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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 13
ARRÊT DU 21 AVRIL 2023
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 20/01509 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBPQJ
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de BOBIGNY RG n° 19/01995
APPELANTE
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’EURE ET LOIR
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Virginie FARKAS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1748
INTIMEE
SAS [5]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Véronique BENTZ, avocat au barreau de LYON, toque : 1025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 février 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre
Monsieur Gilles REVELLES, conseiller
Madame Natacha PINOY, conseillère
Greffier : Madame Joanna FABBY, lors des débats
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre, et par Madame Alisson POISSON, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir d’un jugement rendu le 27 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny dans un litige l’opposant à la S.N.C. [5].
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que M. [T] [Z], salarié de la S.N.C. [5], a transmis une demande de reconnaissance de maladie professionnelle le 31 mai 2018, déclarant être atteint d’un « lumbago sciatalgie gauche depuis le 11 décembre 2017 avec hernie discale L5S1 » ; qu’il joignait un certificat médical établi le 15 mai 2018 ; que le 26 novembre 2018, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir informait la S.N.C. [5] de la prise en charge de cette affection au titre de la législation professionnelle ; qu’après vaine saisine de la commission de recours amiable, la S.N.C. [5] a formé un recours devant le tribunal de grande instance.
Par jugement en date du 27 janvier 2020, le tribunal a :
débouté la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir de sa demande de renvoi ;
déclaré recevable le recours de la S.N.C. [5] ;
déclaré celui-ci bien fondé ;
dit inopposable à la S.N.C. [5] la décision de prise en charge par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir au titre de la législation professionnelle de la maladie déclarée par M. [T] [Z] le 31 mai 2018 ;
débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
condamné la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir aux dépens.
Le tribunal a jugé que le certificat médical faisant état d’une première constatation le 13 décembre 2017 avec des lésions identiques à celles pour lesquelles la Caisse a refusé la prise en charge d’un accident du travail, pouvait utilement servir à définir la maladie, dès lors que la demande présentée ne tendait pas aux mêmes fins. Il a retenu que la durée d’exposition aux risques était de 5 ans, conformément aux exigences du tableau n° 98. Pour autant, relativement à la désignation de la maladie, il a relevé qu’aucune des pièces ne faisait état d’une atteinte radiculaire de topographie concordante ni d’un examen réalisé aux fins de confirmer cette caractéristique et que dès lors la maladie ne correspondait pas au tableau, sans que la Caisse ne démontre le contraire.
Le jugement a été notifié par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception remise le 30 janvier 2020 à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir qui en a interjeté appel par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception adressée le 13 février 2020.
Par conclusions écrites visées, amendées et développées oralement à l’audience par son avocat, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir demande à la cour de :
juger régulière et bien fondée la décision de prise en charge de la maladie déclarée par M. [T] [Z] ;
déclarer opposable à la S.N.C. [5] la décision de prise en charge de la maladie déclarée par M. [T] [Z], ainsi que l’ensemble de ses conséquences ;
rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de la S.N.C. [5], en ce compris la demande d’expertise ainsi que la demande fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions écrites visées et développées oralement à l’audience par son avocat, la S.N.C. [5] demande à la cour de :
à titre liminaire,
constater la péremption de l’instance introduite devant la Cour de céans le 13 février 2022 par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir à l’encontre du jugement rendu le 27 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny ;
à défaut,
déclarer l’appel de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir recevable mais mal fondé ;
à titre principal,
confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions ;
ou par substitution de motifs et en conséquence,
lui dire et juger inopposable la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de la maladie déclarée par M. [T] [Z] ;
à titre subsidiaire,
dire et juger que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir ne rapporte pas la preuve du lien de causalité entre la pathologie du 15 mai 2018 et l’ensemble des arrêts de travail et soins prescrits à M. [T] [Z] et pris en charge au titre de la législation professionnelle ;
en conséquence,
lui dire et juger inopposable l’ensemble des arrêts et soins prescrits et pris en charge au titre de la législation professionnelle après 15 mai 2018 ;
à titre infiniment subsidiaire,
ordonner une mesure d’expertise médicale judiciaire, l’expert ayant pour mission procédant contradictoire de :
se faire communiquer par les parties l’ensemble des documents médicaux en leur possession liés tant au prétendu accident du travail déclaré le 11 décembre 2017 qu’à la pathologie déclarée le 15 mai 2018 ainsi qu’aux arrêts et soins prescrits à ce titre, notamment le dossier détenu par le service médical de la caisse ;
déterminer exactement les lésions, prestations, soins et arrêts exclusivement liés à la pathologie déclarée le 15 mai 2018 par M. [T] [Z] ;
déterminer si la pathologie du 15 mai 2018 revêt un caractère professionnel ;
fixer la date jusqu’à laquelle les soins et arrêts de travail prescrits sont en lien direct et certain avec le sinistre initial ;
dire à partir de quelle date la prise en charge des lésions, prestations, soins et arrêts au titre de la législation professionnelle n’est plus médicalement justifiée au regard de l’évolution du seul état consécutif à la pathologie déclarée ;
fixer la date de consolidation des seules lésions consécutives à la pathologie déclarée à l’exclusion de tout état pathologique indépendant évoluant pour son propre compte ;
dire et juger que les frais d’expertise seront assumés par la caisse primaire compétente du régime général ;
en tout état de cause,
condamner la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir à lui verser la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamner la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir aux entiers frais et dépens de l’instance.
Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions écrites, visées par le greffe à l’audience du 20 février 2023, développées et amendées qu’elles ont respectivement été soutenues oralement.
SUR CE
– Sur la péremption d’instance :
La S.N.C. [5] expose que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir a interjeté appel du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bobigny le 13 février 2020 (soit postérieurement au 1er janvier 2019) et que la péremption devait donc être considérée comme acquise le 13 février 2022 ; qu’en effet, la Caisse primaire n’a accompli aucune diligence dans un délai de deux ans postérieurement à la déclaration d’appel adressée à la Cour de céans le 13 février 2020 ; qu’en toute hypothèse, la Caisse n’a pas plus accompli de diligences dans un délai de deux ans suivant la convocation de la Cour qui date du 15 janvier 2021 ; que dans ces circonstances, la péremption d’instance est caractérisée.
La Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir réplique que le délai de péremption n’a pas couru.
Il résulte de la combinaison des articles 2 du code civil, 386 du code de procédure civile et R.142-22, dernier alinéa, du code de la sécurité sociale, ce dernier texte dans sa rédaction issue du décret n° 2011-2119 du 30 décembre 2011, abrogé à compter du 1er janvier 2019 par le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, que l’article 386 du code de procédure civile est applicable en matière de sécurité sociale tant aux instances d’appel commencées à partir du 1er janvier 2019 qu’à celles en cours à cette date et que lorsque la procédure est orale, les parties n’ont pas au regard de l’article 386 du code de procédure civile d’autres diligences à accomplir que de demander la fixation de l’affaire (Cass., 2e civ., 17 novembre 1993, n°’92-12807′; Cass., 2e civ., 6 décembre 2018, n°’17-26202). La convocation de l’adversaire étant le seul fait du greffe, la direction de la procédure échappe aux parties qui ne peuvent l’accélérer (Cass., 2e civ., 15 novembre 2012, n°’11-25499). Il en résulte que le délai de péremption de l’instance n’a pas commencé à courir avant la date de la première audience fixée par le greffe dans la convocation.
Dès lors que la première audience était fixée au 20 février 2023, le délai de péremption n’avait pas commencé à courir avant cette date qui correspond à la date de plaidoirie.
Le moyen soulevé par la S.N.C. [5] sera donc écarté.
– Sur l’autorité de la chose décidée des refus de prise en charge du 3 avril 2018 et le caractère recevable de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle formée par M. [T] [Z] :
La S.N.C. [5] expose que depuis le 1er janvier 2010, date d’entrée en vigueur de ces dispositions issues du décret du 29 juillet 2009, les décisions de refus de prise en charge rendues par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie acquièrent un caractère définitif pour l’employeur dans la mesure où elles lui sont notifiées ; que celui-ci peut donc se prévaloir de l’autorité de chose décidée en cas de nouvelle instruction de la déclaration de maladie professionnelle du salarié ou de l’accident de travail ; que le 13 décembre 2017, M. [T] [Z] déclare avoir été victime d’un accident du travail qui serait survenu le 11 décembre 2017 ; qu’il aurait ressenti une douleur au dos lors de la montée sur un cylindre ; que le 21 février 2018, la Caisse l’informe de la réception d’un certificat médical mentionnant une nouvelle lésion ; que, compte-tenu de l’absence de preuve ou de présomptions favorables précises et concordantes en faveur d’un accident qui se serait produit par le fait ou à l’occasion du travail, la Caisse primaire notifie le 3 avril 2018 sa décision de refus de prise en charge de l’accident déclaré par le salarié le 11 décembre 2017 ; que la caisse notifie le même jour une décision de refus de prise en charge de la nouvelle lésion ; que M. [T] [Z] n’a pas exercé de recours à l’encontre de ces décisions dans le délai de deux mois suivant la réception de courrier ; qu’aussi, les décisions de refus de prise en charge du 3 avril 2018 ont autorité de la chose décidée et lui sont acquises ; que M. [T] [Z] croit pouvoir réaliser une demande de reconnaissance de maladie professionnelle cette fois-ci, en date du 31 mai 2018, basée sur des lésions constatées le 11 décembre 2017, date du prétendu accident du travail non reconnu par la Caisse primaire ; que le certificat médical rédigé par le Docteur [Y] le 15 mai 2018 est limpide : « lombosciataglie gauche depuis le 11/12/17 » ; que le médecin confirme que les lésions constatées sont apparues le 1 1 décembre 2017 et fait état des mêmes constatations médicales que celles d’ores et déjà déclarées par les certificats médicaux des 13 décembre 2017 et 5 février 2018 rédigés par ses soins ; qu’il y a donc bien une identité complète de pathologie entre les deux déclarations faites par le salarié ; que la demande est forclose.
La Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir réplique que la première décision de refus, en date du 3 avril 2018 concernait un accident du travail qui serait survenu le 11 décembre 2017 ; que la seconde décision de refus du 3 avril 2018 également, concerne une nouvelle lésion déclarée sur la base d’un certificat médical du 5 février 2018 ; qu’il ne s’agit donc pas en l’espèce, d’une deuxième déclaration de la même maladie professionnelle, qui aurait déjà fait l’objet d’un refus de prise en charge, comme le soutient à tort l’employeur
Selon l’article R. 441-14, alinéa 4, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicable au litige, la décision motivée de la caisse est notifiée, avec mention des voies et délais de recours, par tout moyen permettant de déterminer la date de réception, à la victime ou à ses ayants droit si le caractère professionnel de l’accident, de la maladie professionnelle ou de la rechute n’est pas reconnu, ou à l’employeur dans le cas contraire, la décision étant également notifiée à la personne à laquelle elle ne fait pas grief. Il en résulte que la décision revêt, dès sa notification à la personne à laquelle elle ne fait pas grief, un caractère définitif à son égard.
En la présente espèce, la S.N.C. [5] a transmis le 13 décembre 2017 une déclaration d’accident du travail de M. [T] [Z] relative à une douleur dans le dos lors de la montée sur un cylindre, qui serait apparue le 11 décembre 2017 à 8 heures. Le certificat médical initial mentionnait une sciatalgie gauche. Le 5 février 2018, M. [T] [Z] transmet un certificat médical de nouvelle lésion constatant un lombago gauche et un pincement L5-S1. Le 3 avril 2018, la Caisse notifie à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir le refus de prise en charge de l’accident déclaré et, dans une seconde correspondance du même jour, le refus de prise en charge de la nouvelle lésion.
Toutefois, la demande de reconnaissance de maladie professionnelle présentée le 31 mai 2018 par M. [T] [Z] n’ayant pas le même objet, aucune autorité de la chose décidée ne peut être opposée à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir.
De même, il ne saurait être fait grief à M. [T] [Z] de ne pas avoir formé de recours à l’encontre des décisions du 3 avril 2018, dès lors que sa demande porte sur un autre objet.
Le moyen sera donc rejeté.
– Sur la violation de la procédure d’instruction :
La S.N.C. [5] expose que depuis le 1er janvier 2010, la Caisse d’assurance maladie a une obligation générale d’information en ce qui concerne l’instruction de la demande de reconnaissance de la maladie professionnelle ; que la Caisse est tenue d’informer l’employeur de manière loyale et exacte sur ce qui est précisément instruit ; qu’elle n’a pas été informée de la pathologie visée par l’instruction de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir ; qu’aucune des trois pathologies figurant au tableau n° 98 ne correspond à une simple « lumbagosciatalgie gauche hernie discale L5 S1 » ; qu ‘elle a sollicité de la Caisse des informations complémentaires sur la pathologie réellement instruite, en vain ; que le 5 novembre 2018, une fois l’instruction du dossier terminée, la Caisse l’a informée de la pathologie réellement instruite au titre d’une « sciatique par hernie discale L5-S1 » ; que cette désignation ne correspond pas plus à une des pathologies du tableau n° 98 ; qu’elle s’est trouvée dans l’impossibilité de répondre précisément au questionnaire en l’absence totale d’information cohérente sur les risques visés ; qu’elle a donc sollicité la transmission des pièces constitutives du dossier de M. [T] [Z] ; qu’en dépit de cette demande, aucune information complémentaire n’est parvenue à l’employeur au cours de la procédure et la Caisse n’a jamais transmis les éléments du dossier, la privant ainsi d’une instruction contradictoire ; que l’organisme de sécurité sociale s’est donc prononcé sur la base d’éléments dont la requérante n’a pas pu obtenir la communication et ce, malgré sa demande ; que la Caisse ne motive aucun des éléments de fait ni de droit fondant sa décision ; que la décision ne donne aucune précision concernant la pathologie réellement instruite, le délai de prise en charge et la prescription de la demande de reconnaissance de maladie ; que la notification du 26 novembre 2018 de la décision de prise en charge de la pathologie déclarée par M. [T] [Z] au titre de la législation du travail ne comporte pas les considérations de fait ou de droit retenues par la Caisse ; que la notification de prise en charge querellée a été prise par Mme [K] [H] en qualité de « Correspondant Risques Professionnels » ; qu’elle n’est pas Directrice de la Caisse de sorte qu’elle aurait dû, a minima, être en possession d’une délégation dûment régularisée afin de pouvoir signer la décision du 26 novembre 2018.
La Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir rappelle la jurisprudence constante de la Cour de cassation, selon laquelle non seulement les décisions de prise en charge sont suffisamment motivées, mais en outre, qu’à les supposer insuffisamment motivées, ce grief n’entraîne pas pour autant l’inopposabilité de la décision au profit de l’employeur, les parties pouvant discuter contradictoirement dans le cadre de ta procédure ; qu’une telle sanction n’est prévue par aucun texte ; qu’au regard des éléments du dossier, la S.N.C. [5] a été informée dès l’origine et dans le cadre de l’instruction de la maladie instruite ; qu’aucune obligation ne pèse sur elle quant à la transmission de la copie du dossier à l’employeur ; qu’elle respecte son obligation d’information vis-à-vis de l’employeur, ainsi que le principe du contradictoire, dès lors qu’elle adresse une lettre de clôture et laisse un délai suffisant à l’employeur pour venir prendre connaissance des pièces du dossier ; qu’il n’est pas prévu que le défaut de transmission du dossier – en tout ou partie – à l’employeur, soit sanctionné par l’inopposabilité de la décision de prise en charge à l’employeur ; que selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le défaut de pouvoir de l’agent signataire de la décision de prise en charge ne rend pas celle-ci inopposable à l’employeur, qui peut toujours la contester, tant sur la forme que le fond (Cass., 2ème Civ., 23 janvier 2014, n o 13-12216, 13-12217, 13-12218, 13-12219).
L’article R.441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa version issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicable au litige, dispose que : « Lorsqu’il y a nécessité d’examen ou d’enquête complémentaire, la caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l’employeur avant l’expiration du délai prévu au premier alinéa de l’article R. 441-10 par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. A l’expiration d’un nouveau délai qui ne peut excéder deux mois en matière d’accidents du travail ou trois mois en matière de maladies professionnelles à compter de la date de cette notification et en l’absence de décision de la caisse, le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie est reconnu.
En cas de saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, mentionné au cinquième alinéa de l’article L. 461-1, le délai imparti à ce comité pour donner son avis s’impute sur les délais prévus à l’alinéa qui précède.
Dans les cas prévus au dernier alinéa de l’article R. 441-11, la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l’employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d’en déterminer la date de réception, l’information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l’article R. 441-13.
La décision motivée de la caisse est notifiée, avec mention des voies et délais de recours par tout moyen permettant de déterminer la date de réception, à la victime ou ses ayants droit, si le caractère professionnel de l’accident, de la maladie professionnelle ou de la rechute n’est pas reconnu, ou à l’employeur dans le cas contraire. Cette décision est également notifiée à la personne à laquelle la décision ne fait pas grief.
Le médecin traitant est informé de cette décision ».
En application de l’article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, la caisse primaire d’assurance maladie est tenue, avant de se prononcer sur le caractère professionnel d’un accident ou d’une maladie, d’informer l’employeur de la fin de la procédure d’instruction, de la possibilité de consulter le dossier pendant un certain délai et de la date à compter de laquelle elle prévoit de prendre sa décision. (Civ. 2ème, 16 octobre 2008, Bull.,II, n 214 ; 2e Civ., 8 janvier 2009, pourvoi n° 07-21.420, Bull. 2009, II, n° 7).
La faculté pour l’employeur de se prévaloir d’un manquement de la caisse à son obligation d’information n’étant pas subordonnée à l’existence d’un grief, en sorte que le seul manquement de la caisse à son obligation justifie que la décision prise par la caisse à la suite soit déclarée inopposable à l’employeur.
La caisse est en outre libre de requalifier une maladie déclarée jusqu’à la date de sa décision. Il appartient à la caisse d’informer l’employeur lorsque la prise en charge est envisagée sur la base d’un tableau qui n’est pas celui auquel renvoie le certificat médical initial (2e Civ., 7 mai 2014, pourvoi n° 13-14050. V. dans le même sens, 2e Civ., 19 décembre 2013, pourvoi n° 12-28.7261 ; 2e Civ., 21 janvier 2016, pourvoi n° 14-29.419).
En l’espèce, le 9 juillet 2018, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir informait la S.N.C. [5] de la réception d’une déclaration de maladie professionnelle indiquant la pathologie instruite, une « lumbagosciatalgie gauche hernie discale L5-S1 le 11 juin 2018 ». La déclaration de maladie professionnelle ne visait aucun tableau de maladie professionnelle. Les questionnaires adressés se rapportaient à la liste des travaux du tableau n° 98 des maladies professionnelles.
L’avis de fin d’instruction du 5 novembre 2018 mentionne que l’affection instruite est une « sciatique par hernie discale L5-S1 » inscrite au « tableau n° 98 : affections chroniques du rachis lombaire provoquées par la manutention manuelle de charges lourdes » et adresse le tableau de synthèse de l’enquête administrative. La décision de prise en charge rappelle la même pathologie et vise le même tableau des maladies professionnelles, de telle sorte que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir, qui n’a pas instruit le dossier de maladie autrement que sur le tableau n° 98 des maladies professionnelles, n’était pas tenue de délivrer à l’employeur une information spécifique.
L’avis de fin d’information énonçant le délai durant lequel la société pouvait consulter le dossier et formuler ses observations, supérieur à 10 jours francs, la Caisse a satisfait à ses obligations. Elle n’était nullement tenue de l’adresser à la S.N.C. [5], de telle sorte que celle-ci ne saurait lui faire grief de ne pas lui avoir communiqué les pièces du dossier malgré ses demandes, au fur et à mesure de son avancement. Aucun texte ne prévoit une telle transmission en cours d’instruction et ne sanctionne l’absence de transmission du dossier complet de l’inopposabilité de la décision prise par la Caisse. Celle-ci a donc respecté son obligation d’information.
La décision de prise en charge du 26 novembre 2018 mentionne que la maladie, dont elle rappelle les termes, a été examinée dans le cadre du 2ème alinéa de l’article L 461-1 du code de la sécurité sociale. Elle implique donc que la Caisse retient que la dénomination de la maladie est incluse dans le tableau, que la condition relative au délai de prise en charge et à la durée d’exposition aux risques est remplie et que le salarié réalisait au moins l’un des travaux prévus dans le tableau. La lettre mentionne en outre les modalités du recours.
La décision, régulièrement notifiée à l’employeur, comportait l’indication des raisons qui amenaient la caisse à la prise en charge de cet accident au titre de la législation professionnelle et celle des voies de recours qui lui étaient ouvertes. Elle était donc suffisamment motivée (2e Civ., 13 février 2014, pourvoi n° 13-12.656).
Enfin, le défaut de pouvoir d’un agent d’une caisse primaire de sécurité sociale, signataire d’une décision de reconnaissance du caractère professionnel d’un accident ou d’une maladie ne rend pas cette décision inopposable à l’employeur, qui conserve la possibilité d’en contester tant le bien-fondé que les modalités de mise en oeuvre au regard des obligations d’information et de motivation incombant à l’organisme social ( 2e Civ., 23 janvier 2014, pourvoi n° 13-12.216).
Les moyens tirés de l’irrégularité de la procédure seront donc rejetés.
– sur la dénomination de la maladie professionnelle
La Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir expose que l’enquête administrative a bien porté sur une sciatique par hernie discale L5-SI, inscrite au tableau n° 98 des maladies professionnelles ; que le colloque médico-administratif, qui a examiné l’ensemble des éléments, tant administratifs que médicaux, s’est prononcé sur une sciatique par hernie discale L5-SI, faisant ainsi référence au tableau n° 98 des maladies professionnelles ; que la décision de prise en charge du 26 novembre 2018, enfin, fait également référence au tableau n° 98 des maladies professionnelles, au titre duquel la maladie déclarée par M. [T] [Z] a été reconnue d’origine professionnelle ; que le colloque médico-administratif mentionne en effet très clairement, au titre de l’intitulé complet du syndrome : « sciatique par hernie discale L5-S1 ».
La S.N.C. [5] réplique que le certificat médical initial du 15 mai 2018 fait état d’une « lumbagosciatalgie gauche depuis 11/12/17 » et « d’une chirurgie hernie discale L5S1 : 25/04/2018 » ; que le salarié renseigne la déclaration de maladie professionnelle de la façon suivante : « lumbago sciatalgie gauche depuis 11/12/17, hernie discale L5S1 » ; que la notification de prise en charge de la pathologie au titre du tableau 98 des maladies professionnelles par la Caisse primaire du 26 novembre 2018 fait référence à une « sciatique par hernie discale L5-S1 » ; que ces lésions ne relèvent pas d’un tableau de maladie professionnelle, et notamment du tableau 98 ; qu’il n’est fait mention d’aucune sciatique par hernie discale avec atteinte radiculaire de topographie concordante ; que seule la réalisation d’un examen d’imagerie de type I.R.M. ou scanner permet de visualiser l’hernie discale, son niveau et la latéralisation vers la racine atteinte ; qu’une simple radiographie de la colonne ne suffit pas.
Selon l’article L 461-1 alinéa 2 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable au litige, « Est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau ».
Le tableau n° 98 des maladies professionnelles vise notamment les sciatiques par hernie discale L4-L5 ou L5-S1 avec atteinte radiculaire de topographie concordante.
Le médecin conseil de la Caisse n’étant pas tenu des termes du certificat médical initial peut, après analyse de pièces médicales extrinsèques, qualifier la pathologie et considérer qu’elle correspond à celle visée par le tableau des maladies professionnelles qu’il instruit (2e Civ., 21 octobre 2021, pourvoi n° 20-15.641).
En l’espèce, le colloque médico-administratif du 25 octobre 2018 vise le compte-rendu médical du 15 mai 2018 du docteur [E] [Y], et inscrit le code syndrome 98 AAM 51 B correspondant au libellé de sciatique par hernie discale L4-L5 ou L5-S1 avec atteinte radiculaire de topographie concordante.
Toutefois, le certificat médical du 15 mai 2018 est le certificat médical initial qui indique comme pathologie : « Lumbago sciatalgie gauche depuis 11/12/17, hernie discale L5S1 : 25/04/2018 ». Le libellé de ce certificat médical initial ne correspond pas exactement à celui du tableau n° 98 des maladies professionnelles. Dès lors, le médecin conseil aurait dû faire référence à une autre pièce médicale lui permettant d’établir ce diagnostic, ce qui n’a pas été le cas (2e Civ., 6 janvier 2022, pourvoi n° 20-14.868).
Il en résulte que la caisse primaire d’assurance maladie ne caractérise pas, à partir du certificat médical de l’assuré, l’ensemble des éléments caractéristiques de la maladie professionnelle.
La décision de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir doit donc être déclarée inopposable à la S.N.C. [5].
Le jugement déféré sera donc confirmé.
La Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir qui succombe sera condamnée aux dépens et au paiement d’une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
DÉCLARE recevable l’appel de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir ;
REJETTE le moyen tiré de la péremption d’instance ;
CONFIRME le jugement rendu le 27 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny ;
CONDAMNE la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir à payer à la S.N.C. [5] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Eure et Loir aux dépens.
La greffière Le président