Péremption d’instance : 31 août 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 22/00807

·

·

Péremption d’instance : 31 août 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 22/00807
Je soutiens LegalPlanet avec 5 ⭐

C5

N° RG 22/00807

N° Portalis DBVM-V-B7G-LIBR

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

La CPAM DU [Localité 3]

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE – PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU JEUDI 31 AOUT 2023

Appel d’une décision (N° RG 18/01313)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble

en date du 04 février 2022

suivant déclaration d’appel du 23 février 2022

APPELANTE :

Société [2], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

représentée par Me Thomas HUMBERT de la SELAS BRL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Yasmina BELKORCHIA, avocat au barreau de LYON

INTIMEE :

La CPAM DU [Localité 3], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparante en la personne de Mme [I] [Y], régulièrement munie d’un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,

Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

DÉBATS :

A l’audience publique du 11 mai 2023,

M. Pascal VERGUCHT, chargé du rapport, M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président et Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller, en présence de Mme Laëtitia CHAUVEAU, juriste assistant, ont entendu les représentants des parties en leurs observations,

Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 7 février 2018, M. [C] [K], chef d’équipe au sein de la société [2], remplissait une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour une tendinopathie d’insertion du supra-épineux à l’épaule gauche, et une arthropathie acromio-claviculaire.

Le 8 décembre 2017, un certificat médical initial annulant et remplaçant un certificat du 20 novembre 2017, avait constaté que M. [K] présentait depuis le 15 novembre 2017 une tendinite de la coiffe gauche confirmée par une IRM, en rapport avec une activité professionnelle MP57, et avait prescrit des soins jusqu’au 18 mai 2018.

Le 12 février 2018, la CPAM du [Localité 3] a notifié à l’employeur la demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour une tendinite chronique de la coiffe gauche.

Le 30 juillet 2018, à l’issue de son instruction et après un colloque du 4 juillet 2018 retenant une tendinopathie chronique non rompue non calcifiante avec ou sans enthésopathie de la coiffe des rotateurs gauche objectivée par IRM du 15 novembre 2017, date retenue de première constatation médicale de la maladie, la CPAM a pris en charge une tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche du 20 novembre 2017 au titre du tableau n° 57 des maladies professionnelles.

Le Pôle social du Tribunal judiciaire de Grenoble saisi d’un recours de la SAS [2] contre la CPAM du [Localité 3] a, par jugement du 4 février 2022 :

– rejeté la demande de péremption d’instance de la CPAM,

– déclaré le recours recevable,

– dit que la prise en charge de la maladie déclarée par M. [K] le 7 février 2018 est opposable à la société,

– condamné la société aux dépens.

Par déclaration du 23 février 2022, la SAS [2] a relevé appel de cette décision.

Par conclusions déposées le 21 avril 2023 et reprises oralement à l’audience devant la cour, la SAS [2] demande :

– que le recours soit jugé recevable,

– l’infirmation du jugement,

– que la prise en charge de la maladie le 30 juillet 2018 lui soit déclarée inopposable.

La société estime que la pathologie prise en charge n’est pas caractérisée au regard du tableau par la CPAM dans la mesure où le certificat médical initial, et celui qui l’a refait, ne précisaient pas le caractère chronique ou aigu de la tendinopathie, alors que le délai de prise en charge est différent selon le cas. En outre, aucun élément ne vient avérer la réalisation de l’IRM obligatoire ni qu’elle ait été en la possession du médecin-conseil et que celui-ci l’ait consultée. La société fait également valoir que l’évolution de la maladie, pour déterminer son caractère aigu ou chronique, a été évaluée, contrairement à la charte AT/MP de la CPAM, avant l’issue d’un délai de trois mois à compter de la date de première constatation médicale le 15 novembre 2017, et que le délai de prise en charge d’une tendinopathie aigüe, soit trente jours, était dépassé au regard d’un dernier jour travaillé le 30 mai 2017. La société ajoute que la caisse ne prouve pas que la condition de délai de prise en charge d’une tendinopathie chronique, soit 6 mois, était remplie. Enfin, l’appelante considère que la condition des travaux limitativement énumérés au tableau n° 57 des maladies professionnelles était remplie, l’enquêteur ayant repris des éléments d’une précédente instruction se rapportant à l’épaule droite et, après audition du salarié, n’a pas interrogé la société ni réalisé de constatations sur le poste de travail, les déclarations de l’assuré étant par ailleurs incohérentes, l’exposition au risque étant impossible et deux ans s’étant écoulés entre la précédente enquête et la nouvelle qui ne respecte pas le principe du contradictoire. L’appelante conclut que la prise en charge lui est inopposable et que la caisse aurait dû saisir un Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

Par conclusions du 20 mars 2023 reprises oralement à l’audience devant la cour, la CPAM du [Localité 3] demande :

– la confirmation du jugement,

– que la prise en charge soit déclarée opposable à la société,

– le débouté des demandes de la société,

– la condamnation de l’appelante aux dépens.

La caisse fait valoir qu’elle a notifié dès le 12 février 2018 à l’employeur la demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour une tendinite chronique, que le colloque médico-administratif a confirmé ce caractère chronique objectivé par une IRM que le médecin-conseil a demandé et consulté, ainsi que cela résulte de la fiche, en sachant que cette pièce est la propriété de l’assuré et n’est pas conservée par le service médical de la caisse. Elle ajoute qu’il s’agit d’un élément soumis au secret médical, mais qu’elle fournit la preuve du paiement de cet acte du 15 novembre 2017 au professionnel de santé. La caisse précise que la qualification chronique ou aigüe n’est pas obligatoire dès le certificat médical initial, que la pathologie prise en charge est caractérisée par le médecin-conseil et que l’assuré souffrait de cette pathologie depuis plus de trois mois au moment du colloque. Le délai de prise en charge de six mois a été respecté puisqu’il s’achevait le 30 novembre 2017 et que M. [K] travaillait au sein de la société depuis 1999. Enfin, l’exposition aux risques découle du questionnaire retourné par l’assuré et du rapport de l’employeur, ainsi que d’une précédente audition pour une pathologie de l’épaule droite, avec des mouvements répétés de rotation de l’épaule gauche et des mouvements verticaux bras tendus avec charge, plus de deux heures par jour en cumulé, et sans que les observations de la société ne permettent de contredire les conclusions de l’enquêteur.

En application de l’article 455 du Code de procédure civile, il est expressément référé aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIVATION

L’article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale en vigueur jusqu’au 1er juillet 2018 prévoyait que : « Est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu’elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel de la victime. »

L’article L. 461-2 du même code prévoyait que : « Des tableaux annexés aux décrets énumèrent les manifestations morbides d’intoxications aiguës ou chroniques présentées par les travailleurs exposés d’une façon habituelle à l’action des agents nocifs mentionnés par lesdits tableaux, qui donnent, à titre indicatif, la liste des principaux travaux comportant la manipulation ou l’emploi de ces agents. Ces manifestations morbides sont présumées d’origine professionnelle.

Des tableaux spéciaux énumèrent les infections microbiennes mentionnées qui sont présumées avoir une origine professionnelle lorsque les victimes ont été occupées d’une façon habituelle aux travaux limitativement énumérés par ces tableaux.

D’autres tableaux peuvent déterminer des affections présumées résulter d’une ambiance ou d’attitudes particulières nécessitées par l’exécution des travaux limitativement énumérés.

Les tableaux mentionnés aux alinéas précédents peuvent être révisés et complétés par des décrets, après avis du Conseil d’orientation des conditions de travail. Chaque décret fixe la date à partir de laquelle sont exécutées les modifications et adjonctions qu’il apporte aux tableaux. Par dérogation aux dispositions du premier alinéa de l’article L. 461-1, ces modifications et adjonctions sont applicables aux victimes dont la maladie a fait l’objet d’un certificat médical indiquant un lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle entre la date prévue à l’article L. 412-1 et la date d’entrée en vigueur du nouveau tableau, sans que les prestations, indemnités et rentes ainsi accordées puissent avoir effet antérieur à cette entrée en vigueur. Ces prestations, indemnités et rentes se substituent pour l’avenir aux autres avantages accordés à la victime pour la même maladie au titre des assurances sociales. En outre, il sera tenu compte, s’il y a lieu, du montant éventuellement revalorisé, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, des réparations accordées au titre du droit commun.

A partir de la date à laquelle un travailleur a cessé d’être exposé à l’action des agents nocifs inscrits aux tableaux susmentionnés, la caisse primaire et la caisse régionale ne prennent en charge, en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 461-1, les maladies correspondant à ces travaux que si la première constatation médicale intervient pendant le délai fixé à chaque tableau. »

En l’espèce, la prise en charge a été contestée au regard du tableau n° 57 des maladies professionnelles relatif à la « Tendinopathie chronique non rompue non calcifiante avec ou sans enthésopathie de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM (Ou un arthroscanner en cas de contre-indication à l’IRM). » Le certificat médical initial constatait une « tendinite de coiffe gauche confirmée par IRM en rapport avec l’activité professionnelle MP 57 », en sachant qu’aucune règle n’impose que le certificat initial précise l’ensemble des caractères de la maladie professionnelle dont la prise en charge est demandée, cette caractérisation relevant de l’appréciation du service médical de la caisse. Celui-ci a retenu dans le colloque médico-administratif une « Tendinopathie chronique non rompue non calcifiante avec ou sans enthésopathie de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM » en visant le certificat médical initial et l’IRM du 15 novembre 2017, et des conditions médicales réglementaires du tableau remplies. Par ailleurs, dès la notification du 12 février 2018 intervenue environ trois mois après la première constatation médicale de la pathologie le 15 novembre 2017, la caisse notifiait à l’employeur la demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour une « tendinite chronique ».

En sachant que la charte AT/MP dont se prévaut l’appelante n’emporte aucune règle obligatoire dont elle pourrait se prévaloir dans le présent cas d’espèce, et qu’aucune ambiguïté n’a existé sur le caractère chronique, et non aigu, de la pathologie de M. [K], aucune difficulté n’affecte la caractérisation de la tendinopathie chronique prise en charge, le médecin-conseil de la caisse ayant bien vérifié l’objectivation par IRM, déjà confirmée par le médecin auteur du certificat initial. L’IRM constitue un élément de diagnostic ne pouvant être transmis par la caisse à l’employeur, mais son remboursement intervenu le 15 novembre 2017 est avéré par une copie du décompte de l’assuré à cette date.

Le délai de prise en charge prévu par le tableau pour l’affection est de 6 mois sous réserve d’une durée d’exposition de 6 mois. Comme la pathologie a été médicalement constatée lors de l’IRM du 15 novembre 2017 et que les parties s’accordent sur une date de dernier jour travaillé le 30 mai 2017 et un emploi depuis 1999, ces délais étaient respectés.

La liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie professionnelle prévoit : « Travaux comportant des mouvements ou le maintien de l’épaule sans soutien en abduction (Les mouvements en abduction correspondent aux mouvements entraînant un décollement des bras par rapport au corps) :

– avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé ou

– avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé.  »

M. [K] était chef d’équipe d’ouvriers maçons sur divers chantiers de voirie et réseaux, pour réaliser des trottoirs et des chaussées, implanter des piquets et poser des bordures, avec 20 % de son temps consacré à la supervision et à l’organisation des équipes. L’enquêteur s’est notamment fondé sur des auditions téléphoniques de M. [K] et du chef de chantier de celui-ci, M. [G] [W], réalisées le 20 mai 2016 à l’occasion d’une autre demande de reconnaissance de maladie professionnelle. Il ressort de ces auditions que le salarié confirmait le questionnaire qu’il avait rempli, qu’il tapait des bordures et travaillait au même titre que les ouvriers et le chef de chantier, et ce dernier confirmait que M. [K] mettait la main à la pâte comme les autres, souffrait de l’épaule et qu’ils avaient un métier manuel sollicitant physiquement. Le questionnaire rempli par l’assuré le 13 février 2018 pour l’affection litigieuse exposait des gestes en abduction de plus de 60° plus de 3,5 heures par jour, plus de 1 heure au-dessus des épaules, plus de dix fois par minute et jusqu’à 8 heures par jour avec des objets de plus de 5 kg notamment lors du réglage des enrobés, de la pose des bordures et de l’utilisation du maillet ou de la masse pour taper les bordures. Le rapport fourni par l’employeur le 16 juillet 2018 en guise d’observations sur ces éléments, estimait que le salarié effectuait des tâches ne l’amenant pas à avoir un positionnement prolongé des mains au-dessus des épaules, les retours de maillets ramenant le bras au niveau des épaules, et les déclarations sur la quantité de travail fourni devaient être rapportées à l’équipe entière et non au seul salarié.

Au final, les tâches de M. [K], décrites par l’employeur lui-même dès un courrier du 22 mai 2018, et même pour un temps de travail physiquement sur les chantiers à hauteur de 80 %, consistaient à terrasser, implanter des piquets, poser mécaniquement des bordures en guidant, ajustant, calant et tapant les bordures, outre la réalisation occasionnelle de réseaux, ce qui conduisait l’assuré à exercer des mouvements ou le maintien de l’épaule gauche sans soutien en décollant le bras par rapport au corps avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé, étant précisé que l’angle s’apprécie par rapport à l’axe du corps, qu’il soit baissé ou debout.

Aucune incohérence ne résulte des informations données par le salarié et l’employeur lors de l’enquête de la caisse et les observations de la société ne contredisent pas de manière suffisamment circonstanciée le volume horaire des mouvements d’épaule pris en compte, ni une difficulté sur la latéralité de l’épaule mobilisée par M. [K] dans son travail.

Dans ces conditions, c’est à juste titre que le tribunal a déclaré la prise en charge litigieuse opposable à l’employeur et le jugement sera donc confirmé, la société appelante devant supporter les dépens de la procédure en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble du 4 février 2022,

Y ajoutant,

Condamne la SAS [2] aux dépens de la procédure d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. DELAVENAY, Président et par M. OEUVRAY, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x