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N° RG 22/01127 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JBMY
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE DE LA PROXIMITÉ
Section PARITAIRE
ARRET DU 30 MARS 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
5121000023
Jugement du Tribunal Paritaire des Baux Ruraux de BERNAY du 24 Mars 2022
APPELANT :
Monsieur [T] [Y]
né le 07 Février 1963 à [Localité 7] (27)
[Adresse 8]
[Localité 7]
Non comparant représenté par Me Pauline COSSE de la SCP BARON COSSE ANDRE, avocat au barreau de l’EURE
INTIME :
Monsieur [X] [I]
né le 12 Septembre 1973 à [Localité 10] (61)
[Adresse 1]
[Localité 6]
Non comparant représenté par Me Olivier COTE de la SELARL COTE JOUBERT PRADO, avocat au barreau de l’EURE
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de la plaidoirie et du délibéré
Madame GOUARIN, Présidente,
Madame TILLIEZ, Conseillère,
Madame GERMAIN, Conseillère.
GREFFIER :
Lors des débats et de la mise à disposition
Madame DUPONT
DEBATS :
Rapport oral a été fait à l’audience
A l’audience publique du 20 Février 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 30 Mars 2023
ARRET :
Contradictoire
Prononcé publiquement le 30 Mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
Signé par Madame GOUARIN, Présidente et par Madame DUPONT, Greffière.
Exposé des faits et de la procédure
Suivant jugement du 18 mai 2017, le tribunal paritaire des baux ruraux de Bernay a reconnu au profit de M. [T] [Y] un bail rural verbal portant sur deux parcelles appartenant à M. [X] [I] sis à [Localité 9] et cadastrées B[Cadastre 3] et B[Cadastre 5].
Par exploit du 9 février 2018, M.[I] a délivré congé pour reprise à
M. [Y] à la date du 29 septembre 2019.
Par lettre recommandée du 23 février 2018, M.[Y] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Bernay afin de contester la validité du congé au motif que M. [I] ne remplirait pas toutes les conditions d’un candidat à la reprise et qu’il ne disposerait pas d’autorisation d’exploiter.
Le 21 novembre 2018, le Préfet de Normandie a refusé d’accorder à M. [I] l’autorisation administrative d’exploiter. Ce dernier a formé un recours contre cette décision devant le tribunal administratif. Le 4 octobre 2019, avant que la juridiction administrative ne statue, M. [I] a formé une nouvelle demande d’autorisation d’exploiter.
Suivant courrier du 12 mars 2020, le Préfet de Normandie a confirmé à M. [I] que sa demande était tacitement acceptée depuis le 5 février 2020.
Suivant jugement du 5 mars 2021, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la requête de M. [I] contre la décision du 21 novembre 2018.
Par jugement contradictoire du 24 mars 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux de Bernay a :
– rejeté la péremption d’instance,
– déclaré irrecevable la demande reconventionnelle formée par M. [Y] aux fins de retrait d’une clôture séparant la parcelle B[Cadastre 4] de la parcelle B[Cadastre 5],
– débouté M. [T] [Y] de sa contestation à l’encontre du congé aux fins de reprise délivré par M. [X] [I] le 9 février 2018 pour la date du 29 septembre 2019 et portant sur les parcelles sises lieudit ‘[Adresse 11]’ à [Localité 9] et cadastrées B[Cadastre 2] pour une surface de 58 a 39 ca et B[Cadastre 5] pour une surface de 7 ha 92 a 1 ca,
En conséquence,
– constaté que ledit congé a repris son plein effet,
– dit que M. [T] [Y] est désormais occupant sans droit ni titre des parcelles sises lieudit ‘ [Adresse 11]’ à [Localité 9] et cadastrées B[Cadastre 3] pour une surface de 58 a 39 ca et B[Cadastre 5] pour une surface de 7 ha 92 a 1 ca,
– ordonné l’expulsion de M. [T] [Y] ainsi que de tous occupants de son chef desdites parcelles de terres louées précédemment, le cas échéant avec l’assistance de la force publique,
– accordé à M. [T] [Y] des délais pour quitter les lieux, les terres devant être libérées dès levée des récoltes ensemencées au jour du jugement et au plus tard le 31 août 2022, une astreinte sera prononcée à hauteur de 50 euros par jour de retard pendant une durée de six mois, à l’expiration desquels il pourra être de nouveau statué,
– dit que l’astreinte sera liquidée par la juridiction de céans,
– condamné M. [T] [Y] aux entiers dépens de l’instance conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile,
– débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire,
– dit n’y avoir lieu à appliquer les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [T] [Y] a relevé appel de cette décision par déclaration reçue le 1er avril 2022.
Exposé des prétentions des parties
Par dernières conclusions reçues le 19 janvier 2023 et soutenues oralement à l’audience, M. [Y] demande à la cour de :
– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– déclaré irrecevable la demande reconventionnelle formée par M.[T] [Y] aux fins de retrait de la clôture séparant la parcelle B[Cadastre 4] de la parcelle B[Cadastre 5],
– débouté M. [T] [Y] de sa contestation à l’encontre du congé aux fins de reprise,
– constaté que ce congé a repris son plein effet,
– dit que M. [Y] est désormais occupant sans droit ni titre des parcelles sises lieudit ‘ [Adresse 11]’ à [Localité 9] et ordonné l’expulsion de M.[T] [Y] des terres louées,
Y faisant droit :
– annuler le congé pour reprise délivré à M. [T] [Y] le 9 février 2018 pour la date du 29 septembre 2019,
– ordonner à M. [X] [I] de retirer la clôture dressée entre la parcelle B[Cadastre 4] et la parcelle B[Cadastre 5] sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 31ème jour suivant la notification de la décision à intervenir,
– débouter M. [X] [I] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner M. [X] [I] à la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions reçues le 8 septembre 2022 soutenues oralement, M. [I] demande à la cour de :
– confirmer le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Bernay du
24 mars 2022 en toutes ses dispositions,
Statuant sur l’appel incident de M. [I] :
– fixer le montant de l’astreinte à la charge de M.[Y] pour la libération des parcelles litigieuses à 200 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,
– ordonner dans l’hypothèse où la demande de M. [Y] relative à la suppression de la clôture ne serait pas confirmée irrecevable, que le tribunal paritaire des baux ruraux n’était pas compétent pour connaître de cette demande et subsidiairement la déclarer mal fondée,
– condamner M. [Y] à payer à M. [I] la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [Y] aux dépens de l’instance.
MOTIFS DE LA DECISION
Les dispositions relatives au rejet de la péremption d’instance n’étant pas critiquées, la cour statuera dans les limites de l’appel.
Sur la validité du congé pour reprise
M. [Y] reproche aux premiers juges d’avoir validé le congé, alors que M. [I] ne disposait pas d’une autorisation administrative d’exploiter, dès lors que l’autorisation tacite obtenue le 5 février 2020, ne se rattache pas directement à la demande initiale formée avant la date d’effet du congé.
M. [I] soutient que si la demande en cours se heurte à un refus postérieurement annulé, une nouvelle demande peut être formulée sans être assimilée à une nouvelle procédure.
Il fait valoir que, quand bien même le recours est formé à l’encontre de la décision de l’administration sur la première demande d’exploiter, aucune disposition légale ou jurisprudentielle n’interdit au candidat à la reprise de déposer une nouvelle demande d’autorisation d’exploiter dès lors qu’une demande a été faite initialement avant la date des effets du congé.
Aux termes de l’article L. 411-58 du code rural et de la pêche maritime, le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail s’il veut reprendre le bien loué pour lui-même ou au profit de son conjoint, du partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité, ou d’un descendant majeur ou mineur émancipé.
Toutefois, le preneur peut s’opposer à la reprise lorsque lui-même ou, en cas de copreneurs, l’un d’entre eux se trouve soit à moins de cinq ans de l’âge de la retraite retenu en matière d’assurance vieillesse des exploitants agricoles, soit à moins de cinq ans de l’âge lui permettant de bénéficier de la retraite à taux plein. Dans chacun de ces cas, le bail est prorogé de plein droit pour une durée égale à celle qui doit permettre au preneur ou à l’un des copreneurs d’atteindre l’âge correspondant. Un même bail ne peut être prorogé qu’une seule fois.» Pendant cette période aucune cession du bail n’est possible. Le preneur doit, dans les quatre mois du congé qu’il a reçu, notifier au propriétaire, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, sa décision de s’opposer à la reprise ou saisir directement le tribunal paritaire en contestation de congé.
Si le bailleur entend reprendre le bien loué à la fin de la période de prorogation, il doit donner de nouveau congé dans les conditions prévues à l’article L. 411-47.
Si la reprise est subordonnée à une autorisation en application des dispositions du titre III du livre III relatives au contrôle des structures des exploitations agricoles, le tribunal paritaire peut, à la demande d’une des parties ou d’office, surseoir à statuer dans l’attente de l’obtention d’une autorisation définitive.
Toutefois, le sursis à statuer est de droit si l’autorisation a été suspendue dans le cadre d’une procédure de référé.
Lorsque le sursis à statuer a été ordonné, le bail en cours est prorogé de plein droit jusqu’à la fin de l’année culturale pendant laquelle l’autorisation devient définitive. Si celle-ci intervient dans les deux derniers mois de l’année culturale en cours, le bail est prorogé de plein droit jusqu’à la fin de l’année culturale suivante.
Lorsque les terres sont destinées à être exploitées dès leur reprise dans le cadre d’une société et si l’opération est soumise à autorisation, celle-ci doit être obtenue par la société.
Lorsque le bien loué a été aliéné moyennant le versement d’une rente viagère servie pour totalité ou pour l’essentiel sous forme de prestations de services personnels le droit de reprise ne peut être exercé sur le bien dans les neuf premières années suivant la date d’acquisition.
Par ailleurs selon l’article L. 411-59 du même code, le bénéficiaire de la reprise doit, à partir de celle-ci, se consacrer à l’exploitation du bien repris pendant au moins neuf ans soit à titre individuel, soit au sein d’une société dotée de la personnalité morale, soit au sein d’une société en participation dont les statuts sont établis par un écrit ayant acquis date certaine. Il ne peut se limiter à la direction et à la surveillance de l’exploitation et doit participer
sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de l’exploitation. Il doit posséder le cheptel et le matériel nécessaires ou, à défaut, les moyens de les acquérir.
Le bénéficiaire de la reprise doit occuper lui-même les bâtiments d’habitation du bien repris ou une habitation située à proximité du fonds et en permettant l’exploitation directe.
Le bénéficiaire de la reprise doit justifier par tous moyens qu’il satisfait aux obligations qui lui incombent en application des deux alinéas précédents et qu’il répond aux conditions de capacité ou d’expérience professionnelle mentionnées aux articles L. 331-2 à L. 331-5 ou qu’il a bénéficié d’une autorisation d’exploiter en application de ces dispositions.
Les juges ne peuvent prendre en considération que la demande d’autorisation en cours à la date normale d’effet du congé (Civ 3ème 17 juillet 1996 n° 94-18.812).
Ainsi, pour tenir compte d’une nouvelle demande d’autorisation qui sera délivrée postérieurement à la date du congé, il faut que cette nouvelle demande se rattache à la demande initiale formée avant la date d’effet du congé.
En l’espèce, la date d’effet du congé est le 29 septembre 2019.
Avant cette date, soit le 31 mai 2018, M. [I] a déposé une demande d’autorisation d’exploiter qui a fait l’objet d’un refus en date du 21 novembre 2018.
M. [I] a alors saisi le tribunal administratif pour contester la décision du préfet, le 22 janvier 2019.
Avant que le tribunal administratif ne statue, mais après la date d’effet du congé, M. [I] a de nouveau saisi le préfet d’une demande d’autorisation d’exploiter.
Dans la mesure où le tribunal administratif n’avait pas encore statué, la nouvelle demande formée le 4 octobre 2019 ne se rattachait pas à la demande initiale formée avant la date d’effet du congé, puisque celle-ci faisait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif qui n’avait pas encore statué.
Dès lors la nouvelle demande du 4 octobre 2019 ayant été déposée postérieurement à la date d’effet du congé, la décision préfectorale du 12 mars 2020 est inopérante.
Seule doit être prise en considération la décision du tribunal administratif du 5 mars 2021 ayant confirmé le refus d’accorder à M. [I] l’autorisation administrative d’exploiter et qui est désormais définitive, puisque notifiée au conseil de M. [I] le 8 mars 2021, aucun appel n’étant intervenu dans le délai de deux mois.
Il s’ensuit que le congé pour reprise délivré à M. [Y] le 9 février 2018 pour le 29 septembre 2019 est nul, le jugement étant infirmé de ce chef.
Sur la demande de retrait de clôture
M. [Y] demande que soit retirée sous astreinte de 50 euros par jour de retard la clôture érigée entre la parcelle B[Cadastre 4] et la parcelle B[Cadastre 5]. Il prétend que cette demande reconventionnelle se rattache à la demande initiale par un lien suffisant en ce qu’elle porte sur une obligation essentielle du bailleur.
En réplique, M. [I] soutient que cette demande est irrecevable dès lors qu’elle n’a pas été discutée lors de la tentative de conciliation alors que le préalable de conciliation est obligatoire en matière de contentieux des baux ruraux et que de plus, cette demande reconventionnelle ne se rattache pas aux prétentions originaires, puisque la demande initiale portait sur l’annulation d’un congé aux fins de reprise.
Enfin il soutient que cette demande ne relève pas de la compétence du tribunal paritaire des baux ruraux puisqu’elle ne concerne pas un litige entre bailleur et preneur, mais est destinée à permettre d’accéder à une parcelle étrangère au bail parce qu’appartenant à un autre bailleur.
Aux termes de l’article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
C’est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a constaté qu’il n’existait pas de lien suffisant entre la demande originaire portant sur la demande de nullité d’un congé aux fins de reprise et la demande tendant à ce que soit retirée une clôture.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a déclaré irrecevable cette demande.
Sur les frais et dépens
Les dispositions du jugement déféré à ce titre seront infirmées.
La charge des dépens de première instance et d’appel sera supportée par
M. [I] conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
En outre, il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [Y] les frais irrépétibles exposés à l’occasion de l’instance de première instance et d’appel.
Aussi M. [I] sera-t-il condamné à lui verser la somme de
1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et débouté de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant dans les limites de l’appel,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement du 24 mars 2022, sauf en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande formée par M. [Y] aux fins de retrait de la clôture séparant la parcelle B[Cadastre 4] de la parcelle B[Cadastre 5],
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Annule le congé pour reprise délivré à M. [T] [Y] le 9 février 2018 pour la date du 29 septembre 2019,
Déboute en conséquence M. [X] [I] de toutes ses demandes,
Condamne M. [X] [I] aux dépens de première instance et d’appel,
Condamne M. [X] [I] à payer à M. [T] [Y] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et le déboute de sa demande à ce titre.
Le greffier La présidente