Péremption d’instance : 15 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 19/10615

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Péremption d’instance : 15 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 19/10615
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 13

ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2023

(n° , 14 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 19/10615 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CA2MI

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 septembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY RG n° 19/01360

APPELANTE

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU MORBIHAN

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS, toque : D 1901

INTIMÉE

Société EIFFAGE ROUTE ILE DE FRANCE CENTRE OUEST

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Adrien ROUX DIT BUISSON, avocat au barreau de LYON, toque : 2085

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 mars 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Gilles REVELLES, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Laurence LE QUELLEC, présidente de chambre

Monsieur Gilles REVELLES, conseiller

Monsieur Gilles BUFFET, conseiller

Greffier : Madame Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 12 mai 2023 et prorogé au 16 juin 2023, puis au 15 septembre 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

-signé par M. Gilles REVELLES, conseiller pour Madame Laurence LE QUELLEC, présidente de chambre, et par Madame Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l’appel interjeté par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Morbihan (la caisse) d’un jugement rendu le 23 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Bobigny dans un litige l’opposant à la société Eiffage Route Île-de-France Centre Ouest (la société).

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que [F] [Z] (l’assuré) a transmis à la caisse deux demandes de reconnaissance de maladie professionnelle en date du 25 mai 2018 ainsi qu’un certificat médical initial du 10 avril 2018 faisant état d’un « canal carpien droit (et) (ou) gauche bilan demandé (EMG) » ; que le 25 juin 2018, la caisse a informé la société de la réception d’un certificat médical en date du 11 juin 2018 mentionnant une nouvelle lésion ; que le 12 novembre 2018, la caisse a pris en charge les pathologies déclarées selon trois décisions distinctes, deux au titre du canal carpien gauche et une au titre du canal carpien droit ; qu’après vaine saisine de la commission de recours amiable, la société a formé un recours devant le tribunal de grande instance de Bobigny le 2 avril 2019.

Par jugement en date du 23 septembre 2019, le tribunal a :

– Déclaré recevable le recours de la société ;

– Déclaré le recours partiellement bien fondé ;

– Dit inopposable à la société la décision notifiée par la caisse le 12 novembre 2018, au titre de la maladie professionnelle du tableau numéro 57 « canal carpien gauche », référencée sous le numéro 182312355 et d’une maladie déclarée le 12 mars 2018 par l’assuré ;

– Dit inopposable à la société la décision notifiée par la caisse le 12 novembre 2018 de prise en charge de la maladie déclarée le 10 avril 2018 par l’assuré au titre du tableau numéro 57 des maladies professionnelles « canal carpien gauche » et référencée sous le numéro 182410357 ;

– Débouté la société de l’ensemble de ses moyens de droit et de faits tendant à obtenir l’inopposabilité de la décision du 12 novembre 2018 de prise en charge de la maladie déclarée le 10 avril 2018 par l’assuré au titre du tableau numéro 57 des maladies professionnelles « canal carpien droit » et référencée sous le numéro 180410359 ;

– Dit opposable à la société la décision notifiée par la caisse le 12 novembre 2018 de prise en charge de la maladie déclarée le 10 avril 2018 par l’assuré au titre du tableau numéro 57 des maladies professionnelles « canal carpien droit » et référencée sous le numéro 180410359 ;

-Débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires ;

– Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné la caisse et la société à payer chacune 50% des dépens de l’instance.

Le tribunal a retenu que :

* S’agissant de la première décision référencée sous le numéro 182312355, elle n’avait fait l’objet d’aucune instruction selon la société et résultait d’une erreur de logiciel selon la caisse ;

* S’agissant de la seconde décision référencée 182410357, la caisse reconnaissait avoir dépassé le délai d’instruction sans informer la société du recours à un délai complémentaire, de sorte que la maladie a été implicitement reconnue lorsque la caisse a informé la société de la clôture de l’instruction, ce qui rend inopposable la décision de prise en charge ;

* S’agissant de la troisième décision référencée sous le numéro 180410359 : en premier lieu, le seul défaut de signature par l’agent d’une caisse d’une décision de reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie ne rendait pas cette dernière inopposable à l’employeur qui conservait la possibilité de la contester ; en deuxième lieu, l’assuré exerçait les fonctions de maçon et réalisait les travaux mentionnés dans la liste limitative du tableau 57C ainsi que les mouvements répétés ou prolongés d’extension du poignet ou de préhension de la main droite lorsqu’il saisissait les outils, installait et jointait les pavés, les bordures et les dalles et coulait le béton, ainsi que l’appui avec le talon de la main droite notamment lors du réglage des dalles, pavés et bordures, le tout sur la base de 35 h par semaine, de sorte que les conditions de prise en charge du tableau étaient réunies ; et en troisième lieu, la décision critiquée précisait le numéro du tableau de maladie professionnelle, l’existence d’un accord de prise en charge et le fondement juridique de cette dernière, l’enquête administrative démontrant par ailleurs que la caisse avait bien pris en considération les réponses de l’employeur quant aux tâches effectuées par le salarié, de sorte que la décision était motivée.

Le jugement a été notifié le 2 octobre 2019 à la caisse qui en a interjeté appel le 21 octobre 2019, en ce que la décision a déclaré inopposable à la société « la maladie professionnelle ”canal carpien gauche” déclarée les 12 mars 2018 et 10 avril 2018 ».

Par conclusions écrites visées par le greffe et développées oralement à l’audience par son avocat, la caisse demande à la cour de :

– Infirmer le jugement rendu le 23 septembre 2019 par le tribunal de grande instance Bobigny en ce qu’il a :

* Dit inopposable à la société la décision notifiée par la caisse le 12 novembre 2018, au titre de la maladie professionnelle du tableau numéro 57 « canal carpien gauche », référencée sous le numéro 182312355 et d’une maladie déclarée le 12 mars 2018 par l’assuré ;

* Dit inopposable à la société la décision notifiée par la caisse le 12 novembre 2018 de prise en charge de la maladie déclarée le 10 avril 2018 par l’assuré au titre du tableau numéro 57 des maladies professionnelles « canal carpien gauche » et référencée sous le numéro 182410357 ;

– En conséquence, déclarer opposable à la société la décision de prise en charge de la maladie « canal carpien gauche » notifiée par la caisse le 12 novembre 2018 (n° 182410357) ;

– Confirmer en ses autres dispositions le jugement rendu le 23 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Bobigny ;

– Y ajoutant,

– Condamner la société à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens d’appel.

Par conclusions écrites visées par le greffe et développées oralement à l’audience par son avocat, la société demande à la cour de :

À titre liminaire,

– Déclarer l’appel de la caisse irrecevable, sans examen au fond ;

À défaut,

– Déclarer l’appel de la caisse recevable mais mal fondé ;

– Déclarer l’appel incident de la société recevable et bien-fondé ;

En conséquence,

– Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bobigny le 23 septembre 2019 en ce qu’il a déclaré inopposable à la société les deux décisions de prise en charge, au titre de la législation professionnelle de la maladie du 12 mars 2018 déclarée par l’assuré sous les références numéros 182312355 et 182410357 ;

– Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bobigny le 23 septembre 2019 en ce qu’il a débouté la société de sa demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie du 12 mars 2018 déclarée par l’assuré sous la référence 180410359 ;

Statuant à nouveau,

– Déclarer inopposables à l’employeur les trois décisions de prise en charge, au titre de la législation professionnelle de la maladie du 12 mars 2018 déclarée par l’assuré sous les références n°180410359, 182312355 et 182410357 ;

En tout état de cause,

– Condamner la caisse à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la caisse aux dépens d’instance.

Pour un exposé complet des moyens et arguments des parties, et en application du deuxième alinéa de l’article 446-2 et de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à leurs conclusions écrites qu’elles ont soutenues oralement et qui ont été visées par le greffe à l’audience du 6 mars 2023.

SUR CE :

Sur la péremption d’instance

Aux termes de l’article 386 du code de procédure civile, l’instance est périmée lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans.

Il résulte des dispositions du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 ayant abrogé l’article R. 142-22 du code de la sécurité sociale, que l’article 386 du code de procédure civile est applicable en matière de sécurité sociale tant aux instances d’appel initiées à partir du 1er janvier 2019 qu’à celles en cours à cette date.

Lorsque la procédure est orale, les parties n’ont pas, au regard de l’article 386 du code de procédure civile, d’autre diligence à accomplir que de demander la fixation de l’affaire (Civ. 2, 17 novembre 1993, n° 92-12807 ; Civ. 2, 6 décembre 2018, n° 17-26202).

La convocation de l’adversaire étant le seul fait du greffe, la direction de la procédure échappe aux parties qui ne peuvent l’accélérer (Civ. 2, 15 novembre 2012, n° 11-25499).

Il en résulte que le délai de péremption de l’instance n’a pas commencé à courir avant la date de la première audience qui en l’espèce a été fixée par le greffe, dans la convocation du 24 novembre 2020, à la date du 9 mai 2022, date à laquelle l’affaire a été contradictoirement renvoyée à l’audience du 6 mars 2023.

Il en résulte qu’à l’audience du 9 mai 2022 le délai de péremption a seulement commencé à courir de sorte que la péremption de l’instance n’est pas acquise à l’audience du 6 mars 2023, date à laquelle l’affaire a été retenue et plaidée.

Sur l’estoppel

La société se prévaut d’une fin de non-recevoir de l’appel tirée de la règle « nul ne peut se contredire au détriment d’autrui » appelée la règle de l’estoppel, en faisant valoir que la caisse a relevé appel des dispositions du jugement relatives aux décisions n°182312355 et 182410357 alors que devant les premiers juges la caisse avait expliqué d’une part que la première décision s’expliquait par une erreur de logiciel et qu’il n’y avait jamais eu deux dossiers pour l’instruction du canal carpien gauche du 12 mars 2018, et d’autre part que la caisse n’avait pas contesté avoir manqué à ses obligations s’agissant de la gestion du dossier ayant donné lieu à la seconde décision avant de prétendre maintenant devant la cour avoir respecté ses obligations en produisant une pièce nouvelle. La société explique que cette attitude procédurale est parfaitement déloyale et revient à priver la société d’un véritable débat dès l’audience de première instance et par conséquent à la priver d’un double degré de juridiction. La société soutient que la violation du principe d’estoppel constitue une fin de non-recevoir et que le recours de la caisse à l’encontre du jugement de première instance est irrecevable sans examen au fond.

La caisse réplique que s’agissant du dossier enregistré sous le numéro 182312355, elle avait soutenu devant le premier juge que le changement de numéro de sinistre ne pouvait entraîner aucune inopposabilité de la décision de prise en charge et a conclu au rejet de la demande de la société, motivation et demande qu’elle reprend devant la cour. La caisse explique que le fait qu’en première instance elle a indiqué que le changement de numéro procédait d’une erreur de son logiciel n’est ni en contradiction avec les moyens qu’elle développe devant la cour ni de nature à rendre applicable le principe de l’estoppel dès lors qu’il n’y a aucune contradiction dans son attitude procédurale. La caisse ajoute qu’il n’y a pas d’avantage de contradiction à solliciter l’infirmation du jugement pour la prise en charge de la pathologie référencée sous le numéro 182312355 et de la maladie déclarée le 12 mars 2018 par l’assuré dès lors que ce numéro correspond bien à la même pathologie que celle enregistrée sous le numéro 182410357 et que le jugement reste critiquable en ce qu’il a retenu une maladie déclarée le 12 mars 2018. La caisse soutient ensuite que s’agissant du dossier enregistré sous le numéro 182312357, le fait qu’elle communique en cause d’appel la lettre de notification du recours au délai complémentaire ainsi que le justificatif d’envoi et de réception de cette lettre ne peut rendre applicable le principe de l’estoppel, d’autant que ces éléments avaient été déjà communiqués devant le tribunal qui n’en a cependant pas tenu compte dans sa décision. Elle rappelle en outre qu’en application de l’article 563 du code de procédure civile, elle peut toujours produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves pour justifier en appel ses prétentions.

La fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui sanctionne l’attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d’une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions (Cass., Civ. 2e, 15 mars 2018, n° 17-21.991, 17-21.992, 17-21.993, 17-21.994, 17-21.997 et 17-21.998).

Il s’ensuit que cette fin de non-recevoir suppose, d’une part, que soit invoquée une contradiction au cours du débat judiciaire (Cass., Civ. 3e, 28 juin 2018, n° 17-16.693) et, d’autre part, que soit caractérisé un changement de position, en droit, de nature à induire l’autre partie en erreur sur ses intentions (Cass., Civ. 1re, 3 février 2010, n° 08-21.288 ; Civ. 1re, 24 septembre 2014, n°13-14.534).

Par ailleurs, il est constant qu’une partie peut toujours invoquer en cause d’appel, au soutien de ses prétentions soumises au premier juge, des moyens nouveaux ou produire des pièces nouvelles sans se contredire au détriment d’autrui (Cass., Com., 10 février 2015, n°13-28.262). Il s’ensuit que les allégations contraires développées au cours d’une procédure antérieure ne doivent pas être prises en compte par les juges du fond, dès lors que les parties n’ont pas changé leurs prétentions en cours de procédure (Cass., Civ. 2e, 22 juin 2017, n° 15-29.202).

En l’espèce, la caisse a relevé appel du jugement en ce qu’il a déclaré inopposable la décision de prise en charge du canal carpien gauche n° 182312355 ainsi qu’une maladie du 12 mars 2018 alors qu’en première instance elle avait indiqué que la décision notifiée sous ce numéro résultait d’une erreur informatique, de sorte que le tribunal l’avait déclarée inopposable à la société en même temps que la maladie du 12 mars 2018, laquelle ne relève d’aucun dossier. La caisse maintient devant la cour cette demande d’infirmation de cette disposition du jugement sans demander pour autant l’opposabilité de la décision de prise en charge n° 182312355 à la société en faisant valoir que cette décision relevant d’une erreur informatique était de facto inopposable à la société dans la mesure où ladite décision n’existait pas.

La cour observe qu’il ne ressort pas des écritures de la caisse versées en première instance ni de l’exposé du litige opéré par le tribunal que la caisse ait sollicité l’inopposabilité de la décision n° 182312355 au motif qu’elle n’existait pas. La caisse s’était bornée à faire valoir l’erreur informatique et l’inexistence de la décision sans tirer les conséquences de la notification de cette décision à la société. Le tribunal a tiré les conséquences de cette situation de fait en déclarant la décision notifiée inopposable à la société, peu important que par sa nature cette décision ne puisse pas produire d’effet sous son numéro spécifique.

La fin de non-recevoir n’est donc pas fondée en ce que la caisse ne s’est pas contredite au détriment de la société en relevant appel mais a persévéré dans l’erreur de penser que la notification d’une décision ne relevant d’aucun dossier existant ne justifiait pas le prononcé de l’inopposabilité demandée dans la mesure où elle était de facto inopposable. En revanche, la demande d’infirmation de la disposition du jugement de ce chef est fondée en ce que dans la même disposition le tribunal a déclaré inopposable cette décision sans objet ainsi que la prise en charge d’une maladie du 12 mars 2018, laquelle ne résulte d’aucune pièce et n’a fait l’objet ni d’une instruction ni d’une prise en charge ni d’aucune demande. Le jugement étant infirmé sur ce point, la décision n° 182312355 sera seule déclarée inopposable à la société.

Ensuite, s’agissant de la décision n° 182410357 non seulement il ne résulte pas des éléments de la procédure que la caisse ait expressément reconnu ne pas avoir adressé à la société une lettre l’informant du recours au délai complémentaire mais il ressort expressément du bordereau de pièces communiquées en première instance, et auquel la caisse se réfère devant la cour sans être contredite par la société, que cette lettre et les justificatifs de son envoi et de sa réception ont été produits en première instance sous les numéros 4 et 4-1, sans que le tribunal n’en ait tenu compte (pièce n° 24 de la caisse).

Par ailleurs il est constant qu’en application des articles R. 441-10 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans leur version issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicables au litige, l’employeur ne peut pas se prévaloir de l’inobservation du délai dans la limite duquel doit statuer la caisse, laquelle n’est sanctionnée que par la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident à l’égard de la victime (Cass., Civ. 2e, 9 juillet 2020, n° 19-11.400). Ainsi, le non-respect du délai d’instruction d’une demande de reconnaissance du caractère professionnel d’une pathologie est sanctionné par la prise en charge implicite de cette pathologie au bénéfice de l’assuré sans rendre la décision expresse de prise en charge subséquente de facto inopposable à la société, de sorte que le tribunal ne pouvait pas, même à supposer que les pièces produites en cause d’appel aient été effectivement manquantes dans le dossier déposé en première instance, ce que le tribunal ne relève pas, conclure à l’inopposabilité de la décision querellée sur ce seul motif.

La caisse ne se contredit donc pas au détriment de son adversaire en relevant appel d’une disposition du jugement qu’elle estime erronée et non fondée en droit au regard du motif retenu par la première juridiction et des moyens et éléments de preuve exposés devant cette dernière.

Il s’ensuit que la fin de non-recevoir tirée de l’estoppel sera rejetée et que la régularité de la décision de prise en charge n° 182410357, étant retenu que la caisse a respecté son obligation d’informer la société du recours au délai complémentaire d’instruction, sera examinée au fond.

Sur les deux décisions de reconnaissance de la maladie professionnelle n° 182410337 et 180410359

La société sollicite l’inopposabilité des deux décisions de prise en charge n° 182410337 et 180410359 d’une part pour des irrégularités de forme (insuffisance de l’instruction ; défaut de motivation ; défaut de pouvoir du signataire) et d’autre part au regard de l’absence de d’une des conditions de prise en charge prévues par le tableau n°57 (liste des travaux exposant au risque).

La caisse réplique en substance que les règles d’instruction ont été respectées et que toutes les conditions de prise en charge sont réunies au cas d’espèce. Bien que la caisse développe cet aspect, le changement de numéro de sinistre n’est ni discuté ni critiqué par la société. Il n’y a pas lieu de répondre aux écritures de la caisse sur ce point qui ne forme en outre aucune demande de ce chef.

La cour examinera successivement chacune des questions de forme puis de fond.

A/ Sur l’instruction des demandes de reconnaissance du caractère professionnel des pathologies

Au visa de l’article R. 441-11, III, du code de la sécurité sociale, la société soutient en substance qu’une enquête insuffisante revient à priver l’employeur de son droit à une information complète et loyale et caractérise un manquement de la caisse qui doit se comporter en tiers impartial agissant par délégation de service public. Elle observe que la contradiction entre les déclarations de l’assuré et les siennes auraient dû conduire la caisse à diligenter des mesures d’investigations complémentaires. Elle soutient que ce manquement justifie l’inopposabilité de la décision de prise en charge.

La caisse ne réplique pas expressément à ce moyen.

Néanmoins, il appartient à la seule caisse d’évaluer la qualité et le caractère exhaustif des renseignements recueillis au cours de l’enquête pour se déterminer. La société conserve le droit, une fois la décision prise, de la critiquer sur le fond, notamment en démontrant que les éléments recueillis sont insuffisants ou contradictoires.

Au cas d’espèce, les actes essentiels de l’enquête ont consisté en l’interrogation du salarié et de l’employeur et la caisse a valablement estimé que ces éléments étaient suffisants pour prendre sa décision sans interroger, comme le suggère la société, le médecin du travail ou organiser une visite du chantier, ni même solliciter des informations complémentaires de l’employeur ou du salarié, actes auxquels elle n’était pas tenue au seul motif qu’il existe une contradiction entre les deux parties interrogées. En outre, il ne peut pas être reproché à la caisse de ne pas avoir procédé à la réouverture de l’instruction après la réception des lettres de réserves en date du 12 novembre 2018, date de sa prise de décision, lesquelles constituent en réalité une critique de la décision de prise en charge.

Cet argument ne peut donc pas être retenu.

B/ Sur la motivation des décisions de prise en charge

Se fondant sur les articles L. 115-3, lequel renvoie à la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, et R. 441- 14 du code de la sécurité sociale, la société soutient que les décisions de prise en charge rendues par les caisses en matière de maladies professionnelles doivent répondre à des exigences de motivation strictes et, en cas de non-respect de cette obligation, être nécessairement déclarées inopposables à l’employeur dès lors qu’elles ne permettent pas à ce dernier de faire respecter ses droits et violent le principe du contradictoire. Elle fait valoir au cas d’espèce que le courrier type, identique pour les deux décisions, ne satisfait pas à l’exigence d’énoncer les considérations de droit et de faits qui constituent le fondement de la décision, exigences prévues par l’article 3 de la loi du 11 juillet 1979 dès lors que la caisse ne fait nulle mention de ce qui l’a conduite à retenir une exposition du salarié au risque prévu par le tableau visé en dépit des déclarations incohérentes de l’assuré et des déclarations contraires de l’employeur. La société relève que la caisse n’indique pas la justification du lien avec l’activité professionnelle pour une infection bilatérale. Il s’ensuit que la caisse aurait dû justifier plus amplement sa décision et expliquer pourquoi elle pouvait retenir une reconnaissance professionnelle au titre des éléments dont elle était en possession afin de renseigner correctement l’employeur sur les raisons de la prise en charge et constituer une prévention efficace d’un contentieux. La société a ensuite commenté la jurisprudence de la Cour de cassation adoptée depuis 2014 en faisant valoir qu’il s’en déduisait que les caisses bénéficiaient d’un régime de faveur contraire aux principes essentiels du droit qui n’avait aucun équivalent en quelque autre matière administrative et qu’il convenait de sanctionner par la nullité les décisions non motivées des caisses en prenant pour exemple les décisions administratives non motivées accordant un permis de construire et de faire ainsi évoluer les pratiques des organismes sociaux sur ce point. Elle soutient qu’à suivre le raisonnement des caisses celles-ci constitueraient une sorte de continent isolé au milieu du droit français de la sanction qui les habiliterait à prononcer des sanctions sans avoir à entendre la défense, et à notifier et motiver les décisions de la personne jugée coupable.

La caisse réplique que les dispositions législatives et réglementaires visées par la société n’imposent, en tout état de cause, une motivation que pour les décisions individuelles de refus d’un avantage et que l’employeur d’une victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne saurait s’en prévaloir. La caisse observe au cas d’espèce qu’il ne s’agit pas d’une décision de refus d’un droit mais d’une décision accordant une prise en charge notifiée à son bénéficiaire et à l’employeur de ce dernier à qui elle fait grief, de sorte que la société ne peut pas se prévaloir de l’application de la loi du 11 juillet 1979. Elle fait valoir ensuite que la décision de prise en charge expose l’ensemble des éléments justifiant la motivation exigée par l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au moment des faits. La caisse relève que la lettre indique en effet que le dossier en cause concerne une maladie professionnelle dans le cadre des tableaux, laquelle a fait l’objet d’un accord de prise en charge, et précise le fondement juridique ayant permis de prendre une telle décision de prise en charge, à savoir le deuxième alinéa de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale. La caisse soutient que la seule référence à cet article permet à la société de savoir que la victime a bénéficié de la présomption du caractère professionnel de sa pathologie, ce qui implique que les conditions tenant à la liste limitative des travaux et au délai de prise en charge étaient remplies, ce qui satisfait à l’exigence de motivation de l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale. Elle ajoute qu’il est même indiqué la maladie en cause, le numéro du tableau concernant cette maladie et l’intitulé exact du tableau, outre que cette lettre fait expressément mention aux voies de recours offertes à l’employeur. La caisse expose que la lettre en cause n’a pas pour vocation de reprendre l’intégralité des éléments du dossier mais seulement d’expliquer le fondement de la décision, ce qui est conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, comme il est également de jurisprudence constante que l’éventuel défaut ou le caractère insuffisant ou erroné de la motivation de la décision de la caisse, à le supposer établi, n’est pas sanctionné d’inopposabilité. Elle fait valoir que ses décisions ne sont pas davantage illégales puisqu’elles respectent les dispositions prévues par l’article 4 de la loi du 12 avril 2000. Enfin ces décisions ne peuvent être frappées de nullité dans la mesure où en vertu des rapports entre les parties (assuré, employeur et caisse) la décision de prise en charge reste acquise à l’égard de l’assuré et que cette décision ne peut dès lors faire l’objet d’une annulation à la demande de l’employeur puisque la décision d’annulation est par nature opposable à tous.

Le défaut ou le caractère insuffisant ou erroné de la motivation de la décision de la caisse, à le supposer établi, permet seulement à son destinataire d’en contester le bien-fondé devant le juge sans condition de délai (Cass., Civ. 2e, 12 mars 2015 n° 13-25.599 ; Cass., Civ. 2e, 26 mai 2016, n° 15-19.532).

En l’espèce, il sera constaté que chacune des lettres d’information de la prise en charge des deux pathologies énonce que le dossier de l’assuré a été examiné dans le cadre du deuxième alinéa de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale et qu’« il ressort[ait] que la maladie Syndrome du canal carpien [gauche pour la décision n° 182410357 et droit pour la décision n° 180410359] inscrite dans le tableau n° 57 : Affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail est d’origine professionnelle ».

Cette notification précisait donc le texte applicable, le cadre procédural exact dans lequel la demande avait été instruite, la pathologie prise en charge et le numéro et l’intitulé exact du tableau correspondant, outre :

– les nom et prénom de l’assuré ;

– la date de la maladie ;

– la référence du dossier instruit ;

– les voies et délai de recours.

Les éléments ainsi fournis étaient suffisants pour que la société comprenne pour quelles raisons juridiques la caisse avait décidé de prendre en charge les deux pathologies.

Au surplus, la notification de la décision n’a pas à entrer dans le détail des conditions prévues au tableau n° 57C et des éléments retenus dans le cadre de l’instruction, lesquels ont été mis à la disposition de la société préalablement à la prise de décision.

C/ Sur le pouvoir du signataire des décisions

Au visa des articles R. 441-10, R. 211-1-2, D. 253-6 et R. 122-3 du code de la sécurité sociale, la société soutient que l’absence de pouvoir du « correspondant Risques Professionnels », ne disposant pas d’une délégation de signature écrite et motivée du directeur de la caisse, justifie l’inopposabilité des décisions de la prise en charge des maladies en cause à défaut pour la caisse de rapporter la preuve que l’intéressé disposait d’un pouvoir régulier.

La caisse réplique que le fait que la société a été mise en mesure de connaître l’organisme émetteur suffit à assurer la validité de la décision peu important le signataire de cette dernière, la société disposant de la faculté d’en contester le bien-fondé. La caisse soutient qu’il est indifférent, pour l’exercice des droits de la société, que la décision de prise en charge ait été signée par le directeur de la caisse lui-même ou par celui à qui il a donné délégation. Elle ajoute qu’en tout état de cause, l’éventuel défaut de justification du pouvoir de l’auteur de la décision de prise en charge ne constitue pas une irrégularité qui entraînerait l’inopposabilité de la décision de prise en charge conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation.

En application de l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-356 du 23 avril 2019, applicable au litige, le défaut de pouvoir d’un agent d’une caisse primaire de sécurité sociale, signataire d’une décision de reconnaissance du caractère professionnel d’un accident ou d’une maladie, ne rend pas cette décision inopposable à l’employeur, qui conserve la possibilité d’en contester tant le bien-fondé que les modalités de mise en ‘uvre au regard des obligations d’information et de motivation incombant à l’organisme social (Cass., Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-21.889).

Aucun texte n’exigeant à peine d’inopposabilité la signature du directeur de la caisse ou l’existence d’une délégation de pouvoir pour la signature d’une notification de décision de prise en charge d’une maladie professionnelle lorsque le destinataire de cette lettre peut identifier le service à l’origine de la décision, le moyen ne peut pas prospérer.

D/ Sur l’exposition au risque

La société rappelle que pour justifier la prise en charge d’une pathologie au titre de l’article L. 461-1, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, la caisse doit démontrer que l’assuré effectuait un des travaux limitativement ou de façon indicative énumérés au tableau visé. La société rappelle également qu’en l’absence de démonstration d’une exposition au risque de la maladie à l’issue de l’instruction, la caisse est tenue de saisir le CRRMP, lequel doit rendre un avis motivé.

Au cas d’espèce, la société soutient que l’assuré, qui occupait le poste de maçon, n’exécutait pas habituellement de travaux impliquant des mouvements répétés, encore moins des deux mains. Elle fait valoir qu’elle avait porté à la connaissance de la caisse cet élément de fait en rappelant que les tâches de l’intéressé consistaient en la « préparation et transport des matériaux nécessaires à la réalisation des tâches, mise en ‘uvre du béton (coulage, vibrage, surfaçage), mise en place des bordures et pavés », et le « réglage de bordures et pavés ». Elle avait également indiqué que dans le cadre de ses missions, l’assuré pouvait être amené à exercer de rapides mouvements tridimensionnels d’extension du poignet lors du réglage des bordures pour finaliser leur positionnement mais en aucun cas des mouvements requérant un appui prolongé ou répété sur le talon de la main. Elle ajoute que pour saisir les outils de manutention (truelle, maillet), l’assuré pouvait être amené à effectuer des mouvements de préhension de la main mais que ces mouvements étaient ponctuels et qu’aucun ne faisait l’objet d’une répétition avec une fréquence importante. Elle soutient ainsi qu’au regard de la polyvalence des tâches de l’assuré, aucune exposition de manière suffisamment répétée et habituelle avec une fréquence importante n’est caractérisée. Elle soutient que les outils employés sont en majorité opérés d’une seule main et lorsqu’ils sont opérés des deux mains ils ne sollicitent pas les deux membres de la même façon, ce qui aurait dû interpeller l’organisme quant à la déclaration d’une affection bilatérale pour un salarié qui se déclare droitier. En outre, elle soutient que la synthèse par l’assuré des tâches de travail accomplies dans le cadre de son activité révèle son caractère imprécis et exagéré puisque l’addition des heures de maniement des outils porterait sa journée de travail à 09h00, de sorte que ces déclarations sont nécessairement erronées. De plus, la description des situations de travail était également incohérente au regard de l’ensemble des outils mentionnés, ce qui enlève tout caractère probant à ces déclarations. Ainsi au regard de la bilatéralité de l’affection à laquelle s’opposent le fait que le salarié soit droitier mais également sa fragilité constitutionnelle puisqu’il souffrait d’une pathologie musculo-squelettique à l’épaule droite dont l’origine n’est pas professionnelle, l’exposition au risque de la maladie ne saurait être retenue.

La caisse réplique que la jurisprudence admet le caractère professionnel, indépendamment du temps quotidien d’exposition au risque, dès lors que les travaux limitativement énumérés font partie des activités de l’assuré et que la maladie est celle prévue au tableau visé. Les renseignements contenus dans la déclaration de maladie professionnelle, le questionnaire de l’assuré et celui de la société établissent que l’assuré a effectivement été exposé aux travaux mentionnés dans la liste limitative du tableau 57 C.

Le tableau n° 57 C relatif aux affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures du travail applicable prévoit au titre de la désignation de la maladie « syndrome du canal carpien » une liste limitative des travaux susceptibles de provoquer cette maladie ainsi libellée : « Travaux comportant de façon habituelle, soit des mouvements répétés ou prolongés d’extension du poignet ou de préhension de la main, soit un appui carpien, soit une pression prolongée ou répétée sur le talon de la main. »

Le caractère habituel des travaux visés au tableau n° 57 C n’implique pas qu’ils constituent une part prépondérante de l’activité du salarié, étant précisé que le tableau ne prévoit aucune durée minimale concernant les travaux à effectuer.

Au cas d’espèce, au 20 mars 2018, l’assuré était maçon depuis le 23 août 2004 au sein de la société, à temps complet.

Il résulte du questionnaire que la société a rempli (pièce n° 5 des productions de la caisse) que :

– L’agence de [Localité 5] où intervient l’assuré est spécialisée dans les travaux de voirie (réalisation et ou entretien des chaussées routières/trottoir), d’assainissement (mise en place de canalisations), de terrassement ;

– Il a toujours occupé le poste de maçon ;

– Il est droitier ;

– Dans le cadre de sa fonction, il est amené à assurer les tâches décrites ci-dessous :

« *Préparation et transport des matériaux nécessaires à la réalisation des tâches à effectuer ;

« * Mise en ‘uvre du béton (coulage, vibrage, surfaçage) ;

« * Mise en place de bordures, pavés ;

« * Réglages de bordures et pavés »

– Pour effectuer ces opérations, l’assuré a des outils d’aide à la manutention pour positionner les bordures/pavés sur le lit de pose, de truelles pour mise en place du béton et de maillets pour régler finement leur positionnement ;

– L’assuré peut être amené à exercer de rapides mouvements tridimensionnels d’extension du poignet lors du réglage des bordures pour finaliser leur positionnement ;

– La société estime que ces mouvements ne requièrent pas un appui prolongé ou répété sur le talon de la main et que pour saisir les outils de manutention manuelle (truelle, maillet) l’assuré peut être amené à effectuer des mouvements de préhension de la main mais que selon la société ces mouvements sont ponctuels et aucun ne fait l’objet d’une répétition avec une fréquence importante ;

– La société ajoute qu’au cours d’une journée d’activité, la fréquence et la durée journalière d’exposition restent très difficiles à mesurer de façon précise et répétable dans la mesure où elle dépend de la configuration du chantier ;

– L’activité de maçon s’exerce généralement à l’extérieur et est soumise aux aléas climatiques que ce soit en milieu urbain, rural ou industriel ;

– Les horaires de travail sont uniquement de jour mais peuvent être adaptés à un chantier particulier en fonction des contraintes de délais ou climatiques, ou de problématiques de circulation et qu’en conséquence les horaires de travail entrent dans le cadre d’une annualisation du temps de travail soumise et validée par les instances représentatives du personnel, la durée de travail étant de 35 h pour 5 jours par semaine et annualisée à 1600 heures ;

– L’assuré a passé régulièrement les visites médicales du médecin du travail et lors de la dernière, le 2 septembre 2016, le médecin du travail a mentionné une aptitude médicale sans aucune restriction ;

– L’assuré a fait l’objet d’arrêts de travail en maladie de février à mars 2018 puis du certificat du 10 avril 2018 au titre de la pathologie en cause.

Lesdits mouvements sont confirmés par l’assuré dans son questionnaire (pièce n° 6 de la caisse). Il ressort de ce questionnaire que :

– Il a effectué un temps de travail journalier de 7 heures pour une durée hebdomadaire de 35 heures, 5 jours par semaine ;

– Ses activités principales étaient : la pose de bordures, la pose de pavés et le « réglage de la pierre réseau voirie divers » ;

– Il utilisait des outils vibrants : plaque vibrante 302 thermique, marteau piqueur, tronçonneuse thermique, découpeuse thermique, cylindre compacteur ;

– Pour chacune des mains :

* Ses travaux comportaient des pressions prolongées du talon de la main (ex. : pousser des objets lourds avec la paume de la main’) moins d’une heure par jour, trois jours par semaine ; à cette occasion, il utilisait les outils vibrants pour « faire des joints de bordure faire des finitions enduit » ;

* Ses travaux comportaient de nombreuses saisies manuelles et/ou manipulations d’objets entre 1 et 3 heures par jour, 1 à 3 jours par semaine ; à cette occasion, il utilisait les outils vibrants pour le « réglage empierrement réglage dalle béton pose bordure » ;

* Ses travaux comportaient des mouvements avec appui du poignet (ex. : travaux manuels de nettoyage, polissage, ponçage’) 1 à 3 heures par jour, plus de 3 jours par semaine ; à cette occasion, il utilisait les outils vibrants pour « régler des dalles de béton pose de bordures » ;

* Ses travaux comportaient des mouvements répétés de flexion/extension du poignet (ex. : travaux de picking sur une chaîne de fabrication, conditionnement’) plus de 3 heures par jour, plus de 3 jours par semaine ; à cette occasion il utilisait les outils vibrants pour « annuler des objets vibrants à poser et déposer des bordures régler de la pierre régler du béton dalle » ;

La confrontation de ces deux questionnaires ne révèle pas de contradiction sur le fait que l’assuré effectuait bien des travaux comportant soit des mouvements d’extension du poignet ou de préhension de la main, soit un appui carpien, soit une pression sur le talon de la main, la société précisant même que l’assuré, dans le cadre de ses fonctions, pouvait « être amené à exercer des rapides mouvements tridimensionnels d’extension du poignet » et des « mouvements de préhension de la main ». Il n’y a donc pas d’incohérence ni de contradiction entre les déclarations de la société et de l’assuré sur la nature des travaux réalisés et les mouvements générés à cette occasion.

Il n’y a pas davantage d’incohérences dans les déclarations de l’assuré qui ne quantifie pas exactement le temps de chaque type de mouvement mais donne une fourchette en heures quotidiennes et en jours par semaine. Ne peuvent pas être simplement additionnés, comme le fait la société, les chiffres les plus hauts des fourchettes données pour affirmer que cela ferait des journées de plus de 9 heures, 5 jours par semaine. La société reconnaît d’ailleurs elle-même que ces mouvements sont difficilement quantifiables. Les indications de l’assuré suffisent pour établir, que selon des configurations différentes selon les jours et les semaines, il accomplit habituellement les gestes en cause dans la réalisation des tâches qui lui sont confiées.

En revanche, il est exact qu’il existe une divergence d’appréciation quantitative des gestes en cause entre la société et l’assuré en ce que la société ne reconnaît pas que les mouvements en cause puissent être effectués de façon habituelle, répétée ou prolongée. Toutefois, la société reconnaît que cela dépend de la configuration du chantier qui lui-même est tributaire des aléas climatiques, de délais et de problèmes de circulation et que si l’assuré accomplit les gestes en cause on ne peut pas en établir la fréquence. Ce faisant, la société se contredit sur ce point et ne conteste donc pas sérieusement que les gestes sont effectués de façon habituelle mais soutient seulement que leur fréquence horaire pour une journée de travail n’est pas quantifiable et que ces gestes ne sont certainement pas répétés ou prolongés.

Il résulte pourtant du questionnaire de la société que les mouvements effectués lors de chacune des interventions de l’assuré dans toutes les tâches qui lui étaient confiées étaient répétés régulièrement au cours de sa semaine de travail selon un rythme qui ne dépendait que du chantier à réaliser , peu important qu’ils ne soient pas continus et connaissent éventuellement des phases d’interruption en raison des aléas climatiques, de délais ou des conditions de circulation.

En outre, le tableau n’exige pas une durée d’exposition journalière, hebdomadaire ou mensuelle précise, mais seulement le caractère habituel des travaux effectués exposant à ces gestes, ce qui est bien le cas en l’espèce de l’assuré qui dans ses activités de maçon était tous les jours exposé à l’un de ces gestes de façon habituelle peu importe la quantification exacte selon la semaine dès lors qu’aucune de ces activités n’exposait pas l’assuré à ces gestes.

Il importe peu que l’assuré ait été droitier au cas d’espèce puisque comme le soulève la société elle-même l’intéressé pouvait effectuer son travail le plus souvent avec une main mais aussi avec ses deux mains, ce qu’il confirme lui-même, et que par ailleurs il était atteint d’une pathologie musculo-squelettique à l’épaule droite dont l’origine n’était pas professionnelle. Ce dernier fait n’est pas de nature à écarter l’exposition au risque pour les deux mains dans la mesure où au contraire il explique parfaitement pourquoi l’assuré utilisait ses deux mains pour manier ses outils afin de compenser la faiblesse de son épaule droite.

De même, le fait que le salarié ait été déclaré apte à son poste de travail est sans incidence sur l’apparition de la maladie et son caractère professionnel et ne permet pas de considérer qu’il n’accomplissait pas de façon habituelle les gestes décrits dans le tableau.

Les productions de la caisse suffisent à établir, sans qu’elle ait eu à recourir à des investigations complémentaires en la matière, que l’assuré réalisait habituellement, de façon répétée et/ou prolongée les mouvements au sens du tableau 57 C, peu important la divergence des parties sur leur durée totale quotidienne ou hebdomadaire dès lors que leur ampleur est au cas d’espèce substantielle en ce qu’elle concerne toutes les tâches confiées à l’assuré au quotidien de son emploi et tous les gestes visés au tableau.

Au regard des circonstances de l’espèce, la caisse établissant donc que l’assuré était exposé au risque prévu au tableau 57C, la société ne discutant pas les autres conditions du tableau, la présomption d’imputabilité de la maladie prise en charge trouve à s’appliquer sans que la société ne parvienne à la renverser.

Les décisions de prise en charge doivent être déclarées, par voie d’infirmation du jugement déféré en ce qui concerne le canal carpien gauche et par voie de confirmation en ce qui concerne le canal carpien droit, opposables à la société.

La société qui succombe sera condamnée aux dépens et à payer à la caisse la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles, sa propre demande à ce titre étant rejetée.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

DÉCLARE recevable l’appel de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Morbihan ;

REJETTE le moyen tiré de la péremption d’instance ;

REJETTE la fin de non-recevoir tirée du principe de l’estoppel ;

CONFIRME le jugement rendu le 23 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Bobigny en ce qu’il a :

– Dit opposable à la société Eiffage Route Île-de-France Centre Ouest la décision notifiée par la caisse le 12 novembre 2018 de prise en charge de la maladie déclarée le 10 avril 2018 par [F] [Z] au titre du tableau numéro 57 des maladies professionnelles « canal carpien droit » et référencée sous le numéro 180410359 ;

INFIRME le jugement rendu le 23 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Bobigny en ce qu’il a :

– Dit inopposable à la société Eiffage Route Île-de-France Centre Ouest la décision notifiée par la caisse le 12 novembre 2018, au titre de la maladie professionnelle du tableau numéro 57 « canal carpien gauche », référencée sous le numéro 182312355 et d’une maladie déclarée le 12 mars 2018 par [F] [Z] ;

– Dit inopposable à la société Eiffage Route Île-de-France Centre Ouest la décision notifiée par la caisse le 12 novembre 2018 de prise en charge de la maladie déclarée le 10 avril 2018 par [F] [Z] au titre du tableau numéro 57 des maladies professionnelles « canal carpien gauche » et référencée sous le numéro 182410357 ;

Et statuant à nouveau sur ces deux points,

DIT inopposable à la société Eiffage Route Île-de-France Centre Ouest la décision notifiée par la caisse le 12 novembre 2018, au titre de la maladie professionnelle du tableau numéro 57 « canal carpien gauche », référencée sous le numéro 182312355, déclarée par [F] [Z], comme étant relative à un dossier créé par erreur informatique ;

DIT opposable à la société Eiffage Route Île-de-France Centre Ouest la décision notifiée par la caisse le 12 novembre 2018 de prise en charge de la maladie déclarée le 10 avril 2018 par [F] [Z] au titre du tableau numéro 57 des maladies professionnelles « canal carpien gauche » et référencée sous le numéro 182410357 ;

CONDAMNE la société Eiffage Route Île-de-France Centre Ouest à payer à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Morbihan la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Eiffage Route Île-de-France Centre Ouest aux dépens.

La greffière BPour la présidente empêchée

 


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