Péremption d’instance : 21 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/13941

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Péremption d’instance : 21 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/13941
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 8

ARRÊT DU 21 MARS 2023

(n° / 2023, 16 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/13941 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGHIR

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 30 Mai 2022 -Tribunal Judiciaire de PARIS – RG n° 20/06394

APPELANT

Monsieur [L] [P]

Né le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 13] (92)

De nationalité française

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 11]

Représenté par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP SCP GALLAND VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010,

INTIMÉS

Monsieur [O] [X]

Né le [Date naissance 3] 1950 à [Localité 15] (VIETNAM)

De nationalité française

Demeurant [Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 12]

S.E.L.A.R.L. CAUJUFI, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de CRETEIL sous le numéro 378 589 626,

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 12]

Représentés par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753,

AREAS DOMMAGES, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 775 670 466,

Dont le siège social est situé [Adresse 4]

[Localité 9]

Représentée et assistée de Me Roger ZEINEH de l’AARPI ALEZAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0401,

S.A.S. HOTEL MONTMARTROIS, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 572 209 138,

Dont le siège social est situé [Adresse 5]

[Localité 8]

Représentée par Me Francine HAVET, avocate au barreau de PARIS, toque : D1250,

Assistée de Me Anne-Charlotte BARBEDETTE, avocate au barreau de PARIS, toque E 713,

S.A.R.L. GFC [Localité 14], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 481 974 814,

Dont le siège social est situé [Adresse 6]

[Localité 7]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocate au barreau de PARIS, toque : L0034,

Assistée de Me Denis LALOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P094,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 31 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant la cour composée en double rapporteur de Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère, et de Madame Constance LACHEZE, conseillère.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,

Madame Constance LACHEZE, conseillère.

Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues à l’artcile 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre, et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

*

* *

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

La société par actions simplifiée Hôtel montmartrois a pour objet social la propriété, l’administration et l’exploitation d’un immeuble situé [Adresse 5] dans lequel est exploité un hôtel, 1’Hôtel montmartrois. Son capital social est majoritairement détenu par M. [D] [E] (89% des actions), le surplus des actions appartenant à son épouse Mme [C] [S] et à leurs deux filles [W] et [A] [E].

Les actionnaires de la société Hôtel montmartrois sont également associés d’une société à responsabilité limitée créée en 1956 et dénommée Le Hameau montmartrois, dont la gérante est Mme [A] [E]. La société Le Hameau montmartrois exploite un hôtel situé [Adresse 5], mitoyen du précédent, et dont les murs sont la propriété de la société civile immobilière de la [Adresse 5], également détenue par ces mêmes actionnaires.

Selon la société Hôtel montmartrois, Mme [V] [T] [G], compagne de M. [E] et mère de leur enfant commun [M] [E], a exercé la gestion de fait des sociétés, et ce de manière certaine depuis 2012. Mme [G] a également créé la société Hobex dont elle était l’unique associée et dirigeante, société aujourd’hui radiée après avoir été placée en liquidation judiciaire.

Depuis la création de la société Hôtel montmartrois en 1957, M. [D] [E] a exercé les fonctions de président jusqu’à sa démission le 28 novembre 2017 lors de l’assemblée générale des actionnaires de la société Hôtel montmartrois. L’assemblée générale a nommé en ses lieu et place M. [J] [H], son petit-fils (fils de Mme [W] [E]). Cette décision a fait l’objet d’une procédure en nullité qui a donné lieu à un jugement de péremption d’instance le 3 juin 2022.

M. [D] [E] a été placé sous tutelle par jugement du juge des tutelles de Fontainebleau du 21 décembre 2018, confirmé par la cour d’appel de Paris par arrêt du 25 juin 2019.

Par jugement du 2 juillet 2018, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Hôtel montmartrois.

Par jugement du 8 octobre 2019, 1e tribunal de commerce de Paris a adopté un plan de cession des actifs de la société Hôtel montmartrois pour un montant de 14.000.000 euros, dont 7.800.000 euros pour les murs et 6.200.000 euros pour le fonds de commerce. Le redressement judiciaire a été clôturé le 1er février 2020 après désintéressement de l’ensemble des créanciers de la société.

M. [L] [P] était l’expert-comptable de la société Hôtel montmartrois depuis les années 1990, activité qu’il exerçait dans le cadre d’une société à responsabilité limitée JLS Expertise dont il a vendu les parts à la société GFC Antibes, désormais dénommée GFC [Localité 14], le 30 novembre 2017 lorsqu’il a pris sa retraite.

La Selarl Caujufi, cabinet d’avocats dont le représentant légal est M. [O] [X], a été l’avocat de la société Hôtel montmartrois.

*

Considérant que ces derniers ont commis des fautes professionnelles, la société Hôtel montmartrois a assigné les 6, 7 et 17 juillet 2020, la société GFC [Localité 14], M. [L] [P], la SELARL Caujufi et M. [O] [X] aux fins de voir :

– condamner solidairement la société GFC [Localité 14] et M. [P] à lui payer la somme de 359 407 euros au titre de transferts injustifiés de trésorerie sur les exercices 2012, 2013 et 2014 ;

– condamner solidairement la société GFC [Localité 14], M. [P], la Selarl Caujufi et M. [X] à lui payer la somme de 1 793 255 euros

au titre d’une créance de restitution née de l’annulation d’un contrat de location-gérance consenti à la société Hobex le 2 janvier 2017 ;

– condamner solidairement la société GFC [Localité 14], M. [P], la Selarl Caujufi et M. [X] à lui payer la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par acte d’huissier du 8 février 2021, M. [P] a assigné la société Areas Dommages en intervention forcée aux fins de le garantir de toute condamnation susceptible d’intervenir à son encontre. Les deux procédures ont été jointes.

M. [P] a soulevé devant le juge de la mise en état une exception de procédure, sollicitant que soit prononcée la nullité de l’assignation, ainsi que des fins de non-recevoir.

Par une ordonnance du 30 mai 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :

– constaté que M. [P] ” renonce ” à sa demande de nullité de l’assignation faute de grief,

– débouté la Selarl Caujufi et M. [O] [X] de leur demande de nullité de l’assignation signifiée le 7 juillet 2020,

– déclaré recevable l’action de la société Hôtel montmartrois,

– constaté que l’action de la société Hôtel montmartrois n’est pas prescrite,

– débouté M. [P] et la société GFC [Localité 14] de leur demande de communication de pièces,

– débouté la Selarl Caujufi et M. [X] de leurs demandes de sursis à statuer,

– renvoyé l’affaire à l’audience du 30 janvier 2023,

– réservé les dépens et frais irrépétibles.

Par déclaration du 21 juillet 2022, M. [P] a relevé appel de cette ordonnance en ce qu’elle a déclaré recevable l’action de la société Hôtel montmartrois, constaté que l’action de la société Hôtel montmartrois n’est pas prescrite et réservé les dépens et les frais irrépétibles.

L’affaire a été fixée en circuit court.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 2 janvier 2022, M. [L] [P] demande à la cour :

– d’infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du 30 mai 2022 (RG 20/06 394), en ce qu’elle a déclaré recevable l’action de la société Hôtel montmartrois, constaté que l’action la société Hôtel montmartrois n’était pas prescrite, réservé les frais irrépétibles et les dépens;

– statuant à nouveau, de dire irrecevable l’action et les demandes de la société Hôtel montmartrois, faute de qualité à agir de M. [J] [H], faute d’intérêt à agir, faute de qualité à agir des défendeurs ;

– de dire irrecevable l’action de la société Hôtel montmartrois qui se prévaut de manière contradictoire de la capacité et de l’incapacité de M. [E] ne permettant pas aux défendeurs d’organiser leur défense ;

– de dire prescrite et donc irrecevable toute action portant sur les flux financiers entre la société Hôtel montmartrois et la société Le Hameau montmartrois pendant les exercices 2011 à 2014 et ce depuis le 29 juin 2020 ;

– en tout état de cause, de débouter la société Hôtel montmartrois de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

– de condamner la société Hôtel montmartrois à lui verser la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– de condamner la société Hôtel montmartrois aux entiers dépens distraits au profit de Me Marie-Catherine Vignes, sur son affirmation d’y avoir pourvu.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 29 décembre 2022, la société GFC [Localité 14] forme appel incident et tierce opposition incidente, demandant à la cour:

– de déclarer la société GFC [Localité 14] recevable et bien fondée en son appel incident,

– d’infirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et de :

‘déclarer la société GFC [Localité 14] recevable et bien fondée en tierce opposition incidente au jugement de péremption d’instance du 3 juin 2022 ;

‘déclarer le jugement inopposable à GFC [Localité 14], en ce qu’il a déclaré atteinte de péremption l’instance engagée par M. [E] ;

‘prononcer la nullité et à défaut déclarer inopposables les assemblées générales du 28 novembre 2017 et du 31 octobre 2018, comme résultant de fraudes manifestes ;

‘déclarer la société Hôtel montmartrois irrecevable à agir, faute d’être régulièrement représentée ;

‘déclarer la société Hôtel montmartrois irrecevable, faute d’un mandat spécial pour agir en justice donné à son représentant ;

‘déclarer la société Hôtel montmartrois irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, faute de production du projet de plan de cession et de l’offre de reprise de la SASU Montmartre ;

‘déclarer la société Hôtel montmartrois irrecevable pour défaut de qualité à agir, eu égard à sa production au passif de la liquidation judiciaire de la société Hobex;

‘déclarer la société Hôtel montmartrois irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, faute de justifier d’un principe de créance sur la société Hobex ;

‘déclarer la société Hôtel montmartrois irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, relativement à sa demande concernant les flux financiers provenant de la société Le Hameau montmartrois,

‘déclarer la société Hôtel montmartrois irrecevable pour cause de prescription, relativement à sa demande concernant les flux financiers provenant de la société Le Hameau montmartrois,

– condamner la société Hôtel montmartrois à verser à la société GFC [Localité 14] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.

Suivant dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 16 janvier 2023, la Selarl Caujufi et M. [X] demander à la Cour :

– d’infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du 30 mai en ce qu’elle a déclaré recevable l’action de la société Hôtel montmartrois ;

– de les déclarer recevables et bien fondés en leur tierce opposition incidente au jugement de péremption d’instance rendu le 3 juin 2022 par le tribunal de commerce de Paris ;

– de leur déclarer le jugement du 3 juin 2022 inopposable, en ce qu’il a déclaré atteinte de péremption l’instance en nullité engagée par Monsieur [E] le 27 décembre 2017 ;

– de déclarer irrecevables l’action et les demandes de la société Hôtel montmartrois, faute de qualité à agir de M. [J] [H], et faute d’intérêt à agir de la société Hôtel montmartrois ;

– de condamner la société Hôtel montmartrois à verser à M. [X] et à la Selarl Caujufi la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– de condamner la société Hôtel montmartrois aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Par ses conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 9 janvier 2023, la société Hôtel montmartrois demande à la cour :

– de confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance du juge de la mise en état du 30 mai 2022, et notamment en ce qu’elle a :

‘déclaré son action recevable ,

‘constaté que son action n’était pas prescrite ;

– en conséquence, de débouter M. [P], la société GFC [Localité 14], M. [X] et la société Caujufi de leurs demandes, fins et conclusions et appel incident ;

– de condamner solidairement M. [P], la société GFC [Localité 14], M. [X] et la société Caujufi à lui payer la somme de 50 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 15 janvier 2023, la société Areas Dommages conclut comme suit :

” AREAS DOMMAGES prie Madame ou Monsieur le Conseiller de la mise en état de :

DECIDER ce que de droit en ce qui concerne les moyens de nullité de l’assignation et de fins de non-recevoir respectivement soulevés par M. [P], GFC [Localité 14], CAUFUJI et M. [X]. ”

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 24 janvier 2023.

SUR CE,

Compte tenu des appels principaux et incidents formés par les parties et des moyens soutenus à l’appui des demandes d’infirmation, la cour n’est pas saisie des demandes relatives à la nullité de l’assignation et au sursis à statuer.

Sur la recevabilité de l’action de la société Hôtel montmartrois

– Sur la fin de non-recevoir alléguée tirée du ” défaut de qualité à agir de M. [H] ” :

M. [P] soutient que M. [H] n’a pas ” qualité pour agir ” au nom de la société Hôtel montmartrois, sa désignation lors de l’assemblée générale du 28 novembre 2017 étant nulle et inopposable.

Sur le moyen tiré de la nullité de l’assemblée générale du 28 novembre 2017, M. [P] rappelle que cette assemblée a fait l’objet d’une procédure d’annulation et forme tierce opposition incidente au jugement de péremption d’instance du 3 juin 2022 en application de l’article 588 du code de procédure civile. Il affirme que ce jugement doit être réputé nul et non avenu au sens de l’article 372 du code de procédure civile comme ayant été rendu après l’interruption de l’instance consécutive à la mise sous tutelle du demandeur à l’instance M. [E], l’interruption de l’instance résultant du placement sous tutelle de ce dernier et de la remise en cause de son conseil M. [X]. Il affirme également que cette procédure à laquelle il n’est pas partie ne lui est pas opposable, ni l’éventuelle caducité de cette procédure.

Sur le moyen tiré de l’inopposabilité de l’assemblée générale du 28 novembre 2017 et de la nullité subséquente du mandat de M. [H], M. [P] indique ensuite que cette assemblée et la démission de M. [E] à cette occasion lui sont inopposables, cette assemblée étant irrégulière pour avoir été tenue le même jour que l’examen médical de M. [E] ayant servi de fondement à son placement sous tutelle et ayant constaté une atteinte durable de son autonomie cognitive, physique et sociale. Cette irrégularité entraine la nullité du mandat de dirigeant de M. [H], précisant que sa demande en nullité de ce mandat n’est pas nouvelle au stade de l’appel car elle était incluse dans la demande de nullité de l’assignation pour défaut de qualité à agir de M. [H] formée en première instance. Il estime que la désignation de M. [H] en qualité de dirigeant a été faite en fraude aux droits de M. [E], alors incapable de voter pour défaut de capacité médicalement constaté le jour même. M. [P] précise qu’il est recevable à invoquer ce moyen de nullité puisqu’il s’agit d’une nullité absolue et qu’il est attrait en responsabilité.

L’assemblée générale des actionnaires de la société Hôtel montmartrois du 31 octobre 2018, en ce qu’elle était destinée à couvrir l’éventuelle nullité de la précédente, est inexistante ou irrégulière. Elle est également inexistante faute de preuve de son existence et faute de convocation valable de la part du président M. [H] (en ce qu’il était dépourvu de mandat valable).

La société GFC [Localité 14] fait valoir que l’assemblée du 28 novembre 2017 est irrégulière car elle est intervenue en fraude aux droits de M. [E] qui a assigné la société Hôtel montmartrois en nullité de cette assemblée alléguant que son consentement a été vicié. Une même fraude entache les assemblées générales des 31 juillet et 31 octobre 2018 puisqu’il convient de s’interroger sur la validité de la convocation adressée par M. [E] le 22 octobre 2018 alors que le 15 janvier 2018 était déposée une requête en vue de sa mise sous tutelle. Elle demande à la cour de prononcer la nullité ou à défaut de déclarer inopposables ces assemblées.

La société GFC [Localité 14] ajoute que le jugement du 3 juin 2022 constatant la péremption de l’instance ayant pour objet l’annulation de l’assemblée du 28 novembre 2017, est irrégulier car ce jugement a été rendu en l’absence de M. [E] et en fraude à ses droits, la société Hôtel montmartrois ayant conservé le silence sur le placement sous tutelle de M. [E]. Elle soutient que ce jugement doit être réputé non avenu comme ayant été rendu après l’interruption de l’instance consécutive à la mise sous tutelle du demandeur. A cette occasion, le tribunal aurait dû constater l’interruption de l’instance. Elle forme donc tierce opposition incidente au jugement de péremption d’instance du 3 juin 2022 sur le fondement de l’article 588 du code de procédure civile et demande à la cour de dire que ce jugement lui est inopposable.

M. [X] et la Selarl Caujufi forment tierce opposition incidente et s’associent à la demande tendant à voir déclarer le jugement du 3 juin 2022 non avenu et inopposable, confirmant la fin de leur mission lors du placement sous tutelle de M. [E] et estimant que cet évènement a interrompu l’instance.

Ils soutiennent par ailleurs que M. [H] n’a pas la qualité de président de la société Hôtel montmartrois, l’assemblée l’ayant désigné le 28 novembre 2017 devant être annulée, et que par voie de conséquence, l’assemblée générale du 31 octobre 2018 doit être déclarée nulle et inopposable.

Ils en tirent comme conséquence que le mandat de M. [H] est nul.

La société Hôtel montmartrois rétorque qu’avant son placement sous tutelle le 21 décembre 2018, M. [E] n’a jamais convoqué d’assemblée générale pour remettre en cause la nomination de M. [H] alors qu’il avait qualité pour le faire en tant qu’associé majoritaire de la société Hôtel montmartrois. M. [E] n’avait nul besoin de recourir à la justice pour mettre un terme à ce mandat. Elle en déduit que la procédure en annulation de l’assemblée du 28 novembre 2017, initiée par le conseil de M. [E] de l’époque, à savoir M. [X] de la Selarl Caujufi alors en situation de conflit d’intérêts, l’a été sur instructions de la société Hobex.

Par la suite, ni le tuteur de M. [E] ni le nouveau conseil de ce dernier n’ont remis en cause le mandat de M. [H], ni n’ont jugé utile d’engager une action tendant à l’annulation de la désignation de M. [H], ni n’ont poursuivi l’instance dont la péremption a été constatée par jugement du 3 juin 2022.

Sur la tierce opposition incidente, la société Hôtel montmartrois soutient qu’elle n’est pas recevable, faute d’intérêt à agir, les opposants ne développant aucun moyen propre. Elle ajoute que l’instance n’a pas été interrompue par le placement sous tutelle de M. [E], ni du fait de la cessation des fonctions de M. [X], en ce que M. [X] a conclu postérieurement à l’ouverture de cette mesure de protection puis le tuteur de M. [E] a fait désigner un nouveau conseil qui a succédé à M. [X], de sorte que M. [E] a toujours été représenté dans le cadre de l’instance aujourd’hui atteinte de péremption.

Ensuite, les organes de la procédure de redressement n’ont pas remis en cause le mandat de M. [H] et ce mandat a été ratifié lors de l’assemblée du 31 octobre 2018 qui n’encourt pas la nullité.

Enfin, la société Hôtel montmartrois soulève l’irrecevabilité de M. [P] à soulever une contestation de la validité du mandat de M. [H]. Elle fait valoir en premier lieu que cette prétention est nouvelle en cause d’appel et, en second lieu, que les nullités en droit des sociétés destinées à protéger des intérêts particuliers ne peuvent être invoquées que par la partie y ayant intérêt. Elle conteste également le principe allégué selon lequel le défaut de capacité serait nécessairement sanctionné par une nullité absolue.

Sur ce, M. [H] a introduit la présente instance en qualité de représentant légal de la société Hôtel montmartrois dont il est le président depuis l’assemblée générale des actionnaires du 28 novembre 2017.

Cette assemblée a été contestée par M. [E], président démissionnaire se prétendant ensuite évincé sous la contrainte, suivant assignation du 22 décembre 2017 en nullité de l’ensemble des résolutions votées lors de cette assemblée générale.

Dans le cadre de cette instance, M. [E], placé sous tutelle le 8 novembre 2018, a conclu le 31 janvier 2019 puis il a déclaré à l’audience du 24 mars 2022 s’en rapporter à justice. Le 2 décembre 2021, la société Hôtel montmartrois a demandé au tribunal de constater la péremption de l’instance. Le 3 juin 2022, le tribunal de commerce de Paris a constaté la péremption de l’instance faute de diligences accomplies de la part de M. [E] pendant un délai de deux ans et à défaut d’interruption de l’instance pour placement de la société défenderesse en redressement judiciaire.

– Sur la tierce opposition incidente au jugement de péremption d’instance du 3 juin 2022:

Au soutien de cette fin de non-recevoir portée devant la cour statuant sur appel d’une décision du juge de la mise en état, M. [P], la société GFC [Localité 14], M. [X] et la société Caujufi forment tierce opposition incidente au jugement ayant constaté la péremption de l’instance engagée par M. [D] [E] aux fins d’annulation de l’assemblée générale du 28 novembre 2017 portant désignation de M. [H].

En vertu de l’article 588 du code de procédure civile, ” la tierce opposition incidente à une contestation dont est saisie une juridiction est tranchée par cette dernière si elle est de degré supérieur à celle qui a rendu le jugement ou si, étant d’égal degré, aucune règle de compétence d’ordre public n’y fait obstacle. La tierce opposition est alors formée de la même manière que les demandes incidentes. Dans les autres cas, la tierce opposition incidente est portée, par voie de demande principale, devant la juridiction qui a rendu le jugement “.

Il en résulte que la compétence de la juridiction pour statuer sur la tierce opposition est subordonnée à sa compétence pour trancher la contestation.

En l’espèce, la tierce opposition incidente ainsi formée, en tant que voie de réformation d’un jugement, exclut qu’il puisse être remis en cause par un juge de la mise en état de premier ou second degré.

Par ailleurs, sur le moyen soulevé par la société Hôtel montmartrois, et en application de l’article 583 du code de procédure civile, ” est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque.

Les créanciers et autres ayants cause d’une partie peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s’ils invoquent des moyens qui leur sont propres. ”

Condition de recevabilité de l’action consistant dans l’avantage que procurerait au demandeur la reconnaissance par le juge du bien-fondé de sa prétention, l’intérêt à agir doit être personnel, direct, né et actuel.

En l’occurrence, l’expert-comptable et l’avocat de la société Hôtel montmartrois, qui n’agissent pas en tant que créancier ou ayants cause des parties à l’instance déclarée périmée, n’ont aucun avantage direct ou personnel à tirer de la reprise de cette instance périmée qui concerne un litige entre associés et a pour objet la désignation du président de la société. Ils ne formulent au demeurant aucune prétention à titre personnel, se limitant à invoquer le défaut de péremption de l’instance, puis la nullité et l’inopposabilité du jugement du 3 juin 2022 au soutien de la fin de non-recevoir qu’ils allèguent à l’occasion de la présente action en responsabilité formée à leur encontre. L’avantage qu’ils ont à voir prospérer l’action en nullité de l’assemblée du 28 novembre 2017 est donc indirect, de sorte que leur intérêt à la tierce opposition n’est pas caractérisé au sens de l’article 583 du code de procédure civile.

Au vu de ces éléments, la tierce opposition incidente sera déclarée irrecevable.

La tierce opposition n’étant pas recevable, il n’y a pas lieu d’examiner les moyens subséquents tendant à démontrer l’irrégularité de l’assemblée générale du 28 novembre 2017 et à prononcer son annulation.

– Sur la ” qualité à agir ” de M. [H]

Le prétendu ” défaut de qualité à agir ” de M. [H] s’analyse en réalité comme un prétendu défaut de pouvoir pour représenter la personne morale sanctionné suivant les termes de l’article 117 du code de procédure civile dont l’application n’est pas demandée par les parties.

Or il ressort du dossier que M. [H] a été désigné à l’occasion de l’assemblée du 28 novembre 2017 ; au jour de l’introduction de l’instance, cette assemblée n’a pas été annulée, de sorte que cette désignation produit ses effets. Le procès-verbal de cette assemblée a été déposé au greffe du tribunal de commerce le 5 janvier 2018, de sorte que le changement de dirigeant est opposable aux tiers depuis lors.

En outre, il est versé aux débats un extrait d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés de la société Hôtel montmartrois à jour au 13 mars 2022 dont il ressort que le président de la société est M. [J] [H].

Ce dernier ayant été désigné le 28 novembre 2017 comme président de la société et le demeurant au 13 mars 2022, l’appelant échoue à établir que M. [H] n’était pas le président de la société au jour de l’introduction de la présente instance.

Le moyen tiré du défaut de pouvoir de M. [H] pour représenter la société Hôtel montmartrois doit donc être écarté.

Par ailleurs, le moyen tiré de l’inopposabilité de cette décision d’assemblée pour défaut de capacité et fraude aux droits de M. [E] ne saurait ainsi prospérer, par manque de faits. En effet, M. [E] a été placé sous tutelle le 8 novembre 2018, décision confirmée en appel le 25 juin 2019, la cour d’appel ayant désigné un tuteur mandataire de justice, personne extérieure à la famille au regard du contexte familial conflictuel, ayant de surcroît les compétences pour gérer le patrimoine de M. [E] (par opposition à l’Udaf initialement désignée). Ainsi, le représentant légal de M. [E] disposait du temps et des compétences nécessaires pour poursuivre l’instance entamée par M. [E] si cela avait été dans l’intérêt de ce dernier, ce qu’il n’a pas fait. Par ailleurs, M. [E] pouvait en tant qu’associé majoritaire, avant son placement sous tutelle, convoquer les associés aux fins de révocation de M. [H], ce qu’il n’a pas fait.

Le défaut de capacité au jour de l’assemblée litigieuse et la fraude aux droits de M. [E] ne sont donc pas caractérisés et ne sauraient par conséquent emporter l’inopposabilité aux tiers du changement de dirigeant.

Ainsi, M. [H] ayant remplacé M. [E] dans les fonctions de président de la société, il a valablement pu convoquer l’assemblée du 31 octobre 2018 qui ne fait pas l’objet d’une action en nullité.

Au jour de cette assemblée, M. [E] disposait encore de la capacité à voter puisqu’il a été placé sous tutelle ultérieurement et l’existence de la prétendue fraude à ses droits n’est pas établie, en ce que les représentants légaux désignés successivement pour le représenter (l’Udaf puis le mandataire de justice) n’ont pas jugé utile de contester cette assemblée. Le moyen tiré de l’inopposabilité de cette assemblée sera également écarté.

M. [H] ayant pouvoir de représenter légalement la société Hôtel montmartrois, le moyen tenant au ” défaut de qualité à agir en responsabilité ” de M. [H] sera écarté.

– Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir de M. [H] pour agir en dehors de l’objet social :

M. [P] soutient que la présente action n’entre pas dans l’objet social se reportant systématiquement aux biens détenus par la société. Or la société Hôtel montmartrois ne détenait plus ces biens au jour de l’introduction de l’instance. Il souligne les termes employés par la société Hôtel montmartrois quant à l’objet de son action : ” Mettre un terme à un détournement avorté d’actif successoral ” sans lien avec cet objet social. Il en déduit que M. [H] agissant en dehors de l’objet social devait être titulaire d’un mandat ad litem de l’assemblée générale des actionnaires. A défaut, il ne disposait pas du pouvoir pour agir.

La société GFC [Localité 14] soutient que les statuts de la société Hôtel montmartrois ne donnent pas pouvoir à son président de la représenter en justice. M. [H] ne disposant d’aucun pouvoir spécial pour engager la procédure, l’action de la société Hôtel montmartrois est irrecevable.

M. [X] et la Selarl Caujufi soutiennent que l’action en responsabilité à l’encontre des professionnels du droit et du chiffre n’entre pas dans l’objet social de la société, de sorte qu’une telle action nécessitait un mandat ad litem de l’assemblée générale des actionnaires. Faute de disposer d’un tel mandat, M. [H] est dépourvu de pouvoir pour agir.

La société Hôtel montmartrois se prévaut de l’article L. 227-6 du code de commerce et de ses statuts qui ne prévoient aucune limitation aux pouvoirs du dirigeant d’agir en justice. Elle ajoute que la société a tout intérêt, et partant son dirigeant tout pouvoir, à agir en responsabilité contre les anciens conseils de la société lui ayant causé un préjudice en lien avec l’objet social.

Sur ce, l’article L. 227-6 du code de commerce prévoit notamment que : ” Le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l’objet social. ”

Les statuts de la société Hôtel montmartrois ne limitent pas l’objet social à la propriété, l’administration et l’exploitation du bien situé [Adresse 5] mais l’étendent à ” tous autres objets qui seraient de nature à favoriser et à développer l’industrie et le commerce de la société pour son compte et pour le compte de tiers ” (art. 2). Ces mêmes statuts rappellent la disposition légale précitée et y ajoute une première liste, non exhaustive en raison de l’emploi de l’adverbe ” notamment “, d’actes de gestion, d’administration et de disposition entrant dans les pouvoirs du président (art. 15). Enfin, le juge de la mise en état a justement relevé que parmi les décisions relevant de la compétence exclusive des associés (seconde liste) ne figure pas la décision d’ester en justice, alors que les statuts précisent à l’issue de cette seconde liste, qui doit être interprétée comme une énumération limitative, que toute autre décision relève de la compétence du président (art. 18).

Par la présente action en justice, la société entend faire reconnaître une créance indemnitaire liée à un préjudice dont elle prétend qu’il a obéré son résultat et amoindri son actif et qui découle selon elle des manquements de ses conseils expert-comptable et avocat. Cette action entre donc dans son objet social.

M. [H] n’ayant pas agi en dehors de l’objet social de la société Hôtel montmartrois, ce moyen ne saurait prospérer.

– Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Hôtel montmartrois

La société GFC [Localité 14] conteste, en raison de l’incidence de la procédure collective, la qualité à agir de la société Hôtel montmartrois alors que le monopole du mandataire liquidateur interdit l’action isolée de cette dernière, précisant que la liquidation judiciaire de la société Hobex clôturée peut être rouverte.

Elle indique également que la société Hôtel montmartrois est irrecevable pour défaut de qualité à agir eu égard à sa production au passif de la liquidation judiciaire de la société Hobex.

La société Hôtel montmartrois rétorque que la cession de ses actifs dans le cadre de sa procédure collective ne la prive pas de la qualité à agir en justice en réparation d’un préjudice subi avant la cession, n’ayant de surcroît nullement cédé la créance de restitution qu’elle détient à l’égard de la société Hobex. De même, la procédure collective de la société Hobex n’a pas d’incidence sur sa qualité à agir à l’encontre de ses anciens conseils ; le jugement du 4 février 2019 n’a pas autorité de chose jugée quant à la responsabilité de

M. [P] ; la société Hobex ne peut détenir aucune créance sur la société Hôtel montmartrois, la seule créance de la société Hobex apparaissant au passif de la société Hôtel montmartrois ayant été rejetée par une décision devenue définitive ; en tout état de cause, la société Hobex qui a été radiée n’existe plus.

Sur ce, par jugement du 11 février 2020 produit par la société Hôtel montmartrois, le tribunal de commerce de Paris a mis fin à la procédure de redressement judiciaire de cette dernière de sorte que l’assistance des organes de la procédure n’est nullement requise dans le cadre de la présente instance introduite par actes des 6, 7 et 17 juillet 2020. Faute de pertinence, ce moyen est inopérant et sera écarté.

Par ailleurs, les demandes de la société Hôtel montmartrois étant des demandes indemnitaires visant MM. [P] et [X] ainsi que leurs sociétés d’exercice professionnel, et non la société Hobex, le moyen tenant à la déclaration de la créance de l’hôtel montmartrois au passif de la société Hobex est inopérant s’agissant du droit d’agir de l’hôtel montmartrois en responsabilité contractuelle.

Il s’ensuit que la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Hôtel montmartrois sera rejetée.

– Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir :

M. [P] prétend que le premier juge ne s’est, à tort, intéressé qu’au fondement juridique de l’action, sans examiner sa finalité. Il soutient que cette action ne poursuit que deux objectifs : obtenir le paiement d’une créance de restitution déclarée au passif de la société

Hobex et devenu irrecouvrable faute d’actif suffisant, d’une part, et obtenir le remboursement de la somme de 359 407 euros que la société Le Hameau montmartrois a avancée à la société Hôtel montmartrois et que celle-ci lui a remboursée intégralement malgré l’existence de compensations possibles, étant précisé que la société Hôtel montmartrois n’a subi aucun préjudice du fait de cette avance de trésorerie, d’autre part.

M. [P] ajoute que dans ces conditions, les défendeurs à l’action n’ont pas qualité à intervenir ou se défendre, les manquements reprochés résultant des faits commis par Mme [G] ou sa société Hobex.

La société GFC [Localité 14] expose que la société Hôtel montmartrois se prévaut dans son assignation d’une créance qu’elle détiendrait après compensation sur la société Hobex, que dans le cadre des opérations de liquidation de cette dernière cette créance a été contestée, que le juge commissaire a sursis à statuer sur l’admission de la créance en invitant les parties à saisir le tribunal compétent, que le juge n’a pas été saisi avant la clôture des opérations de liquidation de la société Hobex désormais radiée, que pour rouvrir une procédure de liquidation, il conviendrait que la société Hôtel montmartrois justifie du principe d’une créance ce qui n’est pas le cas et qu’en conséquence cette dernière n’a pas intérêt à agir.

La société GFC [Localité 14] soutient par ailleurs que la société Hôtel montmartrois est irrecevable pour défaut d’intérêt à agir en sa demande concernant les flux financiers provenant de la société Le Hameau montmartrois. Elle explique que l’audit comptable du 29 juin 2015 portait sur les exercices 2012, 2013 et 2014 et était motivé par les transferts de trésorerie entre les deux sociétés Hôtel montmartrois et Le Hameau montmartrois. Cette dernière s’est vu rembourser, à l’occasion du redressement judiciaire de la société Hôtel montmartrois, la somme de 359 407,19 euros correspondant aux flux de trésorerie indus, et la société Hôtel montmartrois n’a jamais contesté cette créance, de sorte que le règlement de cette créance ne constitue pas un préjudice et que la demande à ce titre est irrecevable.

M. [X] et la Selarl Caujufi expliquent que le préjudice dont se prévaut la société Hôtel montmartrois dans le cadre de la présente procédure a déjà été réparé par le tribunal de commerce de Paris qui a condamné la société Hobex à restituer à la demanderesse à l’action la somme de 1 793 255 euros, soit l’intégralité des sommes qu’elle a reçues de la part de la société VSP. Un même préjudice ne pouvant être réparé deux fois, la société Hôtel montmartrois n’a pas intérêt à agir et sa demande devra être déclarée irrecevable.

La société Hôtel montmartrois rétorque qu’elle n’entend pas mettre à la charge de ses anciens expert-comptable et avocat sa créance de restitution sur la société Hobex, mais obtenir réparation des préjudices qu’elle a subi en raison de leurs manquements professionnels (vente de ses actifs à la barre du tribunal et obligation de rembourser la société Le Hameau montmartrois en raison de ponction de trésorerie indues). Sur les flux financiers provenant de la société Le Hameau montmartrois, la société Hôtel montmartrois objecte que ce moyen n’est ni compréhensible ni sérieux.

Sur ce, l’article 31 du code de procédure civile dispose : ” L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. “.

L’ordonnance déférée a justement tenu compte des fondements juridiques de la demande pour constater que la société Hôtel montmartrois a introduit une action en responsabilité pour obtenir réparation de préjudices qu’elle prétend avoir subi du fait des manquements de ses conseils expert-comptable et avocat à leurs obligations professionnelles.

En premier lieu, l’objet du litige n’est pas le recouvrement d’une créance de restitution détenue sur la société Hobex, qui n’est donc pas visée par les prétentions de l’instance quand bien même les opérations de liquidation seraient rouvertes, mais la reconnaissance d’une créance indemnitaire, le montant de la créance sur la société Hobex n’étant susceptible d’être examiné que pour évaluer le montant du préjudice découlant des fautes alléguées.

La société Hôtel montmartrois entend donc bien tirer un avantage, distinct du recouvrement de sa créance de restitution, de la reconnaissance par le juge du bien-fondé de ses prétentions, et ce à titre personnel et par des moyens propres, justifiant d’un intérêt personnel, direct, né et actuel à agir contre ses anciens conseils.

L’assignation comporte de surcroît une demande indemnitaire au titre de transferts injustifiés de trésorerie sur les exercices 2012, 2013 et 2014. Les moyens opposés par

M. [P] et la société GFC [Localité 14] doivent s’analyser comme la contestation du principe et du montant du préjudice allégué et sont par conséquent des moyens de fond qui ne sauraient fonder l’irrecevabilité au stade de la mise en état. Dépourvu de caractère opérant en présence de demandes indemnitaires visant les conseils de la société demanderesse à l’instance, ce moyen sera écarté.

Enfin, en ce qu’ils sont visés par une action en responsabilité pour manquements professionnels, les anciens conseils de la société Hôtel montmartrois ont qualité à se défendre.

Les défendeurs à l’instance échouant à démontrer le défaut d’intérêt à agir de la société Hôtel montmartrois contre MM. [P] et [X] ainsi que leurs sociétés d’exercice professionnel, la fin de non-recevoir sera rejetée.

– Sur la fin de non-recevoir tirée de l’estoppel

M. [P] soulève les contradictions de la société Hôtel montmartrois qui se prévaut de décisions prises à l’occasion de l’assemblée générale du 28 novembre 2017 durant laquelle M. [E] a pris part au vote, alors qu’elle soutient par ailleurs qu’il était notoirement incapable. Il indique que ces contradictions sont de nature à l’induire en erreur, ne sachant si l’on se prévaut de la capacité ou de l’incapacité de M. [E]. M. [P] évoque également le moyen tiré de l’annulation du contrat de location-gérance conclu avec la société Hobex comme étant de nature à induire les parties défenderesses en erreur.

La société Hôtel montmartrois rétorque que la jurisprudence ne sanctionne le principe d’interdiction de se contredire au détriment d’autrui qu’en présence de prétentions contraires soumises au juge par le même plaideur, et qu’à condition que ces contradictions aient eu pour effet d’induire la partie adverse en erreur sur les intentions de l’autre partie, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Si des contradictions venaient à être identifiées dans ses écritures, elle souligne qu’une simple contradiction entre une prétention et une allégation ne peut entraîner l’irrecevabilité de l’action, précisant que les contradictions ainsi relevées doivent s’apprécier au sein d’une même instance, et que l’argument n’a aucune valeur lorsqu’il s’agit de comparer deux instances distinctes.

Sur ce, la fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui sanctionne l’attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d’une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions. La seule circonstance qu’une partie se contredise au détriment d’autrui n’emporte pas nécessairement fin de non-recevoir.

En l’espèce, les éventuelles contradictions alléguées avec les moyens soulevés à l’occasion de l’instance ayant donné lieu à l’annulation du contrat de location-gérance conclu avec la société Hobex, à supposer qu’elles soient caractérisées, ne sont pas de nature à emporter fin de non-recevoir des demandes formées dans le cadre de la présente instance.

S’agissant des contradictions alléguées de la société Hôtel montmartrois dans le cadre de la présente instance en lien avec l’assemblée générale du 28 novembre 2017 et le vote de M. [E] alors incapable selon M. [P], la société Hôtel montmartrois n’entend pas se prévaloir d’un quelconque défaut de capacité de M. [E] à cette occasion, ne remettant pas en cause la validité de cette assemblée et rappelant dans ses écritures que le placement sous tutelle de M. [E] est intervenu postérieurement le 21 décembre 2018.

Il n’y a au demeurant aucune contradiction à invoquer une altération du consentement pouvant se révéler ponctuelle et, plusieurs mois plus tard, le défaut de capacité de la même personne résultant de son placement sous tutelle.

La fin de non-recevoir sera donc rejetée.

Les fins de non-recevoir soulevées n’ayant pu prospérer, l’ordonnance du juge de la mise en état déférée doit être confirmée en qu’il a déclaré recevable l’action de la société Hôtel montmartrois.

Sur l’incidence de la cession du fonds de commerce de la société Hôtel montmartrois et la demande de communication de pièces

La société GFC [Localité 14] soutient incidemment que la société Hôtel montmartrois ne rapporte pas la preuve qu’elle a conservé à son actif la créance de restitution de la société Hobex et demande la production forcée, avec injonction de communiquer prononcée par la cour, de l’offre de reprise de la société Hôtel Montmartre et du projet de plan déposé par l’administrateur judiciaire afin de déterminer le périmètre des actifs repris.

Elle ne demande pas communication d’autres pièces dans le dernier état de ses écritures.

La société Hôtel montmartrois conclut au rejet de cette demande, les pièces dont il est demandé la production ne présentant aucun intérêt pour la solution du litige, étant pour l’une sans objet depuis la clôture de la procédure par apurement du passif et pour l’autre dépourvu d’intérêt puisque le contenu de l’offre de reprise est repris dans le jugement du 8 octobre 2019 et le rapport des administrateurs judiciaires qui sont versés aux débats.

Sur ce, il ressort des pièces versées aux débats que le contenu de l’offre de reprise de la société Hôtel Montmartre figure dans le jugement du 8 octobre 2019 et le rapport des administrateurs judiciaires, de sorte que cette demande doit être rejetée.

Par ailleurs, est sans objet la demande de communication du projet de plan déposé par l’administrateur judiciaire puisque la procédure de redressement de la société Hôtel montmartrois est désormais achevée et que cette communication ne permet pas la détermination du périmètre des actifs repris. Cette demande doit également être rejetée.

L’ordonnance déférée sera confirmée en ce qu’elle a rejeté cette demande de communication de pièces.

Sur le moyen tiré de la prescription applicable aux faits antérieurs au 17 juillet 2015

M. [P] estime que les faits antérieurs à l’audit du 29 juin 2015 qui a permis la révélation des écritures comptables considérées comme anormales par la société Hôtel montmartrois sont prescrits au plus tard le 29 juin 2020, précisant que le juge de la mise en état ne pouvait, en raison du fait qu’une partie des faits reprochés à M. [P] ne seraient pas prescrits, considérer que l’ensemble des faits ne le seraient pas.

La société GFC [Localité 14] explique que l’audit comptable du 29 juin 2015 portait sur les exercices 2012, 2013 et 2014 et était motivé par les transferts de trésorerie entre les deux sociétés Hôtel montmartrois et Le Hameau montmartrois. Elle en déduit que la demande est irrecevable et prescrite.

La société Hôtel montmartrois rétorque que le délai de prescription quinquennale court à compter du 31 décembre 2015. Elle expose que les ponctions de trésorerie, qui ont été découvertes grâce au rapport du 29 juin 2015 et ont donné lieu à une première mise en demeure de rembourser le 15 juillet 2015, ont fait l’objet d’un remboursement, les sommes concernées ayant été recouvrées par la société Le Hameau montmartrois le 18 mars 2020 dans le cadre du redressement judiciaire de la société Hôtel montmartrois. Par la suite, M. [P] a fabriqué de fausses écritures comptables destinées à ” compenser ” les versements indus avec de prétendues prestations de services, et ce le 31 décembre 2015, date qui doit être prise en compte comme point de départ du délai de prescription interrompu par l’assignation délivrée à M. [P] le 17 juillet 2020.

Sur ce, la faute reprochée à M. [P] et à l’entreprise JLS expertise aux droits de laquelle intervient la société GFC [Localité 14] ne tient pas à la passation d’écritures comptables indues durant les exercices 2010 à 2014, celles-ci ayant donné lieu à restitution des transferts de trésorerie ainsi pratiqués, mais à la passation d’écritures comptables erronées le 31 décembre 2015 pour les exercices 2010 à 2014, la société demanderesse à l’action soutenant que ces fausses écritures avaient vocation à ” compenser ” les transferts de trésorerie. Le point de départ de la prescription quinquennale se situe donc au 31 décembre 2015.

L’assignation du 17 juillet 2020 étant intervenue dans le délai de cinq ans, le moyen tiré de la prescription des faits antérieurs au 17 juillet 2015 sera rejeté.

En conséquence, il convient de confirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a dit l’action non prescrite à ce titre.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

MM. [P] et [X], la société GFC [Localité 14] et la société Caujufi, parties perdantes, seront condamnés aux dépens d’appel et à verser solidairement à la société Hôtel montmartrois la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par cette dernière en appel, étant précisé que l’ordonnance du juge de la mise en état sera confirmée en ce qu’elle a réservé les dépens et l’article 700.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans la limite de sa saisine,

Déclare irrecevable la tierce opposition incidente formée par M. [P], la société GFC [Localité 14], M. [X] et la Selarl Caujufi au jugement rendu le 3 juin 2022 par le tribunal de commerce de Paris ;

Confirme l’ordonnance du 30 mai 2022 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne solidairement MM. [P] et [X], la société GFC [Localité 14] et la société Caujufi aux dépens d’appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamne solidairement MM. [P] et [X], la société GFC [Localité 14] et la société Caujufi à payer à la société Hôtel montmartrois la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par cette dernière en appel.

La greffière,

Liselotte FENOUIL

La Présidente,

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

 


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