Péremption d’instance : 7 juillet 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00282

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Péremption d’instance : 7 juillet 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00282

N° RG 21/00282 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IVD5

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 07 JUILLET 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

18/384

Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DU HAVRE du 31 Décembre 2020

APPELANTE :

Société [5]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Isabelle RAFEL de la SCP VIDAL-NAQUET AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE :

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU [Localité 3]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Vincent BOURDON, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 09 Mai 2023 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 09 Mai 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 07 Juillet 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 07 Juillet 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par M. CABRELLI, Greffier.

* * *

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [H], engagé depuis le 30 novembre 1981 au sein de la société [6], devenue [5] (la société), a adressé à la caisse primaire d’assurance maladie du [Localité 3] (la caisse) une déclaration de maladie professionnelle établie le 30 octobre 2017.

Un certificat médical initial daté du 22 septembre 2017 était joint à l’appui de cette déclaration, mentionnant : ‘Epaule G. : (illisible) + rupture tendons’.

Par courrier du 13 juin 2018, la caisse a notifié à la société ainsi qu’à M.[H] sa décision de prise en charge de la pathologie au titre de la législation relative aux risques professionnelles.

La société a saisi la commission de recours amiable (la CRA) de la caisse d’une demande d’inopposabilité, à son égard, de la décision.

En sa séance du 6 août 2018, la CRA a refusé de faire droit à sa demande.

La société a poursuivi sa contestation devant le tribunal des affaires de sécurité sociale du Havre.

L’affaire a été transférée au pôle social du tribunal de grande instance du Havre, devenu tribunal judiciaire, lequel a, par jugement du 31 décembre 2020, rejeté le recours.

La société a relevé appel de cette décision le 19 janvier 2021.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions remises le 18 avril 2023, soutenues oralement à l’audience, la société demande à la cour de :

– débouter la caisse de sa demande tendant à voir constater une péremption d’instance,

– infirmer le jugement du 31 décembre 2020,

– juger la décision de prise en charge en date du 13 juin 2018 inopposable à son égard,

– condamner la caisse aux entiers dépens.

Au soutien de ses allégations, la société indique que la cour d’appel a fixé l’affaire en délivrant une convocation le 28 décembre 2022, dans le délai de deux ans à compter du 19 janvier 2021, de sorte que la péremption n’est pas acquise.

Sur le fond, elle affirme que la caisse ne rapporte pas la preuve du fait que les conditions du tableau de maladie professionnelles sont remplies. Elle soutient qu’il n’est pas établi que l’assuré effectuait les travaux prévus par le tableau 57A des maladies professionnelles, que la caisse ne l’a pas informée de la modification de la date de première constatation médicale, que le délai de prise en charge prévu au tableau n’a pas été respecté.

Par dernières conclusions remises le 28 avril 2023, soutenues oralement à l’audience, la caisse demande à la cour de :

– juger que la péremption d’instance est acquise,

– en conséquence, prononcer la force de chose jugée du jugement rendu par le tribunal judiciaire le 31 décembre 2020,

A titre subsidiaire,

– confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le tribunal judiciaire,

– déclarer opposable à la société la décision de prise en charge, au titre de la législation relative aux risques professionnels, de la maladie ‘tendinopathie chronique non rompue non calcifiante de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche’ dont M. [H] est atteint,

En tout état de cause,

– condamner la société à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société aux entiers dépens.

A l’appui de ses allégations, la caisse constate que la société, qui a interjeté appel enregistré le 20 janvier 2021, n’a effectué aucune diligence pendant deux années.

Elle soutient qu’il est établi que durant son activité professionnelle, M. [H] a effectué des travaux l’exposant aux risques visés au tableau n°57A des maladies professionnelles, que le délai de prise en charge a été respecté.

Elle précise que la société ne peut invoquer l’application de l’article L 461-1 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable à compter du 1er juillet 2018, la décision de prise en charge de la maladie de M. [H] étant antérieure à cette date.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé détaillé de leurs moyens et arguments.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur le moyen tiré de la péremption de l’instance

Le décret du 29 octobre 2018 a abrogé l’article R 142-22 du code de la sécurité sociale qui prévoyait la péremption d’instance en l’absence de diligences expressément mises à la charge des parties par la juridiction.

Ainsi, l’application des dispositions de droit commun de l’article 386 du code de procédure civile, selon lequel l’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans, est applicable devant la cour d’appel depuis le 1er janvier 2019.

Il est constant que constitue une telle diligence toute action manifestant la volonté des parties de poursuivre l’instance et de faire avancer le procès.

Si en procédure orale, les parties n’ont pas l’obligation de conclure, il leur appartient à tout le moins, si elles n’entendent pas le faire, de manifester leur intention de poursuivre l’instance en demandant la fixation de l’affaire à une audience, quelles que soient au demeurant les chances de succès d’une telle demande, et, si au contraire elles entendent conclure, de le faire en temps voulu.

En l’espèce, la société ayant interjeté appel le 19 janvier 2021, les parties devaient accomplir une diligence avant le 19 janvier 2023.

Or, en l’espèce, l’affaire a été fixée à l’audience du 15 mars 2023 par convocation du greffe du 28 décembre 2022, soit dans le délai de deux ans de l’appel.

L’affaire a ensuite fait l’objet d’un renvoi à l’audience du 9 mai 2023 à la demande des parties.

Il en résulte que les parties n’avaient pas d’autre diligence à accomplir après cette fixation et que la péremption n’est pas acquise.

La caisse est dès lors déboutée de sa demande.

2/ Sur le respect des conditions du tableau

La société soutient d’une part que la caisse n’établit pas que l’assuré effectuait les travaux décrits limitativement par le tableau, d’autre part, qu’il existe une discordance entre les termes du certificat médical et la maladie visée par le tableau et enfin que le délai de prise en charge n’a pas été respecté.

Sur ce ;

Aux termes de l’article L 461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

En l’espèce, la pathologie de M. [H] a été instruite au titre du tableau n°57A des maladies professionnelles relatif aux affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail.

La maladie telle qu’elle est désignée dans le tableau est celle définie par les éléments de description et les critères d’appréciation fixés.

Il n’est pas imposé comme condition de prise en charge que le certificat médical initial porte mention de la même dénomination de la maladie que celle indiquée au tableau en ce qu’il appartient, durant l’instruction, au service médical de la caisse de vérifier si la pathologie répond aux conditions médicales visées par le tableau.

En l’espèce, le certificat médical initial établi par le docteur [U], médecin généraliste, le 22 septembre 2017 indiquait ‘Epaule G. : (illisible) + rupture tendons’.

Le tableau 57A des maladies professionnelles mentionne notamment au titre des maladies :

Epaule, tendinopathie chronique non rompue non calcifiante avec ou sans enthésopathie de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM.

Le délai de prise en charge est de 6 mois.

Au titre de la liste limitative des travaux sont précisés: travaux comportant des mouvements ou le maintien de l’épaule sans soutien en abduction: avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé ou avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé.

Le colloque médico-adminstratif du 4 juin 2018 mentionne que l’assuré est atteint de: ‘ coiffe des rotateurs: tendinopathie chronique non rompue non calcifiante gauche objectivée par IRM’, celle-ci étant datée du 8 juin 2017.

Au regard de ces éléments, c’est à juste titre que les premiers juges ont retenu que la condition relative à la désignation de la maladie était remplie.

En l’espèce, la pathologie prise en charge par la caisse est la tendinopathie chronique non rompue non calcifiante avec ou sans enthésopathie de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM.

La tendinopathie chronique non rompue non calcifiante avec ou sans enthésopathie de la coiffe des rotateurs , selon le tableau 57 A des maladies professionnelles, peut être prise en charge comme telle si elle est constatée dans le délai de 6 mois suivant la fin de l’exposition au risque susceptible de la causer et sous réserve d’une exposition audit risque de six mois et si le salarié a effectué des travaux comportant des mouvements ou le maintien de l’épaule sans soutien en abduction avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé ou avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé.

En l’espèce, le colloque médico-administratif indique que la maladie est objectivée par une IRM du 8 juin 2017, ce qui constitue une preuve suffisante que la maladie déclarée est celle du tableau 57.

Au cours de l’enquête de la caisse, le salarié a indiqué qu’il travaillait en qualité d’agent de fabrication, qu’il était posté au sein de l’unité de fabrication de lubrifiants produits finis, qu’il effectuait de la manipulation et de la manutention de sacs de poudre de 20 kg, de seaux d’additifs de 15kg, de tonnelets de poudre de 25 kg et de Premix par seau de 15 kg.

Il indiquait être droitier et précisait qu’il manipulait avec ses deux bras. Il estimait que dans le cadre de toutes ses tâches de travail, il avait le bras gauche décollé à plus de 60° du corps pendant 10 heures par semaine soit 2 heures par jour en durée cumulée.

Il précisait devoir charger les sacs de poudre et d’additifs dans les mélangeurs lui arrivant au ventre, devoir manipuler des fûts et conteneurs et devoir effectuer des actions manuelles de pompages des fûts.

Selon la synthèse de l’enquête administrative, l’employeur, via la fiche fournie en réponse au questionnaire a pu indiquer ‘le temps passé en heure par an et par quart à la manipulation pour l’opérateur, en fonction de certain mode de calcul’. En revanche, avisé à plusieurs reprises par l’enquêteur, il n’a pu être entendu afin d’obtenir des compléments d’information sur les éléments recherchés ( décollement de bras) n’ayant pas répondu aux sollicitations. Un procès verbal de carence a été établi le 17 mai 2018.

Le document transmis par l’employeur à la caisse confirmait que le salarié manipulait des sacs de poudre de 20kg, par palette de 600kg tous les jours, des seaux d’additifs de 15kg à raison de 5 seaux par production, qu’il réalisait des Premix 2 fois par semaine par seaux de 15 kg précisant qu’il y avait alors un soulèvement au-dessus des épaules pour verser dans le container pendant environ 15 secondes.

Il indiquait en outre que le salarié utilisait également un chariot pour transporter une palette, précisant que l’action consistait à translater chaque sac de la palette vers ABB2, puis à l’ouvrir avec un cutter et à le vider.

La description des travaux faites par l’employeur correspond à celle faite par le salarié ainsi qu’à la liste du tableau 57 et la régularité de ces travaux leur confère un caractère habituel.

Comme justement constaté par les premiers juges, l’employeur doit collaborer à l’enquête de manière loyale.

En conséquence, dès lors qu’en l’état du questionnaire renseigné par le salarié, de l’indication par l’employeur de ce qu’il reconnaît l’existence de travaux décrits au tableau, sauf à en contester la durée, de l’absence d’éléments nouveaux produits à hauteur de cour, il doit être considéré comme démontrée la condition relative aux travaux effectués.

La société soutient que le salarié bénéficiait d’un avis d’aptitude limitée sur les manutentions et mouvements répétitifs depuis janvier 2016, que pour justifier du fait que le délai de prise en charge serait respecté la caisse a fait remonter le point de départ de ce délai au 3 août 2015, qu’elle n’a pas eu une connaissance parfaite de l’élément qui a permis de retenir une telle date de première constatation antérieure au certificat médical initial. La société indique que si les premiers juges ont considéré que le 3 août 2015 devait être retenu comme date de première constatation médicale du fait de l’existence d’un arrêt de travail, l’enquête administrative fait référence à un arrêt de travail pour maladie du 10 juillet au 8 novembre 2015, qu’aucun élément ne permet de considérer que cet arrêt de travail est en lien avec la pathologie qui a donné lieu à un certificat médical initial en date du 22 septembre 2017.

La société soutient que par une simple référence à une radiographie, sans autre précision, la caisse ne lui a pas permis d’être suffisamment informée sur les conditions dans lesquelles cette date a été retenue, de sa modification, que le délai de prise en charge n’ayant pas été respecté, la caisse aurait dû saisir un CRRMP, que la décision prise en l’état était irrégulière et doit en conséquence lui être déclarée inopposable.

En l’espèce, le certificat médical initial joint à la déclaration de maladie professionnelle est daté du 22 septembre 2017 et fait état d’une première constatation médicale de la maladie professionnelle à cette date.

Il est établi que ce certificat médical a été mis à la disposition de la société.

La pièce caractérisant la première constatation médicale d’une maladie professionnelle dont la date est antérieure à celle du certificat médical initial n’est pas soumise aux mêmes exigences de forme que celui-ci et n’est pas au nombre des documents constituant le dossier qui doit être mis à la disposition de la victime ou de l’employeur. En cas de contestation, il appartient au juge de vérifier si les pièces du dossier constitué par la caisse ont permis à l’employeur d’être suffisamment informé sur les conditions dans lesquelles cette date a été retenue.

Le colloque médico-administratif du 4 juin 2018 mentionne au titre de la date de première constatation médicale le 3 août 2015 au regard de la date d’une radiographie.

Il n’est pas contesté que le colloque médico-administratif a été mis à la disposition de l’employeur lors de la consultation du dossier, de sorte qu’aucune inopposabilité de la décision de ce chef ne saurait être invoquée par l’entreprise, cette dernière ne pouvant légitiment soutenir ne pas avoir été informée de la modification de la date de première constatation médicale.

Il ressort des éléments produits que M. [H] a bénéficié d’un arrêt de travail prescrit au titre de la maladie à compter du 5 décembre 2017, de sorte qu’avant cette date il était toujours en activité. Le délai de prise en charge de 6 mois visé au tableau 57A a donc été respecté.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, l’assuré devait bénéficier de la présomption prévue par l’article L 461-1 du code de la sécurité sociale.

La société n’invoquant pas l’existence d’une cause totalement étrangère au travail, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris qui l’a déboutée de son recours.

3/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

La société qui succombe est condamnée aux dépens d’appel et de première instance.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la caisse les frais non compris dans les dépens qu’elle a pu exposer. Il convient en l’espèce de condamner la société à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort ;

Rejette le moyen tiré de la péremption d’instance ;

Confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire du Havre du 31 décembre 2020 ;

Y ajoutant :

Condamne la société [5] à verser à la caisse primaire d’assurance maladie du [Localité 3] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société [5] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

 


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