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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 13
ARRÊT DU 07 Avril 2023
(n° 244, 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 17/03583 – N° Portalis 35L7-V-B7B-B23CQ
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 Janvier 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 15/01760
APPELANTE
URSSAF PARIS – ILE DE FRANCE
Division des recours amiables et judiciaires
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée par M. [Y] [F] en vertu d’un pouvoir général
INTIMEE
SAS [1]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
représentée par Me Emmanuel KATZ, avocat au barreau de PARIS, toque : E0889
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Janvier 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre
Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller
Madame Natacha PINOY, Conseillère
Greffier : Madame Alice BLOYET, lors des débats
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, initialement prévu au 03 Mars 2023 et prorogé au 07 Avril 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre et par Madame Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par l’Urssaf d’Île-de-France (l’Urssaf) d’un jugement rendu le 23 janvier 2017 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny dans un litige l’opposant à la S.A.S. [1] (le donneur d’ordre).
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans le cadre d’opérations de contrôle aux fins de recherches d’infractions de travail dissimulé, prévues à l’article L. 8221-1 du code du travail, la gendarmerie nationale, accompagnée d’inspecteurs de l’Urssaf a constaté que la société [2], entreprise générale de bâtiment (la société sous-traitante), travaillant pour le compte du donneur d’ordre, avait recours au travail dissimulé en omettant de déclarer plusieurs salariés pour lesquels aucune déclaration préalable à l’embauche n’avait été faite. Trois procès-verbaux de travail dissimulé, respectivement en date des 1er juin 2012, 6 juillet 2012 et 1er août 2012 ont été dressés et transmis au procureur de la République.
Destinataire de ces procès-verbaux de constat d’infraction, l’Urssaf a mis en ‘uvre un contrôle d’assiette et de vérification de l’application des législations de sécurité sociale, d’assurance chômage et de garantie des salaires à l’encontre de la société sous-traitante qui a fait apparaître une forte minoration des déclarations sociales du 1er avril 2011 au 31 décembre 2012 et lui a notifié le 14 mars 2013 un redressement envisagé à hauteur de 791 800 euros.
L’organisme de recouvrement a adressé au donneur d’ordre une lettre le 6 août 2012 l’informant de la situation de travail dissimulé constatée par procès-verbal et l’invitant à enjoindre son sous-traitant à faire cesser sans délai cette situation d’exercice d’un travail dissimulé. Le donneur d’ordre n’a pas réclamé la lettre qui a été retournée à l’Urssaf avec la mention « non réclamé ».
L’organisme de recouvrement a adressé le 20 novembre 2013 au donneur d’ordre une lettre d’observations lui notifiant un redressement d’un montant de 26 381 euros au titre de la solidarité financière. Le donneur d’ordre ayant formé des observations au cours de la période contradictoire, les inspecteurs de l’Urssaf ont maintenu leurs observations par lettre du 5 mars 2014. Le donneur d’ordre a saisi la commission de recours amiable qui a rejeté son recours par décision du 6 juillet 2015. Le donneur d’ordre a alors porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny, lequel par jugement du 23 janvier 2017 a :
– annulé le redressement notifié par l’Urssaf à la société par lettre d’observations du 20 novembre 2013 ;
– annulé en conséquence la mise en demeure du 18 juillet 2014 visant la somme de 26 381 euros ainsi que la décision de la commission de recours amiable du 6 juillet 2015 notifiée par l’Urssaf à la société ;
– rejeté le surplus des demandes formulées par la société ;
– rappelé que tout appel du jugement devait, à peine de forclusion, être interjeté dans le délai d’un mois à compter de sa notification.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu qu’il n’était pas contesté que l’Urssaf avait adressé à la société une lettre le 6 août 2012 demandant à cette dernière de cesser ses relations avec la société [2] compte tenu du fait qu’un constat de travail dissimulé avait été établi à son encontre ; qu’il n’était pas contesté que cette lettre n’a pas été distribuée à la société ; que la société justifiait qu’au cours du mois d’août 2012, ses locaux étaient fermés en raison des congés d’été, ce qui expliquait que la lettre n’avait pas été distribuée ; qu’il n’était pas contesté que la société avait mis un terme volontairement à ses relations contractuelles avec la société [2] le 19 octobre 2012, soit environ deux mois après l’envoi par l’Urssaf de la lettre du 6 août 2012, alors pourtant qu’elle n’en avait pas eu connaissance ; qu’il y avait lieu de relever la bonne foi de la société, dont l’Urssaf n’avait pas tenu compte.
Le 8 mars 2017 l’Urssaf a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 9 février 2017.
Par conclusions écrites soutenues oralement à l’audience par son représentant, l’Urssaf demande à la cour de :
– constater que la péremption d’instance n’est pas acquise ;
– infirmer la décision de première instance du 23 janvier 2017 ;
-confirmer le redressement notifié à la société ;
– confirmer la décision de la commission de recours amiable du 6 juillet 2015 ;
– condamner la société à payer 26 381 euros de cotisations ;
– condamner la société à payer 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions écrites soutenues oralement à l’audience par son conseil, la société donneur d’ordre demande à la cour, au visa des articles L. 8222-1 à L. 8222-3, R. 8222-& et L. 8222-5 du code du travail, de la circulaire ministérielle du 30 décembre 2014, des articles 9, 386, 390, 409 et 700 du code de procédure civile, de :
– la recevoir en ses écritures et l’y déclarer bien-fondée ;
À titre principal,
– déclarer l’instance périmée, l’Urssaf s’étant abstenue pendant plus de deux ans de toutes diligences ;
– débouter l’Urssaf de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
En conséquence,
– rappeler que le jugement prononcé par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny, dans l’affaire l’opposant à la société, du 23 janvier 2017, est passé en force de chose jugée ;
À titre subsidiaire,
– débouter l’Urssaf de l’ensemble de ses demandes, conclusions et observations ;
– confirmer le jugement prononcé par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny du 23 janvier 2017, en ce qu’il a annulé le redressement au titre de la solidarité financière notifiée par l’Urssaf le 20 novembre 2013 avec toutes conséquences de droit, les conditions du redressement n’étant pas réunies ;
À titre infiniment subsidiaire,
– débouter l’Urssaf de l’ensemble de ses demandes, conclusions et observations ;
– confirmer le jugement prononcé par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny du 23 janvier 2017 en ce qu’il a annulé le redressement au titre de la solidarité financière notifiée par l’Urssaf le 20 novembre 2013, avec toutes conséquences de droit, le principe et le quantum des sommes présentées comme dues étant non étayés et le caractère contradictoire du redressement n’étant pas respecté ;
En tout état de cause,
– condamner l’Urssaf au paiement de la somme de 7 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d’appel.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties visées par le greffe au jour de l’audience et déposées pour un exposé complet des prétentions et moyens développés et soutenus à l’audience.
SUR CE :
– sur la péremption :
Il résulte des dispositions du décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 ayant abrogé l’article R. 142-22 du code de la sécurité sociale, que l’article 386 du code de procédure civile est applicable en matière de sécurité sociale tant aux instances d’appel initiées à partir du 1er janvier 2019 qu’à celles en cours à cette date.
Lorsque la procédure est orale, les parties n’ont pas, au regard de l’article 386 du code de procédure civile, d’autre diligence à accomplir que de demander la fixation de l’affaire (Cass., Civ. 2e, 17 novembre 1993, n° 92-12.807 ; Cass., Civ. 2e, 6 décembre 2018, n° 17-26.202).
La convocation de l’adversaire étant le seul fait du greffe, la direction de la procédure échappe aux parties qui ne peuvent l’accélérer (Cass., Civ. 2e, 15 novembre 2012, n° 11-25.499).
Il en résulte que le délai de péremption de l’instance n’a pas commencé à courir avant la date de la première audience fixée par le greffe dans la convocation.
En l’espèce, la date de première audience fixée par le greffe dans la convocation en date du 28 février 2019 étant celle du 4 mars 2020, et l’Urssaf ayant déposé ses premières conclusions à l’audience du 4 mars 2020 après les avoir préalablement adressées au donneur d’ordre le 27 février 2020 puis ses secondes le 14 mars 2022, et les dernières à l’audience du 9 janvier 2023, date à laquelle l’affaire a été retenue pour plaidoirie après quatre renvois prononcés à la demande de la société donneur d’ordre, laquelle n’a déposé qu’un premier jeu de conclusion à l’audience du 4 mars 2020 puis un dernier à l’audience du 9 janvier 2021 et la cour n’ayant jamais mis de diligence à la charge d’une partie à l’occasion des quatre renvois prononcés soit en raison de l’absence de la société, de la grève des avocats ou du Covid, aucune péremption d’instance ne saurait être retenue.
– sur la mise en ‘uvre de la solidarité financière et son fondement :
Sur la procédure, l’Urssaf soutient, au visa de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, que le donneur d’ordre a fait l’objet d’une lettre d’observations du 20 novembre 2013 l’informant de la mise en ‘uvre de la solidarité financière. Elle fait valoir que la société sous-traitante ayant fait l’objet d’un procès-verbal de travail dissimulé et le donneur d’ordre n’ayant pas vérifié l’exactitude des informations contenues dans les attestations de paiement et de déclaration de cotisations sociales émises par l’organisme de recouvrement et transmises par la société sous-traitante, le devoir de vigilance n’a pas été rempli par le donneur d’ordre. Il est réclamé au donneur d’ordre la quote-part du redressement à hauteur du montant facturé par la société sous-traitante. L’Urssaf fait valoir que l’article ci-dessus visé ne prévoit ni la communication de la lettre d’observations adressée à la société sous-traitante ni le procès-verbal de travail dissimulé, seul l’envoi d’une lettre d’observations à la société donneur d’ordre redressée est prévu, ce qui a été respecté. Pour autant, elle verse dans le cadre de la procédure les pièces en cause.
La société donneur d’ordre réplique que dès l’été 2012, après avoir tenté d’actualiser les informations réglementaires de son sous-traitant, elle a pris les mesures qui s’imposaient pour cesser toute collaboration dès octobre 2012. Ce n’est qu’à la lecture de la décision de la CRA qu’elle a appris que la société sous-traitante avait cessé de déclarer sa situation sociale à compter du deuxième trimestre 2012, de sorte que l’irrégularité éventuelle ne peut être sanctionnée qu’à compter du mois de septembre 2012, soit dans le délai de 6 mois suivant l’ultime déclaration, or la mise en demeure comminatoire qu’elle a notifiée à la société sous-traitante est du 29 août 2012.
La solidarité financière est mise en ‘uvre au vu d’un procès-verbal de constat de travail dissimulé et il appartient dans ce cadre à l’Urssaf d’adresser au donneur d’ordre une lettre d’observations en application de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale l’informant du redressement envisagé à ce titre.
Il pèse sur le donneur d’ordre deux obligations, d’une part le devoir de vigilance, de l’autre le devoir d’injonction. Le manquement du donneur d’ordre à l’une de ces deux obligations justifie sa sanction par la mise en ‘uvre de sa solidarité financière.
S’agissant du devoir de vigilance, en application des articles L.8222-1 et R. 8222-1 du code du travail et L.143-15 du code de la sécurité sociale, tout donneur d’ordre doit s’assurer, lors de la conclusion d’un contrat portant sur une obligation d’un montant au moins égal à 3000 euros hors taxes (à la date des faits en cause), en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de service ou de l’accomplissement d’un acte de commerce et, tous les 6 mois jusqu’à la fin de l’exécution de celui-ci, que son cocontractant est en règle au regard du travail dissimulé et est à jour de ses obligations de déclaration et de paiement auprès des organismes de recouvrement. À défaut, il peut être tenu solidairement avec son cocontractant, au paiement des sommes visées.
S’agissant du devoir d’injonction, en application des articles L. 8222-5, L. 8222-6, R. 8222-2 et R. 8222-3 du code du travail, sauf s’il est un particulier, le maître d’ouvrage de droit privé, informé par écrit par un inspecteur du recouvrement de l’intervention du cocontractant, d’un sous-traitant ou d’un sub-délégataire ne respectant pas les obligations d’interdiction de travail dissimulé, doit lui enjoindre aussitôt, par lettre recommandée avec avis de réception, de faire cesser sans délai cette situation. À défaut d’injonction, il est tenu solidairement au paiement des sommes visées.
En l’espèce, après avoir constaté des situations de travail dissimulé sur des chantiers, l’Urssaf a contrôlé la comptabilité de la société en cause et n’a pas cantonné son redressement aux rémunérations des seuls salariés rencontrés lors des trois visites de chantier comme elle en a la possibilité, laquelle n’est pas discutée par le donneur d’ordre. Dès lors l’organisme de recouvrement avait l’obligation d’une part d’informer le donneur d’ordre de la situation irrégulière de son sous-traitant et d’autre part, ayant relevé un manquement au devoir de vigilance, d’appliquer les dispositions de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, s’agissant de la lettre d’observations.
Au cas d’espèce, l’inspecteur du recouvrement a adressé une lettre d’injonction au donneur d’ordre en recommandée avec accusé de réception. Il n’est pas contesté que cette lettre présentée en août 2012 n’a pas été retirée. Il importe peu que la société ait ensuite respecté son devoir d’injonction dès le 29 août 2012 puis rompu ses relations commerciales avec le sous-traitant en situation irrégulière en octobre 2012. La bonne foi du donneur d’ordre n’est pas en cause dans ce litige et c’est en vain que, confondant le devoir de vigilance et le devoir d’injonction, il s’en prévaut pour faire échec au redressement contesté.
En effet, la mise en ‘uvre de la solidarité financière du donneur d’ordre a été fondée par l’Urssaf sur les dispositions de l’article L. 8222-2 du code du travail en raison de manquements allégués du donneur d’ordre à son devoir de vigilance lors de la conclusion du contrat de sous-traitance et ensuite de façon périodique. Il s’ensuit que l’argumentation fondée sur la rupture « spontanée » des relations avec le sous-traitant fautif en octobre 2012 en l’absence de réception de la lettre d’information de l’Urssaf sur la situation irrégulière de la société sous-traitante et la bonne foi du donneur d’ordre, est nécessairement sans emport sur la solution du litige et ne permet pas à la société de se défendre utilement au sujet des manquements qui lui sont reprochés par l’Urssaf.
Au surplus, pour ce qui concerne la mise en ‘uvre de la solidarité d’un donneur d’ordre sur un manquement à son devoir de vigilance, il convient de retenir que les mentions de la lettre d’observations et celles de la mise en demeure doivent permettre au redevable de connaître les causes, les périodes, les bases ainsi que le montant des redressements opérés et que la lettre d’observations doit, pour assurer le caractère contradictoire du contrôle et la garantie des droits de la défense à l’égard du donneur d’ordre dont la solidarité financière est recherchée, préciser année par année le montant des sommes dues. Il y a lieu de constater, au cas d’espèce, que d’une part la lettre d’observations du 20 novembre 2013 n’est pas formellement contestée par le donneur d’ordre quant aux éléments permettant sa compréhension des conditions du redressement dont il était l’objet au titre de la solidarité financière et que d’autre part cette lettre répond aux exigences légales (pièce du donneur d’ordre n° 6).
En revanche, le donneur d’ordre reproche à l’Urssaf de ne pas lui avoir communiqué la lettre d’observations adressée à la société sous-traitante et les procès-verbaux de travail dissimulé. Il n’est pas prévu par les textes applicables que ces documents doivent être communiqués au donneur d’ordre au stade de la lettre d’observations. L’Urssaf les a versés en cours de procédure pour respecter le principe du contradictoire et permettre au donneur d’ordre de se défendre. Il s’ensuit que ce moyen est mal fondé.
De ce seul fait, le jugement doit être infirmé en toutes ses dispositions, la solidarité financière du donneur d’ordre n’ayant été mise en ‘uvre que dans le cadre du manquement au devoir de vigilance et non dans celui du devoir d’injonction.
– sur les conditions de la mise en ‘uvre de la solidarité financière :
Sur les conditions d’application de la solidarité financière, l’Urssaf soutient que les procès-verbaux de travail dissimulé ont relevé que plusieurs salariés travaillant pour le compte de la société sous-traitante, affairés à des travaux de peinture, n’avaient pas fait l’objet d’une déclaration préalable à l’embauche et l’examen des comptes bancaires de la société a permis également de relever une forte minoration des déclarations sociales, la masse salariale déclarée étant insuffisante pour assurer le chiffre d’affaires reconstitué au titre de la période du 1er avril 2011 au 31 décembre 2012. L’Urssaf rappelle que ces infractions ont justifié un redressement notifié le 14 mars 2013 à hauteur de 791 800 euros, lequel n’a jamais été contesté par la société sous-traitante. L’Urssaf rappelle également qu’une condamnation pénale préalable n’est pas nécessaire pour mettre en cause la solidarité financière du donneur d’ordre. L’Urssaf fait valoir que les inspecteurs du recouvrement ont pu constater que les attestations produites par la société donneur d’ordre n’étaient pas valides et que l’obligation de vigilance ne se limitait pas à se faire remettre des attestations de paiement et fournitures des cotisations sociales par le sous-traitant mais s’étendait également à la vérification des informations contenues dans ces documents. En outre, les autres documents produits par la société donneur d’ordre ne pouvaient se substituer aux attestations de déclaration et de paiement des cotisations sociales établies par l’Urssaf qui devaient être remises par le sous-traitant à la conclusion du contrat de sous-traitance et ensuite tous les six mois durant l’exécution du contrat. Elle ajoute que contrairement à ce qui a été jugé en première instance, la solidarité financière n’a pas été mise en cause, en l’espèce sur un défaut de diligence lié au maintien des relations contractuelles avec le sous-traitant malgré l’information transmise sur l’existence du travail dissimulé à l’encontre de son sous-traitant mais en application des dispositions relatives au défaut de vigilance du donneur d’ordre n’ayant pas vérifié la situation juridique et administrative de son cocontractant. L’Urssaf soutient qu’en l’espèce le donneur d’ordre n’a pas satisfait à son obligation de vigilance au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2012 en faisant valoir que les documents versés par ce dernier étaient soit irréguliers (faux) soit inopérants.
Le donneur d’ordre réplique que l’ensemble des pièces dont il se prévaut démontre qu’il s’est assuré de la régularité de la situation professionnelle et administrative de son sous-traitant. Le donneur d’ordre observe que ce n’est qu’à hauteur d’appel que l’Urssaf prétend qu’il aurait manqué à son devoir de vigilance en ne vérifiant pas les documents remis par son sous-traitant et notamment les attestations de fourniture de déclarations et de paiement des cotisations sociales. Cependant, l’Urssaf l’allègue sans le démontrer. Il oppose au contraire que l’une des trois attestations visées par l’Urssaf n’existe pas ; qu’il avait l’habitude de vérifier les attestations remises par son sous-traitant ; que c’est ce contrôle qui l’a conduit à arrêter ses relations contractuelles ; que ces documents ne présentent aucune erreur manifeste qui aurait dû ou pu l’alerter. Il ajoute qu’à la lecture de la décision de la CRA, il a pu apprendre que le sous-traitant avait fait l’objet d’une triple verbalisation pour travail dissimulé et qu’une enquête pénale avait été ouverte sur l’initiative du procureur de la République. Or, la solidarité financière du donneur d’ordre est mise en ‘uvre lorsque les donneurs d’ordres sont condamnés pour avoir eu recours directement ou par personne interposée au service de celui qui exerce un travail dissimulé. Il ajoute qu’il n’a pas été informé par écrit par un agent de contrôle de l’intervention d’un sous-traitant en situation irrégulière, au regard des formalités requises.
Selon l’article L. 8222-1 du code du travail, toute personne vérifie lors de la conclusion d’un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant minimum en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce, et périodiquement jusqu’à la fin de l’exécution du contrat, que son cocontractant s’acquitte :
1° Des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ;
2° De l’une seulement des formalités mentionnées au 1°, dans le cas d’un contrat conclu par un particulier pour son usage personnel, celui de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin, de ses ascendants ou descendants.
L’article D. 8222-5 du même code précise que la personne qui contracte, lorsqu’elle n’est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l’article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l’article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution :
1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l’article L. 243-15 émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s’assure de l’authenticité auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale.
2° Lorsque l’immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu’il s’agit d’une profession réglementée, l’un des documents suivants :
a) Un extrait de l’inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) ;
b) Une carte d’identification justifiant de l’inscription au répertoire des métiers ;
c) Un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu’y soient mentionnés le nom ou la dénomination sociale, l’adresse complète et le numéro d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à une liste ou un tableau d’un ordre professionnel, ou la référence de l’agrément délivré par l’autorité compétente ;
d) Un récépissé du dépôt de déclaration auprès d’un centre de formalités des entreprises pour les personnes en cours d’inscription.
Ces documents, ainsi que l’attestation de vigilance sont les seuls dont la remise permet au donneur d’ordre de s’acquitter de son obligation de vérification de la situation du sous-traitant (Cass., Civ. 2e, 11 février 2016, n° 15-10.168).
Toutefois, s’il résulte de l’article D. 8222-5 du code du travail que le donneur d’ordre est considéré comme ayant procédé aux vérifications requises par l’article L. 8222-1 du même code lorsqu’il s’est fait remettre par son cocontractant les documents qu’il énumère, cette présomption ne joue pas en cas de discordance entre les déclarations mentionnées sur ces documents et le volume d’heures de travail nécessaire à l’exécution de la prestation.
Depuis le 1er janvier 2012, il appartient au donneur d’ordre de vérifier l’authenticité et la validité des attestations fournies. Un lien internet de l’Urssaf et un code de sécurité sont fournis sur les attestations afin de rendre possible cette vérification par le donneur d’ordre.
En l’espèce, à titre liminaire, contrairement à ce que soutient le donneur d’ordre, il est inexact que la solidarité financière du donneur d’ordre ne soit mise en ‘uvre que dans le cas où le donneur d’ordre est condamné pour avoir eu recours directement ou par personne interposée au service de celui qui exerce un travail dissimulé, le manquement à son obligation de vigilance créée par l’article L. 8222-1 du code du travail suffit comme le précise l’article L. 8222-2 du même code qui prévoit en outre, comme cas supplémentaire, la condamnation à laquelle le donneur d’ordre fait référence. Ensuite, il est inexact que l’Urssaf n’a pas informé le donneur d’ordre de la situation irrégulière de son sous-traitant dès lors qu’il est établi que le 6 août 2012, l’Urssaf a informé le donneur d’ordre par lettre, la circonstance que le donneur d’ordre n’ait pas réclamé la lettre recommandée étant indifférente.
Ensuite au cas particulier, l’Urssaf fait valoir que trois procès-verbaux de travail dissimulé, établis les 1er juin, 6 juillet et 1er août 2012 par la gendarmerie nationale, ont relevé que plusieurs salariés travaillant pour la société sous-traitante, affairés à des travaux de peinture n’avaient pas fait l’objet de déclaration préalable à l’embauche, à savoir 4 ouvriers lors du contrôle du 1er juin 2012, 3 ouvriers lors du contrôle du 6 juillet 2012 et 5 ouvriers lors du contrôle du 1er août 2012.
L’Urssaf indique également que les relevés de compte bancaire de la société sous-traitante ont permis de constater une forte minoration des déclarations sociales dès lors que la masse salariale déclarée était insuffisante pour assurer le chiffre d’affaires reconstitué de la société en cause du 1er avril 2011 au 31 décembre 2012.
Le donneur d’ordre est apparu parmi les co-contractants du sous-traitant ayant recours au travail dissimulé pendant la période du 1er janvier au 31 décembre 2012. Or, l’inspecteur du recouvrement a pu également constater que l’attestation en date du 30 janvier 2012 fournie par le sous-traitant au donneur d’ordre est un faux, ainsi que celle du 19 juillet 2012, et que l’attestation du 13 juin 2012 est une « attestation de marché public » et non une attestation de fourniture de déclaration et de paiement des cotisations sociales telle que requise par les textes.
Le donneur d’ordre soutient que la falsification de ces documents ne pouvait être décelée. Néanmoins, il est rappelé sur les attestations en cause que leur authenticité et leur validité pouvaient être vérifiées sur le site www.urssaf.fr, un code de sécurité étant à chaque fois donné (pièces n°12 de l’Urssaf). Le donneur d’ordre ne rapporte pas la preuve d’avoir satisfait à son obligation de vigilance en vérifiant l’authenticité et la validité des attestations produites par son co-contractant alors même qu’il en avait la possibilité matérielle. Il ressort même de la lettre d’observations du 20 novembre 2013 (pièce n° 6 du donneur d’ordre) que la validité de l’attestation du 30 janvier 2012 n’a été vérifiée par le donneur d’ordre que le 13 septembre 2012, soit au cours de la procédure de contrôle et de mise en ‘uvre de la solidarité financière de ce dernier, de sorte qu’il ne s’était pas assuré de la régularité de son co-contractant au regard de ses obligations sociales pour le premier semestre 2012. De même, l’attestation du 13 juin 2012 n’a été vérifiée que le 10 septembre 2012, alors au surplus que cette attestation n’était en tout état de cause pas conforme s’agissant d’une « attestation de marché public », ce que la simple lecture du document permettait de vérifier.»
Bien qu’il allègue que la falsification des documents en cause n’était pas détectable, il suffit de rappeler que le code de sécurité de l’attestation du 19 juillet 2012 est identique à celui de l’attestation du 31 janvier 2012, or chaque code de sécurité devant permettre de vérifier l’authenticité et la validité de l’attestation au moyen du lien internet indiqué sur l’attestation est nécessairement unique, ce que le donneur d’ordre n’aurait pas pu ne pas pouvoir relever s’il avait satisfait effectivement à son obligation de vigilance.
Ensuite, le donneur d’ordre ne rapporte pas la preuve d’avoir demandé et obtenu l’ensemble des pièces requises par les textes lors de la conclusion des contrats et ensuite de façon périodique.
Enfin, au cours de la phase contradictoire du contrôle, le donneur d’ordre a communiqué de nouvelles pièces, à savoir des attestations de paiement de cotisations établies par l’organisme [3], des attestations délivrées par la caisse intempéries BTP et une attestation fiscale au titre de l’exercice 2012 (pièces n° 13, 14, 18 et 19 du donneur d’ordre). Néanmoins, aucun de ces documents n’est prévu par les textes et ne peut se substituer aux attestations de déclaration et de paiement des cotisations sociales établies par l’Urssaf exigées par les textes ci-dessus rappelés.
Il s’ensuit que le manquement du donneur d’ordre à son devoir de vigilance lors de la conclusion des contrats de sous-traitance et ensuite tous les six mois est avéré et justifie la mise en ‘uvre de la solidarité financière de ce dernier.
– sur le quantum :
L’Urssaf soutient que le donneur d’ordre n’a ni le pouvoir ni la qualité pour contester le redressement notifié au sous-traitant, mais seulement sa quote-part du redressement. L’Urssaf rappelle que le prorata a été déterminé d’après les rapports entre les sommes facturées à la société donneur d’ordre par la société sous-traitante et le chiffre d’affaires total au titre du 1er janvier au 31 décembre 2012. Ce prorata a été ainsi calculé à hauteur de 5,85% du chiffre d’affaires en cause.
Le donneur d’ordre réplique que pendant plus de dix ans, l’Urssaf l’a privé de la possibilité de contester la régularité de la procédure de redressement pour travail dissimulé, en violation du principe du contradictoire. Aujourd’hui, il lui est impossible de vérifier la réalité des informations contenues dans les documents de l’opération de contrôle et de redressement. Or, le donneur d’ordre doit être en mesure de contester la régularité de la procédure, du bien-fondé et de l’exigibilité des sommes au paiement solidaire desquelles il est tenu (avis constitutionnel du 31 juillet 2015). L’égalité des plaideurs doit être la règle et la loyauté procédurale s’impose. Il ne lui appartient pas de contrôler la comptabilité de son sous-traitant pendant ses relations avec lui. Il s’ensuit que la somme réclamée ne peut être aujourd’hui loyalement débattue contradictoirement et il ne peut pas se rapprocher de son sous-traitant qui a été radié du registre du commerce et des sociétés de Bobigny le 17 septembre 2013 sans que le bilan pour l’exercice 2012 n’ait été publié.
L’article L. 8222-3 du code du travail dispose que les sommes dont le paiement est exigible en application de l’article L. 8222-2 sont déterminées à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession.
Au cas d’espèce, le donneur d’ordre conteste le quantum en soutenant que l’Urssaf l’a mis dans l’impossibilité de le vérifier pendant 10 ans, notamment en ne lui communiquant pas les pièces permettant de vérifier les cotisations dues par la société sous-traitante et le chiffre d’affaires total effectué par cette société.
Néanmoins, la lettre d’observations du 20 novembre 2013 (pièce n°6 du donneur d’ordre) indique que l’examen des factures établies par la société sous-traitante et de l’extrait du Grand Livre Fournisseurs transmis par le donneur d’ordre avait permis d’établir un chiffre d’affaires de 146 841 euros TTC pour l’année 2012, soit 122 777 euros HT. Ensuite, la lettre d’observations adressée à la société sous-traitante a été versée au cours de la procédure contentieuse, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, permettant au donneur d’ordre de vérifier les informations contenues dans sa propre lettre d’observations. Le redressement opéré par l’Urssaf à l’encontre de la société sous-traitante n’a pas été contesté par cette dernière.
Il appartient au donneur d’ordre de contrôler dans ses livres le montant exact de sa participation au chiffre d’affaires de son sous-traitant au regard des contrats qu’il a conclus et des factures qu’il a été conduit à régler, puis de contrôler ses obligations au regard des observations de l’inspecteur du recouvrement qui lui ont été notifiées ainsi qu’à la société sous-traitante qui n’a contesté ni le chiffre d’affaires total réalisé en 2012 ni le montant des cotisations dues. Ainsi, le donneur d’ordre ne peut valablement prétendre ne pas pouvoir vérifier, notamment, que sa participation au chiffre d’affaires total est bien de 122 777 euros HT et quelle part elle constitue dans le chiffre d’affaires total de la société sous-traitante. Par ailleurs, il ne forme aucune critique à l’encontre de la lettre d’observations adressée à la société sous-traitante, se limitant à alléguer l’impossibilité d’en vérifier la teneur sans en discuter les termes ni tenter la moindre démonstration de son allégation sur la base des données chiffrées contenues dans ces documents.
Or, l’Urssaf explique que le chiffre d’affaires de la société sous-traitante étant de 2 098 957 euros et les cotisations dues de 451 005 euros (sommes non contestées par la société sous-traitante), le montant du redressement du donneur d’ordre au prorata de sa participation dans le chiffre d’affaires de la société sous-traitante étant chiffré à la somme de 26 381 euros selon la formule :
451 005 x 122 777
2 098 957
Selon une autre formule, le prorata de l’obligation du donneur d’ordre dans le montant des cotisations non payées est de 5,85 % (122 777 / 2 098 957).
Son obligation est ainsi de 451 005 € x 5,85 % = 26 381 euros.
Ces calculs sont cohérents et ne sont pas utilement contestés.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, aucun des moyens soutenus par le donneur d’ordre n’étant opérant, le redressement dans son quantum doit être confirmé.
La société donneur d’ordre sera condamnée en conséquence à payer à l’Urssaf les causes du redressement.
-sur les dépens
Le donneur d’ordre, succombant en cette instance, devra en supporter les dépens engagés depuis le 1er janvier 2019.
– sur l’article 700 du code de procédure civile
Le donneur d’ordre sera condamné au paiement de la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles et sa demande formée au même titre sera rejetée.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
DÉCLARE l’appel recevable ;
REJETTE le moyen tiré de la péremption d’instance ;
INFIRME le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny du 23 janvier 2017 ;
Et statuant à nouveau,
CONFIRME le redressement notifié à la S.A.S. [1], donneur d’ordre, au titre de la solidarité financière de la société [2], société sous-traitante, ayant fait l’objet d’un redressement pour travail dissimulé ;
CONDAMNE la S.A.S. [1] à payer à l’Urssaf d’Île-de-France la somme de 26 381 euros de cotisations ;
DÉBOUTE la S.A.S. [1] de toutes ses demandes, y compris celle formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la S.A.S. [1] à payer à l’Urssaf Ile de France la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel ;
CONDAMNE la S.A.S. [1] aux dépens de la procédure d’appel engagés depuis le 1er janvier 2019.
La greffière La présidente