant pendant un délai d’un an;
CONDAMNE la société L’Armoire à Tissus à payer à Mme [Y] la somme provisionnelle de 300 euros en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon de son modèle;
DÉBOUTE la société [I] de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon;
CONDAMNE la société L’Armoire à Tissus à payer à Mme [Y] et à la société [I] la somme de 1.500 euros en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale par parasitisme;
REJETTE les demandes de publication du jugement;
DÉBOUTE la société L’Armoire à Tissus de sa demande de dommages-intérêts et de sa demande de publication de la décision;
CONDAMNE la société L’Armoire à Tissus aux dépens qui seront recouvrés directement par Me [C] sur le fondement des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile;
CONDAMNE la société L’Armoire à Tissus à payer à Mme [Y] et à la société [I] la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit par provision et dit n’y avoir lieu à l’écarter.
Fait et jugé à Paris le 28 mars 2024
LA GREFFIÈRE LA PRESIDENTE
Caroline REBOULAnne-Claire LE BRAS