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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 12
ARRÊT DU 27 Octobre 2023
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 20/02808 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBZRY
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Février 2020 par le Pole social du TJ de MEAUX RG n° 17/00439
APPELANT
Monsieur [U] [F]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Emilie VIDECOQ, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002
INTIMEES
Société [4]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Francine HAVET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1250 substituée par Me Lucile ROSENSTEIN, avocat au barreau de PARIS, toque : G0641
CPAM [Localité 3]
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Adresse 9]
représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Septembre 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre
Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre
Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller
Greffier : Madame Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 20 octobre 2023 et prorogé au 27 octobre 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre et par Madame Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par M. [U] [F] à l’encontre d’un jugement rendu le 10 février 2020 par le tribunal judiciaire de Melun, dans un litige l’opposant à la société [4].
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les circonstances de la cause, et notamment le rappel des nombreuses décisions de justice intervenues dans le conflit entre M.[F] et son employeur, ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler les faits suivants:
M. [U] [F] a été engagé par la société [12], devenue [4], à compter du 3 septembre 1984. A compter de 1987, il a exercé diverses fonctions de représentation du personnel et notamment celle du délégué syndical central [6].
Le 9 avril 1992, suite à une transaction avec son employeur dans le cadre d’une saisine du conseil des prud’hommes(CPH) de Bobigny pour un problème de discrimination syndicale, il était nommé assistant marketing.
Estimant que la situation de discrimination perdurait, il saisissait le conseil de prud’hommes de Paris qui constatait le 24 février 1999 que sa carrière n’avait pas reçu un déroulement normal du fait de la prise en compte illicite de son appartenance syndicale et condamnait son employeur à lui verser diverses sommes à titre de rappel de salaires et dommages et intérêts.
La société faisait appel mais un protocole transactionnel était finalement signé aux termes duquel M.[F] était nommé chef du département gestion locative à compter du 1er juin 1999 avec un salaire supérieur et des attributions expressément acceptées par l’intéressé, et il était précisé qu’un collaborateur sera chargé de le seconder, plus spécialement chargé de l’animation du réseau d’exploitation locatif et qu’une secrétaire lui serait attribuée.
Par arrêt du 31 octobre 2006, la cour d’appel de Paris a condamné la société [4], à verser à Mme [D] [E], la dite secrétaire, la somme de 3.000€ pour faits de harcèlement moral en relevant que les faits “dont la responsabilité devait être attribuée à [U] [F], qui disposait d’un pouvoir de direction et représentait à ce titre l’employeur dans ses relations avec l’intimée” étaient constitutifs de harcèlement moral.
Par courrier du 15 janvier 2007, la Société [4] sollicitait donc auprès de l’inspection du travail l’autorisation du licenciement à l’encontre de Monsieur [U] [F] au motif de « agissements de harcèlement moral ».
Par décision du 15 février 2007, l’inspecteur du travail refusait l’autorisation de licenciement de M. [F] pour harcèlement moral, au motif que le lien entre le mandat détenu par le salarié et la procédure à son encontre ne pouvait être écarté.
Le tribunal administratif, puis la cour d’appel par arrêt du 10 mars 2011dans le cadre d’instances initiées par l’employeur, confirmaient ce refus de licenciement au motif cette fois que le harcèlement n’avait pas été établi de façon contradictoire et les faits reprochés à M. [F] étaient prescrits, et ne pouvaient servir de fondement à un licenciement.
Par ailleurs la cour d’appel de Paris, par arrêt en date du 23 septembre 2008, a retenu une surcharge de travail de M. [F] et a condamné la Société [4] pour discrimination syndicale, en relevant notamment “l’empressement de la société” à licencier M.[F] et à utiliser la décision mentionnant le comportement de ce dernier dans une procédure à laquelle il n’était pas partie. Elle le déboutait de sa demande de dommages et intérêts relatifs au harcèlement.
Par courrier du 20 novembre 2008 les trois collaboratrices de M.[F] alertaient, la direction d'[4] sur l’état de stress permanent les affectant du fait du comportement de M.[F], leur chef de département et sur l’impossibilité dans laquelle elles se trouvaient de continuer à travailler sous son autorité.
Le 24 novembre 2008 M. [F] faisait un “malaise” sur son lieu de travail et était transporté au service des urgences de l’hôpital [7] par les sapeurs-pompiers de [Localité 8] et arrêté en accident de travail jusqu’au 27 novembre 2008 puis jusqu’au 14 décembre 2008.
A l’issue de ces arrêts, et suite au signalement des collaboratrices, lors de la visite médicale de reprise, le médecin du travail le 18 décembre 2008, déclarait M.[F] «apte à condition d’étudier toutes solutions organisationnelles pour réduire la charge et stress professionnels ».
La société proposait le 18 décembre 2008 à M.[F] sa mutation sur le poste de chef de département au sein de la direction régionale Ile de France, sans disqualification ni baisse de rémunération, qu’il n’acceptait pas.
Le 17 mars 2009, l’inspecteur du travail autorisait le licenciement de M. [F], effectif le 24 mars 2009. Le salarié licencié contestait la décision d’autorisation confirmée par le Ministre puis par le tribunal administratif de Paris le 9 mars 2011. Le Conseil d’état dans un arrêt du 18 décembre 2013 a déclaré non admis le pourvoi.
Le 25 novembre 2012, le salarié saisissait de diverses demandes le CPH de Paris qui, le 24 novembre 2015, condamnait l’employeur au paiement de plusieurs sommes au titre de rappel d’heures supplémentaires et congés payés afférents et non respect du repos compensateur, mais déboutait le salarié de sa demande de nullité du licenciement au titre du harcèlement moral et non respect de l’obligation de sécurité. La cour d’appel de Paris confirmait le 6 mars 2018 les rappels de salaire et également le refus de nullité du licenciement pour harcèlement.
Par ailleurs, M. [F] a transmis à la CPAM de [Localité 11] une déclaration de maladie professionnelle datée du 8 mars 2010 avec date de la première constatation au 14 janvier 2008, le certificat du docteur [X] du Centre hospitalier de [10] attestant suivre M.[F] depuis le 7 février 2008 pour “un état de stress professionnel avec harcèlement ayant provoqué un état dépressif majeur d’intensité modérée, compliqué d’attaques de panique survenant exclusivement sur son lieu de travail et d’un passage à l’acte suicidaire le 30 mars 2009”. Le certificat précisait : “à partir de fin mai 2009, la pathologie anxieuse et dépressive s’est aggravée complétée d’un syndrome de stress post traumatique avec reviviscence diurne et nocturne de situations réelles de stress et conflits professionnels”
La caisse a saisi le CRRMP de [Localité 8] qui par avis du 16 février 2011 a constaté l’absence de causalité entre la maladie déclarée et l’exposition incriminée, et elle notifié un refus de prise en charge le 25 mai 2011.
Après le rejet de la commission de recours amiable le TASS de Meaux saisi par le salarié a renvoyé les dossier devant le CRRMP de la région [Localité 5] qui a rendu le 1er avril 2014 un avis défavorable à la prise en charge au titre de la pathologie au titre de la législation professionnelle.
Par décision du 15 septembre 2014, le CRRMP a dans un avis du 25 février 2015 refusé de faire une expertise psychiatrique pour établir le lien entre la maladie et le travail. Saisi par M. [H], le TASS a ordonné celle-ci le 22 juin 2015.
Par jugement du 12 septembre 2016, le TASS de Meaux a, suite à l’expertise du docteur [O], ordonné la prise en charge de la dépression au titre de la législation professionnelle, et M. [F] a été déclaré consolidé par le médecin-conseil le 18 décembre 2016, le taux d’IPP a été fixé à 25% , ramené à 0% par jugement du TCI de Paris du 10 septembre 2018.
Par lettre du 20 mars 2017, M. [F] a saisi la CPAM, puis par recours du 24 juillet 2017 le TASS de Meaux d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Par jugement du 10 février 2020, le tribunal judiciaire de Meaux a débouté M.[F] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ainsi que de ses autres demandes subséquentes, et a débouté la société [4] et M. [F] de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a notamment estimé que:
– le harcèlement moral n’était pas établi,
– la surcharge de travail a été reconnue mais que des défauts d’organisation étant pointés par les collaboratrices et que l’employeur n’était donc pas forcément à l’origine de cette surcharge de travail
– la maladie professionnelle de M. [F] a fini par être reconnue, mais non sa cause dans le harcèlement judiciaire de l’employeur ou la surcharge de travail, et l’employeur avait pris toutes les mesures pour préserver sa santé
M. [F] a fait appel de ce jugement le 2 juin 2020, appel enregistré le 4 juin. L’affaire a été plaidée à l’audience du 8 septembre 2023.
M.[F] a fait soutenir oralement à l’audience par son conseil des conclusions dans lesquelles il demande à la Cour de:
– écarter la péremption d’instance,
– infirmer le jugement en ce qu’il a débouté M.[F] de ses demandes ;
Statuant à nouveau,
– juger que la maladie professionnelle déclarée le 19 mars 2010 par M.[F]
est due à la faute inexcusable de l’employeur ;
– ordonner la majoration de la rente à son maximum
– ordonner une expertise sur les préjudices complémentaires aux frais avancés de la CPAM
– condamner la CPAM à verser une provision de 25.000€ à valoir sur ces préjudices
-condamner la société au paiement de la somme de 4000 € au titre de l’article 700 du
code de procédure civile.
Au soutien de sa demande de reconnaissance de faute inexcusable, M.[F] invoque un harcèlement moral, une surcharge de travail, l’absence de mesures prises par l’employeur averti des difficultés, l’absence d’évaluation des risques psychosociaux.
La société [4] a fait soutenir oralement à l’audience par son conseil des conclusions dans lesquelles elle demande à la Cour de :
– constater la péremption de l’instance enregistrée sous le n°20/02808
– à titre principal de confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions
– si la faute inexcusable de l’employeur était reconnue :
– à titre subsidiaire juger que les conséquences de la majoration seront inopposables à la société [4], pour lequel seul un taux de 0% est opposable et rejeter les demandes d’expertise et de provision
– à titre encore plus subsidiaire, limiter l’expertise et notamment débouter M [F] de sa demande au titre du préjudice résultant de la privation des agréments d’une vie normale et de la perte de chance de promotion professionnelle, rapporter à de plus justes proportions la demande de provision
– en tout état de cause
– débouter la CPAM de sa demande de condamnation de la société [4] à régler les frais de provision et d’expertise qui devront être avancés par la CPAM,
– condamner M [F] à payer à la société [4] la somme de 2.500€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société soutient que la dépression de M [F] n’est pas liée à la faute de l’employeur, que le harcèlement n’est pas démontré, que la surcharge de travail invoquée par le salarié ne serait pas établie et serait la conséquence de son absence d’organisation relevée par ses collaboratrices, que ses problèmes de santé seraient liés aux difficultés relationnelles avec ces dernières. Elle prétend qu’elle avait pris toutes les mesures de prévention.
La CPAM de [Localité 11] a fait soutenir oralement à l’audience par son conseil des conclusions dans lesquelles elle s’en remet à la Cour sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et la majoration de la rente, elle demande en cas d’expertise de limiter celle-ci à l’évaluation des postes de préjudice indemnisables et exclure ceux résultant de la privation des agréments d’une vie normale et de la perte de chance de promotion professionnelle
– limiter la provision
– rappeler que la Caisse fera l’avance des sommes éventuellement allouées à M. [F] y compris les frais d’expertise et qu’elle les récupérera auprès de la société [4].
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées à l’audience pour un plus ample exposé de leurs moyens qui seront par ailleurs développés.
SUR CE,
Sur la péremption d’instance
La société [4] soutient qu’en application de l’article 386 du Code de procédure civile qui stipule que “L’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans”, la péremption de l’action de M.[F] qui a fait appel le 2 juin 2023 le et n’a conclu que 29 juin 2023 sur le RPVA doit être prononcé.
M.[F] soutient que la péremption de l’article 386 du code de procédure civile n’est pas applicable à l’espèce.
Il résulte de la combinaison des articles 386 du code de procédure civile et R.142-22, dernier alinéa, du code de la sécurité sociale , que l’article 386 du code de procédure civile est applicable en matière de sécurité sociale aux instances d’appel commencées à partir du 1er janvier 2019 ainsi qu’à celles en cours à cette date mais que les parties n’ont pas au regard de cet article 386 du code de procédure civile d’autres diligences à accomplir que de demander la fixation de l’affaire (Cass., 2e civ., 17 novembre 1993, n°’92-12807′; Cass., 2e civ., 6 décembre 2018, n°’17-26202).
Aux termes de l’article R.142-22, dernier alinéa, du code de la sécurité sociale: “l’instance est périmée lorsque les parties s’abstiennent d’accomplir pendant le délai de deux ans mentionné à l’article 386, les diligences qui ont expressément été mises à leur charge par la juridiction” .
La convocation de l’adversaire étant le seul fait du greffe, elle n’est pas mise à leur charge, et la direction de la procédure échappe aux parties qui ne peuvent l’accélérer (Cass., 2e civ., 15 novembre 2012, n°’11-25499). Aucune obligation de conclure n’est mise à la charge d’un appelant en procédure orale. Il en résulte que le délai de péremption de l’instance n’a pas commencé à courir avant la date de la première audience fixée par le greffe dans la convocation.
En l’espèce, la date de première audience fixée par le greffe est celle du 29 juin 2023 à laquelle les parties ont été convoquées par lettre du 26 février 2021, dans le délai avant cette audience, et notamment dans la lettre de convocation, aucune diligence n’était mise à la charge de l’appelante, et la société [4] doit donc être déboutée de sa demande de péremption.
Sur la reconnaissance de la faute inexcusable
L’employeur est tenu envers son salarié d’une obligation légale de sécurité et de protection de la santé, notamment en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Il a, en particulier, l’obligation de veiller à l’adaptation des mesures de sécurité pour tenir compte des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. Il doit éviter les risques et évaluer ceux qui ne peuvent pas l’être, combattre les risques à la source, adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants. Les articles R.4121-1 et R.4121-2 du code du travail lui font obligation de transcrire et de mettre à jour au moins chaque année, dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.
Le manquement à cette obligation de sécurité a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été l’origine déterminante de l’accident du travail subi par le salarié, mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes y compris la faute d’imprudence de la victime, auraient concouru au dommage.
Il incombe au salarié de prouver que son employeur, qui devait ou qui aurait du avoir conscience du danger auquel il était exposé, n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Étant rappelé que la simple exposition au risque ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable de l’employeur et aucune faute ne peut être établie lorsque l’employeur a pris toutes les mesures en son pouvoir pour éviter l’apparition de la lésion compte tenu de la conscience du danger qu’il pouvait avoir.
En l’espèce M.[F] soutient que l’employeur a commis une faute inexcusable en:
– ne mettant pas à jour le document unique d’évaluation des risques en n’évaluant notamment pas les risques de stress,
– multipliant les procédures et en le discriminant en raison de son appartenance syndicale, ce qui est un harcèlement moral
– méconnaissant les alertes concernant la situation de surcharge
– ne prenant pas de mesures pour empêcher la réalisation du risque
La société soutient que la dépression de M.[F] n’est pas liée à la faute de l’employeur, que le harcèlement moral n’est pas démontré, que la surcharge de travail invoquée par le salarié ne serait pas établie et serait la conséquence de son absence d’organisation relevée par ses collaboratrices et que ses problèmes de santé seraient notamment liés aux difficultés relationnelles avec ces dernières. Elle prétend qu’elle avait pris toutes les mesures de prévention en proposant notamment une mutation qui a été refusée.
En introduction, sur la connaissance par l’employeur du danger
Le lien entre le travail du salarié et sa dépression a finalement été reconnu par un tribunal en septembre 2016, soit 6 ans après la déclaration de maladie professionnelle, et après que plusieurs médecins et notamment le médecin conseil de la caisse et ceux des deux CRRMP, aient estimé, après procédure contradictoire, qu’il n’existait pas de lien essentiel entre les conditions de travail et la pathologie déclarée. Le lien avec le travail a finalement été établi sur le rapport du docteur [O], réalisé quand à lui non contradictoirement après la seule audition de M.[F] qui est loin d’avoir fourni au médecin l’ensemble des éléments ayant conduit à la dépression, et qui a surtout rappelé les décisions qui lui ont été favorables en 1999 et 2008, en ne précisant pas que les dernières décisions avaient rejeté ses demandes de reconnaissance de harcèlement et non respect par l’employeur de son obligation de sécurité. Le médecin qui indique qu’il a subi “un processus de harcèlement qui a été reconnu par les Tribunaux” ne vise que les décisions anciennes rapportées par M.[F] et sans lien avec la dépression, et ne prend pas en compte la dernière décision de la cour d’appel du 6 mars 2018 qui a écarté l’existence d’un harcèlement moral subi par l’assuré.
Il convient de relever que l’expert a daté l’apparition de la dépression en 2006 sur les affirmations de M.[F], alors que le certificat médical initial fixe la date d’apparition de la maladie professionnelle à février 2008, et c’est cette deuxième date qui doit être reconnue comme début de la dépression en lien avec le travail.
L’accident subi par M. [F] et déclaré le 25 novembre 2008 a d’abord été lui aussi considéré par le médecin de la CPAM comme sans lien avec le travail, l’employeur ne pouvant de ce fait être alerté sur des soucis de dépression et stress dûs au travail.
Il apparaît donc clairement que même si l’employeur pouvait être informé des problèmes de malaise et de dépression de son salarié, il pouvait légitimement ignorer que la cause était dans des difficultés professionnelles puisque de très nombreux médecins avaient estimé que ce n’était pas le cas, et qu’il était déjà dépressif avant la date de première apparition de la maladie professionnelle.
Le certificat médical initial du 19 mars 2010, mentionne que M.[F] est régulièrement suivi pour un état de stress professionnel avec harcèlement ayant provoqué un état dépressif majeur, mais ne précise pas les causes de ce stress: harcèlement ou surcharge de travail et il faut étudier si la réalité de ces deux causes est établie et l’absence de moyens de l’employeur pour y remédier.
Sur la méconnaissance des alertes sur la surcharge de travail
M.[F] a obtenu en 2008 (arrêt de la cour de Paris du 6 mars 2018) la reconnaissance d’heures supplémentaires, pour la période de février 2003 à décembre 2008 puisqu’avaient été produits des relevés badgés d’heures supplémentaires et que l’employeur n’avait pu fournir d’éléments contredisant ces horaires contraires aux accords d’entreprise.
Même avec la connaissance de ces heures badgées allant bien au-delà de la durée de travail normale, la cour d’appel, qui a refusé de reconnaître un harcèlement moral et la violation d’une obligation de sécurité, et le tribunal judiciaire de Meaux dans son jugement du 10 février 2020, qui a refusé de reconnaître une faute inexcusable de l’employeur ont estimé que le service était effectivement soumis à un stress, non en raison de la lourdeur des tâches à effectuer mais parce que M.[F] était mal organisé .
La cour dans son arrêt définitif du 6 mars 2018 estimait que “Les pièces du dossier font ainsi apparaître que les problèmes de santé de monsieur [F] étaient liés à une situation conflictuelle ancienne entre lui-même et la direction et aux multiples procédures qui les ont opposés, mais également à ses difficultés dans son propre service avec ses subordonnées, lesquelles sont plaintes de son comportement agressif, voire insultant, lui reprochant notamment de faire peser sur elles ses problèmes relationnels avec la direction, en les accusant d’être de connivence avec elle et de vouloir alimenter son dossier personnel”.
La société en effet produit les différentes lettres des salariées adressées le 20 novembre 2008 au directeur général confirmant cette mauvaise organisation de M.[F] :
– Mme [Z] évoquait notamment: l’ “état de stress permanent notamment lié à un manque d’organisation et une mauvaise gestion des priorités”.
-Mme [B] rapportait que M.[F] les surchargeait de travail tout en maintenant l’organisation cette pratique visant “à nous mettre en échec plutôt qu’à régler les problèmes portés à sa connaissance”.
-Mme [K] se plaignait du comportement de M.[F]
La société [4] a fourni l’attestation d’une autre salariée Mme [P] qui indique avoir constaté de nombreux appels téléphoniques “sans rapport direct avec des dossiers locatifs” y compris pendant des réunions.
A l’inverse pour établir une surcharge de tâches mises à sa charge et celle de son service, M.[F] ne produit que des documents émanant de lui-même : relevés d’heures, certificats médicaux rapportant ses propos, mails de plainte adressés à sa direction mais aucune preuve émanant d’un tiers extérieur sinon le compte-rendu de la réunion des délégués du personnel du 26 janvier 2005 très antérieur aux faits et là-aussi largement fondé sur ses déclarations.
Le tribunal de Meaux avait en outre relevé que le 28 octobre 2004, la société avait créé à la demande de M [H] un demi poste supplémentaire pour compenser les heures de délégation et le salarié ne conteste pas que la société avait aussi créé un poste supplémentaire début 2007 de chargée d’ingénierie locative, mais ces créations n’ont en rien diminué les heures supplémentaires réalisées par M [F] qui par ailleurs n’avait plus qu’un mandat syndical, alors qu’il n’apparaît pas que les tâches (notamment nombre de logements à gérer) ait augmenté.
Ainsi que relevé par la société [4], le malaise de M.[F] du 24 novembre 2008 est intervenu quelques jours après les plaintes de ses collaboratrices et ces plaintes ont pu engendrer un stress important pour M.[F] qui s’était déjà quelques années auparavant vu reprocher des faits de harcèlement à l’encontre d’une collaboratrice.
Enfin, l’employeur alors que le médecin du travail, suite au malaise de M.[F] et aux plaintes des trois salariée préconisait “d’étudier toutes solutions organisationnelles pour réduire la charge et stress professionnels”, a immédiatement proposé à M.[F] un poste dans un autre service et c’est le salarié qui a refusé ce poste avec le même salaire et le même grade, et M.[F] qui déplorait régulièrement l’importance de sa charge de travail ne pouvait reprocher qu’il y ait moins de fonctions de management.
Il ne peut donc être retenue de faute inexcusable à l’encontre d’un employeur qui allège la charge de travail dans un service et propose un nouveau poste et alors même que les collaboratrices de la personne en charge de la gestion relèvent toutes sa capacité à générer du stress par son incapacité à gérer les tâches.
Sur le harcèlement judiciaire et moral
Le salarié invoque un harcèlement judiciaire mais :
– suite à la première procédure ayant conduit au jugement prud’homal de 1999 l’employeur a renoncé à son appel, ce qui est totalement opposé à l’idée d’un harcèlement judiciaire.
– la procédure relative à l’autorisation du licenciement de M [F] pour harcèlement moral à l’encontre Mme [E] faisait suite à une décision de la Cour d’appel de Paris du 31 octobre 2006, dans une procédure initiée par une salariée et non la société [4], qui avait dans sa motivation clairement attribué la responsabilité des faits constitutifs de harcèlement moral reprochés par sa collaboratrice à “[U] [F], qui disposait d’un pouvoir de direction et représentait à ce titre l’employeur dans ses relations avec l’intimée”, et le refus de licenciement de M [F] dans ce contexte n’a été justifié que par le fait que ce dernier n’avait pu s’expliquer sur les faits et que ceux-ci étaient prescrits au moment du licenciement, mais la société ne peut être considérée dans ces conditions comme ayant fait preuve d’acharnement.
– les dernières contestations relatives au licenciement pour son refus d’accepter un nouveau poste sont toutes à l’initiative du salarié.
– l’employeur est totalement étranger aux multiples procédures de M.[F] pour faire reconnaître le caractère professionnel de sa pathologie, à l’exception de celle dans laquelle la société [4] a obtenu une baisse du taux d’invalidité et la présente procédure.
Il existe incontestablement un important contentieux entre le salarié et son employeur mais aucun harcèlement judiciaire de ce dernier n’est établi.
M.[F] qui invoque un harcèlement moral au motif de son appartenance syndicale ne produit pour étayer ce point que des pièces qui correspondent à la période antérieure au 24 février 1999, date à laquelle le CPH de Paris a effectivement reconnu l’existence d’une discrimination syndicale à son encontre.
Mais le tribunal administratif dans sa décision du 9 mars 2011 et la cour administrative d’appel dans celle du 31 juillet 2012 ont clairement exclu que la proposition d’un nouveau poste à l’assuré, prise suite à l’avis du médecin du travail constituait une discrimination syndicale, en relevant notamment l’absence de conflits dans le cadre de l’activité syndicale de l’intéressé.
L’arrêt de la cour d’appel du 6 mars 2018 a confirmé le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 24 novembre 2015 “en ce qu’il a considéré que le harcèlement moral n’était pas caractérisé”, après avoir relevé que malgré les très nombreuses heures supplémentaires “M [F] n’indiquait pas en quoi ces heures supplémentaires étaient rendues nécessaires par les tâches à accomplir”.
La charge de la preuve de la faute inexcusable de son employeur est à la charge du salarié, et notamment celle du harcèlement moral.
Or avec les mêmes éléments que ceux produits aujourd’hui devant la Cour, et notamment les relevés d’heure, et malgré des règles de preuves favorables au salarié devant les juridictions du travail, celles-ci ont refusé de constater le harcèlement moral.
M. [F] n’établit toujours pas dans le cadre de la présente instance le harcèlement sur la période postérieure à l’année 2000, caractérisée par une surcharge de travail imposée sans tenir compte de ses obligations syndicales, ainsi que relevé par les premiers juges, la preuve de problèmes relationnels en lien avec les activités syndicales n’est pas rapportée, que plusieurs décisions judiciaires ont relevé que la surcharge de travail trouvait son origine dans l’organisation et les méthodes de travail de M.[F] et non dans la nature et l’importance des missions confiées par l’employeur au salarié, et que devant la cour ce dernier n’établit pas en quoi cette dernière justifierait des dépassement d’horaires.
Aucun harcèlement moral suceptible de consituer une faute inexcusable de l’employeur n’est donc établi.
Sur la mise à jour du document unique d’évaluation des risques en incluant les risques de stress
M. [F] ne justifie pas que le DUER ne prévoit pas déjà des “risques psycho-sociaux” et n’indique pas en quoi le document aurait du inclure particulièrement des risques de stress le concernant, alors même que la réalité de ceux-ci n’est pas établie.
Sur la demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
M. [F], succombant en cette instance, devra en supporter les dépens et sera condamné à payer à la société [4] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
REJETTE la demande au titre de la péremption d’instance ;
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Meaux en toutes ses dispositions
Y ajoutant ;
DÉBOUTE M. [F] de toutes ses demandes,
CONDAMNE M.[F] à payer à la société [4] la somme de 2.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [F] aux dépens d’appel.
La greffière La présidente